Marafa Hamidou Yaya: Interpellation préventive ou expéditive?

DOUALA - 19 Avril 2012
© Valentin Siméon ZINGA | La Nouvelle Expression

Une certaine grille d’analyse se risque à un rapport entre l’élection présidentielle française et la réactivation de certains pans de «l’opération épervier» au Cameroun.

Une certaine grille d’analyse se risque à un rapport entre l’élection présidentielle française et la réactivation de certains pans de «l’opération épervier» au Cameroun. Repères. Une éventuelle réélection de Nicoals Sarkozy a-t-elle pu précipiter la mise en branle de l’action publique dans l’un des volets de «l’opération épervier?» L’hypothèse n’est pas à écarter radicalement. En cette matière, Paul Biya a pris de cours les amateurs de prévisions, qui spéculaient encore sur l’opportunité, les modalités, et le timing de l’interpellation de Marafa Hamidou Yaya. A lui tout seul, l’ancien Secrétaire général de la présidence de la République charriait tant de préjugés, de fantasmes, de vérités aussi. Bien sûr, les révélations des câbles de wikileaks avaient déjà suggéré l’état d’esprit de ce haut commis de l’Etat : il s’en était ouvert, il y a quelques années à des diplomates américains à Yaoundé, intégrant la perspective de son emprisonnement, et affirmant que le président de la République se sert de «l’opération épervier» comme d’une arme politique.

Jamais, il n’a essayé de se renier. Ni en privé, ni en public. Il avait décidé d’assumer ses positions, fort l’état de ses informations. Et se préparant, stoïque, à cette étrange perspective. Devenue inéluctable au fil des semaines. Et cela d’autant qu’il était minutieusement informé des réunions et autres conciliabules dans les milieux de la sécurité d’Etat, qui balisaient le chemin de la maison d’arrêt de Kodengui. Avec ses scénarios répétés, envisagés, refaits, réaménagés.

Jusques à cette brusque accélération du feuilleton qui intervient quelques jours seulement avant l’élection présidentielle française du 22 avril, dont le candidat de l’Ump Nicolas Sarkozy et le porte-étendard du Parti Socialiste François Hollande, sont donnés favoris. De quoi réactiver bien de grilles de lecture.

Depuis de longues années, les câbles diplomatiques – et pas seulement français- ont souvent considéré Marafa Hamidou Yaya comme une figure investie d’un rôle de premier plan dans les logiques et les mécanismes de l’alternance à la tête de l’Etat. Certaines notes sont allées jusqu’à suggérer qu’il pouvait, à l’intérieur du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, se positionner comme une alternative crédible. Et ces considérations ne sont pas restées dans des valises diplomatiques. Juillet 2009.

Lors d’un tête-à-tête, apprend-on de sources autorisées, Nicolas Sarkozy, qui voulait savoir si Paul Biya envisage de passer la main, sonde les intentions du chef de l’Etat camerounais sur l’intérêt, l’importance, les enjeux, les perspectives d’une éventuelle alternance au Cameroun. Le Chef de l’Etat français, - qui sait que l’on prête à son interlocuteur d’avoir parié sur Laurent Esso, et René Emmanuel Sadi parmi d’autres - ose une projection. Et avance des noms de personnalités qui présentent le double avantage d’être compétentes, et issues des rangs du parti au pouvoir.

Parmi les noms évoqués, figure en bonne place celui de Marafa Hamidou Yaya. Petit coup de froid pour le président Camerounais dont beaucoup disent qu’il a toujours considéré que son pays n’est pas aussi facile à gouverner qu’on le pense. «Ce que Paul Biya avait oublié, c’est qu’il avait lui-même dépêché par deux fois M. Marafa alors ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la décentralisation auprès de Nicolas Sarkozy du temps où ce-dernier était ministre de l’Intérieur en France. Au détour des discussions relatives à la modernisation et la sécurisation du fichier d’état-civil camerounais, l’émissaire de Paul Biya avait laissé une très bonne impression à son homologue », révèle une source diplomatique qui a particulièrement suivi les relations entre Paul Biya et Nicolas Sarkozy.

Qu’importe si cette version, qui fait la part belle à l’importance de cette rencontre Marafa/Sarkozy, tend à relativiser l’opinion largement répandue de liens d’amitié réputés solides entre Marafa et l’industriel Vincent Bolloré, lui-même ami du président Français, et qui a ses entrées au Palais d’Etoudi?

Quelques certitudes. Yaoundé, instruit de cette côte de l’ancien Ministre d’Etat chargé de l’Administration et de la décentralisation qui se confirme auprès de certains milieux politiques hexagonaux, a assuré de diverses manières, le suivi de cette relation toute de privilège. D’une part.

D’autre part, la France de Sarkozy qui avait déjà passé à Yaoundé le message selon lequel elle s’accommodait difficilement de règnes au long cours- allusion aux trente ans de bail de Paul Biya à la tête de l’Etat- si elle n’a pas formellement cherché à humilier le locataire du palais de l’Unité, a multiplié des signaux. Illustration. Début 2009. Le Chef de l’Etat français effectue, comme à son habitude, une rapide tournée en Afrique. Au programme: le Niger, la République démocratique du Congo. Et pas de Cameroun.

Une activité diplomatique certaine avait pourtant tenté d’insérer Yaoundé sur le parcours de Nicolas Sarkozy, avec force scénario: certains prévoyaient que le pays de Paul Biya tirerait avantage de ce qu’il abrite nombre d’institutions sous-régionales dont l’une marquerait une escale pour le président français ; lequel passerait quelques heures dans la capitale camerounaise. Le Cameroun dut se contenter de la visite à Yaoundé, de François Fillon, premier ministre français, hôte de marque du pays à la faveur de sa fête nationale. A vrai dire, M. Fillon, devait, en plus de parapher des documents d’importance tels que le nouvel accord de défense entre les deux pays, peaufiner la préparation des dossiers de la visite de M. Paul Biya à Paris…

Autre repère: l’élection présidentielle du 9 octobre 2011 au Cameroun. Quelques mois avant cette échéance, le chef de l’Etat camerounais qui programme une visite en Chine, voudrait faire d’une pierre deux coups. Juillet 2001. Il souhaite profiter de son périple dans l’Empire du milieu pour obtenir un rendez-vous à l’Elysée lors d’une escale dans la capitale française. Paris, qui avance diplomatiquement son penchant pour une visite en bonne et due forme- qui ne se réduirait pas à une simple escale- refroidit les ardeurs de Yaoundé. Et même si deux camps se battent au sein du pouvoir camerounais aux fins d’obtenir une inflexion avantageuse de cette position, en recourant chacun à une personnalité proche de Nicolas Sarkozy, rien n’y fait.

La chronique diplomatique a beau insister pour célébrer les excellentes relations qui existent entre les présidents Français et Camerounais, les moins hypocrites savent qu’à défaut de froideur, c’est de tiédeur qu’il est question. Le message de félicitation qu’adresse Nicolas Sarkozy à Paul Biya réélu, même diversement interprété, tend à attester, aux yeux de beaucoup, de cette posture.

«Monsieur le Président, écrit le président français

Au lendemain de votre réélection à la Présidence de la République du Cameroun, j’ai le plaisir de vous adresser mes félicitations ainsi que tous mes vœux pour le succès de votre nouveau mandat.

Je connais votre intension, annoncée pendant la campagne électorale, de parachever sans plus tarder la mise en place des institutions prévues par la constitution de 1996. Je m’en réjouis car celles-ci seront le gage d’un pays stable, confiant en lui-même et résolument tourné vers l’avenir


Par ailleurs, alors que votre pays connaitra de nouveau des élections en 2012, je ne doute pas que vous saurez, d’ici là, mettre en œuvre les réforme et les moyens nécessaire au bon fonctionnement d’ELECAM et, par voie de conséquence, au renforcement de la démocratie au Cameroun.

Enfin, je tiens à vous assurer de la disponibilité de la France à continuer d’accompagner le développement économique et social de votre pays et de son peuple.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’Expression de ma très haute considération».

Cette correspondance que Yaoundé avait déjà eu du mal à livrer spontanément à la lecture des citoyens, faisait suite à des jugements plus sévères de certains responsables français de haut rang. Ainsi de cette salve d’un porte-parole du ministère des Affaires étrangères: «Lors du scrutin, de nombreuses défaillances et irrégularités ont été constatées. La France souhaite que des mesures soient prises pour que celles-ci ne se reproduisent pas lors des scrutins législatifs et municipaux de 2012». Il n’ ya aura point de législatives et municipales au Cameroun en 2012. En revanche, la présidentielle française de ce 22 avril, est, c’est l’évidence, scrutée à la loupe par le pouvoir de Yaoundé.

Avec ses interrogations et son suspense. Bien sûr, Paul Biya sait mieux que personne, ce que lui coûta son choix selon les conseils de Yvon Omnès, ancien ambassadeur de France au Cameroun de pencher pour le candidat Balladur plutôt que pour Chirac lors de la présidentielle de 1995, remportée, contre les augures sondagières, par l’ancien maire de Paris. Mais l’élection de ce dimanche recèle une certaine charge d’anxiété liée à une éventuelle reconduction de Nicolas Sarkozy à l’Elysée.

S’il devait remporter l’élection le président sortant, ne serait pas seulement le vainqueur d’une compétition électorale française, il serait, vu de Yaoundé, un Chef de l’Etat tenté d’exercer une manière de droit de suite sur les chantiers politiques dans lesquels il a engagé Paul Biya, mais aussi un homme d’Etat qui, pour être favorable à une certaine «rupture» avec la «Françafrique», n’en a pas moins son idée sur le profil des figures de l’alternance au Cameroun. Ces données ont-elles inspiré la plus récente accélération de la procédure concernant un certain Marafa Hamdou Yaya, sous la façade d’une campagne d’assainissement des mœurs managériales, qui en l’espèce, n’a pas encore livré tous ses secrets ?

Rien n’est moins sûr.





19/04/2012
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