Les visages du renouveau

Cameroun: Les visages du renouveau30 ans déjà que le président Paul Biya a accédé à la magistrature suprême, promettant de maintenir le pays dans le principe de continuité de la persévérance dans l’effort, de la rigueur, de la prospérité, de la moralisation et de la démocratie, engagé par son prédécesseur Ahmadou Ahidjo.

En réalité, le Cameroun est plutôt plongé dans une crise sans fin, avec la «corruption qui s’est érigée en institution», des performances économiques insuffisantes, un taux de chômage et de pauvreté galopant, une unité nationale débridée, une justice aux ordres de personnes tapies dans l’ombre, et un parti au pouvoir qui a pris l’Etat et les institutions en otage. La célébration, hier, des 30 ans du Renouveau, a donné l’occasion à «L’Actu», de revisiter les chantiers du régime.

Les institutions, otages du pouvoir

La nation fonctionne au ralenti à chaque évènement organisé par le parti au pouvoir. Et ce ne sont pas les usagers des ministères et autres établissements publics qui le démentiraient, encore moins certains responsables. «C’est mort ici. Tout le monde est parti à la célébration de l’accession du président», a confié une dame lundi dernier. Normal. Plus de 80% des membres du gouvernement appartiennent au RDPC.

Le scénario est le même chaque fois que l’occasion s’y prête. L’un des derniers faits en date est la présidentielle d’octobre 2011, où le directeur de campagne du président sortant n’était autre que Philémon Yang, Premier ministre et chef du gouvernement. Les bureaux étaient délaissés pour la conquête des électeurs sur les sentiers politiques. Cela s’est également vérifié lors du 24ème anniversaire du RDPC en mars dernier, avec la session parlementaire. «On a allégé le programme de ces jours pour permettre à chaque député d’aller fêter dans sa circonscription d’origine», confiait alors un député.

Démocratie emballée

«Le Cameroun est un pays démocratique», scande et affirme souvent le régime en place., Pourtant, l’opposition crie le contraire en s’appuyant sur les 30 années qu’a déjà passé Paul Biya au pouvoir. «Ce n’est pas bon parce que c’est inacceptablede parler de 30 ans de règne dans une démocratie. Ce n’est pas encourageable. On vit une forme de gouvernance qui n’associe pas le consensus, et c’est déplorable pour un pays qui est à la genèse de la démocratie», a déclaré Vincent Roger Alima, secrétaire à la communication du SDF pour le Centre. Ce dernier fait allusion ici au nouveau code électoral promulgué en avril dernier par le président de la République.

La corruption, une institution

Le bilan que dresse le Renouveau de ses 30 ans de règne est plutôt satisfaisant. Il est brandit à qui veut l’entendre. «Beaucoup de choses ont été réalisées. Le bilan du Renouveau est immense en termes d’infrastructures, d’équipements, de la législation, sur le plan de la santé de l’éducation, sur le plan de l’évolution de la mentalité camerounaise. Sur le plan de la mise en oeuvre du projet démocratique, beaucoup de choses ont été faites», a déclaré Benoît Ndong Soumhet, constitutionaliste et conseiller du Secrétaire général du RDPC.

Seulement, il omet de préciser que le pays aurait fait mieux, n’eut été la corruption qui représente un véritable obstacle à la bonne marche des affaires publiques et freine considérablement le développement économique.

«La corruption agit négativement sur le climat des affaires de l’investissement étranger et national, et sur la croissance économique», soutient Sali Bouba Oumarou, analyste. Il poursuit qu’«au niveau politique, elle entache la légitimité des gouvernements en renversant le processus officiel, participe de l’affaiblissement des institutions».

En 2011, l’indice de perception de corruption était évalué à 2,5% et le pays classé 146e sur ,178. Même si en 2012 le fléau reste une épidémie au Cameroun qui a été classé deux fois (1998 et 1999) comme premier pays corrompu au monde. D’où la naissance en 2000 d’un arsénal d’infrastructures anti-corruption, dont la plupart sont orientées vers la répression des actes contraire à l’éthique professionnelle au sein de l’administration. Ce qui justifie sans doute la légère progression annoncée par Transparency International dans son rapport sur l’indice de la corruption en 2012, présenté en avril dernier.

Le pays de Paul Biya est désormais classé 134e sur 183 pays classés. Cependant, cette amélioration n’empêche pas M. Omarou d’être pessimiste, malgré les assurances d’une embellie se profilant à l’horizon. «Un niveau de corruption comme celui qui règne au Cameroun ne saurait permettre l’éclosion d’un terreau institutionnel propice à la prospérité économique», fait-il savoir.

Une justice impartiale?

Cette question, de nombreux Camerounais se la pose aujourd’hui, après avoir vécu le feuilleton des arrestations, des procès, et des peines infligées à certains, jadis hauts commis de l’Etat mais aujourd’hui «détourneurs de fonds publics». Le 21 septembre dernier, Marafa Hamidou Yaya, ancien ministre de l’Administration territoriale et de la décentralisation écopait d’une peine de 25 ans de prison, après avoir été déclaré coupable de détournement de fonds destinés à l’acquisition d’un avion présidentiel. Un procès qui aura duré cinq mois seulement, alors que certains responsables arrêtés, toujours dans le cadre de l’opération épervier et pour la même affaire, sont toujours incarcérés, en attente de l’ouverture de leur procès (Inoni
Ephraïm).

D’autres, depuis quatre ans, sont en prison sans notification (Haman Adama). MM Edzoa et Atangana sont condamnés à 20 ans de prison. L’ancien minfi, Polycarpe Abah Abah, a été accusé de détournement mais condamné pour évasion. Ce sont tous ces faits et bien d’autres que l’hebdomadaire «Repères» a qualifiés à juste titre de «curiosités de l’opération épervier». Une opération qui ne semble concerner que les pontes du régime. MM. Olanguena, Mebara, Abah Abah, Edzoa, etc.Tout porte donc à croire que des instructions ont été données pour la condamnation de ceux qui ont osé lorgner le pouvoir de M. Biya.

La pauvreté, compagnon des populations

Lorsque M. Biya hérite du pays,en 1982, l’économie est «prospère. » En 2012, c’est plutôt un pays aux prises avec la pauvreté, le sous-emploi, le déficit, que Paul Biya dirige d’une «main de maitre». Avec un taux de croissance de 5% en 2012 et 6,7% prévu en 2013, des progrès sont certes à noter. Toutefois, le produit intérieur brut (PIB) par habitant en dollars US reste de 1142 pour 21 millions d’habitants que compte le Cameroun. Le chômage reste une réalité. En mai 2012, son taux était de 4,4%. Chiffre rendu public par le Bureau international du travail (BIT), de concert avec l’Institut national de la statistique (INS).

Le chômage élargi était de 6,2%,tandis que Douala et Yaoundé se situaient respectivement à 14,7 et 12%. «Il y a aussi d’autres chômeurs qui ne sont plus à la recherche du travail parce qu’ils sont découragés. On combine donc tous cela, et ça fait un tauxde chômage de 6,2%», explique Amos Ella Ella, directeur de l’Informatique et coordonateur du projet de renforcement des capacités de l’information sur le marché de l’emploi au Fonds national de l’emploi (FNE). Le sous emploi se taille la part du lionavec une estimation de 71,5%.

En 2011, ledit chômage était estimé à 13% et le sous emploi à 75%. Les autorités ont fait leur méa-culpa en reconnaissant une difficile insertion professionnelle des jeunes dans le marché de l’emploi, en raison entre autres d’une faible capacité de l’économie à générer des emplois.


Ce qui justifie sans le recrutement spécial dans la Fonction publique en 2011 de 25 mille jeunes diplômés. Aussi, dans son Document de stratégie pour la croissance et l’emploi - DSCE- visant à faire du Cameroun un pays émergent à l’horizon 2035, le gouvernement camerounais se propose de ramener le sous emploi de 71,5% à 50% en 2020. Il se propose en outre de générer 120 mille emplois directs dans les domaines portuaire, minier, énergétique, industriel et infrastructurel, grâce aux projets structurants. Projets datant d’au moins 20 ans.

Une unité nationale utopique

La fête nationale du 20 mai est le lieu par excellence de l’expression de l’unité nationale au Cameroun. Mais, elle n’est qu’illusoire, si l’on s’en tient à des propos tenus par certains responsables il y a trois ans. En 2009 en effet, la classe politique nationale est secouée par le scandale des révélations de wikileaks. Lors d’un entretien avec Janet Garvey, l’ancienne ambassadrice des Etats-Unis au Cameroun, certains responsables avaient fait des révélations fracassantes qui ont mis à mal ladite unité nationale célébrée chaque année.

«Les trois régions du Nord, ethniquement et culturellement différentes du reste du Cameroun,vont continuer à apporter leur soutien à Biya aussi longtemps qu’il souhaite demeurer au pouvoir mais, le prochain présidentdu Cameroun ne viendra pas de l’ethnie béti/bulu de Biya. Les betis sont trop peu nombreux pour s’opposer aux nordistes, encore moins au reste du Cameroun.

Des bamilékés ont fait des ouvertures à des élites du Nord pour forger une alliance entre leur région mais, les nordistes étaient si méfiants sur les intentionsdes bamilékés qu’ils neconcluraient jamais une alliance pour soutenir un pouvoir politique bamiléké», avait déclaré Amadou Ali, alors vice Premier ministre et ministre de la Justice. Qu’il l’ait voulu ou non, M. Ali avait révélé au grand jour les fissures sur l’édifice unité nationale au Cameroun.

© L'actu : Olive Atangana


08/11/2012
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