Ma relation à Vanessa : entre « merci » et « pardon »

Ma relation à Vanessa : entre « merci » et « pardon »
Essai d’analyse comportementaliste de la société camerounaise à la lumière de l’«affaire Vanessa Tchatchou »

Essai d’analyse comportementaliste de la société camerounaise à la lumière de l’«affaire Vanessa Tchatchou »

Voila un peu plus de 7 mois qu’une jeune Camerounaise s’est auto enfermée dans un hôpital public au Cameroun, l’Hôpital gynéco-obstétrique de Ngousso (HGON), exigeant que son bébé née en août 2011 et portée disparue le jour de sa naissance lui sot restitué. Apres plusieurs mois de résistance au sens politique du terme, la société camerounaise toute entière s est enfin éveillée pour discuter et se regarder en face. L’Etat, pris au dépourvu au départ de cette affaire par une inattendue résistance de la victime, s’est mêlée les pédales dans une communication politique imprécise et contradictoire, déniant les faits dans un premier temps, pour les reconnaître par la suite de manière fort désarticulée, et enfin pour finalement étaler son incompétence administrative au monde entier.

Au plus profond de la crise, la communauté internationale s’en est timidement émue, ainsi que l’église catholique, à la suite d’autres acteurs politiques dont plusieurs associations de défense des droits, des leaders des partis politiques et surtout les médias qui s’en sont donnés à cœur joie .   

Aujourd’hui, et bien qu’il faille saisir outre le prénom mais également les trois premières lettres du nom de la victime avant de voir apparaître les documents parlant de cette affaire, il demeure remarquable qu’en 0, 30 secondes de recherches sur Internet vous soient proposées 2.700.000 résultats sur «Vanessa Tchatchou ». C’est dire combien cette affaire suscite passions et discussions. Pour beaucoup, l’affaire Vanessa est passée d’une question familiale à une affaire politique et même à une remise en cause des fondements éthiques de la société. Quel que soit son sort, l’affaire « Vanessa » ne sera jamais « another whisper in the wilderness ».  Elle marque déjà son temps en suscitant un débat longtemps refoulé et une auto-critique individuelle et collective sur l’altérité au Cameroun. Face à l’autre, que vaut le Camerounais en tant que autrui et « non-chose » et la société camerounaise en tant que résultat ou résultante de valeurs communes ?

Vanessa TchatchouIl faut reconnaître aujourd’hui que cette disparition d’enfant  a été l’élément déclencheur qui a permis de dévoiler au fil des mois d’autres réalités sociales qui couvaient autour du « vol » de l’enfant. « Vol » entre guillemets car l’utilisation si facilement acceptée par toute la société du concept de « vol d’enfant » n’est pas si anodine que ça. Elle est lourde, elle aussi, de sens. Au Cameroun, on « vol » un bébé, tout et autant qu’on volerait une voiture ou des pommes de terre.

Ailleurs et dans le doute, les premiers concepts utilisés pour décrire cette situation seraient « kidnapping », « enlèvement » et dans le très grand doute « disparition ». Au Cameroun la facilité avec laquelle médias et autres acteurs politiques ont ravalé l’enfant au rang d’objet volable et (donc) « volé » est déjà en soi un objet très intéressant d’étude. A aucun moment au début de cette affaire n’a-t-il été, pour personne, de suspecter un « enlèvement » ou un « kidnapping » ; dans le doute, aucun média ni homme politique n’a pris la précaution de recadrer le langage en utilisant la catégorisation usuelle fourre-tout de « disparition d’enfant » qui permet de rester neutre dans la définition de l’infraction tout en respectant le caractère non commercial et sacré de la personne humaine. Dès l’hôpital et ce au premier jour, les infirmières accusent la grand-mère d’avoir « volé » le bébé. Ici apparaissent les premiers signes d’une banalisation subconsciente de la « chose-bébé» sur laquelle nous reviendrons ci-après.  Il n’est non plus anodin de noter que ce sont des infirmières, ces personnels appelés à accueillir le petit de l’homme sur le seuil de ce monde avec toute la sacralité requise, qui le ravagent à la première occasion au rang d’une chose. L’infirmière camerounaise ne vit, hélas pas hors de la société camerounaise.

L’existence d’un réseau de trafic d’enfants a été énoncée et défendue par la suite tant au plan interne qu international. Comme question connexe au trafique des enfants, les soupçons sur les fausses adoptions ont suivi. A l’énoncé des hypothèses de trafic d enfants est venue s’ajouter l’annonce de sanctions prises par les pouvoirs publics. Les sorties médiatiques des ministres de la communication du Cameroun et du représentant du parquet ont mis à jour l’intention des pouvoirs publics de sanctionner les auteurs de ce « vol ». Parallèlement, pendant que les poursuites judiciaires contre des prévenus étaient engagées par le parquet, le président de la république sanctionnait administrativement le principal gestionnaire de l’hôpital dans lequel a eu lieu la disparition de l’enfant. La société civile quand à elle, connue jusqu’ici pour sa mobilisation en faveur des enjeux dits politiques trouvait dans cet enlèvement l’argument d’un réveil et même d’une réorientation stratégique vers la défense des plus vulnérables.

Et pendant tout ce temps…

Pendant tout ce temps la victime est quasiment abandonnée par la foule bruyante qui l’entoure et instrumentalise sa peine, par les acteurs politiques et administratifs qui pianotent sur les registres de l’irresponsabilité et de la compassion.

Il ressort finalement de cette histoire qui n’est plus personnelle un tableau qui peut permettre, avec un peu d effort méthodologique, un décryptage intéressant de la société camerounaise. Par une approche behaviouriste qui donne du crédit aux comportements observables et observés face à un stimulus précis, il est possible de faire le procès de l’éthique sociale au Cameroun, ou alors en plusieurs mots, de la société camerounaise en ce qui concerne ses valeurs et l’effort qu’elle est prête à déployer pour les défendre. En nous libérant pragmatiquement un instant de la trame méthodologique de fond qui nous guide, le « cas » Vanessa peut permettre incidemment d’observer in-situ le fonctionnement institutionnel de la société camerounaise créatrice d’anti-modèle au sens révolutionnaire du terme.

Car à l’analyse, le pure produit sociétal camerounais qu’est Vanessa déroute aussi bien par ses postures que par celles que la société qui l’a pourtant construite a de la peine à prendre face à elle. Comme une maman qui ne « sait quoi faire » face au comportement de sa fille, la société camerounaise est surprise d’avoir pu produire une « Vanessa » dont les actions et réactions ne rentrent pas dans les cadres connus et admis. Pure produit de la société camerounaise, elle échappe comme par « magie » aux schèmes comportementaux que la société qui l’a créée attend (ait) d’elle. Le modèle de socialisation politique serait-il grippé ou alors le cas « Vanessa » ne serait qu’un cas isolé à ne pas prendre en considération dans l’analyse des schémas comportementaux dominants au Cameroun ?

Manifestation du Code pour Vanessa Tchatchou
Les enjeux derrière cette question de recherche vont bien au-delà de l’intérêt scientifique : les grandes révolutions sont parties des déviants et des groupes ayant « échappé » à l’acculturation permanente. Si le cas « Vanessa » n’était pas unique, alors bien des schèmes comportementaux « scientifiquement » attribués à la société camerounaise seraient à revoir. 

Il en va de la socialisation politique comme de tout processus social : ce sont les ruptures qui annoncent leur essoufflement.

Décrypter pour aider à mieux gérer, en droite ligne du maître J.M ELA, tel est notre ambition. Car la sociologie doit, en Afrique plus qu’ailleurs, être au service de l’être humain.

1.    Quatre (4) mois pour s’émouvoir : le temps de l’émotion comme indicateur des valeurs sociétales

Mlle Vanessa Tchatchou, âgé de 17 ans, orpheline et élève en classe de 2nde arrive à l’Hôpital le 20 août 2011 et y donne naissance à une fillette, bien vivante mais prématurée. Le nouveau-né qui est mise en couveuse le même jour par le personnel soignant est porté disparue le même jour .

Face à cet incident pour le moins particulier, la jeune maman refusera pendant 7 mois de quitter le lit d’hôpital qu’elle occupera contre le gré des personnels soignant et des gestionnaires de l’hôpital. Elle va opposer une résistance à toutes les tentatives de sortie négociée ou forcée de cet hôpital, organisées par le personnel chargé de la gestion de l’hôpital.

La rentrée scolaire au Cameroun étant prévue en début septembre, la jeune maman va choisir de ne pas regagner l’école et de mener un combat très inégal contre le personnel de l’hôpital qu’elle accuse d’enlèvement ou de complicité d’enlèvement d’enfant.

Pendant 4 mois, du 20 août 2011 date de la naissance de l’enfant au mois de janvier 2012 quand commence le grand tapage médiatique sur ce qui est appelé « l’affaire Vanessa », la jeune fille se bat seule contre un appareil administratif solidaire et hostile. Peu de mobilisation significative ou de débat importants sont recensés avant Janvier 2012 sur l’affaire « Vanessa ». C’est le 17 janvier que le quotidien camerounais « Le Jour » titre à la une «Vanessa Tchatchou : rendez-moi mon bébé ». D’autres journaux suivront ainsi que les radios et les chaînes de télévision pour faire apparaître aux yeux de l’opinion publique camerounaise un combat qui dure pourtant dans l’ombre et la solitude depuis 4 mois.

Et pourtant, fait majeur dans cette analyse, à peine un mois après la disparition de l’enfant de Vanessa Tchatchou, le Cameroun vit une campagne électorale en vue des présidentielles. Dès la mi-septembre les partis politiques, les candidats, une vingtaine au total, sont sur les médias et dans la rue pour parler au peuple. Cette campagne se déroulera jusqu’à la veille des élections présidentielles du 9 octobre. Pendant ce grand moment de communication sociale, nous n’avons pas retrouvé de trace de communication en rapport à la disparition de l’enfant de Vanessa Tchatchoua. Aucune.

Il est vrai que nos recherches ont été circonscrites aux sources écrites sur Internet et aux sources audio et visuelles sur Internet ; et nous n’avons malheureusement pas eu de trace à aucun moment de la prise en compte de cette disparition d’enfant dans les débats électoraux.

Manifestation pour pour Vanessa Tchatchou


Chose surprenante à plus d’un titre :

-    Yaoundé est le siège des institutions et tous les candidats à la présidentielle, à un moment ou à un autre ont eu à battre campagne à Yaoundé.

-    Pour les partis de l’opposition, l’ «affaire Vanessa Tchatchou » aurait du s’imposer comme un sujet fort de campagne électorale ; pour le president-candidat, elle aurait du constituer le cauchemar de sa campagne, en situation électorale « normale ».

-    Les équipes de campagne des candidats de l’opposition auraient pu instrumentaliser (et incidemment résoudre peut-être) l’« affaire Vanessa Tchatchou » en en faisant un sujet central de campagne électorale.

Cette donne ajoute à notre questionnement sur la réactivité émotionnelle du Cameroun. Il serait bien intéressant de faire une étude des sujets de campagne entre septembre et octobre 2011 afin d’identifier ces sujets qui ont pu reléguer au placard dans l’échelle des valeurs d’une société la disparition d’un enfant.

Une première hypothèse serait la gestion prudentielle de la situation par le management de l’hôpital, afin de ne pas ameuter l’opinion et de « laisser passer les élections » ; un deuxième essai d’explication consisterait à postuler le musellement forcé de Mlle Vanessa Tchachoua par le management de l’hôpital durant toute la période électorale mais ces deux  hypothèses ne fleurissent sur aucun terreaux.  Depuis le début de la crise, le management et le staff ne se sont pas privés d’exprimer bruyamment à Mlle Vanessa leur opposition à sa présence à l’hôpital. Le retrait de sa moustiquaire dont nous ne pouvons dater avec précision fait partie des premières tentatives de dissuasion utilisées par le management afin de faire partir Mlle Vanessa. Il est par conséquent exclu qu’il ait existé quelque tentative du pouvoir de « couvrir » cette affaire, le temps des élections.

Au contraire, il plus proche de la vérité d’affirmer que les agissements du management de l’hôpital auraient pu en début de cette crise entraîner un intéressement de l’opinion publique à cette « affaire Vanessa Tchatchou », si des relais sociaux avaient aidé à diffusé l’information au sein de l’opinion.

Ceci nous conduit à la troisième hypothèse et de loin la plus plausible : l’absence de relais entre la victime et la société civile camerounaise a durant 4 mois confiné l’«affaire Vanessa Tchatchou » au rang immérité d’un fait divers banal. Cette hypothèse nous offre l’occasion d’explorer les causes de cette insuffisante couverture sociale d’un évènement dont l’importance est aujourd’hui avérée d’une part. D’autre part elle nous permet de plonger dans l’émotif collectif camerounais, et d’analyser subséquemment l’affectivité collective et les valeurs qui la fondent.

1.1.    Comment une société s’émeut : la communication et les relais sociaux dans la construction et l’expression de l’émotion collective

Le crime le plus odieux ne soulèvera que difficilement une émotion collective s’il n’est pas d’abord relayé au sein de toute la société ; ensuite il doit « heurter » la sensibilité ou un intérêt collectifs, ou les deux, pour soulever une émotion collective. Il existe donc un élément « communication » dans la naissance d’une émotion collective qui permet de créer la foule, réelle ou catégorielle. Mais l’élément communication ne suffirait pas à créer une émotion collective. L’information diffusée doit heurter ou alors toucher à une valeur commune et partagée par les membres de la société. Ici apparaît l’élément psychologique : une parfaite diffusion de l’information sur le décès d’un éléphant a peu de chances de créer une émotion collective. Par contre la mort de 500 éléphants tués de manière brutale par des braconniers a des chances de choquer et de créer une vive émotion au sein d’une société qui donne de la valeur à la protection des éléphants.

Nous ajouterons un troisième élément relativement peu significatif dans la naissance d’une émotion, mais qui a assez de poids dans l’expression des émotions collectives. Toutes les émotions ne sont pas « autorisés » dans toutes les sociétés. La condamnation des adolescentes pour homosexualité au Cameroun, aura peu de chance de résulter sur expression publique d’une émotion, bien qu’il soit possible qu’une bonne frange de la population en soit émue : nous sommes en présence d’une émotion « illégale ». Aussi insignifiant qu’elle soit dans la naissance d’une émotion, la possibilité d’exprimer publiquement ses émotions, qu’elles soient illégales ou non, permet de distinguer les sociétés pluralistes des dictatures.

Le cas de l’«affaire Vanessa Tchatchou» nous éclaire sur les failles qui n’ont pas permis plutôt la construction d’une émotion collective et nous retrouvions les trois éléments dans la tentative d’explication qui va suivre :

-    Pourquoi l’information sur la disparition de l’enfant de Vanessa n’a pas été relayée et diffusée plus tôt dans la population camerounaise ?

L’ «affaire Vanessa Tchatchou » se déroule dans un des lieux les plus fréquentés dans une société : l’hôpital public. Elle aurait en principe dû bénéficier dès sa naissance de la publicité et de la diffusion la plus large possible. Face à ce manque de publicité, l’hypothèse d’une mise en « veilleuse » volontaire de cette affaire par l’équipe de campagne électorale du président-candidat devrait être la plus féconde. Mais elle ne peut malheureusement pas être soutenue par des faits incontestables.

Il faute recherche dans l’organisation de l’information institutionnelle et « libre » les causes de cette diffusion tardive de l’information.

Il est envisageable de « blâmer » ici le système public d’information existant au sein de l’administration où s’est passée l’incident. Il n’a eu aucune communication officielle sur ce sujet émanant de l’hôpital – et nous le pensons, à ce jour, seule une petite interview de l’ancien directeur, le Pr Doh Anderson est apparue dans Cameroon-tribune, mais 4 mois après l’évènement. Cette pratique est une constante dans les administrations publiques camerounaises qui ne se reconnaissent aucune responsabilité de « faire savoir » et encore moins de « faire voir » ce qu’elle vont. L’existence d’un canal de communication régulier avec le public-client aurait eu pour conséquence de diffuser précocement l’information sur le combat de Mlle Vanessa Tchatchou. Les administrations camerounaises ne communiquent pas ; elles réagissent plus qu’elles n’agissent en matière de communication d’entreprise, se positionnant ainsi à chaque sortie médiatique en « accusé ».



Mais il n’ y a pas que le système institutionnel de communication d’entreprise qui ait « failli » ici. La presse libre, aussi foisonnante qu’elle l’est dans Yaoundé, n’a pas pu se saisir plutôt de ce filon « commercial » que constitue pour elle l’«affaire Vanessa Tchatchou». Ceci témoigne du peu d’emprise que la presse a sur son environnement immédiat et sa dépendance totale des informations officielles. Car pour qu’une « histoire » aussi « alléchante » passe inaperçue pendant 4 mois, il faut vraiment que le journalisme yaoundéen soit très bureaucratisé et déconnecté du terrain. L’«affaire Vanessa Tchatchou » démontre que la presse dite libre n’a pas su construire un réseau social qui lui permette de s’informer rapidement des faits qui l’entourent. Nous pensons également qu’une presse spécialisée dans la couverture des questions médicales aurait eu plus de chance de dévoyer au public l’«affaire Vanessa Tchatchou» à travers soit ses descentes sur le terrain, soit ses réseaux d’informateurs.

Le statut social de Mlle Vanessa, orpheline, célibataire, jeune fille mère et issue de famille modeste finiront de couvrir de poussière  l’«affaire Vanessa Tchatchou». Ici réapparaît dans l’analyse le lien entre statut social et exposition au média. Si Vanessa était « la fille de X» ou la « fiancée de X » il est évident que son histoire aurait bénéficier plus rapidement une forte exposition médiatique, soit du fait de sa propre notoriété, soit du fait de ses relations. Il existe sans conteste un fort lien, à l’analyse, entre le statut social et l’exposition médiatique et l’hypothèse d’une troisième relation entre exposition médiatique et respect des droits humains apparaît alors très féconde.

Mais une société civile bien organisée peut infléchir ce lien entre statut social et exposition médiatique. Les organisations sociales par un quadrillage effectif de leurs aires de responsabilité jouent le rôle que joueraient la famille et le statut social «médiagénique » pour une personne aisée. Ici évidemment, aucune organisation locale camerounaise de promotion des droits de l’Homme ou de protection des droits des enfants ne couvre l’espace « hôpital » où il est pourtant de notoriété publique au Cameroun que des exactions s’y déroulent quotidiennement.

Les confessions religieuses, vecteurs et censeurs par excellence de l’éthique sociale ont également dans cette « affaire Vanessa Tchatchou » démontré au moins deux choses : d’abord leur déconnexion de la société d’une part et d’autre part leur démission de leur rôle traditionnel de « porteurs de la parole libre ». Le fait que l’église catholique ait été le dernier acteur de la société civile (après les partis politiques, les organisations de défense des droits…) à s’exprimer justifie bien la déconnexion entre Eglise et société au Cameroun. Par ailleurs le caractère fort opportunément jugé de « réaction molle et tardive  » du communiqué de l’église catholique lui retire au Cameroun le statut d’institution libre et engagée qui est reconnue ailleurs à l’église catholique. Ce constat ouvre légitimement le débat sur la subordination au Cameroun, de l’église catholique à l’Etat. LA démission de l4Eglise catholique de son rôle de défenseur des opprimés se confirme dans la forme de son communiqué non signé d’une vingtaine de lignes dactylographiées.

Les faiblesses de la couverture spatiale des vecteurs traditionnels de l’information n’expliquent pas à elles seules le retard dans l’expression de l’émoi collectif dans l’«affaire Vanessa Tchatchou». Car l’émoi collectif aurait bien pu s’exprimer sans et en dehors des médias.

-    Pourquoi l’émotion collective a eu de la peine à s’exprimer ?

Il est permis au vu des informations disponibles, d’affirmer que Mlle Vanessa ne s’est pas battue pendant 4 mois dans une caverne. Tout le personnel hospitalier était informé de la souffrance de cette adolescente, quand elle ne participait pas simplement à la création de cette souffrance. Il faut ajouter à tous ceux-là les clients externes de l’hôpital et plus particulièrement les malades internés. Tous ont d’une manière ou d’une autre, été informés des malheurs de Mlle Vanessa mais personne n’a pris sur lui la responsabilité de d’aider à relayer cette souffrance.

La famille de Mlle Vanessa elle-même n’est pas indemne de tout reproche. Elle aurait pu faire un effort de diffusion de l’«affaire Vanessa Tchatchou» et créer un peu plutôt au sein de l’opinion l’émoi collectif dont avait tant besoin Mlle Vanessa.

Il ne nous a pas été possible de vérifier l’existence d’un service social ou d’une aumônerie au sein de cet hôpital. Au cas ou ces structures existeraient, elles également sont responsable de l’enlisement de cette «affaire Vanessa Tchatchou» pendant 4 mois.


L’une des explications les plus acceptables qui conduise un être à vivre une situation désagréable et à se taire est la difficulté à exprimer ouvertement son émoi. Critiquer les pouvoirs publics reste une exception dans la culture politique camerounaise. Cela se vérifie aussi bien au niveau de la rue qu’au niveau des institutions établies. Quand il faut s’exprimer positivement au sujet des pouvoirs établis (administratifs et politiques), tout Camerounais se donne le mandat de le faire et ne s’en lasse pas, parfois en les desservant plus qu’ils ne le servent.

Toutefois, dès qu’il convient d’exprimer un mécontentement, même basé sur des faits objectifs, c’est toute la société qui se fige, sans considération de niveau intellectuel ni de statut social. Dans ces conditions, l’émotion fondée sur les errements des dirigeants ont encore de la peine à s’exprimer, même lorsque l’individu se retrouve dans une situation en totale contradiction avec ses valeurs et son éthique. Dans ce cas extrême c’est la défense d’une valeur transcendantale et hautement importante qui l’emporte sur la peur de fâcher. 

-    Pourquoi le public a pris du retard à exprimer son « émoi collectif »

Il aura fallu en effet que des personnes choquées dans leurs hiérarchie des valeurs soient saisies de l’«affaire Vanessa Tchatchou» afin que celle-ci bénéficie enfin de l’exposition médiatique et publique qui lui a manqué pendant 4 mois.

L’occasion est donnée ici d’analyser sans les juger, l’éthique personnelle des personnes qui, informées de ce drame social, ont « vaqué » à leurs occupations sans « cas de conscience », dans l’espoir que Mlle Vanessa finirait par partir et leur laisser résoudre le problème avec leur conscience. Tout le personnel hospitalier de l’hôpital gyneco-obstétrique est concerné par cette catégorisation.  Il s’agit-là d’un groupe assez important d’individus qui ont assisté en spectatrices et en spectateurs au drame d’une jeune adolescente sans exprimer la moindre émotion collective. Si d’aucuns ont contribué à la faire souffrir davantage, d’autres ont également compati ou assisté cette jeune fille durant les 4 mois de son combat dans l’ombre et la solitude. Mais ce qui est constant c’est l’inaptitude des personnes informées à exprimer une émotion collective, laquelle aurait contribué à donner à l’«affaire Vanessa Tchatchou» la visibilité qui lui a fait tant défaut.

La peur des représailles et de l’autorité du directeur est une explication plausible à cette attitude de démission collective. Mais il faut alors rentrer dans la théorie classique de la soumission à l’autorité telle de théorisée par Stanley Milgram pour conclure que le  seuil de sensibilité « émotionnelle » de nos infirmières et infirmiers est trop élevé et ne les qualifie peut-être pas au métiers qu’elles/ils exercent. Que faudrait-il de « plus grave » pour émouvoir des personnels des services dits sociaux et surtout humanitaires ? Si la disparition d’un enfant ne peut émouvoir une infirmière, alors est-elle à sa place ? Y est-elle juste pour « gagner » son pain comme le boucher va au marché ? Par ailleurs l’éthique professionnelle du boucher n’a pas les mêmes exigences que celle d’une infirmière.



Si au sein de la société camerounaise, la soumission à l’autorité peut soustraire un personnel soignant au respect de son code éthique personnel et professionnel, alors, il y a quelque chose de vicié dans cette relation de soumission à l’autorité. Abstraction faite de tout engagement professionnel éthique, la passivité émotionnelle des personnes qui ont été informées des souffrances de cette enfant et n’ont rien fait traduit bien l’absence du respect de la vie humaine dans leur échelle de valeur. Ceci pourrait également s’exprimer par « le peu de cas fait au respect de la vie », pour exprimer la position non prioritaire qu’occuperait cette valeur dans l’échelle éthique individuelle de chacun. Une hypothèse pareille, si elle venait à foisonner, signifierait que la société camerounaise est en pleine mutation éthique : que les universaux sacrés et consacrés par les textes fondamentaux des droits de l’homme ne reflètent plus du tout la vision du monde du Camerounais moyen.

Ainsi posé, le débat semblerait assez théorique et sans conséquence : il est bien plausible d’être contre l’homosexualité sans se sentir « hors humanité ». Soit mais il serait difficile, en l’état actuel de l’organisation des sociétale humaine d’être contre le respect de la vie humaine et de ne pas être classifié comme « hors-humanité ». Ne pas respecter la vie humaine, le droit à la vie, le droit la filiation, à une vie familiale, c’est toucher aux quelques rares valeurs qui fondent depuis 1948 en Europe et bien plus longtemps avant en Afrique le socle sur lequel se construisent les sociétés humaines. Ces valeurs constitutives du noyau dur des droits fondamentaux ne sauraient être remise en cause sans remettre en cause notre propre humanité. Dans ce sens, toute personne qui a vécu, même à distance, le drame de Vanessa a souffert, et c’est cette souffrance qui est fondatrice de l émoi collectif.

Comme dans l’expérience de Milgram, plus l’individu à mis du temps à s’émouvoir, moins il a prouvé son humanité.


1.2.    Les temps mis pour s’émouvoir : affaire de communication ou de valeurs ?

Si le retard dans la diffusion de l’information à propos des malheurs de Mlle Vanessa Tchatchou explique pour certains le retard à s’en émouvoir, pour d’autres, exposés très tôt à ces malheurs, leur retard à s’émouvoir interroge leur échelle de valeurs et leur conception de l’altérité : l’autre est-il un autre moi dont le sort ne saurait m’être indifférent, ou alors il est un autre non-moi dont les souffrances ne sauraient troubler la tranquille cours du fleuve de nos vies ?

Deux aspects sont à examiner ici, qui interagissent : notre relation à l’autre d’une part, et notre échelle des valeurs qui détermine chez chacun les limites de l’acceptable. Pratiquement les deux réalités sont intimement liées car de notre échelle des valeurs dépendra notre définition de l’altérité, cette « otherness » dont l’appréhension en milieu urbain interpelle nos valeurs les plus profondes d’une part et l’organisation spatiale urbaine d’autre part.

Que vaut l’autre pour le Camerounais dans l’espace urbain ? Il est intéressant d’ainsi circonscrire le débat en milieu urbain afin de ne pas (re)tomber dans l’éloge de l’Afrique rurale ancestrale fraternelle.

L’altérité sera soit moi dédoublé, soit l’autre-objet selon que j’accorde à autrui une certaine valeur aussi transcendantale que celle que je m’accorde. Si je définis l’altérité sur la base de l’autre « moi » alors il est logique que je lui accorde tous les égards que je m’accorde. S’applique alors aisément à autrui le principe kantien de la réciprocité de la loi que nous souhaiterions nous voir appliquer.





Au-delà de la théorie, il est évident que le respect de nos valeurs en milieu urbain se heurte à la forte compétition pour le partage des faibles ressources disponibles. L’éthique à plus de risques de s’éroder devant les difficultés de la vie urbaines. Par ailleurs, l’organisation spatiale de la vie urbaine n est pas étrangère à l’effritement de la conception kantienne de l’altérité : l’autre urbain est un « autre » non-moi dans la gestion et le partage de l’espace urbain. Il est plus facile de traiter l’autre comme un non-moi en milieu urbain pour la simple raison de la réduction des contacts interpersonnels. Pour employer la figure de style du Professeur Gervais Mendo Ze, il est fort concevable de conceptualiser les relations interpersonnelles en ville comme des relations entre des voitures. On se côtoie quotidiennement sans vraiment avoir de relations ni de contacts.

Dans ces conditions, il est plus aisé de concevoir l’altérité au pire comme l’«autre objet» et au mieux comme un «non-moi», ce qui nous épargne de l’obligation de nous appliquer à nous et à l’autre la même loi. L’autre dénué de ce qui faisait de lui un « autre-moi» peut alors aisément être mis à mon service.

Pourtant, la pression du besoin n’explique pas tout. La socialisation d’abord, en famille et à l’école est supposée nous avoir ôté toute idée de concevoir l’altérité sur le modèle « autre-objet » ou « non-moi ». L’acculturation permanente ensuite est censée nous maintenir dans les limites de l’admissible. Pour la petite frange des individus qui ont échappé à cette camisole de force invisible, la société à prévu la répression pour ceux qui poseraient des actes « inadmissibles ».

Il nous semble, au travers de l’«affaire Vanessa Tchatchou », que tous les verrous de cette chaîne de sécurisation sociale aient sauté: les valeurs censées être transcendantales ne sont pas partagées par la majorité, ce qui témoigne de l’échec de la socialisation d’une part ; d’autre part les mécanismes de sanction de ceux qui posent des aces contraires aux valeurs fondamentales ne fonctionnent plus. Par effet de rétroaction, l’impunité nourrit la déviance et renforce la rupture éthique :

-    Si un enfant peut être enlevé le jour de sa naissance de sa mère et sans cela ne créé immédiatement l’émoi collectif, alors la socialisation censée fournir les base éthiques communes a échoué.

-    Par la suite, si un tel acte peut être posé sans aucune sanction ou peur de sanction, au point de créer une chaîne de « trafic d’enfants », alors il faut reconnaître qu’à l’échec de la socialisation est venue se greffer une absence de sanction, une impunité pour les déviants, lesquels ont érigé la déviance en norme.

C’est la conjonction de ces conditions qui expliquent la lenteur avec laquelle la société camerounaise a crié son émoi face à l’«affaire Vanessa Tchatchou». Le seuil déclencheur de l’émoi collectif est de loin au dessus d’une question de « vol d’enfant », laquelle constitue pour beaucoup d’acteurs un phénomène qui ne choque plus, et par conséquent n’interpelle plus la conscience collective.


Plus que les failles dans la diffusion de l’information, c’est l’effritement aussi bien de l’éthique que de l’altérité qui ont expliqué l’ignorance pendant 4 mois de l’«affaire Vanessa Tchatchou» par l’opinion publique. Vanessa Tchatchou n’étant pas moi, il est loisible de l’ignorer et de ne pas s’arrêter sur son sort ; par ailleurs la question en jeu n’étant pas de celles qui pourraient choquer les individus, l’Etat ou l’Eglise, point besoin d’émoi.

Ainsi, le « vol» d’un enfant, loin d’interpeller la société est un fait divers. Et il a été traité comme tel, aussi bien par les acteurs de la société civile que par les pouvoirs publics.  

2.    Six (6) mois pour agir : le temps de l’action comme indicateur de l’effectivité des pouvoirs institutionnels.

S’il a fallu 4 mois à la société camerounaise pour s’émouvoir de la disparition d’un enfant, les faits démontrent qu’il fallu bien plus de temps à la société camerounaise, tous segments confondus, pour agir.

Autant sous d’autre cieux, le temps de réaction face à une disparition d’enfant est l’objet de débat afin que la réaction soit la plus rapide possible,  au Cameroun, la société civile, les pouvoirs publics et les organisation de défense des droits ont commencé à exprimer leur soutien effectif à l’«affaire Vanessa Tchatchou» 6 mois après la disparition de l’enfant :

Le temps mis pour réagir et les « réactions » des autorités administratives et politiques, des organisations de la société civile, des confessions religieuses et de la justice ont mis à jour une société au sein de laquelle les responsabilités sont diluées au point de ne plus être identifiables. Face à cette dilution, le recours à la source du pouvoir, au chef dont les pouvoirs n’ont pas besoin d’être identifiables et qui peut agir à tout moment et sur tout exprime et résumé l’attentisme administratif qui constitue le mode de fonctionnement des administrations camerounaises.

2.1. La dilution des rôles comme signe de l’absence de responsabilité

A tous les postes de responsabilité institutionnelle identifiables autour de l’affaire « Vanessa Tchatchou », aucun acteur ne s’est reconnu compétent pour agir. Face à une rupture, à une infraction, point de temps d’arrêt pour se regarder et agir pour mitiger les conséquences ou prévenir la récurrence. Durant 6 mois, l’hôpital a continué de fonctionner, avec le même personnel « comme si de rien n’était », aucun service social s’est reconnu compétent pour venir soutenir la victime, aucun service de répression de la déviance n’a jugé utile de s’autosaisir.

Le seul « déviant » dans ce scénario, c’est finalement la victime qui n’ pas eu le comportement attendu d’elle par la société camerounaise. Car en pareille circonstance, il était attendu de Mlle Vanessa Tchatchou, en « bonne » Camerounaise, fille seule et orpheline de rentrer chez elle pleurer et d’oublier.

Combien de fois avons-nous accepté et joué ce rôle social créé sur mesure pour ses citoyens par les appareils d’Etat et autres institutionnels camerounais ?

Combien de fois avons-nous « laissé tomber » les frustrations, alors même que nous étions dans notre bon droit ?

Qui n’a pas cédé à l’appel à la corruption d’un fonctionnaire véreux assis sur votre dossier pourtant bien constitué ?

Qui n’a pas cédé aux fausses infractions soulevées par un policier sur la voie publique en lui remettant les 500 francs demandés tacitement au travers de ses agissements ?

La somme des ces acceptations quotidiennes a façonné un type d’être : le Camerounais. Ces acceptations ont créé de part et d’autre des nouvelles normes auxquelles personne n échappe plus. L’infirmier cède au policier dans la rue, lequel cède également à l’infirmière à l’hôpital. Il n y a pas deux catégories différentes, l’une victime et l’autre coupable, mais toute une société qui s’est façonné des manières de faire acceptées par tous.



C'est dans ce contexte que l’organisation administrative officielle de l’Etat s’est vidée de tout son sens, que les termes de référence d’un poste ne signifient quasiment plus rien, les relations personnelles et informelles ayan pris le pas sur le formel. Les conventions interpersonnelles l’emportent partout sur la loi.

Toutes les responsabilités telles que textuellement définies sont diluées.  La dilution a atteint une proportion qui a enlevé à la plupart des positions sociales de pouvoir et d’autorité toute spécialité : un infirmier peut bien se retrouver au péage routier ; un médecin à l’agriculture sans aucune contestation. Ce ne sont plus les normes qui régissent les manières de faire.

Noyé dans ce grand laboratoire d’acculturation à la déviance, depuis la maternité jusqu’à la morgue, le Camerounais s’est façonné une personnalité de base faite du renoncement volontaire à ses droits, de la recherche consensuelle des voies de contournement de la norme. Tout le monde, à titre personnel en profite dans la mesure où personne n est en réalité frustré, chacun évoluant là où il se trouve en marge de la norme.



Mais ce que le Camerounais a oublié, c’est le fait que cette situation de parfaite anomie sociale ne peut perdurer longtemps ; si les individus semblent s’en sortir, la société en tant que structure vivante ne peut tenir longtemps sans normes. L’atteinte de la satisfaction maximale des intérêts individuels est le point d’achèvement de la société en tant qu’institution de convergence et d’agrégation des intérêts et des enjeux collectifs. Avec l’effritement de la société en tant que garant des intérêts collectifs, c est également l’éthique, premier bien collectif sociétal, lequel fonde la vie en société, qui s’effrite également.

Le cas Vanessa Tchatchou est un simple indicateur du grand chaos de demain : nul ne se définissant plus comme responsable d’un secteur de l’activité publique dès lors qu’il n’y trouve pas un intérêt personnel et aucune sanction ne menaçant l’inactif, rien n’oblige le pompier camerounais à aller au feu. A moins que ce ne soit pour sauver sa propre maison, aucune norme, aucune valeur, et aucun système de sanction ne le contraint à aller au feu.



Les rapports informels de pouvoir se sont superposés aux relations hiérarchiques ; la dilution horizontale de responsabilités  sociales s’est ajoutée à la dilution verticale des responsabilités, les cercles de pouvoirs informels et les facteurs exogènes définissent mieux les rapports «hiérarchiques» que les textes juridiques.

Il est symptomatiques à plus d’un titre que l’Exécutif entretienne aux plus hauts niveaux cette dilution horizontale et verticale de responsabilité qui conforte finalement le peuple à l’idée que les normes ne servent à rien : dans ce registre le fonctionnement tant interne du RDPC que dans ses rapports avec la chose publique ont contribué au renforcement de ce « dédain » pour l’organisation juridique de la société : l’absence de ligne de démarcation entre le personnel étatique et celui du parti, entre les finances et les biens du service publique et du parti font partie de ces facteurs de renforcement de la culture a-norme du Camerounais.

Dans ce contexte, quand se présente une question qui nous impose un recours au normatif et non plus aux négociations obscures, comme c’est le cas dans l’affaire Vanessa Tchatchou, c’est tout le système sociétal qui est pris au dépourvu parce que refaçonné pour fonctionner hors norme.

Seul le chef a (encore) le pouvoir de rappeler les acteurs au retour aux normes.

2.2. L’attentisme administratif et le recours au chef.

L’ « affaire Vanessa Tchatchou» a mis sous les feux de l’actualité l’attentisme qui caractérise l’administration camerounaise. Pour chaque geste d’administration quotidienne, il a fallu que les ordres viennent de la Présidence. Les administrations normales se sont elles-mêmes dessaisies de leurs compétences pendant 6 mois. Par la suite, elles ont dû s’interdire toute action avant l’autorisation de la présidence.

Il est surprenant que, même pour des actes aussi banales que l’ouverture d’une enquête, la sécurité de la victime, que ce soient des structures « non classiques » qui se soient saisies de ces compétences. Pourtant, le directeur de l’hôpital aurait saisi les parquet bien des mois avant la médiatisation de cette affaire, mais il faudra l’implication de la présidence pour que les «choses commencent » à bouger.

Et encore ! Pour des secteurs ou la présidence n’a pas donné des instructions, aucun service ne s’est rappelé ses prérogatives. Ainsi en est-il des affaires sociales, de la protection de la famille qui ont brillé tout au long de cette affaire par leur inaction alors même qu’elles devraient être au centre de la protection de la victime.

Si rien ne change, bientôt, au Cameroun, il faudra l’autorisation de la présidence pour que les pompiers ailleurs au feu.


3.    Conclusion

3.1.    Vanessa, une anti-conformiste ?

L’«affaire Vanessa Tchatchou» est le plus gros miroir social que la société camerounaise ait eu à construire sur deux décennies. Elle nous renvoie notre image, de manière objective et fort peu agréable.

Elle présente la société camerounaise actuelle telles qu’elle est : un échec de socialisation doublée d’une impunité rampante alors même que la justice fonctionne « normalement ». La société camerounaise a renoncé consciemment à réprimer la déviance, aussi bien les victimes que les institutions en charge de la répression. La population a bien intériorisé ce message subliminal : « déviant qui peut ».

Dans ce contexte, la résistance de Mlle Vanessa Tchatchou face à un système dans lequel « se soumettre » est la règle a dérouté plus d’un. Mlle Vanessa se présente au final comme un anti-système, une non-conformiste, preuve que l’endoctrinement aussi efficace soit-il laissera toujours des failles au développement de l’anti-conformisme. Un anti-conformisme pour le cas d’espèce salvateur et bienvenu.

3.2.    Entre « Merci » et « Pardon »

L’affaire Vanessa a également fait l’objet d’une instrumentalisation tant de l’image que de la souffrance de Mlle Vanessa au point ou il est difficile, face à cette demoiselle, de choisir les mots justes : à Vanessa, devons-nous lui dire « merci » pour le « breakthrough » que sa résistance a permis dans l’éveil à la protection des droits, alors « pardon » pour l’usage abusif qui a été fait de sa peine ?



Les ONG et acteurs de la société civile « travaillant » à aider cette jeune fille ne l’ont quasiment jamais réellement aidé en tant que victime, soit par incompétence ou alors par cynisme. Après 4 mois de souffrance et de combat dans la solitude et l’hostilité du personnel hospitalier, il nous a semble curieux qu’aucune ONG n’organise sont départ de l’hôpital pour sa propre santé mentale et physique. Elles ont plutôt encouragé la victime à se laisser mourir à petit feu à l’hôpital, tant que cela gênait l’exécutif.

Mlle Vanessa devrait partir de l’hôpital, avec ou sans son enfant, elle a droit à une vie, même reconstruite et ce n’est pas à l’hôpital qu’elle aurait refait cette reconstruction, entre interviews téléphoniques et photos publiées sans respect de sa vulnérabilité. Aucune ONG n’a posé le problème de l’ « affaire Vanessa » en termes de protection de la victime. Ni l’Etat, qui n’a jusqu’ici eut comme objectif que la défense de son image face à l’opinion internationale, ni les ONG qui, aussi incroyable que cette dérive paraissent, auraient milité pour que Mlle Vanessa soit encore à l’hôpital jusqu’à …. Jusqu’à quand ?

Autant l’incompétence et l’absence de compassion de l’Etat à détruit cette jeune vie, autant la passion de la médiatisation à outrance de la souffrance de Mlle Vanessa par ses « supporters » à exposé au monde entier une conception camerounaise bien curieuse du respect de la victime, de la vie, de la vie privée, et le d’enfance.

Etatiques ou pas, civiles ou confessionnels, tous les acteurs de cette « affaire Vanessa » ont grand besoin d’une rééducation éthique.

C’est ton pardon que nous implorons, chère Vanessa.

Jean Bosco JEBO

Travailleur humanitaire.


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(1)  L’Association de Défense des Droits des Etudiants (ADDEC) a manifesté à plusieurs reprises devant l’hôpital pour Vanessa, la Comicodi (Commission Indépendante Contre la Discrimination et la Corruption) de M. Shanda Tomne s’institué comme le porte-parole de Vanessa, M. Sosthène Fouda a porté la lutte sur les plans international, judiciaire et surtout politique en rencontrant les membres du Gouvernement camerounais à plusieurs reprises, les membres du parlement européen, en organisant des sit-in devant l’hôpital et des marches de protestations et pour que la justice soit faite. Le Manidem et le SDF se sont prononcés publiquement pour que la lumière st faite sur cette affaire et contre la célébration en 2012 de la Journée Internationale de la Femme, en soutien à Vanessa.

(2)  Lire: Kangsen F. Wakaiin, “Not another whisper in the wilderness” in http://www.postnewsline.com/2012/02/not-another-whisper-in-the-wilderness-vanessa-tchatchous-missing-baby-.html; 23rd February 2012. Traduction : L’enfant disparu de Vanessa : un autre murmure de plus dans la jungle ?.

(3)  Cf les propos de la Grand-mère de l’enfant disparu relayés par plusieurs journaux. Quasiment aucun acteur camerounais n’a échappé à cette chosification du bébé humain, qu’il s’agisse des médias, des acteurs politiques ou de la société civile, bonne consommatrice servile du langage médiatique. J’avoue ici mon soulagement de lire sur le site RFI : « Trafic d’enfants au Cameroun » en titre, au lieu de « vol d’enfant »

(4)  La Comicodi a même levé des fonds pour « le suivi de ces procédures par des professionnels ainsi que l'entretien psychologique et moral de Vanessa ». Cf : http://www.afrikeo.com/news/181770-affaire-vanessa-tchatchou.-un-communique-du-comicodi.

(5) La recherche des auteurs de la disparition de l’enfant ne font malheureusement pas partie des objectifs de cette analyse ; bien que nous nous référerons à des épisodes et aux acteurs de cette recherche de la vérité en tant que faits sociaux.

(6)   Le porte parole du Rassemblement de la jeunesse camerounaise, Sismondi Barlev Bidjocka qualifiait ainsi la réaction de l’Archevêque de Yaoundé, publiée sous la forme d’un communiqué dactylographié et non signé

(7)  Voir en France par exemple, en cas d’enlèvement d’enfant,  le temps de réaction des autorités a été réaménagé pour qu’il soit le plus rapide possible.



26/03/2012
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