Manfred Missikanim: "Le message la route ne tue pas , mais c´est l´homme qui tue" toujours actuel

Cameroun/Manfred Missikanim: "Le message la route ne tue pas , mais c´est l´homme qui tue" toujours actuelAu Cameroun nous n’avons pas besoin d’engager une enquête pour déterminer l’axe routier le plus accidentogènes. C’est connu de tous que  le tronçon Douala-Yaoundé de la route nationale N°3 détient le triste record; suivi de près par la route nationale N°5 Douala- Bafoussam et complété ce podium avec la route nationale N°4 Yaoundé – Bafoussam, affirme Martial Manfred Missikanim, directeur général de CEO Securoute qui présente la situation des accidents routiers et de son combat dans ce domaine.

L´année 2012 tire graduellement vers sa fin, pouvez-vous  faire un bilan de la sécurité routière au Cameroun ?

Il serait très précoce de faire un bilan exhaustif de l’année en cours en matière de sécurité routière au Cameroun dans la mesure où les données du mois de décembre impactent  sur les résultats de manière significative. Si la période restante pour la fin de l’année représente 18 %, c’est mielleusement sur cette tranche de l’année que nous enregistrons le pic des accidents au Cameroun. Ce  taux élevé d’accidents en fin d’année est lié à une augmentation de la mobilité, et du volume de marchandises à transporter pour irriguer l’arrière pays en cette période festive. L’exposition au risque est ainsi décuplée par l’encombrement des routes. Nous ajouterons ici la consommation de l’alcool, l’excès de vitesse et la surcharge des véhicules générés par la joie de la fête et le goût du gain des transporteurs.
 
Ceci dit, l’année 2012 devra connaitre une baisse sensible si la tendance se poursuit. A ce jour nous n’avions pas encore enregistré un accident de plus de 20 tués. Par contre, nous assistons à une montée vertigineuse des accidents impliquant les camions surtout de nuit où les chauffeurs se livrent à l’excès de vitesse. Ces accidents sont souvent spectaculaires avec à la clé la mort du chauffeur et l’interruption de la circulation.

L’année qui s’achève a vu s’accroitre le risque routier au passage à niveau. Des collisions entre les trains et les véhicules sont rentrées dans l’actualité de la sécurité routière. Les accidents urbains moins médiatisés parce qu’ils font moins de victime par accident, mais connaissent un nombre important qui ne sont malheureusement  pas totalement consolidés dans les données collectées sur l’ensemble du territoire. Quelque soit les chiffres que nous obtiendrons cette année au  Cameroun le taux de mortalité attribuable aux accidents de la route restera plus élevé comme dans les pays à revenu faible ou intermédiaire soit 21,5 à 19,5 pour 100 000 habitants respectivement alors que dans les pays à revenu élevé on se situe à10,3 pour 100 000 habitants.

SECUROUTE travaille en étroite collaboration avec les autorités publiques, les entreprises privées, et les autres associations de sécurité routière pour ramener le nombre de tués sous la barre de 750 avant 2020. Nous ne serons pas loin de la moyenne annuelle depuis une décennie qui tourne autour de 1500 tués et 7000 blessés par an. En terme de d’évaluation financière, c’est de plus 100 milliards de Fcfa, soit 2% de notre produit national brut. Si on s’en tient à ces chiffres, l’accroissement de la motorisation, des actions opérationnelles concertées et ciblées sont nécessaires pour stabiliser et inverser la tendance actuelle.

Selon vous, est-ce la route qui « tue » ou c´est l´homme comme le dit la chanson ?

Le message délivré par cet  artiste il y a plus d’une décennie garde encore sa teneur aujourd’hui et corrobore la philosophie qui sous-tend notre action. Bien que la route et le véhicule soient les éléments du tryptique sur lequel se repose la résolution des problèmes des accidents, nous pensons que l’homme reste au centre  de la question dans la mesure où il reste le garant et le gestionnaire de ces deux outils inertes. Il lui appartient de prendre les précautions qui s’imposent en amont pour s’assurer que la route et la voiture utilisées  pour effectuer sa mobilité réunissent les critères optimales de sécurité.

Cela ne dédouane pas les autorités en charge de la conception, la construction et l’exploitation des routes. Nous pensons qu’il est impératif aujourd’hui de soumettre tous les futurs projets à des audits de sécurité routière au même titre que les audits environnementaux avant leurs réalisations. Cet investissement nous permettra de faire des économies à plusieurs niveaux : Audit des routes existantes et réduction des accidents liés à la géométrie et aux équipements routiers. Pour mémoire, en 2010 le Cameroun a consacré près de 4 milliards pour la sécurisation de la route Douala-Yaoundé, des sommes qui auraient pu être investies à l’entretien des autres tronçons routiers.

Le contrôle de l’état des véhicules doit rentrer dans nos mœurs, les lois existent dans ce domaine  mais sont moins appliquées ou presque pas. L’Etat a concédé l’activité de contrôle des véhicules aux operateurs privés. Mais hélas nos routes sont toujours encombrées des vieilles guimbardes. La douane laisse entrée des véhicules de plus de 10 ans. Comme plusieurs pays d’Afrique, le Cameroun est le dépositoire des véhicules interdit de circulation en occident. Notre parc automobile est un des plus vieux d’Afrique. Même certains pays voisins moins nantis que nous présentent un parc automobile acceptable. La mesure de réduction de 30% de frais des douanes pour importation de véhicules âgés de moins de sept n’a pas eu d’effet escompté. Cet effort non négligeable doit se poursuivre surtout en direction des cars, bus, autobus pour rajeunir notre parc et accroitre la sécurité des passagers.

Quelles sont les principales causes des accidents au Cameroun ?

Selon plusieurs études concordantes, les principales causes des accidents au Cameroun  relèvent des comportements humains  (70%). Ce sont soit,  les actes de délinquance routière posée par les usagers de la route, soit la violation délibérée des règles de sécurité routière, soit  la mauvaise application du code de la route.

30 % des causes sont imputables à l’environnement matériel, le mauvais état des routes avec un taux de 10% et le mauvais état des véhicules avec un taux de 20% des cas d‘accidents. Pour être plus précis, notre pays a enregistré un nombre élevé de tués et blessés sur les routes en raison du non respect de la limitation des vitesses, la consommation de l’alcool avant et pendant les voyages, les surcharges des véhicules en personnes et en bagages, le refus de porter    la ceinture de sécurité et du casque, la consommation des stupéfiants, l’utilisation du téléphone portable pendant la conduite. La maitrise de ces facteurs de risque routier peut réduire le nombre d’accidents de 70%.

Peut-on dire qu´avec l´arrivée des « benskineurs », le nombre des accidents s´est accru ?

L’entrée des motos taxi dans le transport des personnes à titre onéreux correspond à l’avènement social des années 90. Les conducteurs ont cultivé des habitudes réfractaires où l’on s’oppose à tout. On n’est arrivé à ne pas respecter la règle élémentaire telle que l’arrêt devant les feux rouges. Les motos ont été confiées à des jeunes dont l’objectif était de ramener la recette journalière.

N’ayant jamais été dans une auto-école et refusant toute les offres offertes par les pouvoirs public pour se former, les conducteurs de motos taxis sont devenus des hors la loi  dans la ville. 90 % de cas d’accidents impliquent une moto. Ils paient un lourd tribut de l’insécurité routière .Auteur des accidents mortels, Ils sont régulièrement écrasés par des camions. Les autorités restent impuissantes aussi sur le plan administratif que le respect de la réglementation routière. A Douala on est allé jusqu’a baptiser tout un bâtiment de l’Hôpital Laquintinie, « Pavillon Ben skin ».

Comte tenue du déficit dans la collecte des données et des enquêtes à la suites des accidents de moto taxi, il nous est très difficile de nous prononcer de manière très péremptoire sur l’impact des accidents liés à cette activité. En l’état actuel des choses, les motos taxis sont un mal nécessaire  en raison  de la dégradation avancée de l’état de nos routes surtout dans les zones péri urbaines et rurales. L’une des solutions à ce phénomène passe par une offre en transport de masse aussi bien en qualité qu’en quantité.

On reproche aussi la mauvaise gestion des chauffeurs chez les agences de voyages ou les camionneurs. Q´en dites-vous?

Les responsables des sociétés de transports ne se préoccupent pas des questions de sécurité routière en amont et en aval. La gestion du volet est un volet important du dispositif de la sécurité des passagers. Ce tableau est triste. En marge des salaires dérisoires, ils n’ont aucune assurance maladie encore moins la retraite CNPS pour la plupart. Pour maximiser les gains, on les contraint à faire le maximum de voyages. La législation prévoit des chambres de repos dans les agences de voyage. Mais peu d’agences remplissent ces exigences.

SECUROUTE conseille aux passagers de programmer leurs voyages de préférence le matin pour être sûr de l’état d’esprit du chauffeur. Il est difficilement compréhensible qu’on puisse confier un bus de 50 000 000 FCFA à un individu qui a moins de 75 000 fca par mois. Pour arrondir leurs fins du mois, ils sont obligés de porter des passagers clandestins en surcharge ; ainsi le véhicule  se déprécie à long terme. Les patrons doivent prendre conscience de cette injustice.

S´il fallait faire un classement des routes/axes  où se produisent les accidents routiers, lequel ferez-vous ?

Au Cameroun nous n’avons pas besoin d’engager une enquête pour déterminer l’axe routier le plus accidentogènes. C’est connu de tous que  le tronçon Douala-Yaoundé de la route nationale N°3 détient le triste record; suivi de près par la route nationale N°5 Douala- Bafoussam et complété ce podium avec la route nationale N°4 Yaoundé – Bafoussam. Cette boucle Douala- Yaoundé-Bafoussam-Douala, baptisée « triangle de la mort », détient environs 40% du taux des accidents alors qu’elle ne représente que moins 5% du réseau routier, soit un passage de 6000 véhicules/jours.

La route Douala-Yaoundé reliant les deux capitales (économique et politique) camerounaises est un segment  du corridor de transit Douala-Bangui, Douala-Ndjamena. Elle est donc extrême sollicitée. C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet de l’autoroute annoncé suscite des grands espoirs

Pensez-vous que   les pouvoirs publics s´impliquent suffisamment dans ce combat ?

La volonté politique existe au plus haut sommet de l’Etat avec la déclaration du chef de l’Etat dans deux de ses discours de fin d’année.
Au plan structurel, nous noterons l’homologation de véhicules , la concession de la visite technique de véhicules , la réforme du permis de conduire et des auto écoles , l’adoption des plaques d’immatriculation sécurisées , l’adoption de chevrons de sécurité , la sécurisation des document de transport, la création comité national de sécurité routière par décision N° 99/724/PM du 25 Août 1999 modifiée et complétée par le décret N° 2004/0606/PM du 17 Mars 2004 bien que inopérationnelle.

Sur le plan opérationnel, des campagnes de sensibilisations sont organisées par le ministère des Transports et réalisées par des prestataires peu engagés dans la thématique. L’action visible des pouvoirs  publics est matérialisée par des actions coups de poing  inopinés et ponctuels de la Gendarmerie enclenchées depuis l’année dernière. La mise en œuvre de ces actions produit des résultats immédiats. De sources de la Gendarmerie Nationale révèlent que depuis 2011, on observe une réduction de 30% du nombre d’accidents et de 24 % du nombre de morts enregistrés sur nos routes.

Les accidents de la route ne créent l’émoi qu’après une hécatombe. Passé le temps de la mobilisation et des coups médiatiques, on change de niveau de priorité. Un dispositif juridique existe mais prèsque non applicable. Le personnels et les ressources financières sont insuffisants .Celles qui existent ne sont pas utilisées de manière optimale. Il y a beaucoup d’acteurs étatiques mais un seul est comptable : le Ministère des transports qui n’a malheureusement pas toutes les prérogatives .D’autres pays de même niveau que nous, ont obtenu des résultats en très peu de temps dans ce domaine.

Quelles mesures préconisez-vous pour réduire le nombre des accidents sur nos routes ?

La solution du problème des accidents requièrt une solution systémique. Après l’échec du comité national de sécurité routière, Il est urgent de mettre en place une institution dotée d’une personnalité juridique et financière chargée de la coordination des procédures intergouvernementales de travail , la Coordination des prises de décisions en matière de sécurité routière dans l’ensemble du gouvernement , la Coordination entre les pouvoirs publics à différents niveaux de l’administration, la Coordination des campagnes nationales .

Cette institution se chargera aussi de la législation sur le plan de l´évaluation périodique des règles et des normes, de la préparation de recommandations en vue de les améliorer, de la rédaction et la révision de la législation. De même qu´elle sera chargée du Suivi par la collecte, l’évaluation et la diffusions des données pour surveiller les résultats en matière de sécurité routière. La création d’une unité spéciale opérationnelle rattachée à cette structure lui confiera les pouvoirs répressifs comme c’est le cas de la force active de la douane. Il s’agit de rompre avec le fonctionnement actuel qui ne produit pas de résultat positif.

L’amélioration de la complémentarité et le développement des synergies entre les interventions des parties prenantes,le renforcement des capacités des acteurs impliqués à travers des formations ciblées et permanentes, l’élaboration des données nécessaires au pilotage et à la gestion des actions de prévention et de sécurité routières , l’assainissement du circuit du permis de conduire ,l’assainissement des auto-écoles et à la standardisation de l’organisation des permis de conduire ,l’organisation  des campagnes opérationnelles permanentes basées sur les facteurs de risque notamment la vitesse, l’alcool, la ceinture de sécurité, le casque, l’utilisation du téléphoné au volant; la surcharge …etc.


Avez-vous les moyens de votre combat ?

À ce jour aucune structure fut-elle gouvernementale n’a encore les moyens de venir à bout du  phénomène de la sécurité routière, à plus forte raison une association comme la nôtre. La sécurité routière est un combat de longue haleine. Avec les progrès de la science on pourra un jour éradiquer le sida mais on ne pourra jamais éliminer complètement les morts sur nos routes. Nous devons donner le maximum de nous-mêmes pour réduire  à la  portion congrue le nombre de tués et blessés sur la voie publique.

Pour ce faire, nous attendons l’appui matériel, technique, et éventuellement financier des bonnes volontés; qu’ils proviennent de l’Etat, des entreprises privées, des organisations internationales et des individus.

En attendant, nous faisons la politique de nos moyens en travaillant sur nos propres ressources. Nous nous efforçons de dimensionner nos actions en fonction de nos capacités. C’est cette stratégie qui nous permît d’atteindre nos objectifs depuis 1992 année de création de notre Association.

Qu´est ce qui vous a motivé á vous lancer dans la sécurité routière ?

Je rêvais de passer ma vie à construire des routes et des maisons. Tout a basculé au cours d’un voyage entre Bafoussam et Douala. Un certain 1er Janvier 1991 aux environs de Souza, je suis le premier à arriver sur les lieux d’un grave accident. Un car Toyota Hiace entre en collision avec une voiture de marque Peugeot 305. Les quatre occupants de la berline, des étudiants camerounais et français en vacances, meurent sur le champ, dans le car qui finit sa course dans le ravin. Des corps mutilés, des hommes et femmes crient au secours. Les riverains en pleurs. Un tableau apocalyptique.
Au total 12 tués sur le macadam.

Je réussis à reprendre la route pour Douala avec le cœur meurtri, les pieds ankylosés. Un mot sonne dans ma tête pendant le reste du voyage: Pourquoi... pourquoi…Quelques jours plus tard au cours du journal télévisé, j’aperçois le président Français Jacques Chirac recevant les associations de sécurité routière. Le lendemain j’ai contacté des amis pour crée SECUROUTE. En 1998 cette option est renforcée par le décès de mon jeune frère qui s’écrase sur un poteau et meurt à bord de son véhicule. Il avait un permis de conduire irrégulièrement obtenu à cette époque. La sécurité routière qui était un hobby au départ s’est imposée à moi comme un métier aujourd’hui.

Pouvez-vous  vous présenter á nos lecteurs, pour terminer ?

Si par la force de la nature je suis né dans un petit village Ndengata au cœur de la forêt équatoriale dans l’arrondissement de Ndikiniméki, département du Mbam et Inoubou, je me réclame citoyen du monde.

J’ai fais des études secondaires et universitaires en Génie civil. Après avoir travaillé comme conducteur des travaux pour la construction de l’usine SITABAC à Bokito, comme Superviseur des travaux à l’ancienne Elf Serepca, TOTALFINAELF, TOTAL E& P Cameroun, je me suis exclusivement  consacré à mes responsabilités de la sécurité routière à plusieurs niveaux :

Président Exécutif de SECUROUTE, Membre du conseil national des transports routiers, Point Focal de la Décennie d’action pour la sécurité routière 2011 / 2020 des Nations Unies, Membre du Comité national de l’Elaboration de la Norme Camerounaise de sécurité routière , Coordonnateur du réseau des associations de sécurité routière d’Afrique, et Coordonnateur régional Afrique du projet de collecte des données de sécurité routière pour l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

 Martial Manfred MISSIMIKIM
CEO SECUROUTE
African NGOs Network for road safety coordinator
Regional Data Coordinator Global Status Report on Road Safety
World Health Organization Regional Office for Africa
Tel:  +237 9992 6946  /  +2377633 1111
Office: +237 3310 1048  /  +237 3300 0946

 
© camer.be : issa-Behalal


28/10/2012
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