Louis Tobie Mbida (suite à la chute de Ben Ali):''Lorsque tous les recours politique auront été épuisés nous entrerons dans la violence ''

Louis Tobie Mbida (suite à la chute de Ben Ali):''Lorsque tous les recours politique auront été épuisés nous entrerons dans la violence ''

LT Mbida:Camer.beLes réactions politiques à chaud affluent à la rédaction de Camer.be suite à l'éviction de Ben Ali, 74 ans dont 23 passées à la tête de la Tunisie. A l'analyse, les avis convergent sur la nécessité d'un vent nouveau sur le continent. Tout le gratin politique contacté jusqu'ici salue l'alternance qui s'amorçe ainsi à la tête des Etats Africains. C'est autour de Louis Tobie Mbida (LTM) de féliciter le peuple tunisien pour son courage. Dans une entrevue exclusive accordée à Camer.be quelques heures seulement après le départ forcé de Ben Ali, Louis Tobie Mbida indique que ''Le cas de la Tunisie n’est malheureusement pas isolé en Afrique.'' Depuis Yaoundé et entre deux réunions LTM explique que ''La capacité d’indignation de tout un peuple et la colère structurée des citoyens d’une Nation sont les garants de sa libération''. Entretien avec le président du Parti des Démocrates camerounais (PDC).

Monsieur Louis Tobie Mbida, la pression de la rue a contraint Ben Ali à l'abandon du pouvoir le 14 janvier 2011 après 23 ans de règne en Tunisie. Comment avez-vous appris la nouvelle et quelle est votre réaction à chaud ?

Je suis à Yaoundé en train de lire au moment où sur ITV, j’apprends que le Président Ben Ali a quitté le pouvoir. J’ai suivi en direct le discours de l’ancien Premier Ministre désigné comme Chef d’Etat par intérim. Je félicite le peuple frère de Tunisie pour son courage, sa détermination et sa conscience collective. La capacité d’indignation de tout un peuple et la colère structurée des citoyens d’une Nation sont les garants de sa  libération.

Le PDC partage-t-il, ou tout au moins, comprenez-vous ce type d'alternance au pouvoir au sein de votre parti politique ?

Les lois fondamentales encore appelées constitutions sont les cadres juridiques qui régulent les conditions d’accession au pouvoir . La durée du mandat, la fréquence des mandats et les modalités d’alternance  dans des pays où les normes démocratiques et républicaines sont respectées, sont consignées dans la constitution. Dans les Nations libres, où l’exercice de la démocratie est une évidence, l’alternance au pouvoir se déroule sans heurts et les affrontements restent feutrés et courtois. Les dissensions trouvent leurs solutions dans le dialogue. Mais dans le cas d’un pays qui ne connait pas la démocratie, ne pratique pas la démocratie et refuse tout dialogue, tout affrontement figé s’achève dans la déflagration qui fait suite à toute confrontation rigide.  Toute déflagration de cette nature est violente, excessive, brutale, sanglante et couteuse en vies humaines. C’est une solution ultime, elle est très souvent spontanée, incontrôlée et incontrôlable, elle représente le dernier recours dans les Nations où tout dialogue démocratique a été catégoriquement et définitivement refusé par le pouvoir en place. Le cas de la Tunisie n’est malheureusement pas isolé en Afrique. Dans le cas du Cameroun, notre pays, nous connaissons depuis 28 ans le même Chef d’Etat qui n’a jamais su tenir sa parole, qui est passé maître dans les effets d’annonce et qui est champion dans l’usage de l’image politique publicitaire et les poignées de mains protocolaires tel qu’on a pu le voir à Bamenda et lors de la présentation des vœux où il instrumentalise M. Ni John Fru Ndi. Aucun débat de fond, aucune prise de position sérieuse et conséquente ne peuvent intervenir dans les conditions où seuls comptent l’image et le protocole. Cette image tourne en boucle désormais sur Africa 24 et sert la publicité du régime en place. M. Ni John pourrait avec raison exiger un cachet pour cette prestation.
Au Cameroun, le Parti au pouvoir ne sait pas dialoguer, ne veut pas dialoguer et a peur de dialoguer. Il est passé maître dans des attitudes essentiellement caractérisées par le mépris et l’arrogance. Toutes les sonnettes d’alarmes tirées par les Partis Politiques et les membres de la société civile, laissent le gouvernement camerounais totalement indifférent. L’indifférence, l’arrogance, le mépris, l’intransigeance, le refus de tout dialogue, de toute concertation, de toute rencontre sincère entre un pouvoir politique hypertrophié, dominant et son opposition conduisent tôt ou tard à des affrontements explosifs entre le peuple et ses dirigeants. En Tunisie, la conséquence en est le processus corrosif ayant conduit à la fuite dans la honte et par la petite porte d’un homme qui s’est pris pour Dieu au bout de 23 ans .
Le pouvoir politique camerounais a ridiculisé, décrédibilisé, tourné en dérision et affaibli l’opposition camerounaise. Les médias privés et publics ont été utilisés à cette fin. Les forces dites de l’ordre, les Sous-Préfet et les Préfets  ont aussi contribué à déstructurer et à rendre insignifiants et risibles de nombreux hommes politiques camerounais. C’est une grave erreur car une chose est certaine, c’est que le départ du Président Biya qui interviendra bien d’une manière ou d’une autre ne  trouvera de solutions de remplacement dans la personne d’un ancien responsable du Parti au pouvoir. C’est la fausse note qui est apparu ce soir après le départ de Ben Ali. Un ancien premier ministre ayant servi sous ses ordres lui succède. Au Cameroun, nous sommes un certain nombre qui depuis des années avons prôné le dialogue, la concertation, la négociation. Mais nous avons été tourné en dérision par le pouvoir qui n’a qu’un souci nous décrédibiliser en rependant sur nous de fausses rumeurs . Lorsqu’il n’y aura plus personne au Cameroun pour accepter de s’asseoir à une table pour résoudre les problèmes de confiscation de pouvoir, de séparation de pouvoir, de représentativité politique, de mauvaise gouvernance, d’injustice sociale, d’absence de redistribution des richesses, d’infrastructures, d’éducation et de santé alors nous serons proche de la violence. Lorsque tous les recours politique auront été épuisés nous entrerons dans la violence. Au PDC nous ne le souhaitons pas mais tout porte à croire que nous nous y acheminons.

Le désormais ex-président Ben Ali a pourtant tenu un discours d’apaisement jeudi avant de démissionner précipitamment vendredi dans des circonstances non encore élucidées. Le scenario vous surprend-il au vu des derniers développements de l'actualité dans ce pays du Maghreb?

Les hommes qui mettent des décennies au pouvoir développent un sentiment de puissance absolue, d’impunité et d’omniscience qui les pousse fatalement vers de graves erreurs de jugement. Ils sont incapables de faire des analyses justes et saines devant des situations pourtant évidentes pour des observateurs extérieurs. On se rappelle encore de cette fameuse phrase dans l’Histoire de France où Louis XVI pose la question à l’un de ses sujets : «  Qu’ est-ce donc ce vacarme ω Est-ce une émeute ω » et à son sujet de lui répondre : « Non Sire, il ne s’agit pas une émeute mais d’une révolution ». Les hommes qui s’éternisent au pouvoir finissent par croire qu’ils sont irremplaçables et invulnérables. Mais malheureusement pour eux, leur parcours s’achève souvent dans la débandade, la honte et l’humiliation. Le Maghreb qui est aux portes de l’Europe est encore plus conscient de ses insuffisances que ne peut l’être un Africain vivant à six mille kilomètres de Paris ou de Londres. La mondialisation n’est pas une vue de l’esprit au Maghreb , elle fait partie intégrante de leur quotidien sans que  les moyens leur soient donnés pour en jouir. L’Algérie est une bombe à retardement.

La révolution tunisienne pourrait-elle influencer d’autres pays d’Afrique et notamment le Cameroun qui se prépare à vivre une année 2011 sur fond d’élection présidentielle?

Mieux, faut-il craindre désormais l'effet d'entrainement sur le continent noir?

Ce qui vient de se dérouler en Tunisie devrait faire réfléchir tous les africains quel que soit le bord politique auquel ils appartiennent. Personne n’a vu venir la révolution tunisienne ayant abouti au départ de Monsieur Ben Ali le 14 Janvier 2011. Le peuple tunisien a été soumis à un seul et unique parti politique depuis 55 ans. Sans mot d’ordre, sans une seule arme, affrontant à main nue des forces dites de l’ordre, il a pu se libérer indépendamment d’une communauté internationale qui est restée politiquement et diplomatiquement inerte dans une prudente expectative .
Les indépendances nominales ont été accordées aux anciennes colonies d’Afrique dans des circonstances scabreuses et douteuses. Les indépendances de fait interviendront dans la douleur et le déchirement.

Quel rôle l’armée nationale doit-elle jouer en de pareilles circonstances et comment voyez-vous l’avenir proche de la Tunisie?

Par définition, un régime politique dirigé par le même homme, le même système pendant plus de deux décennies peut-être considéré comme dictatorial.
Toute dictature repose sur les deux piliers que sont la confiscation des médias et le contrôle des forces armées et polices ainsi que les fonctionnaires dits d’autorité que sont les sous-préfets, les préfets et les gouverneurs. En d’autres termes, il s’agit de bâillonner la presse et de pratiquer une coercition suffisante pour installer la peur et mettre les citoyens au pas. C’est ce qui est appelé le verrouillage d’un système politique. Le verrou posé sur ces structures [ medias, forces de l’ordre, administrateurs civils], pour les contrôler, n’est autre que l’argent. Le pouvoir dictatorial se structure pour empêcher l’indépendance financière des uns et des autres . Il s’organise pour rester le seul à financer ceux qui servent sa cause. C’est en d’autres termes, un clientélisme d’Etat. Une armée Nationale doit rester neutre et avoir pour seul intérêt la protection des institutions de la république et la protection de ses citoyens. Une armée Nationale n’est pas au service d’un homme ou d’un groupe d’hommes. Elle est au service de la Nation et de tous ses citoyens. Ce sont des principes fondamentaux connus et respectés par tous les soldats en république. Une succession ayant l’apparence de la légalité est intervenue aujourd’hui, elle ne peut-être que très brièvement transitoire. Toutes les familles politiques arbitrairement écartées du pouvoir doivent être appelées et associées pour construire une Tunisie nouvelle.

La France prend acte de la succession constitutionnelle en Tunisie. Pensez-vous que Ben Ali serait le bienvenue en hexagone s’il demandait l’asile politique en France?

Aux dernières nouvelles, Ben Ali n’a pas demandé d’Asile politique en France. Il a cependant été porté à notre connaissance que de prime abord la France, par la voix de son Président Nicolas Sarkozy , lui a refusé d’emblé tout asile sur son territoire. Alors que les africains sont divisés sur le rôle que joue la communauté internationale en Côte d'Ivoire actuellement, c’est la rue qui décide en Tunisie.

Comment appréciez-vous ces deux situations ?  Sont-elles complémentaires ou tout à fait contradictoire à votre avis?

Ces deux situations ne sont ni complémentaires ni contradictoires. La France depuis la perte de l’Algérie en 1963 s’efforce d’assurer par toutes les voies et autres  moyens son indépendance énergétique. Voilà pourquoi après la perte du pétrole saharien, elle va découvrir avec joie et bonheur le pétrole gabonais, le pétrole congolais et enfin le pétrole camerounais dont les puits sont entrain de tarir . La découverte du pétrole à San Pédro au large des côtes ivoiriennes, a suscitée la convoitise des grandes Nations. La France qui estime avoir un droit de préemption sur toutes ses anciennes colonies n’accepte pas la situation actuelle en Côte d’Ivoire. Ce n’est pas le cas de la Tunisie qui pour la France est une terre de « délocalisations » où des entrepreneurs français peuvent produire à faible coup ce qui leur coûterait cher sur le territoire français en tenant compte des coûts sociaux des salariés. Les frais de la distance vers l’Asie du Sud Ouest leur épargnés par la même occasion sans compter l’avantage de la langue commune. Le second intérêt de la Tunisie pour la France réside dans la capacité de la Tunisie sous Ben Ali à contenir  les islamistes sur son territoire. Comme le disait Charles De Gaule « la France n’a pas d’amis mais des intérêts ».

Un dernier mot à l’endroit des Africains et surtout à l'endroit des peuples frères de Tunisie et de Côte d’Ivoire?

La liberté ne se donne pas, elle s’arrache.. La France a arraché la sienne en 1789. Les américains en 1770. Et je terminerais par cette phrase d’Amilcar Cabral « la luta continua, vittoria e certa ».

© Camer.be : Interview préparée et soumise à Monsieur Louis Tobie Mbida par Hermann Oswald G’nowa pour la rédaction de Camer.be


18/01/2011
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