Limogeage du Père Lado : l’épiscopat kamerunais au service du pouvoir néocolonial


Abanda Kpama:Camer.beLe limogeage du père jésuite Ludovic LADO de son poste de vice-doyen de la faculté des sciences de gestion de l’Université Catholique d’Afrique Centrale et son affectation punitive à Dabou en Côte d’Ivoire, pays en guerre et où règne une grande insécurité, ont donné lieu à une passe d’armes très médiatisée entre les milieux intégristes bamilékés d’une part et de l’autre, les intégristes anti-bamilékés dont un bon nombre se recrute dans la hiérarchie des églises chrétiennes et les exécutifs de certains partis politiques.

L’utilisation que l’un et l’autre camp de tribalistes et crypto-tribalistes ont fait du limogeage du père LADO, donne une claire image des relations incestueuses et clientélistes que l’épiscopat kamerunais et certains intellectuels autoproclamés, représentants de tel ou tel de nos peuples, entretiennent avec le pouvoir néocolonial et la bourgeoisie de notre pays.

En d’autres termes, ces composantes influentes de notre tissu social s’accaparent de tout conflit ou litige social pour donner une signification ethnique, faisant sciemment fi d’une analyse des rapports de force qui caractérisent les luttes sociales qui se déroulent dans notre pays. Ce faisant, l’épiscopat kamerunais qui récidive, apporte une fois de plus son soutien à la politique gouvernementale de discrimination et de répression de tout esprit critique. L’épiscopat kamerunais n’a pas bonne presse dans les milieux progressistes et nationalistes kamerunais, en raison de sa longue collaboration avec le régime néocolonial. Déjà à l’époque coloniale, le colon s’est servi de l’influence du clergé pour piéger les nationalistes ; certains membres du clergé catholique servaient comme collaborateurs de l’armée coloniale qui décimaient les populations en pays bassa. Après les indépendances, les Kamerunais se souviennent que c’est en 1970, avec l’arrestation d’Ernest OUANDIE, le dernier chef historique de l’UPC et de Mgr Albert DONGMO, l’évêque de Nkongsamba, localité qui servait de base arrière aux nationalistes de l’UPC, c’est avec ces arrestations que les Kamerunais découvrirent la collusion entre le pouvoir d’AHIDJO, le dictateur sanguinaire et les évêques de l’église catholique. Mgr DONGMO avait accepté de servir de médiateur entre OUANDIE et AHIDJO. Très vite, il fut ébloui par la personnalité du chef upéciste et ne respecta plus la promesse faite au dictateur de ramener OUANDIE sur le « droit chemin », c'est-à-dire dans le reniement de son combat. L’étau se referma sur Mgr DONGMO et c’est sans surprise qu’il fut arrêté en même temps que le leader upéciste. On attendait de l’épiscopat kamerunais qu’il prenne position pour la libération de leur confrère. C’est exactement le contraire qui se produisit. Mgr ZOA, archevêque de Yaoundé, capitale du Kamerun, prit la parole pour se désolidariser de l’évêque de Nkongsamba et apporter son soutien au dictateur. Aucun évêque du Kamerun ne dénonça le forfait d’AHIDJO. Ce silence fut interprété par AHIDJO comme un soutien de fait de l’épiscopat et le dictateur en profita donc pour faire prononcer de lourdes peines contre ses otages.

Depuis cette lointaine époque et jusqu’à nos jours, l’épiscopat kamerunais s’est souvent distingué par des prises de position en soutien à la politique gouvernementale. Le sentiment est fort, chez nombre de Kamerunais, que les évêques kamerunais sont conservateurs,  englués dans la recherche des honneurs et des biens et complices, pour la quasi-totalité d’entre eux, de la politique gouvernementale. Au lieu d’être les défenseurs des pauvres, des faibles et des marginalisés, l’épiscopat kamerunais a plutôt choisi de servir César.

C’est donc ce soutien « indéfectible » au prince qui amène certains prêtres à se révolter et à rappeler aux évêques leur mission première. Le Père Ludovic LADO, à la suite du Père MVENG, célèbre jésuite comme lui, à la suite de l’Abbé Jean Marc ELA et d’autres, a donc rompu le silence et interpellé les évêques à propos de leur silence complice sur la gestion du pays. Ce sont notamment ses prises de position et ses initiatives de sensibilisation sur le Code Electoral, qui ont signé son arrêt de mort. Le problème, réel ou non, des quotas à l’UCAC a juste servi de prétexte au régime pour ordonner à Mgr TONYE BAKOT de licencier le Père LADO ! La fuite, bien orchestrée, du rapport adressé à Mgr TONYE BAKOT, est très probablement partie du Cabinet Civil. Comme on peut donc le constater, ce n’est pas la tribu du Père LADO qui a motivé son limogeage. MVENG, Jean Marc ELA, MBASSI, n’étaient pas bamiléké. Ils ont pourtant subi pire. Les cris d’orfraie que pousse une centaine intelligentsia bamiléké et qui sont abondamment relayés dans la presse donnent à penser que le Père LADO est persécuté en raison de son origine ethnique. Ce faisant, cette intelligentsia sert paradoxalement les intérêts du régime. Pour le pouvoir, c’est du pain béni : transformer un limogeage politique en conflit tribal, quelle belle affaire. Mais l’intelligentsia bamiléké est-elle si naïve ? En se faisant volontairement piéger, elle donne des gages à la bourgeoisie bamiléké. Le message est clair : nous défendons vos intérêts en donnant de la voix dans les débats qui ont cours sur tout ce qui touche à l’élite de notre région, semble dire l’intelligentsia. Cette dernière joue les défenseurs dans le match que se livrent les différentes bourgeoisies de notre pays pour le contrôle des richesses et du pouvoir politique. Ces combats entre intégristes et tribalistes bamiléké d’une part et intégristes et tribalistes anti-bamiléké d’autre part, dont la finalité est le marchandage des parts du gâteau politique et économique national, a certainement un intérêt pour les classes économiques et politiques qui dirigent le pays ; il n’intéresse le peuple kamerunais que dans la mesure où on essaie de l’instrumentaliser alors que dans le fond, 90% de notre peuple partage les mêmes conditions de vie, c’est-à-dire la pauvreté, le désespoir, la marginalisation et l’injustice. Et c’est parce que le Père LADO a entrepris de défendre les damnés du Kamerun qu’il a été limogé.

© alternative-revolutionnaire.blogspot.be : Abanda Kpama, Président du Manidem


31/10/2012
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