Liste électorale: Hilaire Kamga "la biométrisation n'a pas de base juridique"

Hilaire Kamga:Camer.beLa biométrie est tout-à-fait une chose indispensable dans le processus électoral camerounais qui reste minée par la récurrence de la fraude à répétition. Nous l’avons réclamée depuis des années, mais elle a des règles et il n’est pas question que la biométrisation à la Camerounaise vienne mettre entre parenthèses les commissions mixtes préparatoires qui sont pour nous au cœur du consensus politique obtenu difficilement en 1991 lors de la Tripartite (...)

En début d’année, vous vous félicitiez de la décision d’Élections Cameroon (Elecam) de privilégier la refonte du fichier électoral en lieu et place de la révision dudit fichier. Avec le récent lancement de la refonte biométrique vous devez être comblé ?

D’abord permettez-moi de faire une précision. Dire seulement que félicitais Elecam pour sa décision serait ne pas prendre en compte ce qui était notre revendication principale, aussi bien au niveau de la société civile, qu’au sein de la Dynamique Orange. Il vous souvient qu’à plusieurs reprises nous avons interpellé Elecam sur l’urgence de l’incontournable refonte des listes électorales au regard du chao organisationnel que le pays a connu en octobre 2011 et qui a conduit à l’installation de M. Biya Paul comme président une énième fois alors  même que tous les experts sérieux s’accordaient à affirmer qu’il n’y avait pas eu d’élections démocratique en ce moment là. Mais Elecam n’avait cesse de marteler qu’ils ne pouvaient et ne devait pas le faire. Mais quand le même ELECAM se rend à l’évidence et revient là-dessus, on ne se félicite pas de leur décision. On se félicite du fait que même sur le tard, cet organe  revient à la raison.

Maintenant que la refonte a été décidée et est désormais engagée, la question centrale est de savoir est-ce que l’on est dans un vrai processus de biométrisation au regard de tout ce qui se passe actuellement et surtout en considérant le fait que l’encadrement juridique de ce processus est inexistant : seule l’article 84 de la loi en fait mention de manière laconique d’ailleurs. En effet, l’on a commencé ce qu’on a appelé les « inscriptions biométriques » hier (ndlr le 03 octobre 2012), mais est-ce qu’on est bien dans un processus global de biométrisation susceptible de garantir une certaine transparence dans le processus électoral?  Nous convenons que c’est une bonne chose de constater  que la biométrie est déjà là. C’est un pas irréversible. A contrario, ceci suppose également que si on n’encadre juridiquement pas bien ce processus cela deviendrait plutôt un grand danger pour la transparence électorale au Cameroun. La biométrie pourrait se transformer en arme dangereuse permettant d’accroître la fraude électorale. Et c’est sur ce chantier que d’autres acteurs avertis et moi entendons travailler pour éviter une nouvelle supercherie. Ce que je vois sur le terrain risque justement produire cette supercherie surtout lorsque l’on combine ce constat avec la passivité quasi-déconcertante des acteurs politiques sur le terrain.

Lors de la concertation tripartite organisée par Elecam le 02 octobre au Palais des congrès, nous avons tous assisté à une démonstration d’inscription biométrique. Cette démonstration vous a-t-elle convaincu de la fiabilité de l’opération en cours ?

Nous remercions Dr Fonkam Azu’u, le président du Conseil électoral de se conformer régulièrement à cette démarche de concertation et de nous y convier.  Je ne saurai ne pas préciser ici qu’il a régulièrement montré sa détermination à contribuer à des élections à forte participation populaire. . Mais au sujet de la démonstration à laquelle vous faites allusion, il faut se rappeler que ce n’était que l’une phase de la biométrisation, parmi les deux, qu’ils nous ont présenté. Il faut qu’on arrête de faire croire aux Camerounais que cette phase qu’est l’enrôlement des électeurs résume toute la biométrie électorale. On ne serait pas dans un processus de biométrisation si elle s’arrêtait seulement à l’identification des électeurs. Au Palais des Congrès, lors de la Concertation Nationale entre les acteurs du processus électoral, Le Dr Taddeus Menang, a fait une bonne présentation de la phase d’identification. Mais il n’a pas cru nécessaire de rappeler que la phase de l’authentification devrait aussi  concerné le processus biométrique. Or pour que nous puissions être rassurés sur le processus global, nous devons aussi être rassurés sur le processus d’authentification qui se passe dans les bureaux de vote. Si le processus n’est pas global, il peut avoir des fraudes dans cette deuxième phase. La biométrie suppose qu’on identifie et après on authentifie pour vérifier que ceux qu’on a identifié au départ sont bien les mêmes qu’on authentifie le jour de l’élection. Elecam aurait bien pu nous faire cette démonstration pour mieux rassurer les citoyens sur la fiabilité du dispositif. Nous restons donc sur notre faim dès lors certaines questions centrales sont restées sans réponses. Par exemple, outre le matériel d’identification qui a servi à la démonstration, est-ce que le matériel d’authentification dans les bureaux de vote est disponible et peut-on attester de sa fiabilité? Si oui, comme ça va cette authentification  va se dérouler dans lesdits bureaux de vote  et qu’elle est la place des commissions locales de vote dans ce dispositif?

L’autre aspect du problème est purement juridique. Toute la démonstration qui a été faite m’inquiète énormément. Autant techniquement je suis d’accord avec Elecam sur ce qui a été présenté pour la phase d’identification, autant je reste perplexe. Perplexité qui impose la question suivante : Quelle est la base juridique de tout ce processus  clairement expliqué par le « Monsieur Biométrie » d’Elections Cameroon ? Il n’y a pas de base juridique.  Pourtant nous parlons bien de la dévolution du pouvoir, qui présuppose que l’ensemble de ceux qui vont donner leurs voix, ou mieux qui vont transmettre leur voix, doivent participer à la construction du cadre juridique approprié  qui, dans le cas d’espèce est la loi électorale. Or nous n’avons donné mandat à personne pour créer intuitu personae un cadre réglementaire particulier pour la biométrie, cadre qui de surcroit met les Commissions Mixtes préparatoire entre parenthèse.
On nous dit « on va venir enregistrer un électeur, on va prendre des données dans un flash disc qu’on va aller déposer quelque part, essayer de centraliser, etc » Mais ce « on » n’est qu’une personne ou du moins l’agent d’Elecam. Nulle part, il n’apparaît l’intervention fondamentale des commissions mixtes qui sont, de notre point de vue, au cœur du consensus politique des années 90 et qui restent – même si je suis contre les dispositions du texte appelé code électoral parce qu’il n’est pas opérationnel mais puisque c’est devenu une loi en attendant qu’un jour M. Biya se rende à l’évidence que cette loi n’est pas opérationnelle. Les simples dispositions de cette loi électorale ne sont pas respectées dans ce processus dès lors que les commissions mixtes de révision doivent être au cœur de tout le processus de biométrisation. Pendant toute la démonstration faite par Elecam, on a même pas cru devoir, ne serait que pour faire bonne figure, demander aux leaders des  deux ou trois partis présents  d’envoyer leurs représentants  s’assurer du dispositif de biométrisation. Tout cela tend à montrer à l’opinion qu’Elecam est le seul organe responsable de la biométrisation sans égard pour les commissions qui sont d’ailleurs prévues par la loi, faisant obligation à Elecam d’inscrire en relation avec celles-ci. Je suis entrain de finaliser un message à l’adresse des dirigeants du Conseil électoral pour les interpeller sur leurs responsabilités.

Le plus grave est que justement dans cette même salle du Palais des congrès, le Directeur Général des Elections d’Elecam (DGE) a essayé de nous faire croire qu’il est dans son droit d’ignorer la loi électorale. Il l’a fait comprendre, de façon officielle que la loi électorale n’est pas le seul cadre et qu’on peut laisser la loi de côté en fonction de l’urgence dès lors qu’une autorité qui est investie d’un pouvoir républicain peut agir en dehors de la loi. Il a pour cela rappelé que le Contrat qu’il a passé avec l’opérateur de la biométrie était pour lui une loi au même titre que le code électoral. Et que par ce que ce contrat prenait fin en février, il a fixé l’arrêt des inscriptions au 28 février même si le code électoral lui prescrit le contraire.
 Après une telle déclaration, il n’y a pas eu une mise au point de la part des hauts responsables du Conseil Electoral présents qui étaient sur l’estrade de la Concertation avec lui. Au contraire ! Cela veut dire que cette perception de l’opérationnalisation d’Elecam dans un cadre illégal est acceptée par le Conseil Electoral. Or l’article 10 du document qu’on appelle aujourd’hui le Code électoral Camerounais – que je ne considère pas comme tel comme je l’ai dit tantôt – dispose  que la mission principale du Conseil est de veiller au respect de la loi électorale. Le législateur dans les textes, n’a pas cru devoir admettre la possibilité que d’autres sources de production du droit électoral, à l’instar des humeurs d’une autorité d’Elecam puissent créer le droit. Les humeurs ne créent pas le droit. Le directeur général des élections ne crée pas le droit électoral, il applique le doit électoral et peut initier des actes règlementaires d’application, mais pas substitution. Il me semble que cette compréhension n’est pas celle partagée par monsieur le directeur général. Sa compréhension toutefois semble être tolérée par le Conseil électoral ce qui est très grave, non seulement pour la crédibilité d’Elecam, mais pour celle de l’ensemble de notre processus démocratique. De ce point de vue, il est important que l’ensemble des acteurs demandent au Conseil électoral de se rassurer qu’il a bien compris sa mission, c’est-à-dire celle de veiller au respect de la loi électorale et qu’il ne leur revient pas de créer le droit électoral ou de tolérer que le DGE s’arroge ce pouvoir qui revient exclusivement au législateur et dans une certaine mesure au juge électoral pour ce qui est des sources jurisprudentielles de production du droit électoral.

Justement en parlant de la loi électorale, certains leaders politiques estiment que l’application en l’état de la biométrie dans la refonte des listes électorales est hors la loi. Vous le soulignez également à l’instant. Mais pensez-vous qu’il y a une volonté délibérée d’Elecam de violer la règle du jeu ?

La biométrie est tout-à-fait une chose indispensable dans le processus électoral camerounais qui reste minée par la récurrence de la fraude à répétition. Nous l’avons réclamée depuis des années, mais elle a des règles et il n’est pas question que la biométrisation à la Camerounaise vienne mettre entre parenthèses les commissions mixtes préparatoires qui sont pour nous au cœur du consensus politique obtenu difficilement en 1991 lors de la Tripartite. La décision N°549 Elecam/GE du 27 septembre 2012  explique comment la biométrisation devrait se faire. Mais cette décision elle-même est totalement illégale. Commençons d’abord par ses visas. Ils sont insuffisants pour justifier le texte. Deuxièmement dans ce texte, l’article premier de ce texte qui fixe la période de refonte  à 05 mois laisse constater  que Monsieur le directeur général d’Elections Cameroon s’octroie des pouvoirs qu’il n’a pas. En effet, le DGE ne peut pas, par acte règlementaire réduire la période d’inscription qui est des 8 mois conformément aux articles 74 et 75 de la loi N° 201/001 du 19 avril 2012. La compétence de la réduction de cette période n’étant donné qu’au Président de la République qui pourrait mettre fin aux inscriptions en signant son décret de convocation du Corps électoral.  L’alinéa 2 de ce même article 1 de la décision du DGE laisse entrevoir une posture de magnanime qui pourrait accorder aux camerounais un supplément de 30 jours après le 28 février. C’est une prétention simplement inacceptable en République.  Il est bon qu’il soit rappelé au DGE qu’il n’a aucun droit de piétiner la loi électorale, et que contrairement à ce qu’il a prétendu lors de la concertation nationale,  le contrat qu’il a signé avec l’opérateur allemand de la Biométrie est certes , au sens du droit administratif, une loi entre les parties, un contrat administratif, mais ce n’est aucunement une loi nationale susceptible  de permettre un contournement de la loi électorale qui dans ce cas emporte le caractère de loi de portée générale..
 
Par ailleurs, il est important de rappeler au DGE que son texte viole aussi le principe d’égalité telle que contenu dans notre constitution. Or la violation de ce principe élimine toute possibilité de qualifier ex-post les élections de «juste » et donc de démocratique. En effet, à partir de l’instant où une borne supérieure est fixée pour les inscriptions (un délai) il n’est pas admissible que l’on précise dans un texte réglementaire que les citoyens des Chefs lieux de communes disposent plus de temps pour s’inscrire que ceux des autres localités. S’il y a une date butoir, tous les citoyens doivent disposer des mêmes temps pour s’inscrire, et pour cela Elecam devait être prêt à procéder aux inscriptions partout avant de lancer l’opération.

Enfin, la question cruciale des Commissions Mixtes doit être clairement traitée par l’ensemble des acteurs au processus électoral. La biométrie sera une vaste escroquerie si les commissions préparatoires ne sont pas impliquées à toutes les phases du processus de biométrisation. Et je tiens à rappeler au Conseil Electoral que les Commissions prévues à l’article 51 de la loi électorale (et non 54), n’effectue un pas contrôle à postériori, mais bel et bien un contrôle à priori.  Il revient donc à ce conseil de s’assurer que la DGE donne bien à ces commissions mixtes la place qui est la leur, et qui seule garantie la transparence du Processus. La décision N° 0549/Elecam/DGE du 27 septembre 2012 est illégal et le Conseil électoral qui veuille au respect de la loi électorale doit absolument demander au DGE de corriger cette faute grave.

© Source : La Nouvelle Expression


10/10/2012
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