Les “enterrements-funérailles” divisent les familles

Voici le contenu d’une affiche, rencontrée dans le ciel de Bafang, une semaine plus tard : « Bienvenue aux obsèques et funérailles de M. le Maire Kamdoum Anatole. 11 décembre 2010 à Bana : inhumation. 12 décembre 2010 : funérailles à Bafang ». D’emblée, rien de particulier pour l’observateur naïf, le défunt étant un résident de Bafang, où il a même été administrateur municipal, avant de rejoindre la commune rurale de Bana d’antan. Originaire de Bana, il y dispose d’une concession normale. Alors, pourquoi faire les funérailles le lendemain des obsèques plutôt à Bafang ?

A Bana, on affirme que cela est devenu impossible, suite à une interdiction du chef. Dans ce groupement réputé pour la richesse de ses fils (la légende dit que le sac d’argent de Dieu s’était égaré chez eux), les deuils ont pris les allures d’une démonstration de force, où en deux ou trois jours, on dépense sans compter à la mémoire des hommes et femmes dont les villas cossues, signes de richesse, sont aussitôt abandonnées les festivités terminées. Jeune et moderne, on s’en doute, S.M. Sylvestre Sikam Happi IV a cependant exigé qu’il s’écoule un minimum de dix jours entre l’enterrement et les funérailles. Selon Nzekegue Kameni Feromon, l’un des neuf notables de ce groupement, actuellement sous le coup d’une amende de neuf chèvres, pour avoir autorisé ce genre de cérémonie dans sa famille pour, dit-il, « aider les enfants de son oncle Tiani François qui avaient des problèmes de rentrée scolaire», la pratique contrarie la tradition. « La fin du deuil doit se traduire par l’achèvement de certains rites : après l’enterrement, le veuvage qui va avec le lavage au terme d’un minimum de neuf jours et la sortie au marché, avant les funérailles ». Selon ce notable, plutôt classé parmi les modernistes, « pour faire les funérailles, on doit officiellement savoir au village que la famille est sortie au marché (a annoncé le malheur qui l’a frappée, ndlr). Or, le lavage des veufs et veuves se fait exclusivement le Nzingu (jour interdit, ndlr) et il y a un seul marché en huit jours ».

Lamentation
Pourtant, ces dernières années, de nombreuses familles ne laissent plus s’écouler du temps entre le moment où un de leurs membres est porté aux limbes et celui où on organise ses funérailles. Question d’« en finir », une fois pour toute avec le mort, au cours d’une cérémonie jumelée étalée sur deux ou trois jours. Levée de corps le vendredi, suivie éventuellement d’une veillée dans la concession familiale, lorsqu’elle existe, enterrement le samedi, funérailles le dimanche. Dans d’autres cas, le corps arrive au village au petit matin du samedi, en même temps que la logistique des funérailles. Et tout est mis en œuvre pour qu’en un jour, la famille sacrifie à tous les rites. Pour de nombreuses familles qui habitent la ville, il s’agit de réduire la fréquence des voyages au village et de ne pas passer le temps à aménager les concessions, de plus en plus inhabitées.

Pour les partisans de cette nouvelle manière de faire, le jumelage se justifie par l’évolution du contexte socioéconomique et des mœurs. Hugues Protais Ngonkeu, un fiscaliste originaire de Bangangté, trouve que les obsèques sont une occasion de liberté. « La mort offre aux actifs le temps de souffler, de rompre avec le stress quotidien. Au-delà de la douleur, c’est une occasion de retrouvailles. On en profite pour se faire plaisir. Mais, économiquement, il devient difficile d’organiser deux cérémonies pour le même mort », analyse-t-il. Vincent Désiré Anougue, Fotsoc Ngong de son nom de notable dans le village Fondonera, département de la Menoua , trouve même des justificatifs historiques à la pratique. « Nos traditions ont prévu des hypothèses pour faciliter la vie aux personnes affectées. Ainsi lorsque les enfants sont déjà grands et que les parents viennent à décéder, ils ont le droit d’organiser les deux cérémonies à la fois. On renvoie souvent les funérailles pour permettre à ces derniers de grandir et être capables (matériellement, ndlr) de le faire ».

Au nom de ces préalables, les cadavres séjournent de plus en plus longtemps dans les morgues. La pratique ne connaît cependant pas le même développement dans toute la région. De manière empirique, on assiste à un rejet relatif de la fusion dans la Menoua et les Bamboutos, où la tradition semble avoir plus de ressorts pour résister aux assauts de la modernité (chaque enfant est tenu de faire un tour de deuil solitaire, accompagné des siens qui tirent de nombreux coups de fusil) dans le Ndé, Haut Nkam et à l’ancienne Mifi par contre, l’ajournement des funérailles devient de plus en plus marginal. En effet, il y a près de quarante ans, sous l’égide du chef Kamga II, le groupement Bandjoun a appris à gérer le deuil d’après l’occurrence. Pas qu’on n’y met pas les corps à la morgue ! Simplement, le deuil traditionnel s’achève par la neuvaine. Chacun doit trouver en neuf jours ce qu’il faut pour « sortir le deuil ». Là-bas, on ne donne pas le temps aux familles d’aller préparer le deuil pendant des années. C’est le calendrier traditionnel qui opère et les funérailles peuvent avoir lieu n’importe quel jour de la semaine. Un exemple : les obsèques et funérailles de « Maman Djuidje Marceline », parent d’Emmanuel Chatué, le Pdg de Canal2 International. Après un séjour d’un mois à la morgue, elle sera enterrée à Hiala-Bandjoun le 15 janvier 2011, « l’ouverture du deuil » aura eu lieu le 16 et les funérailles le 19 janvier, un mercredi.

Passage de témoin
Chef de famille à Bamena, dans le Ndé, Mba Katchou, récemment éprouvé, affirme que personne n’est autorisé à faire les funérailles de quelqu’un qui n’avait pas lui-même fini de faire celles de ses ascendants. Autrement dit, dans son lignage, il est interdit de faire les funérailles des  « nouveaux » morts, alors que celles de certains aïeux décédés auparavant restent encore non programmées. Rodrigue Mathias Tientcheu, de Banka, pense qu’il s’agit d’une grave aliénation. « Finalement, on ne fait ni l’un ni l’autre », tranche-t-il. Car au plan émotif, la parade écrase le recueillement, le « moment de manifester la douleur ». Jean Pierre Kadji crie à la trahison. Notable Bapoundeu dans le Haut Nkam, ce professeur de lettres françaises pense que les funérailles ne sont pas un jeu. « Les funérailles actuelles ont perdu leur dimension anthropologique », tranche-t-il. « Quand tu meurs, on annonce ta mort, puis on t’enterre. C’est un voyage dans lequel le mort, en rupture avec les vivants, s’achemine vers les ancêtres. Autrefois, il était impensable de parler des funérailles d’un homme dont le crâne est encore en prison. Le déterrement de celui-ci est la clé qui ouvre la porte du sanctuaire. C’est la dernière porte. Ce que nous faisons maintenant est une moquerie, car on dit adieu à quelqu’un qui n’est pas encore parti. Le jour des funérailles est le passage de témoin. Or, pour retirer le crâne et le confier à quelqu’un, il faut un minimum de deux ans ». 

Dans le Ndé et le Haut Nkam, où on accuse des familles d’arriver désormais dans les villages pour se débarrasser des cadavres dans la broussaille et ne plus venir au village, des opposants aux enterrements suivis de funérailles vont plus loin, estimant que cette manière de faire est responsable de la disparition de nombreuses concessions jadis riches et enviées.

Franklin Kamtche


La tradition, une affaire de « villageois »

Clichés. Seules les familles démunies semblent, de nos jours, respecter les prescriptions traditionnelles.

D’habitude, la mort réconcilie. Mais, parfois, celle d’un proche, plutôt que d’amener la famille à s’asseoir pour discuter de la suite de la vie familiale, est un grand moment de rupture. De plus en plus, la manière d’organiser les obsèques divise. Si le contrôle des biens, réels ou potentiels, du défunt alimente généralement la polémique, une autre naît de plus en plus de la forme à donner au deuil. Faire une fois ou plusieurs fois, voilà l’alternative. Joseph T., un enseignant de 45 ans, et les siens ne s’entendent plus avec leur beau frère. Lors de l’enterrement de son beau père, il y a deux mois, il a fallu l’implication ferme de ses collègues, pour qu’il se rende aux obsèques, suivies de funérailles. Avec une bonne fraction de la famille, il avait organisé les mêmes obsèques deux semaines plus tôt, et le successeur pressenti avait décidé de ne pas faire sortir le corps de la morgue. Malgré toutes les dépenses faites, il voulait faire les deux à la fois. Et a eu raison sur le reste de la famille que de hordes d’amis étaient venues accompagner en la triste circonstance.

« Il voulait exposer sa puissance financière » et a manœuvré pour briser les ailes des autres. Quitte à sacrifier toute la dimension traditionnelle. Ceux qui veulent restituer aux cérémonies funèbres leur dimension culturelle refusent d’admettre que l’enterrement et les funérailles sont regroupés pour réduire les charges des éprouvés. Parce que, finalement, on assiste à de grandes parades où on mange sans discontinuer à côté des cadavres et où on finit par aller « taper le deuil » quand l’essentiel des convives est déjà reparti. Or, selon les adeptes de la tradition, ces événements ne se ressemblent pas. « Pourquoi ne rassemblent-ils pas toutes leurs fêtes en une seule ? Pourquoi ne pas rassembler toutes les sources de dépenses en une seule ? Les gens fuient le village et viennent se moquer des morts », s’insurge Jean Pierre Kadji. « On n’oblige personne à faire des funérailles. Quand on n’y croit pas, il ne faut pas le faire », précise Mathias Tientcheu, pour qui « la tradition exige de dormir sur la tombe ». Les querelles à ce sujet deviennent nombreuses. Malheureusement, la nouveauté fait des émules.

F.K.



11/01/2011
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