Lette de Belinga Eboutou à Bechir Ben Yahmed: "Le Cameroun n'est pas un «lion endormi»"

Monsieur le Directeur,La teneur des articles de MM. François SOUDAN et Alain FAUJAS dans votre numéro 2614 nous a fortement surpris.  Dès lors, il apparaît difficile de porter un jugement équitable sur notre politique de développement.Permettez-moi de relever, pour le souligner, que le Cameroun ne me semble pas être ce « lion endormi» que MM SOUDAN et FAUJAS ont peut-être un peu hâtivement dépeint.

 

Yaoundé, le 28 février 2011
Monsieur Bechir Ben YAHMED
Directeur de publication
Jeune Afrique
57 bis, rue d'Auteuil
75016 PARIS
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Monsieur le Directeur,

La teneur des articles de MM. François SOUDAN et Alain FAUJAS dans votre numéro 2614 nous a fortement surpris. Jeune Afrique nous avait habitués à plus de mesure et, j'ose le dire, d'objectivité. L'enquête qu'auraient menée les deux journalistes se proposait, semble-t-il, de répondre à la question: Comment va le Cameroun? Mais la réponse ne se trouvait-elle pas déjà dans le sous-titre de couverture: «le pays de Paul BIYA peine à sortir de sa torpeur politique, économique et sociale ».

Laissez-moi passer rapidement en revue les principaux arguments développés par vos deux journalistes. S'agissant de la prochaine élection présidentielle, «les jeux sont faits », selon M. SOUDAN, et l'actuel Chef de l'Etat devrait l'emporter sans problème. L'opposition serait « résignée» et l'abstention pourrait être la seule véritable surprise. Comment échafauder de telles hypothèses à plus de six mois de la date du scrutin alors que la liste des candidats n'est pas connue et que les partis politiques n'ont pas encore manifesté leurs intentions?

Le même journaliste évoque également la «succession» du Président de la République et cite à ce sujet les noms de quelques supposés «dauphins », ce qui ne peut évidemment qu'embarrasser les personnalités en question qui bénéficient de la confiance du Chef de l'Etat. Et que dire de l'ambiance forcément délétère qui pourrait ainsi se créer au sein de l'équipe gouvernemental. Dans un Etat de Droit, comme le Cameroun, ce problème, lorsqu'il se posera, ne sera pas réglé par la voie dynastique mais selon les dispositions démocratiques prévues par la constitution

Enûn, de façon assez surprenante, M. SOUDAN envisage ce qu'il appelle curieusement « le scénario à la mode », c'est-à-dire la contagion d'événements comme ceux qui se sont déroulés en Tunisie et en Egypte. Pour les juger par la suite peu probables, en raison des caractéristiques de la société camerounaise qui serait insuffisamment consciente politiquement pour transcender les clivages régionaux et communautaires. Notre explication est à la fois plus simple et, je crois, plus proche de la réalité. Les Camerounais, au cours de leur existence en tant que Nation, ont eu l'expérience des malheurs qu'entraînent les désordres et l'insécurité. Ils apprécient la stabilité dont leur pays jouit depuis plusieurs décennies. Par ailleurs, vous ne l'ignorez pas, nous disposons d'institutions représentatives qui fonctionnent normalement, la liberté d'expression est indiscutable et les droits de l'homme sont respectés.


M. FAUJAS pour sa part s'intéresse essentiellement à la situation économique et sociale du Cameroun pour estimer que celui-ci fait du « surplace» et qu'il ne valorise pas son potentiel humain et naturel. Ce constat, sans nuance, s'explique, selon lui, par «l'inertie» de la gouvernance qui se traduit par une croissance économique et une amélioration des conditions de vie insuffisantes. Inversement, il reconnaît que la gestion des finances publiques est satisfaisante et que les indicateurs macro-économiques sont plutôt favorables. Où se trouve donc la vérité? S'il est exact qu'une certaine forme d'inertie et une corruption rampante ont, au cours des dernières années, freiné la croissance de notre pays, le Président de la République luimême les dénonce régulièrement et le Gouvernement s'efforce de les éradiquer.

Néanmoins, il serait injuste d'occulter l'enchaînement des faits qui ont conduit à la situation actuelle: détérioration des termes de l'échange à la fin des années 80; application des programmes d'ajustement structurel dans les années 90, avec les conséquences que l'on sait sur le niveau de vie des populations; crise de 1993-94; mise en oeuvre des programmes de développement économique et financier et reprise de la croissance; enfin, crise mondiale en 2008-2009. Même si cette dernière n'a pas remis en cause nos fondamentaux, elle a provoqué un ralentissement de notre redressement, en pénalisant notre commerce extérieur et en contrariant les investissements


Dès lors, il apparaît difficile de porter un jugement équitable sur notre politique de développement sans mentionner les facteurs qui tiennent à l'environnement international et sur lesquels nous n'avons pas prise. Par ailleurs, comme vous le savez, le Cameroun est, à l'échelle africaine, un assez grand pays par la superficie et le chiffre de sa population, ce qui en matière d'infrastructures et de développement social soulève des problèmes d'envergure. Bien que nous ne disposions pas de ressources Pétrolières importantes, comme d'autres Etats, nous avons fait de gros efforts dans le domaine social, particulièrement en matière de santé publique et d'éducation, ce que l'on nous reconnaît habituellement.

Je note, pour m'en féliciter, qu'in fine M. FAUJAS admet qu'il existe de la part de l'Etat une volonté politique d'aller de l'avant et que nos grands projets, lorsqu'ils prendront corps, devraient finir par relancer la croissance. La souscription sans difficulté du grand emprunt d'Etat en décembre dernier est un signe de la disposition et de la disponibilité des épargnants et du secteur financier à accompagner notre redressement. J'ajoute que si M. FAUJAS avait été présent au récent comice agropastoral d'Ebolowa, il aurait été frappé, comme nous tous, par la vitalité et le dynamisme de notre monde agricole.

Pour conclure, permettez-moi de relever, pour le souligner, que le Cameroun ne me semble pas être ce « lion endormi» que MM SOUDAN et FAUJAS ont peut-être un peu hâtivement dépeint. C'est évidemment un pays, comme tous les autres, qui n'échappe pas à la critique. Mais c'est aussi un pays dont la population connaît les avantages de la stabilité et qui entend bien la mettre à profit pour avancer dans la voie de l'émergence. N'est-ce pas là l'essentiel? Je vous laisse le soin, si vous l'estimez utile, d'informer vos lecteurs de notre point de vue. Je n'y verrai pour ma part que des avantages.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de ma profonde considération.

Martin Belinga Eboutou

Directeur du Cabinet Civil
Présidence de la République du Cameroun



11/03/2011
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