Me Alain Monkam : Je porte plainte contre mon père

Interview

06 Jul 2010, MUTATIONS

Me Alain Monkam : Je porte plainte contre mon père

Dans notre livraison du 15 juin dernier, nous avons publié un article sous le titre de «Un conflit familial secoue les hôtels La Falaise». Dans cet article, nous révélions que l'un des fils du fondateur groupe Sem (Société des établissements Monkam), Me Alain Monkam, avocat aux barreaux de Paris et du Cameroun, menaçait de traîner son père en justice, le milliardaire Pascal Monkam. Le fils estime que le père, à 81 ans, devrait déjà passer la main tout au moins au niveau de la gestion quotidienne du groupe. Il ne comprend pas pour quelles raisons le fondateur du groupe, son père, lorsqu'il voudrait faire des cadeaux somptueux à certains de ses enfants, puise dans les caisses de l'entreprise familiale au lieu de se servir de ses biens personnels.
A toutes ces accusations, Pascal Monkam que nous avons par ailleurs rencontré, répond par un rire moqueur, arguant que son fils était l'objet de ses recherches, et qu'il n'avait pas à rendre des comptes de son vivant, de la fortune qu'il a créée.

Le 30 juin, dans notre chronique Bloc notes, sous le titre «Les enfants de leur père», nous revenions sur cette affaire. Nous tracions un parallèle entre les Monkam dans cette affaire et celle des Bettencourt qui fait des vagues en ce moment en France, lorsque Françoise a porté plainte contre sa mère, Liliane Bettencourt qu'elle accuse de dilapider la fortune familiale.
La proximité des faits a-t-elle engendré un comportement similaire chez Monkam ? L'avocat n'écarte pas cette hypothèse dans cette interview qu'il a accordée à Mutations, et dans laquelle il est résolu à traîner son géniteur devant les tribunaux de Paris et du Cameroun.


Pour quelles raisons avez-vous choisi le barreau français à celui du Cameroun?
En réalité, je n’ai privilégié aucun barreau car je suis avocat inscrit au barreau de Paris depuis l’année 2001 et au barreau du Cameroun depuis l’année 2008.
Toutefois, j’avais choisi le barreau de Paris en premier pour la simple raison que j’avais suivi toutes mes études de droit dans cette ville.

Les enfants issus des familles comme la vôtre, restent souvent auprès de leurs parents pour assurer la relève de leurs affaires; vous avez choisi de partir, et de surcroit, vous menacez de justice Pascal Monkam votre père, que lui reprochez-vous ?
Il y’a plusieurs questions dans une seule, mais je vais essayer de répondre à toutes. Tout d’abord, je n’ai jamais fait le choix de partir. C’est plutôt mon père qui m’avait envoyé en France, alors enfant, pour que j’y reçoive mon éducation. A l’issue de mes études d’avocat, il m’avait semblé cohérent de demeurer en France quelques années afin d’acquérir une expérience professionnelle. Au terme de cette formation, je suis donc naturellement revenu au barreau du Cameroun, mon pays.
S’agissant de la relève au sein des affaires familiales : vous savez, mon père a 16 enfants issus de 5 épouses différentes. La quasi-totalité de ces enfants travaillent au sein du Groupe familial à des postes de direction. Ma présence n’était donc pas indispensable !
S’agissant de mon action judiciaire contre mon père, ce n’est pas une simple menace. Je me rendrai au Cameroun très prochainement, probablement à l’issue des vacances judiciaires, pour saisir les juridictions camerounaises, et nous en reparlerons. Pourquoi agir ainsi ? J’ai en effet constaté que mon père M.Pascal Monkam, Pdg de la Sem (Société des Etablissements Monkam), dépense les fonds du Groupe familial à coup de milliards de Fcfa sans que cela paraisse toujours justifié par l’intérêt social, c'est-à-dire l’intérêt du Groupe familial lui-même. Par exemple, je note qu’une de mes sœurs, pourtant simple salariée de la société, s’est vue offrir sans contrepartie, une maison d’1 milliard de Cfa (avec ascenseur privée et plusieurs salons). Autre exemple, je constate que mon père a transféré en Afrique du Sud plusieurs milliards de F Cfa pour acheter des hôtels. Or, certains de ces hôtels ne sont curieusement pas au nom du Groupe familial, mais à celui d’un de mes frères ! Vous pourrez me rétorquez que mon père organise sa succession en faveur de quelques uns de ses enfants comme il entend. Dans ce cas, pourquoi le faire sur les fonds du Groupe familial au lieu de le faire sur son argent personnel ? Et qu’en est-il des droits de succession qu’aurait dû percevoir l’Etat camerounais ? L’Etat camerounais est frappé par un vent d’orthodoxie financière depuis plusieurs années. Cette même rigueur devrait aussi s’appliquer aux entreprises familiales qui sont souvent gérées comme la caisse personnelle de leurs fondateurs !
Mettez juste en parallèle le salaire moyen d’une hôtesse d’accueil au sein du Groupe d’hôtellerie de mon père, c'est-à-dire 35.000 Cfa, et les milliards abusivement dépensés ? Est-ce normal ? C’est avec de tels comportements que l’on porte atteinte à la pérennité d’un Groupe qui pourtant crée de nombreux emplois. Le Cameroun mérite aussi d’avoir ses fleurons industriels qui durent, au-delà de leurs fondateurs, comme Peugeot en France ou les hôtels Hilton aux Usa.

L’environnement français a avec l’affaire Liliane Bettencourt et sa fille Françoise qui traine sa mère en justice vous influence-t-il dans votre cas?
C’est vrai que des commentateurs pertinents, dont vous-même, dans votre chronique de mercredi dernier, avez fait cette analyse fine. Toutefois, c’est le fruit du hasard si les calendriers de ces deux affaires se télescopent. Toutefois, dans le cas de l’affaire Bettencourt, il faut tout de même observer que les dépenses litigieuses ont été effectuées sur le patrimoine privé de la milliardaire. Dans mon affaire, je reproche justement à M. Pascal Monkam, Pdg du Groupe, de confondre son compte bancaire personnel avec celui du Groupe familial.

Votre père a déclaré à Mutations qu’il vous recherche ; est-ce pour cette raison que vous vivez en France et que vous voulez prendre les devants en justice ?
Ah non! C’est justement quand j’ai adressé aux mois d’avril et mai derniers plusieurs lettres annonçant à mon père mon intention de porter plainte pour abus de biens sociaux que se sentant menacé, il a déclaré qu’il voulait m’arrêter.
Il est aussi vrai que M Pascal Monkam a l’habitude de lancer des mandats d’arrêts contre ses propres enfants. J’ai un petit-frère qui a fait 5 ans de prison à l’établissement pénitencier de Bafang. A l’heure où nous parlons, mon père a lancé un mandat d’arrêt international contre un autre de mes frères en Afrique du Sud (évoqué plus haut dans cette interview), que mon père accuse d’avoir détourné des biens qu’il lui avait lui-même offerts quelques années plutôt. A travers tous ces mandats d’arrêts, je pense que mon père, qui approche 81 ans, refuse d’envisager sa retraite et sa succession. C’est plutôt triste.
Dans mon cas précis, mon père risque cependant de se heurter aux barreaux français et camerounais que je préviendrai de mon initiative bien sûr.

Quels rapports entretenez-vous avec les autres membres de la famille notamment vos sœurs, vous suivent-elles dans votre démarche ?
Je ne vous cacherai pas que contrairement à l’image que nous pouvons projeter, l’ambiance familiale est très délétère. En effet, profitant de sa puissance financière, mon père joue de la concurrence et de la jalousie entre ses propres enfants. Il semble s’inspirer de la maxime «diviser pour mieux régner». Toutefois, le résultat de cette politique risque probablement d’être l’éclatement du Groupe familial. Régulièrement, nous observons ce phénomène dramatique qui aboutit à la fermeture de groupes de sociétés à l’origine très prospères. Les premiers perdants seraient une fois de plus les Camerounais modestes qui travaillent à la sueur de leur front dans ces entreprises familiales.

Liliane Bettencourt finance abondamment les partis politiques français depuis le début de la 5ème République dans son pays. Votre père le fait-il aussi au Cameroun ?
Si j’en crois les journaux, mon père est un membre éminent du Rdpc aux côtés d’autres hommes d’affaires. Dans le cadre du financement légal des partis politiques, mon père doit certainement donner sa quote-part. Mais cela ne date pas d’aujourd’hui. Je me souviens lorsque j’étais petit, mon père ornait son bureau d’une photographie où on le voyait, le dos courbé, serrant la main à feu le président Ahidjo. Quand le régime avait changé en 1982, mon père avait changé cette photographie contre une autre plus appropriée avec l’actuel président de la République Paul Biya, mais la pose était identique ! Si jamais le régime devait changer de nouveau demain…

Pouvez-vous vous rendre au Cameroun à tout moment ?
Mais bien sûr que je peux me rendre au Cameroun ! Je vais d’ailleurs m’y rendre. Je suis tout de même un auxiliaire de Justice appartenant à deux barreaux très respectables. Malgré son argent, mon père n’est pas encore au dessus des lois du Cameroun. Au contraire, c’est moi qui demande à mon père des comptes devant la justice de notre pays.

Votre père a des affinités avec le parti au pouvoir au Cameroun. Votre action ne serait pas de nature à lui assurer la sérénité et une bonne image. En tenez-vous compte ?
C’est vrai que mon action judiciaire pourrait révéler des scandales éclaboussant certains hommes politiques liés au pouvoir actuel. En effet, j’ai entre les mains des documents démontrant que mon père a transféré des sommes colossales à l’étranger, notamment en France, au mépris des engagements internationaux du Cameroun sur les flux financiers. Quelle avait donc été la contrepartie qui avait été accordée en échange de l’autorisation de transfert signée par le Ministre de l’Economie et des Finances en charge ? Mon père lui-même a une approche très pragmatique de ces choses. Il m’avait récemment indiqué en février 2010 dernier comment il avait donné 200 millions de FCfa à un cadre supérieur d’une grande banque de la place pour obtenir un prêt de 1,2 milliards de F Cfa Où est donc passé cet argent ? Ce sera à la justice camerounaise de se prononcer là dessus.

Quels sont les objectifs que vous visez dans votre action ?
Par deux courriers des 14 et 20 mai 2010, j’ai officiellement demandé à mon père de démissionner de la direction du Groupe familial et de convoquer un conseil de famille afin de désigner un nouveau dirigeant (comme cela se fait parfois dans les grands groupes industriels en Europe). Mon père n’a évidemment pas donné suite à ma requête.
Si mon action judiciaire «pour abus de biens sociaux» aboutit, la justice camerounaise sera compétente pour dessaisir mon père de la direction opérationnelle du Groupe. Il y va de l’intérêt du Groupe familial, et plus généralement, des Camerounais du quotidien qui y travaillent depuis longtemps.

Propos recueillis par Xavier Messè



11/07/2010
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