Martin Otto Pfister : « Au Cameroun, chacun cherche son intérêt »

L’ancien entraîneur des Lions Indomptables analyse la débâcle des Lions Indomptables à la Coupe du Monde.

Martin Otto Pfister, vous avez été l’entraîneur de l’équipe nationale du Cameroun de 2007 à mai 2009. Quelle analyse faites-vous à quelques jours de la finale de la Coupe du Monde ?

L’analyse que je peux en faire est toute simple : Ce sont les équipes qui travaillent, qui ne font pas trop de tralala qui ont pu atteindre un bon niveau dans cette compétition. On ne peut pas réussir quand dans une équipe, on a des problèmes qui n’ont rien à voir avec le football proprement dit. Je prends l’exemple de l’Argentine avec Maradona. Seules les équipes qui travaillent sérieusement comme le Paraguay ou l’Uruguay ont pu faire une bonne compétition. Je peux encore citer l’Allemagne, la Hollande ou l’Espagne. A la Coupe du Monde, il n’y a pas de surprise. Pour que les équipes jouent bien, il faut qu’il y ait un bon esprit dans le groupe et qu’il n’y ait pas de scandale. Je pense que c’est bien pour le football et pour la jeunesse aussi.

Le Ghana, la seule équipe africaine restée en compétition est tombé en quarts de finale. Cette équipe est-elle une satisfaction selon vous ?
Oui, j’ai même été touché par cette élimination parce que je supportais moi-même cette équipe. Je la connais, parce que j’ai remporté la Coupe du Monde des moins de 17 ans avec cette équipe. Le Ghana a fait une bonne Coupe du Monde, cette équipe a bien présenté le continent africain. Je regrette que Gyan Asamoah ait ainsi manqué le penalty à quelques secondes de la fin du match, alors qu’en marquant, il aurait permis à son équipe de jouer la demi-finale. Ils ont fait une bonne compétition, malgré un petit handicap, concernant André Ayew qui n’a pas disputé le dernier match. C’est vrai que l’entraîneur a fait de son mieux dans cette équipe, mais je pense qu’il aurait pu prendre d’autres risques en faisant confiance à d’autres jeunes à la place de John Mensah et Stephen Appiah. Je suis content des performances de cette équipe, car elle a bien représenté le continent africain. C’est la seule équipe africaine où l’entraîneur travaillait librement.

Qu’avez-vous à dire sur les autres équipes africaines ?
Je remarque qu’elles ont fait une mauvaise compétition. Le Cameroun a recruté un nouvel entraîneur à huit mois de la Coupe du Monde, comme l’Afrique du Sud qui est finalement allé chercher Parreira. Le Nigeria a recruté le sien à deux mois de la compétition, la Côte d’Ivoire à trois mois je crois. Tout ce qui s’est passé avec les équipes africaines est très bien et permettra peut-être à leurs dirigeants de prendre des leçons quant à la gestion de ces équipes. C’est très bien, ces dirigeants vont bien apprendre quelque chose. L’entraîneur du Ghana n’est même pas un entraîneur très connu ; il était entraîneur en cinquième division en Allemagne. Je pense que dans le football, il faut oublier les tralalas et laisser travailler les entraîneurs. C’est dommage que ces équipes s’amusent, malgré tout le potentiel qui est le leur. Le Cameroun par exemple, aurait fait une très bonne compétition avec le potentiel qu’il a. J’ai travaillé un an et demi avec cette équipe et j’ai fait toutes les analyses. C’est une équipe qui a plus de 175 joueurs d’un très bon niveau comme Eto’o, Emana ou Makoun à l’étranger. Malgré tout ce potentiel, il n’y a pas de résultat parce que les intérêts personnels priment sur les intérêts collectifs.

Vous qui connaissez cette équipe, pouvez-vous nous dire quels sont ces intérêts personnels qui ont empêché les Lions d’aller plus loin ?
Bien sûr, et à ce sujet, le parlerai de mon propre cas. On peut critiquer tout joueur, tout entraîneur, mais comment peut-on expliquer que moi, avec cette équipe, j’ai pu atteindre la finale de la Coupe d’Afrique des Nations. Pendant un an, je n’ai pas perdu de match avec cette équipe, mais il a fallu que je perde contre le Togo pour que j’aie tout le monde contre moi. J’ai juste perdu un match et les dirigeants ont changé mon entraîneur adjoint par trois entraîneurs adjoints qui étaient des hommes que je ne connaissais même pas. Tout ceci parce qu’ils étaient poussés par un groupe. Vous connaissez le milieu camerounais et vous savez qu’au Cameroun, chacun cherche son intérêt. Ils étaient poussés par un groupe parce qu’ils voulaient avoir un peu d’argent. Si après chaque défaite, une équipe change d’entraîneur, il n’est pas possible d’évoluer. Quand on a changé mon adjoint, j’étais contraint d’abandonné.

Ceux qui tirent les ficelles viennent du ministère des Sports ou de la Fédération ?
Depuis le premier jour, j’ai travaillé dans une véritable ambiance de guerre au Cameroun. Une guerre entre le ministère et la Fédération camerounaise de football.

Contrairement à vous, Paul Le Guen a eu les mains libres, il a travaillé avec l’onction de la Fécafoot, mais les résultats n’ont pas suivis…
Je ne vais jamais critiquer un collègue, moi je fais des analyses. Avec  les Lions Indomptables, Paul Le Guen a disputé 21 matchs avec 21 classements différents. Je ne sais pas quel est l’entraîneur qui peut réaliser cela. En football, sans équipe type, on ne peut pas avoir de victoire. Se qualifier pour la Coupe du Monde n’était pas vraiment une difficulté parce que le groupe dans lequel se trouvait le Cameroun était un groupe faible.  Le Cameroun aurait pu se qualifier sans entraîneur. La préparation pour la Coupe d’Afrique des Nations était déjà folklorique : une préparation en deux ou trois jours ne sert à rien. La préparation pour la Coupe du Monde n’était pas non plus d’un bon niveau. Les responsables de cette affaire c’est le gouvernement, l’entraîneur et la Fédération. Comment est-ce possible de commencer la préparation en France, la poursuivre en Autriche et aller disputer un match amical au Portugal ? Six jours avant la Coupe du Monde, on va disputer un match amical à Belgrade, on revient en Autriche et puis on va au Cameroun. Je crois que ce n’est pas une bonne préparation. On donne deux ou trois jours de vacances aux joueurs et on fait un match tralala à Yaoundé. A chaque match amical, il fallait voyager. Si pour cinq matchs il faut faire cinq voyages, je crois qu’on fini avec des joueurs pas très en bonne forme. En plus, dans cette équipe, tout le monde pense qu’il peut s’asseoir sur le banc de touche avec les joueurs pendant la Coupe du Monde.   Moi j’ai combattu tout cela, mais comme je n’avais pas de soutient, c’était difficile. Vous verrez que dans les grandes équipes comme l’Allemagne, l’Espagne ou les Pays-Bas, les choses ne se passent pas comme ça. Au Cameroun, ces personnes veulent rester sur le banc avec les joueurs pour contrôler leur fortune. Dans cette atmosphère, comment pouvez-vous gagner un match de football ?

Selon Michel Zoah, l’actuel ministre des Sports au Cameroun, le climat chez les Lions est délétère et miné par la jalousie. A votre époque, avez-vous vécu cela ?
Chaque entraîneur a ses principes et mon principe c’est la conduite de l’équipe. Lors des entraînements, j’insiste sur la conduite. Si entre les joueurs il n’a pas d’entente, vous pouvez traîner pendant des jours à l’entraînement, mais vous n’aurez pas de résultat. Il y a aussi le système qui compte. Comment trois semaines avant la Coupe du Monde, on commence à intégrer des jeunes joueurs dans une équipe ? On peut le faire sept à huit mois avant la Coupe du Monde, sinon, on aura toujours des frustrés. Les vieux sont frustrés par l’arrivée des nouveaux parce qu’ils ne sont plus dans l’équipe. Si ce n’est pas le cas, les jeunes seront frustrés parce qu’ils ne sont pas intégrés. Avec un tel mélange, il faut faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour confectionner la liste des 23 joueurs. Comment est-ce possible qu’un joueur comme Somen A Tchoyi, meneur de jeu avec les Redbulls de Salzburg en Autriche, courtisé par les grands clubs en Europe, dont le montant pour le transfert est à 15 millions d’Euro ne fasse pas partie de cette liste ? Qu’Eric Djemba, meilleur joueur du championnat danois soit hors de cette liste ; que Ngom Kome, le seul joueur qui peut déborder côté droit soit absent, je me demande bien qui a fait la sélection dans cette équipe.
 

Propos recueillis sur
Camer-sport.be et
retranscrits par
 Ateba Biwolé



08/07/2010
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