L’upécisation de Marafa

Marafat:Camer.beCe 30 janvier, fait unique dans notre histoire, deux points de vue camerounais étaient exprimés à Paris au plus haut niveau : le premier, par l’homme qui nous tient en otage depuis trente ans, Paul Biya ; le second, par l’ancien secrétaire général à la présidence du Cameroun, Marafa Hamidou Yaya, condamné à vingt cinq ans de cachot pour ‘complicité intellectuelle’ de détournement. Le premier fait pouffer de rire le monde sur le perron de l’Elysée ; le second, imprimé dans Le Monde, fait secouer la tête de surprise. C’est que le premier dit qu’il n’y a pas de prisonniers politiques au Cameroun, ni de torture, ni d’ailleurs de problèmes de droits de l’hommes, eh oui, alors que sous l’instigation de la France justement, quelques temps avant, des délégations de représentants des droits humains ont fait le tour des prisons camerounaises en préparation à ce voyage, y compris une d’Amnesty international qui a rapidement publié son rapport annuel sur le Cameroun, révélant des cas de torture, de viol, de brimade, de tueries, de bastonnade dans les commissariats, des condamnations abusives – y compris à cause de la manière de marcher des accusés. Pourquoi s’indigner devant cette présentation de la république carcérale qu’est notre pays comme un paradis citoyen, quand au fond rien ne peut autant déculotter l’homme de paille que l’absurde de ses mots ?

   En réalité c’est l’article d’opinion de Marafa qui fait sursauer, et pas seulement parce qu’il aura pris la place d’une opposition camerounaise rendue de facto inexistante – imaginons donc un seul instant que ce fût Jean-Michel Nintcheu, ou alors une plume du SDF qui ait écrit cet article, pour voir la dimension de néantisation de l’opposition camerounaise à Paris que ce texte représente. Mais évidemment, Le Monde a la liberté de publier les opinions qu’il veut, et même comme en octobre 2011, de vendre des pages au tyran. Faisant suite à sa grande interview publiée dans Slate Afrique, la seule qu’il ait accordée à un journal depuis son arrestation, cette prise de parole parisienne de Marafa est pourtant trop coordonnée. Important est d’abord qu’à la différence de ses lettres publiées dans la presse au Cameroun, ici clairement et de manière conséquente, le prisonnier du SED fait ce qu’il n’aura que mis en scène jusque là : il exprime l’opinion de l’opposition camerounaise à la place de celle-ci. Oui, Marafa devient upéciste. D’abord par sa déresponsabilisation : trois événement sanglants rythment l’histoire récente de notre pays, mais le lecteur français ne saura jamais que Marafa aura fait partie de ces trois, et lors des émeutes de février 2008, était aux commandes de la répression.

   ‘Un spectre hante l’Europe’, ainsi commence le Manifeste du parti communiste, que l’UPC aura été accusée de vouloir transformer en bréviaire de la révolution camerounaise. ‘Deux spectres hantent le Cameroun’, écrit Marafa, ‘le spectre de l’après-Biya, et celui de l’après pétrole.’ Ainsi par le langage continue-t-il de faire sien l’âme immortelle du peuple camerounais. Car il s’agit pour lui d’occuper l’espace en delà du ‘status quo’, comme il dit. Or l’espace du changement chez nous, c’est également une herméneutique de l’histoire – une certaine manière d’interpréter les faits. Lisons ce qu’il dit du Cameroun : ‘sans jamais avoir été une colonie et jamais au point que l'esprit d’indépendance qui caractérise son peuple, et que celui-ci place avant toute autre valeur.’ Oui, nous lisons bien les mots : ‘sans jamais avoir été une colonie’, qui sont le résumé de cette longue et douloureuse bataille juridique qu’est l’histoire de l’UPC, bataille qui mena son leader à l’ONU en 1952, mais aussi dans le maquis de Boum Nyebel en 1956, et fonda le socle de sa résistance. Or ce n’est pas Um Nyobé qui les a écrit, ni Mongo Beti, dont aucun article exprimant ce point de vue-là, de toute sa vie ne fut jamais accepté par le journal Le Monde – mais bien Marafa Hamidou Yaya ! De ce socle intellectuel qui fonde l’opposition camerounaise, l’homme qui supervisa les élections d’octobre 2011 peut ainsi conclure logiquement – comme le ferait un upéciste, et encore plus un manidémiste – que les émeutiers de février 2008, ne s’étaient pas jetés en route à cause de la faim, mais parce qu’ils dramatisaient la préface de l’après-Biya. Sur le perron de l’Elysée, Paul Biya a concédé qu’il n’était pas eternel. Son contradicteur qui au pouvoir clairement ne pourrait qu’être une continuation de l’axe Nord-sud, et donc du status quo aujoulatiste, se positionne à Paris comme la dernière personnification de l’opposition radicale à Biya. L’histoire se répète comme farce, lui répondrait un upéciste, même si celle-ci ne nous fait pas rire.

© Emergence n° 129 : Patrice Nganang


08/02/2013
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