Marafa Hamidou Yaya: "Je peux me retrouver en prison…"

YAOUNDE - 04 SEPT. 2011
© Christophe Bobiokono | Correspondance

Dans le cadre d’un entretien avec l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique (Usa) le 9 février 2010, le ministre d’Etat chargé de l’administration territoriale et de la décentralisation a confié ses inquiétudes à propos de la conduite de « l’opération épervier », de la mise en place d’Elections Cameroon (Elecam) et du processus de décentralisation. M. Marafa Hamidou Yaya laisse entendre que le président Biya procède à une gestion politique de la campagne de lutte contre la corruption.


Des confidences consignées dans un compte-rendu de l’ambassadeur au Gouvernement américain, qui ont été rendues publiques par Wikileaks. Notre lecture.

Après la publication il y a quelques jours d’un câble de l’ambassade des Etats-Unis d’Amérique rendant compte d’un entretien entre Janet Garvey, l’ancienne patronne de la mission diplomatique des Usa à Yaoundé, et Amadou Ali, le vice-ministre camerounais chargé de la Justice, un autre élément clé du régime de Yaoundé se trouve au centre de la controverse. Marafa Hamidou Yaya, membre du bureau politique du Rdpc au pouvoir mais aussi ministre d’Etat chargé de l’Administration territoriale et de la décentralisation s’est lui aussi confié à Mme Garvey. Des confidences qui font apparaître quelques critiques du ministre d’Etat à l’égard de la conduite de certaines affaires publiques... La rencontre a eu lieu le 9 décembre 2010. Et les échanges ont notamment porté sur la mise en place de Elections Cameroon (Elecam) et la conduite de « l’opération épervier ». Une séance de travail dont Mme Garvey a fait le compte rendu au gouvernement des Etats-Unis. Un compte rendu intercepté par Wikileaks.

Selon le document dont nous publions la version originale (par ailleurs), M. Marafa critique le timing de la mise en place d’Elecam par le président Biya. Il indique à ce moment là que « Elecam va droit dans le mur » du fait de la désignation des responsables de l’institution qui auraient pour ambition première, aux dires du ministre d’Etat, de « s’enrichir avec l’organisation des élections ». Il stigmatise leur incompétence et leur cupidité et relève un fait pour illustrer son propos : « la guerre ouverte » qui aurait opposé à l’époque des faits le Conseil électoral de Elecam, d’une part, et la direction générale de l’organisme, d'autre part, pour la vente du matériel reçu en héritage de l’Onel et du ministère de l’Administration territoriale. Le ministre de l’Administration territoriale se dit plusieurs fois « horrifié » par les critiques de l’opinion internationale qui ne manqueront pas d’accompagner une mauvaise organisation prévisible des élections et les contestations populaires qui s'en suivraient.


Code électoral

Il ressort aussi de cet échange que l'amendement de la loi portant sur le fonctionnent de Election's Cameroon (Elecam), qui a réintroduit l'Administration territoriale dans la gestion du processus électoral en concurrence avec Elecam est une initiative personnelle de M. Marafa. Le câble de l'ambassade des Usa explique que le ministre d'Etat, critiquant la lenteur de la mise en place de Elecam par Paul Biya avait fait deux propositions de "Code électoral" au président de la République: une qui donnait les pleins pouvoirs à Elecam pour la conduite du processus électoral et une autre qui donnait des pouvoirs concurrents à Elecam et à l'Administration territoriale. Le chef de l'Etat aurait donc été séduit par la seconde, au mépris de toutes les raisons qui ont présidées à la création de Elecam et du consensus qui s'était dégagé pour sortir la préfectorale de l'organisation des élections. C’était la seule façon, selon M. Marafa, pour éviter que le président Biya se retrouve dans l’illégalité du fait de l’incapacité de Elecam à organiser dans les délais les élections programmées en 2011…

L'opinion de Mme Garvey à propos de la position de M. Marafa sur le dossier Elécam est que ce dernier entretenait une opposition de principe avec la première version de Elecam parce que son département ministériel avait perdu le contrôle des élections au profit de cette nouvelle institution. L'ambassadeur ajoute que même au sein du Rdpc et du gouvernement, de nombreux ténors du parti de Paul Biya attendaient d'être convaincus par Elecam, dans sa version actuelle. Et que cette version de Elecam a été préparée par le gouvernement en dehors de toute consultation externe. Ni les partis politiques, ni la société civile, ni même les représentations diplomatiques n’ont vu le draft du texte finalement adopté.

Par ailleurs, l'ambassadrice rapporte que lorsqu’elle a abordé le caractère « agressif » de la campagne anti-corruption (opération épervier) menée par le président Biya, M. Marafa s’est montré un peu comique. « Je peux me retrouver en prison », a dit le ministre d’Etat pour montrer que la plupart des hauts responsables publics étaient terrorisés et se montraient nerveux par rapport à cette campagne... Selon le document, le ministre d'Etat aurait indiqué que des personnalités alors récemment mises en cause par la Justice, qui avaient payé des cautions pour rester en liberté, avaient toujours peur d'être interpellées plus tard... M. Marafa aurait indiqué que le président Biya se servait de cette campagne pour tenir en respect ses opposants, avant de souligner le manque de professionnalisme et de stratégie des institutions chargées de la lutte contre la corruption…


Gestion politique

Mme Garvey a fait un commentaire concernant M. Marafa à la fin de son compte rendu. Elle indique que c'est l'un des membres du gouvernement les plus ouverts, intelligents et influents. Elle souligne qu'il était membre du bureau politique du Rdpc avant d'ajouter qu'il s'est montré très nerveux au sujet de l'opération épervier. Dernière information donnée par l'ambassadrice des Usa: le ministre d'Etat avait été notifié de la décision prise par la justice (le juge d'instruction) d'interdire ses déplacements hors du pays avec d'autres personnes suspectées d'être mêlées au détournement des fonds destinés à l'acquisition de l'avion présidentiel, ce que l'ambassadrice appelle l'affaire albatross... Une interdiction qui fut levée quelques jours plus tard (suite aux pressions venues du sommet de l'Etat)…

La découverte du câble de Wikileaks ne va pas manquer de relancer la polémique sur le rôle "néfaste" de la presse dans le traitement de l'information politique au Cameroun. Depuis samedi (3 septembre) matin, un message du ministre camerounais de la communication sur le crawl de la Crtv demande aux Camerounais de se montrer prudents avec des informations diffusées sur internet. Rappelons que le 18 août dernier, à la suite d’une réunion précipitée rassemblant à ses côtés, en plus de ses collaborateurs, le vice-premier ministre chargé de la Justice, Amadou Ali, le ministre de la Communication, Issa Tchiroma, et le nouveau président du Conseil national de la Communication, M. Befe Ateba, un communiqué de presse avait subrepticement été glissé dans Cameroon Tribune.

Signé par le Secrétaire général des Services du Premier ministre, le Communiqué accusait la presse de dénaturer l’opération épervier (en lui donnant un caractère politique) et la menaçait de représailles. Il est curieux de savoir la réaction du Premier ministre maintenant que la critique vis-à-vis de l’opération épervier et des responsables de Elecam sort de la bouche de l’un des éminents piliers du régime…

Christophe Bobiokono - cbobio@gmail.com
christophe.bobiokono.over-blog.com



07/09/2011
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