Manasse Aboya Endong : le Sdf s'est égaré sur la voie de la démocratie

Manasse Aboya Endong : le Sdf s'est égaré sur la voie de la démocratie
(Mutations 25/05/2010)


Politologue, Directeur exécutif du Grepda (Groupe de recherches sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique), il analyse les 20 années d'évolution du Sdf.

Vingt ans après, quel regard jetez-vous aujourd'hui sur le Social Democratic Front ?
Au-delà de sa position constante dans l'imagerie populaire comme étant le principal parti d'opposition, ce qui demeure incontestable dans les statistiques, le SDF, perçu jadis comme une redoutable machine politique destinée à conquérir le pouvoir et à concrétiser une alternative de changement par voie démocratique au Cameroun, me semble être en net recul, traduisant un arrière-goût de déception dans l'évaluation de sa trajectoire. En effet, bien parti pour incarner les aspirations populaires au début des années 1990, le SDF est aujourd'hui catégorisé comme étant le contre-exemple d'une organisation destinée au combat pour la démocratie et le changement, au regard de ses balbutiements, très nombreux au fil des jours, et de ses contradictions, illustratives d'un parti qui ne sait plus où il va et ce qui fonde son existence.
A titre illustratif : disposant de 42 députés à l'Assemblée nationale en 1997, il est tombé à 21 députés en 2002 et ne se contente aujourd'hui que d'une quinzaine de députés à l'issue des législatives de 2007. A défaut d'être quitté du statut d'un parti à vocation nationale il y a 20 ans, pour devenir, non seulement un parti régionaliste, mais surtout un parti clanique, où les Widikum (l'ethnie du Chairman John Fru Ndi, en concurrence hégémonique avec les Tikars dans le Nord-Ouest) sont les seuls à croire encore au changement promis aux camerounais. En clair, 20 ans après, le Sdf me semble s'être égaré sur la voie de la démocratie, au profit d'une bifurcation dont on ignore toujours la destination.

Qu'est-ce qui explique à votre avis le recul observé par le parti de John Fru Ndi, même dans ce qui apparaissait comme ses zones d'influence : Ouest, Sud Ouest, Littoral et maintenant le Nord Ouest ?
D'emblée, il faut reconnaître que les sentiers de la politique sont très sinueux au Cameroun. Vouloir embrasser à tout prix, et par tous les prix, tous les appâts et fausses pistes que Paul Biya laisse traîner partout sur le champ politique, dans le but inavoué de compliquer la tâche aux politiciens et user ses concurrents, le Chairman John Fru Ndi s'est souvent retrouvé à faire la très symbolique ''Danse Bafia'' (faire un pas en avant, refaire un pas en arrière et essayer de repartir en avant), s'illustrant aux yeux de l'opinion publique comme un leader sans ancrage politique et idéologique, capable de virer du ''vert'' au ''rouge'', sans transition. Mieux, capable de dire une chose et son contraire en un laps de temps, au grand dam des sympathisants qui n'ont d'autres alternatives que la méfiance et le rejet.
Entre-temps, le découpage administratif, le jeu de la préfectorale et les manœuvres clientélistes ayant permis des nominations stratégiques des élites originaires de ces régions aux très hautes fonctions politiques (Laurent Marie Esso, Adolphe Moïse Fridol Moudiki Elamé, Camille Ekindi, Pierre Titti, Peter Mafany Musonge puis Thomas Ephraïm Inoni, Philémon Yunji Yang, Jean Nkuété, Emmanuel Nganou Djoumessi, Etienne Lékéné Donfack, etc.) ont fini par asséner le coup de grâce, fragilisant ainsi le SDF dans ses zones d'influence.

Les nombreuses affaires dans lesquelles le leader du Sdf a été cité, (avec le pouvoir en place notamment) peuvent-elles avoir d'une façon ou d'une autre concouru à l'affaiblir encore ?
Ces affaires contribuent à leur manière à affaiblir ce parti et rentrent globalement dans une somme importante de bévues qui, mises ensemble, pèsent de manière déterminante sur la balance. A mon avis, les affaires ont plutôt contribué à démystifier l'image du Chairman John Fru Ndi dans l'opinion publique, et à en faire un homme comme les autres, avec ses faiblesses et ses qualités, ses hauts et ses bas. Au début des années 1990, il était considéré comme un mythe vivant, brandissant à tout vent sa virginité politique, narguant arrogamment les intérêts français au Cameroun, capable d'affronter les balles de l'armée sans conséquences, incorruptible à tout jamais, incapable de compromissions avec le régime de Yaoundé. Bref ! L'idéaltype de l'opposant dans l'imagerie populaire. 20 ans plus tard, ces nombreuses affaires en ont fait un opposant à la camerounaise, où les intérêts personnels semblent avoir pris le pas sur le combat pour le changement. A titre d'exemple : John Fru Ndi, acceptant de Paul Biya la prise en charge dans l'évacuation sanitaire de son épouse malade en Suisse, c'était tout sauf un non-événement !

Quel peut être l'impact des différentes mesures de défiance engagées contre le leader de cette formation politique aujourd'hui par certains des cadres du parti, dont des élus ?
Les mesures de défiances ne servent pas la cohésion du parti, de même qu'elles affectent le moral des militants. Projetées vers l'extérieur, elles traduisent la conséquence d'une absence de démocratie au sein du parti. Surtout lorsqu'elles sont associées au 8.2 qui conduit inéluctablement à l'auto-exclusion des militants, coupables de critiques à l'endroit de la politique du parti. Inutile d'indiquer que depuis une dizaine d'années, ce fameux 8.2 a sevré le Sdf de ses meilleurs cadres, non sans avoir projeté une certaine image d'autoritarisme à l'endroit de son chairman.

Propos recueillis par Jean Francis Belibi

 

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26/05/2010
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