Lettre ouverte à l’Ordre des médecins

Mardi, 29 Novembre 2011 08:27 Cilas Kemedjio

Cilas Kemedjio. L’Ordre s’offusque de la multiplication des Ipes en charge de la formation médicale. Un universitaire camerounais, traite leur démarche de « faux combats », et l’assimile  à une manœuvre de « nouveaux tirailleurs »
 
Monsieur le Président de l’Ordre des Médecins du Cameroun, 
Les tirailleurs sénégalais, autrement dit les indigènes recrutés de gré ou de force dans l’armée coloniale française, avaient la réputation de tirer toujours à côté de leur cible. 
Le véritable ennemi du colonisé est le colonisateur qui le prive de sa liberté et de sa dignité humaine. Aller par conséquent se battre contre les Allemands lors des guerres mondiales, contre les Algériens ou des Camerounais qui revendiquaient leur indépendance constitue un combat déplacé. 
 
L’ordre des médecins, dans tous les pays du monde, a une double mission. Il assure la défense de ses membres tout en se portant garant du respect par ceux-ci de la déontologie et de l’éthique professionnelle. Sous certains cieux, l’ordre a aussi une mission de certification. Elle assure cette fonction à travers l’organisation des examens déterminant l’entrée dans la profession. Sans prétendre être un spécialiste de l’Ordre des médecins du Cameroun, je crois savoir que la fonction de certification relève de l’État qui valide les diplômes, l’ordre ayant la responsabilité de veiller au respect de la déontologie. La sortie médiatique dans laquelle vous vous battez contre les lois de la République et les institutions privées engagées dans la formation des médecins se trouve en dehors de la charte qui fonde l’existence de votre organisation. Vous et vos collègues, par rapport à la noble mission qui devrait être au centre de vos préoccupations, avez tout l’air des tirailleurs d’un autre âge. 
 
La présente intervention a pour objectif de démontrer l’incohérence de votre démarche et d’analyser pour le public ce que peuvent être les véritables enjeux de votre prise de parole. Je voudrais surtout rappeler pour mémoire que l’Ordre des médecins, sans qu’on ne sache trop pourquoi, s’était déjà invité dans cette bataille quelques années plus tôt. Il s’agissait encore du temps où certaines des institutions privées se battaient pour obtenir des instances de régulation les autorisations administratives nécessaires à leur fonctionnement. La bataille préventive n’ayant pas réussi à tuer la poule dans l’oeuf, les forces de l’ombre reviennent aujourd’hui à la charge à travers une démarche qui vise clairement, par des approximations, des contre-vérités et un discours rétrograde, à dénigrer ces institutions. Les médecins qui ont pris part aux travaux de l’Assemblée générale nous rapportent que les résolutions des travaux en commission ont été lus dans la précipitation. Elles ont été approuvées par acclamation, sans aucun débat. L’absence des pratiques démocratiques laisse planer le doute sur la véritable adhésion des médecins aux propos que vous leur faites endosser dans la presse. La langue de bois et  les envolées diffamatoires ne peuvent pas se substituer à une démarche scientifique, rationnelle et méthodique qui aurait dû être celle d’un ordre professionnel.
 
La présomption d’incompétence 
Votre argument décisif repose sur une présomption d’incompétence qui caractériserait l’offre de formation relevant du secteur privé pendant que la présomption de compétence serait l’apanage exclusif de l’État ou des institutions publiques. 
 
 Monsieur le Président de l’Ordre, 
J’espère que vous ne nous invitez pas aussi à vous présumer d’impéritie, vous et votre clinique puisqu’il s’agit aussi d’une initiative privée. Le Collège Vogt de Yaoundé est l’un des établissements les plus recherchés par les parents. La côte du Collège Libermann de Douala est en constante hausse sur le marché des valeurs académiques tout comme l’est celle du Collège Jean Tabi de Yaoundé. Au niveau de l’enseignement post-secondaire, l’Université Catholique d’Afrique Centrale est devenue, en quelques années, la destination privilégiée pour les futurs gestionnaires. Et il se dit que les entreprises recherchent particulièrement les produits de cette institution. Leurs contributions au développement du Cameroun méritent d’être saluées par toute personne qui a quelque intérêt dans l’épanouissement de la nation. Les institutions que je viens de citer ont toutes la particularité d’être affiliées à des dénominations religieuses. Il fut un temps, sous d’autres cieux, où les congrégations religieuses étaient bannies du champ de l’éducation. 
 
Le rôle prépondérant de l’État, dans le domaine de l’éducation, est relativement récent. Si on prend l’exemple de la France qui a une forte influence dans le cas camerounais, les batailles homériques qui ont conduit à une massive implication de l’État dans le système éducatif remontent à la révolution française. Jusqu’à cette date, l’église catholique avait sinon le monopole, du moins une place dominante dans l’éducation. Les batailles pour le contrôle de l’éducation devinrent le lieu par excellence de confrontations entre les partisans de l’Église et de la monarchie d’une part, et de l’autre les défenseurs de la Révolution. La marginalisation des congrégations religieuses n’était pas une question de compétence. Elle avait pour véritable enjeu la bataille entre les monarchistes réactionnaires et les héritiers des idéaux de fraternité et d’égalité. L’État Français, assumant sa mission d’éducation, accompagne désormais l’enseignement privé et confessionnel par des subventions. La pacification des relations entre l’Église catholique et la République s’est faite au nom de l’intérêt général. Dans la tradition anglo-saxonne et plus notamment en Grande-Bretagne et aux États-Unis, le rôle de l’État dans l’éducation est prépondérant. Toutefois, du primaire à l’Université, les écoles les mieux réputées sont contrôlées par le secteur privé. Et c’est dans ces institutions que l’aristocratie ou la bourgeoise assure sa reproduction sociale. La présomption de compétence ou d’incompétence ne recoupe pas nécessairement les lignes de démarcation entre l’Etat et le privé. 
 
La campagne médiatique que vous menez au nom de votre association a tout l’air d’une anomalie qui ne cadre ni avec l’histoire de l’éducation au Cameroun ni avec les orientations stratégiques qui semblent régir l’action du gouvernement. L’État camerounais semble avoir adopté aussi, au nom de l’impératif de démocratisation de l’accès à l’éducation, une politique de coopération avec les acteurs privés et confessionnels. C’est dans cette optique que l’État accordait des subventions à l’enseignement privé. Il s’agit là d’une reconnaissance du rôle fondamental de l’initiative privée dans le développement de la nation. Une seule main n’attache jamais le colis. Cette sagesse ancestrale invite à la fédération des énergies qui fonde aussi le principe de l’unité nationale. Les querelles qui chercheraient à opposer les initiatives d’origine étatique aux entreprises impulsées par la société civile constituent une pure diversion, une bataille d’une autre époque. L’impératif catégorique qui unit les uns et les autres demeure l’amélioration de la santé du plus grand nombre des Camerounais(e)s. 
 
Honneur au serment d’Hippocrate 
Je voudrais, Monsieur le Président de l’Ordre, vous inviter à faire honneur au serment universel d’Hippocrate qui constitue la feuille de route éthique de chaque médecin. Ce serment a certes évolué depuis son adoption par les écoles de médecine. Toutefois, l’esprit demeure, comme l’illustre le serment adopté par le Canada depuis 1982, la mise de la médecine au service du bien collectif: “Je prends acte de ce que la Médecine devient de plus en plus sociale à la fois parce qu'elle a pour destinataire la collectivité humaine tout entière et parce qu’elle peut désormais être exercée sous des formes non individuelles. Si je ne pratique pas moi-même ces formes sociales et collectives de l'exercice de mon Art, JE JURE de ne pas entrer en lutte contre ceux qui les auront choisies. Qu'à la fin de ma vie, je puisse me dire que je n'ai jamais enfreint ce serment.” Monsieur le Docteur, je vous invite à honorer le serment d’Hippocrate en vous engageant dans les combats qui font sens. J’aimerais savoir ce que les professionnels de la médecine proposent pour lutter contre les pandémies du paludisme, du sida ou des accidents de la route qui représentent de véritables calamités mettant en péril la santé publique au Cameroun. L’intrusion anarchique des charlatans de tous ordres qui sont nombreux dans vos rangs constituent un autre danger pour la santé publique. Face à l’épidémie de diabète qui ravage le Cameroun, les profanes que nous sommes attendent que les praticiens, forts de leur expertise et de leur expérience dans le traitement des patients, apportent leur contribution aux solutions qui pourraient permettre de résorber ce défi, au niveau de la prévention et du traitement. Sur ces questions comme sur d’autres, on ne peut pas accuser votre Ordre d’avoir fait preuve d’un activisme particulièrement visible sur la scène médiatique. En d’autres termes, l’Ordre a une place privilégiée dans le débat sur la santé publique. La défense de l’intégrité de la santé publique est une cause légitime. 
 
L’Ordre mutin 
Au lieu de cela, vous vous rendez coupable de subversion, si nous prenons ce mot dans son acception primitive d’ « action visant à renverser ou à contester l'ordre établi, ses lois et ses principes ». La République du Cameroun, agissant à travers sa représentation nationale et son gouvernement, dépositaire du pouvoir exécutif, a mis en place un cadre réglementant la formation du personnel médical. Les ministères de la Santé Publique et de l’Enseignement Supérieur ont la charge de faire appliquer cette loi de la République dans le souci de la préservation de l’intérêt général. L’Ordre doit son existence à l’action conjointe du législatif et de l’exécutif. En s’insurgeant contre des actions sanctionnées par les pouvoirs législatif et exécutif, il se place d’emblée dans la subversion des lois et règlements de la République. La formation des médecins est placée sous le contrôle technique de deux ministères de la République : la Santé Publique et l’Enseignement Supérieur. Vous insinuez que ces ministères sont incapables de superviser les établissements de formation, mettant la santé des Camerounais en danger. En termes clairs, il s’agit d’une mutinerie perpétrée par un ordre corporatiste pour des raisons inavouables. En s’attaquant au processus de formation, vous les accusez implicitement d’incompétence. Mais comme le ridicule ne tue jamais au Cameroun, la nationalisation de la formation ne pourrait se faire que sous la tutelle du gouvernement de la République. Il existe là une incohérence systémique. Si l’ordre répudie les mécanismes de gouvernance de la République du Cameroun, nous lui suggérons de s’auto dissoudre parce qu’il procède lui-même de cette même démarche républicaine. L’existence des instituts de formation qui sont visés par la campagne médiatique et l’Ordre procède des lois et des règlements de République. L’Ordre peut exprimer son opinion sur la formation des médecins, mais il n’a ni qualité et encore moins le pouvoir de contester l’existence des structures autorisées par les lois de la République. Et si jamais il choisissait de le faire, l’intimidation publique et la diffamation sont certainement des armes les moins appropriées. 
 
En clair, Monsieur le Président de l’Ordre propose comme solution à ce qu’il perçoit comme les manquements des instituts privés une nationalisation de la formation. La nationalisation prendrait la forme d’une restauration du monopole exclusif de l’État dans la formation des médecins. Le projet est beau, disons même qu’il est sublime. L’État que vous accusez d’incompétence retrouve subitement son crédit. Vous affirmez que l’atout le plus important de l’État, c’est que les bâtiments existent. Je suppose aussi que vous présumez que l’État pourra réunir ce que vous appelez “un corps enseignant autonome”. En 1993, au moment de la création de nouvelles universités au Cameroun, l’Université de Yaoundé accusait un déficit de plus de 1000 enseignants. La création de nouvelles universités a aggravé le problème de la carence des enseignants. L’inflation des effectifs du CUSS (FMSB de l’Université de Yaoundé 1) et l’arrivée de nouvelles écoles de médecine sur le marché de la formation contribuent à aggraver la situation. La question qui vaut la peine d’être posée est donc de savoir si le Cameroun dispose d’assez de ressources humaines pour assurer une formation dans les normes internationalement requises. Les professeurs de médecine, de pharmacie ne sont pas inventés par des décrets administratifs. Les pays comme les États-Unis d’Amérique ont massivement recours aux étrangers pour faire fonctionner leurs universités. Dans un pays comme le Cameroun, la carence est encore plus criarde. Vous semblez, à partir de la présomption d’incompétence que vous établissez arbitrairement contre les institutions privées, penser que la seule légitimité vient du décret, véritable sésame qui confère compétence, et peut-être, le droit de nuire. Cette croyance aveugle au décret vous conduit à remettre en cause la compétence des professionnels frappés par la retraite administrative. La retraite administrative n’est ni une sanction, ni une attestation d’incompétence. À travers le monde, les entreprises, les universités, les ministères font d’ailleurs appel au savoir de leurs retraités pour servir de consultants dans des domaines stratégiques. 
 
Pour des critères d’évaluation applicables à tous les médecins 
Le Ministère de l’Enseignement Supérieur a proposé aux nouvelles institutions de signer des conventions avec des établissements publics ayant plus d’expérience et susceptibles de les accompagner vers leur maturation académique. C’est dans ce cadre que les pharmaciens formés au Cameroun par le privé, à l ’Université des Montagnes (UdM) en l’occurrence, ont été dûment soumis à un examen organisé par la Faculté de Médecine de l’Université de Yaoundé I qui eut recours à l’expertise de l’Université de Montpellier, France. Tout en saluant cette démarche, nous la percevons comme transitoire. En effet, à terme, il serait souhaitable de soumettre tous les candidats à l’exercice de la profession de médecine à un examen unique et standardisé. En effet, demander à l’Université de Yaoundé I de valider les diplômes décernés par une institution privée reviendrait en quelque sorte à demander au Lycée Leclerc d’homologuer les résultats du Collège Vogt. Et si on poussait ce scénario à sa limite, les élèves formés dans les lycées, émanation de la puissance publique, seraient dispensés de l’examen du baccalauréat qui seraient réservé aux seuls élèves de l’enseignement privé ou confessionnel. L’exemple américain pourrait fournir, non pas une solution, mais des pistes de réflexion. Tout prétendant à l’exercice de la profession de médecin aux États-Unis d’Amérique est soumis à un examen universel organisé par l’Ordre des médecins. Chaque État dispose ainsi de son « Medical Board », puisque c’est son nom, qui a une fonction de certification et de préservation de la déontologie professionnelle. Les étudiants formés dans les écoles de médecine américaines prennent l’examen de certification tout au long de leur cycle de formation. À la fin de leur formation, c’est-à-dire quand ils reçoivent leur diplôme de fin d’études, ils prennent l’examen qui leur ouvre les portes de la profession. Les médecins formés à l’étranger sont soumis au même examen. Il existe ainsi des standards universels. Au Cameroun, les médecins sont formés dans des traditions académiques et cliniques différentes. Une possibilité que les professionnels du secteur pourraient explorer serait de voir s’il est possible, ou préférable, d’instituer des standards qui s’appliqueraient à tous et à toutes. Une telle option aurait l’avantage de mesurer les uns et les autres sur la base d’un examen unique. Tout en reconnaissant la pertinence des choix actuels, nous suggérons que les différents acteurs de l’offre de formation médicale prennent en considération ces propositions dans leurs délibérations. 
 
La sortie du maquis 
Monsieur le Président, 
C’est en lisant l’intervention du Ministre de l’Enseignement Supérieur dans Cameroon Tribune que votre intervention fait sens. On comprend finalement que votre discours apparemment absurde, cache en réalité une guerre que votre Ordre entretient depuis la nuit des temps contre l’Université des Montagnes (UdM). Il importe donc de vous demander si l’Ordre des Médecins du Cameroun s’est mué en lobby anti-UDM ou si des forces occultes qui ont juré la perte de cette institution se sont emparées de l’Ordre pour accomplir leur sinistre objectif. Au-delà de la clarification que les interventions contradictoires apportent à cette question, nous aimerions que les masques tombent. Il est temps, dans le double esprit de manifestation de la vérité et du respect de la transparence qui devrait caractériser toute société démocratique, de jouer franc jeu. Mettons donc le débat sur la place publique puisqu’il s’agit essentiellement d’une question de santé publique. En quoi l’initiative de l’UdM vous gène-t-elle, vous et vos soldats d’arrière garde ? Pourquoi l’UdM vous fait-elle peur ? 
 
L’Ordre des médecins a pour mission d’assurer le respect de la déontologie professionnelle dans ses rangs. Sous d’autres cieux, l’ordre met à la disposition du public la liste des médecins sanctionnés pour des manquements disciplinaires et/ou déontologiques. La publication de la liste permet de protéger le public contre les médecins véreux. Si jamais une telle liste existe dans vos archives, pourrait-on avoir une idée du pourcentage des médecins formés dans les institutions privées qui ont été sanctionnés? À partir de vos préjugés contre ces institutions, pouvez-vous leur garantir une impartialité au cas où des plaintes fondées ou infondées venaient à être portées contre eux? 
 
En lisant vos interventions et la réponse du ministre de l’Enseignement supérieur dans la presse, les enjeux du débat se précisent. Vous endossez la tunique rétrograde du conformiste sclérosé qui refuse de vivre avec son temps. Le ministre de l’Enseignement Supérieur émerge comme le défenseur de l’intérêt public qui, dans le cas précis, se traduit par l’impératif de répondre à la carence du personnel médical en créant un environnement compétitif. Il s’agit là d’une vision qui, une fois n’est pas coutume, inscrit notre République dans le sens du monde contemporain. Vous et votre ordre avez préféré la langue de bois qui fait le lit des déclarations démagogiques. Les débats sur la configuration des processus de formation reflètent souvent les batailles politiques, idéologiques qui déterminent la distribution du pouvoir et des ressources dans une société. Votre appel à un monopole de l’État dans la formation des médecins ne saurait échapper à cette logique. Il ne s’agit point d’une consécration de la puissance publique comme acteur unique dans le secteur de la médecine. En effet, vous exercez, comme du reste plusieurs de vos collègues, en clientèle privée, entrant directement en concurrence avec les hôpitaux publics. Si jamais l’Ordre prévalait dans ce débat, L’État camerounais serait instrumentalisé par des forces occultes pour neutraliser, saboter ou éradiquer le droit à l’initiative de certains acteurs de la communauté nationale. Les actions hostiles voire carrément malveillantes contre l’initiative privée relève en effet d’une parfaite conspiration entre l’Ordre des médecins et certains des membres de son directoire qui occupent des postes stratégiques dans les institutions publiques. Sortez totalement du maquis s’il vous plaît et expliquez-vous sans faux fuyant. Comme dirait l’autre, nous sommes en démocratie et notre pays ne peut qu’y gagner. 
 
*Professeur 
University of Rochester, New York 
cilaskemedjio@rochester.edu


29/11/2011
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