Les raisons pour lesquelles la dépouille du président Ahidjo n’a pas encore été rapatriée au Cameroun

Les raisons pour lesquelles la dépouille du président Ahidjo n’a pas encore été rapatriée au CamerounPour sa chronique de ce vendredi, Jean Vincent Tchienehom évoque la mort du président Ahidjo le 30 novembre 1989 et examine les raisons pour lesquelles sa dépouille n’a pas encore été rapatriée au Cameroun. JVT, Bonjour!

Ce vendredi 30 septembre 2012, il y a 23 ans, jour pour jour que le premier président de la République du Cameroun, Ahmadou Ahidjo est mort à Dakar au Sénégal des suites de maladie. Mort à 65 ans il est enterré au cimetière de Yoff à Dakar. Et nombreux sont les Camerounais qui attendent que son corps soit rapatrié un jour prochain pour recevoir l’hommage légitime qu’il mérite. Voilà un sujet délicat qui  a toujours  opposé la famille de l’ex-président et le gouvernement camerounais, la polémique portant sur la prise d’initiative de rapatriement du corps..
dans une interview parue dans Jeune Afrique Economie,  juillet 1993, GermaineAhidjo, la veuve del’ex-président déclarait « Ce n’est pas à moi de décider.

La décision revient au peuple camerounais. Moi je reste auprès de la tombe de mon mari. Je vais m’y incliner régulièrement, pour qu’il sache que je ne l’ai pas oublié, que je suis là et que je veille sur sa tombe. C’est mon devoir. Je tiens à rappeler qu’Ahidjo était un chef d’Etat. Il n’appartient pas qu’à sa famille. Il appartient en premier lieu au peuple camerounais. Il n’est pas un simple citoyen. Il a été président de la République dans son pays, et il a été enterré ici par un président de la République. Je ne vois pas ce que nous, sa famille, avons à demander. C’est au peuple camerounais qu’il faut aller demander s’il veut que son corps soit ramené au pays ou pas… » Des années plus tard le 30 octobre 2007 sur la chaîne de télévision française France 24 le président Biya répondait en quelque sorte à Mme Ahidjo en déclarant : «…Le problème du rapatriement de la dépouille de l’ancien président est selon moi un problème d’ordre familial. Si la famille de mon prédécesseur décide de faire transférer les restes du président Ahidjo, c’est une décision qui ne dépend que d’elle. Je n’ai pas d’objection, ni d’observation à faire».

Monsieur Biya qui s’est débiné en quelque sorte sur ce  dossier semble à présent bien décidé à réhabiliter la mémoire de son prédécesseur. Lors du remaniement ministériel de décembre 2011, il a nommé Ahidjo Mohamadou Badjika son fils ainé, au poste d’ambassadeur itinérant. L’hebdomadaire l’œil du Sahel, toujours bien informé des affaires concernant le Grand Nord a affirmé récemment que l’une des filles de Mme Ahidjo a séjourné au mois d’octobre dernier au Cameroun où elle est venue avec son passeport sénégalais et qu’elle a mis à profit ce séjour pour  nouer des contacts avec le cabinet du président Biya. Ce dernier, qui est préoccupé par la situation délétère que vit le Nord Cameroun depuis l’emprisonnement de Monsieur Marafa Amidou Yaya peut vouloir se réconcilier les bonnes grâces  des populations en faisant rapatrier les restes de l’ancien président. Il faudra pour cela qu’il renonce à la rancune tenace qu’il manifeste à l’égard de l’homme qui a fait de lui de ce qu’il est devenu.

Le conflit qui les a opposé est né en 82/83 quand Ahidjo a été accusé de vouloir conserver les leviers du pouvoir, tout en ayant démissionné de la présidence de la République. L’attelage bancal qui faisait de Monsieur Biya, le Chef d’Etat et Ahidjo, le chef du parti ne pouvait pas fonctionner très longtemps. Il est arrivé ce que vous savez. Accusé d’avoir fomenté un coup d’état, Ahidjo a dû s’exiler.  Biya a pris le contrôle du parti en changeant son nom pour en faire le RDPC. Ahidjo est mort à l’étranger et nul ne sait quel jour son corps sera rapatrié! Il est triste de voir que nous n’avons toujours pas tiré les leçons de ce sombre épisode de notre histoire. Je partage l’avis du chercheur Georges Owona Mbida Otto qui écrit que pour l’avenir, on peut en apprendre trois enseignements. Ahidjo a eu tort de vouloir s’agripper à un pouvoir qu’l a volontairement céder. Il y a une usure du pouvoir qui est logique et vis-à-vis de ce pouvoir, un leader quel qu’il soit doit avoir une relation moins fusionnelle et possessive.

Deuxièmement, la violente crise que le pays a vécue à cause de cette succession qui s’est mal passée a ouvert des plaies non encre cicatrisées. De nombreux acteurs et victimes sont encore présents et nourrissent sans doute un désir de vengeance dont il faut tenir compte. Il est donc nécessaire qu'une instance de vérité et de réconciliation soit mise sur pied pour que le peuple camerounais se réconcilie avec lui-même. Cela nécessitera sans doute une réhabilitation de la mémoire du feu Président Ahmadou Ahidjo.

La dernière leçon concerne les partis politiques qui sont des institutions, qui par définition doivent échapper au seul vouloir et à la seule existence de leurs fondateurs. Le parti politique doit cesser d'être envisagé soit de façon manichéenne où le bon parti est le parti au pouvoir, tandis que les partis d'opposition seraient celui des révoltés, des fauteurs de trouble, des acteurs de l'insécurité; soit alors de façon utilitariste et marchande pour les transactions dont ne seraient bénéficiaires que les dirigeants. Il est temps que sonne le glas des présidences à vie dans les partis politiques.

En définitive, selon Owona Mbida, notre histoire démontre qu'il est urgent d'instituer une incompatibilité de droit entre la présidence d'un parti et la présidence de l'État. Le fait qu'une même personne occupe les deux fonctions conduit à des dérapages institutionnels graves. Il en résulte même une incapacité réelle du Président de la République à jouer le rôle d'arbitre du jeu politique institutionnel que la Constitution lui reconnaît pourtant. Cela est une exigence qu'impose l'option pour la modernité politique à laquelle tous les peuples aspirent de tous leurs vœux.
Bonne journée.

© Correspondance de : Jean Vincent Tchienehom


01/12/2012
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