Les dossiers noirs de la République: Au moins 15000 morts en 28 ans de règne

Ecrit par Jean-Bosco Talla, Junior Etienne Lantier, Yvan Eyango, Simon Patrice Djomo, Enoh Meyomesse et Maheu

La République des Vampires

Combien de cadavres des Camerounais jonchent le chemin du Renouveau du fait du mépris que l'oligarchie gloutonne au pouvoir depuis 28 ans affiche à l'égard des vies humaines ? 1000, 10 000, 100 000 cadavres ? Nul ne peut avec exactitude donner le nombre exact de personnes tuées ou portées disparues depuis l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême. Nul ne peut également nier le fait que pendant 28 ans d'un règne sans partage, beaucoup de Camerounais ont été massacrés. Que ce soit lors des émeutes sociales, des grèves estudiantines, des catastrophes naturelles, des accidents de circulation, des incendies, lors du putsch du 06 avril 1984… ou qu'il s'agisse

des assassinats commandités des intellectuels, des hommes de Dieu, des militants des partis politiques, le bilan est macabre. Près de 1500 morts en 1984; environ 400 morts pendant les villes mortes, presque 800 Camerounais tués par le Commandement opérationnel; plus de 150 morts en février 2008; plus de 200 morts à Nsam Efoulan, environ 1785 morts au lac Nyos, pratiquement 30 morts à Bakassi; des milliers de Camerounais tués sur nos routes ou lors des catastrophes naturelles. Le Saigneur Paul Biya et le Renouveau se nourrissent-ils du sang des Camerounais ?

On se serait pourtant attendu que la principale mission de Paul Biya, comme celle de tout homme politique digne et responsable qui souhaite entrer dans l'histoire comme un homme d'État, soit d'assurer constamment et à perpétuité notre sécurité et celle de nos biens, de construire et de reconstruire en permanence notre communauté politique et de rechercher les meilleures conditions de notre survie et d'une vie bonne. Même si en 28 ans de règne et de jouissance présidentielle quelques timides efforts et réformettes ont été effectués, l'on doit reconnaître que durant cette trop longue période passé à la tête de l'État, le monarque présidentiel est passé maître de la politique du verbe.

Faut-il le rappeler, lorsque Paul Biya arrive au pouvoir en 1982, il promet monts et merveilles aux Camerounais. Une frange de Camerounais adoptent son projet de société avec enthousiasme d'autant plus que dans l'ouvrage Pour le libéralisme communautaire, écrit par certains intellectuels camerounais et qui porte son nom, il annonce "l'avènement du mérite [qui] mettra fin à l'anarchie par laquelle tout le monde pouvait se retrouver partout, mais rarement la personne qu'il faut à la place qu'il faut" et souhaite "vivement" que ses compatriotes se donnent la main pour " bâtir une société saine, c'est-à-dire une société constituée d'hommes qui se plaisent dans la compagnie les uns des autres, au lieu de se percevoir plutôt comme des loups, les uns pour les autres". Aussi se propose-t-il de promouvoir: (1) " la vraie démocratie" qui ne saurait s'accommoder de " quelques formes d'oppression, de tyrannie ou de dictature des régimes civils et militaires qui, même lorsqu'ils prétendent servir les aspirations des gouvernés, sacrifient sur l'autel de l'ordre la liberté et l'égalité"; (2) le "développement véritable" dont la finalité " consiste à accorder à l'homme des conditions d'existence telle qu'il se sente réellement un homme libre et capable de le demeurer; un homme libre qui est débarrassé de toutes sortes de préjugés coloniaux, [...] un homme qui ne vit plus sous l'emprise de la superstition et des croyances déshumanisantes", un homme de principes qui refuse de se complaire dans le mensonge et la gabegie, et  qui ne vit pas " sous le régime de la peur et de l'ignorance". Cette société nouvelle, plus démocratique, plus humaine qu'il appelle de tous ses vœux est celle au sein de laquelle aucun Camerounais n'aura besoin, pour exprimer ses idées et opinions de prendre la clé des champs. Les slogans: " rigueur, moralisation, intégration nationale, stade suprême de l'unité nationale" mobilisent ses compatriotes qui y croient et envisagent l'avenir avec beaucoup d'optimisme.

Très tôt cependant, les Camerounais déchantent. Ils se rendent compte que Paul Biya est un démagogue, un spécialiste du mensonge politique. Bon jouisseur et toujours en vacances,  le catalogue d'illusions qu'il a faites aux Camerounais restent au stade de promesses. Face à la recrudescence du vol, du viol des conscience,  du népotisme, du tribalisme, de la gabegie, des détournements des deniers publics, ils comprennent que les "valeurs morales qu'était sensé promouvoir le renouveau ont été sacrifiées sur l'autel du mercantilisme, de la corruption, de la complaisance, du trafic d'influence, du mépris pour la vie humaine, de l'humiliation comme instrument de dialogue, du crime multidimensionnel, du vagabondage politique ... tant et si bien qu'il est difficile, aujourd'hui, même à ce renouveau, d'indiquer dans ce pays un seul modèle de vertu auquel il peut s'identifier" (Njawé, 1995). De nos jours les slogans tels que: " rigueur,  moralisation et intégration nationale " laissent un goût très amer dans la bouche des Camerounais. Ceux-ci sont devenus, pour la plupart des citoyens des mythes pour idiots, des dieux constamment évoqués par les partisans du régime mais que très peu adorent.

C'est que la galaxie paupolienne est peuplée de vampires, de sorciers et de cannibales. Pour reprendre les mots du philosophe Fabien Eboussi Boulaga, disons que les vampires et/ou les sorciers (noir) se nourrissent du sang et de l'énergie vitale des autres. Ils les vident de leur substance et énergie vitales jusqu'à les transformer en zombies serviles (les morts vivants) ou jusqu'à ce que mort s'en suive. Les pratiques quotidiennes de Paul Biya et de certains de ses plus proches collaborateurs obéissent au principe et à la logique du vampirisme et de la sorcellerie. Ils s'accaparent ou donnent à des sectes maléfiques occidentales de l'argent qui aurait permis la survie de nombreux camerounais sans envisager l'impact et les conséquences de ces vols qui privent les malades et  des hôpitaux de médicaments, les institutions scolaires et universitaires de bibliothèques, de laboratoires, de tables blancs, de toilettes, de salles de classe et d'infirmeries, etc.

Leurs pratiques sexuelles déviantes et déshumanisantes participent de la même logique. En demandant à leurs partenaires sexuels, le plus souvent de même sexe, de se courber pour ramasser argent et promotion dans la haute administration, ils veulent non seulement dominer (avoir ou conserver la puissance qu'ils confondent avec le pouvoir), mais aussi et surtout aspirer, mieux pomper ou sucer l'énergie vitale de leurs multiples partenaires (vampirisme énergétique) en entrant en contact direct (" full contact ") avec le lieu où est logée la pointe du coccyx ou sacrum au de dessus de l'anus et que les Hindous appellent kundalini, point à partir duquel l'énergie commence son ascension dans la colonne vertébrale puis pénètre dans le système nerveux central.
Ainsi va la république de Paul Biya. Une république des vampires, des barbares où la violence et la cruauté n'épargne pas les morts et les disparus, une république où il ne suffit pas que les morts soient morts, mais où il faut "  les signer (eux-mêmes et ce dont leur vie et mort avaient été le témoignage) à jamais dans l'inexistence et les exiler dans le chaos de l'innommé ", pour parler comme Achille Mbembé.

Sa Majesté Paul Biya, Roi du Cameroun, devrait écouter le sang de ses compatriotes qui crie dans un " État " où la justice, accroupie et pourrie ne dispose d'aucune indépendance véritable ; un " État " assassin et cannibale où les acteurs des crimes crapuleux et odieux se pavanent impunément en bénéficiant des réseaux de brigandage, de corruption et de concussion, après avoir confisqué les appareils de l'État.

En tout cas, Paul Biya doit se montrer capable de réconcilier les Camerounais, de surmonter les tensions et crises réelles et latentes qui secouent son régime. Ses doutes et hésitations à prendre certaines décisions et  à siffler la fin de la récréation inquiètent. Si la politique est la science de la maîtrise des choses fondées sur la prévision, la projection et l'organisation, il est dangereux qu'un chef d'État (ou un homme politique) donne l'impression que les événements lui échappent et qu'il n'est plus qu'une marionnette, c'est-à-dire (en français facile) une personne que certains collaborateurs hypocrites, vicieux et ambitieux manœuvrent à leur gré et lui font faire ce qu'ils veulent. C'est ce qui fait la force des grands hommes d'État. Paul Biya un grand homme d'État ? Qu'il le prouve.
Par Jean-Bosco Talla
Source: Les dossiers et documents de Germinal. Certains articles de ce dossier ont été améliorés

Le pogrome
Des chiffres officiels avancés ne reflètent pas la réalité vécue. Entre 1000 et 1500 morts lors des événements du 06 avril 1984. Un véritable pogrome. Évocation.
L'histoire, comme on dit, est un éternel recommencement. Dans l'histoire contemporaine, des événements majeurs ont marqué la vie de certains État au cours des mois d'avril. On dirait que ce mois est celui des putschs. Alger, 21 avril 1961 : les généraux Salle Sallan, Jouhaud et Zeller organisent un putsch. 24 avril 1974, le Portugal connait la " révolution des œillets ". En rupture avec le système en place institué par Salazar, des capitaines prennent le pouvoir. Libéria, 12 avril 1980, Samuel Doe prend le pouvoir à Monrovia. Le 06 avril 1984, le Cameroun connaît une tentative de putsch.
Yaoundé, 06 avril 1984. Il est un peu plus de 3 heures du matin. Une pluie torrentielle arrose la ville. Quelques étudiants de l'Université de Yaoundé, qui étaient au " front ", et qui n'ont pas pu rejoindre leurs chambres, parce que bloqués par l'orage qui est en train de s'abattre sur la ville, se demandent comment faire pour regagner leur domicile. Soudain, ils entendent des coups de feu du coté de la garde présidentielle située à un jet de pierre du campus. Ils n'y prêtent pas beaucoup attention. Certains soutiennent qu'il s'agit des grondements du tonnerre.
Pourtant, quelque chose d'étrange se produit non loin du campus et dans la capitale politique du Cameroun, abondamment arrosée en cette fin de saison des pluies. Des chars d'assaut de la garde présidentielle, des camions militaires conduits par des soldats (en majorité originaires du nord Cameroun) sous le commandement du colonel Salé Ibrahim, patron de la garde présidentielle, et du capitaine Awal Abassi, vont dans tous les sens. En quelques minutes, ils verrouillent le quartier général. Des chars prennent d'assaut les résidences de certains hauts gradés de l'armée. Le portail de la résidence du général de division et chef d'état major des armées, Pierre Semengue, est démoli. Pierre Semengue raconte : " Vers 3h 50 le téléphone de sécurité sonne. Le Général Meka à l'époque Colonel est au bout du fil. Il était à l'époque Directeur de la Sécurité Présidentielle. Il me dit exactement ceci: " Les blindés se dirigent vers la Présidence de la République "Je me lève et écarte le rideau.  Je vois que des blindés se dirigent vers mon domicile. Puis des coups de feu. Je réalise alors que c'est effectivement un coup d'État et qu'on en voulait à ma personne " (Ateba Eyene, 2002 :136). Cet officier supérieur de l'armée parvient à s'enfuir.

Prisonniers

Un autre groupe de soldats marche sur la résidence du colonel Asso Ename, commandant du quartier général. Le Colonel Asso Ename évoque : " Je peux vous dire que quelques semaines avant les événements, j'ai été informé de ce qui se tramait. […] Le colonel Réné Claude Meka, directeur de la sécurité présidentielle, m'appelle le 05 avril et me demande de renforcer la garde. Je lui demande pour quelles raisons. Il me répond qu'on en parlera. Ce soir-là, je reçois chez moi le secrétaire général du ministère des forces armées et le ministre de l'Administration territoriale, accompagnés de leurs épouses que j'ai invité à diner. Il s'avère que c'est pendant qu'on mangeait que les gars ont réussi à enlever toutes les munitions des points sensibles du Plateau Atemengue. Après le diner, mon épouse et moi décidons de regarder un film. Je me couche vers 3h45 mn. Et ce sont les coups de feu qui me réveillent. Et je me dis : "je savais bien que ces gars-là allaient passer à l'action et voici maintenant qu'ils nous surprennent " "(Les cahiers de Mutations n°018) Il réussit, malgré la présence de deux chars d'assaut dans sa concession, à s'enfuir. Les putschistes enlèvent quelques membres de sa famille. Le domicile de Gilbert Andzé Tsoungui, ministre d'État chargé des Forces armées, qui s'est enfui après avoir entendu les coups de feu, n'échappe pas au pilonnage. Joseph Zambo, secrétaire général à la présidence de la République, René-Claude Meka, directeur de la Sécurité présidentielle, Mbarga Nguélé, délégué général à la Sûreté nationale et quelques autres personnalités n'ont pas la même chance. Ils sont faits prisonniers.
Dans le même temps, vers un peu plus de 4 heures du matin, la colonne de chars d'assauts pilotés par les putschistes se dirige vers le Palais présidentiel d'Etoudi où ils bloquent toutes les issues. Deux chars enfoncent le portail d'entrée sans que les gardes qui s'y trouvent n'opposent une résistance. Ils sont abattus de sang froid à la mitraillette.
A l'intérieur, Paul Biya est réveillé en sursaut. Il est rapidement conduit avec ses proches parents dans le bunker qui se trouve dans le sous sol du palais. Le chef de l'Etat ne sait pas ce qui lui arrive. D'aucuns affirment qu'il aurait envisagé de se rendre afin " d'éviter un bain de sang inutile". Il aurait été rassuré dans l'immédiat par ses " anges gardiens " qui lui aurait demandé de garder confiance. A l'extérieur, quelques soldats loyalistes organisent timidement la résistance. Certains éléments, avec à leur tête le chef de bataillon, Benaé Mpéké, occupent et sécurisent la radio de commandement, situé sur le mont Mbankolo. Entre temps, dans leur avancée, les putschistes se sont emparés d'autres points stratégiques : la radio, l'aéroport, les centraux téléphoniques…Ils coupent toutes les communications avec l'extérieur.
En milieu de matinée, les radios étrangères annoncent la tentative de coup d'État militaire au Cameroun. Certaines chaines parlent même de la chute du régime Biya. Dans les quartiers de la Capitale, c'est la confusion générale. Les populations sont terrées chez elles. Les rues sont presque désertes. Les civils y sont très peu nombreux. A presque tous les carrefours, on rencontre les hommes en tenues, surtout les mutins. Des commerçants qui avaient imprudemment ouvert leurs boutiques referment précipitamment les portes, après s'être rendu compte qu'il y avait de l'électricité dans l'air. Interrogé par Radio Monté Carlo (Rmc) vers 10 h30 mm, l'ancien président de la République, Ahmadou Ahidjo fait une déclaration surprenante " J'ai été trop insulté et calomnié par les Camerounais, ils n'ont qu'à se débrouiller tous seuls... Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ".
Cette déclaration est d'autant plus surprenante qu'elle est faite par un homme d'Etat chevronné qui a centré son action politique sur l'" unité nationale et le respect des institutions ".
Entre temps, la radio qui est tombée aux mains des insurgés n'émet que de la musique militaire. À 13 heures, dans le journal parlé de la mi-journée, la radio nationale, par la voie de Yaya Adoum, diffuse le message enregistré quelques instants plus tôt. La diffusion de ce message lève un pan de voile sur l'identité des auteurs du coup de force. C'est ainsi que l'on apprend qu'il s'agit de " Jeunes officiers et sous-officiers prêts au sacrifice suprême pour la nation, regroupés au sein du mouvement J'OSE ". Ce message, lu et émis sur la bande FM, ne sera entendu qu'à Yaoundé et ses environs. Il fait l'effet d'une bombe.

Cadavres et flaques de sang

Environ une demi-heure après le message, les combats reprennent dans la capitale. Les loyalistes, sous la conduite du Général Semengue organisent la contre offensive. Il libère la poudrière du quartier général, la radio et le palais de l'Unité suivront... Les unités présentes à Yaoundé redeviennent opérationnelles. Les soldats du 11è bataillon d'infanterie basé à Ebolowa et commandé par les lieutenants-colonels Titus Ebogo et Guillaume Mbomback libèrent l'aéroport de Yaoundé. Les mutins, comme on les appelle, ne vendent pas cher leur peau après avoir réalisé que le putsch pouvait échouer. Le samedi 7 avril, les rigoles, les rues des quartiers Obili et Etoudi sont jonchées de nombreux cadavres boueux des soldats (loyalistes et putschistes) et civils. On y observe des flaques de sang partout. Les combats ne sont pas pour autant terminés. Les hélicoptères "Gazelle" armés de roquettes antichars, des avions de combat Fouga magister décollent et affluent vers Étoudi où ils bombardent les positions tenues par les insurgés. Des troupes d'infanteries y sont également envoyées pour empêcher les putschistes de battre en retraite.
Vers la fin de la matinée, le quartier Étoudi est devenu à un vaste cimetière jonché de cadavres de soldats, de carcasses de chars détruits et de débris d'obus. Certains mutins se rendent, d'autres s'enfuient. D'autres encore se retranchent au camp Yeyap (siège de la gendarmerie) et à la garde républicaine à Obili, espérant pouvoir se mettre à l'abri. Erreur fatale, car, quelques instants plus tard, ces lieux sont encerclés par les soldats loyalistes qui ont pris soin de demander aux habitants de les évacuer. Par la suite, les lieux ainsi évacués sont bombardés à coup d'obus, anéantissant ainsi les dernières poches de résistance. S'ensuit une chasse à l'homme implacable.
Pendant ce temps, la radio nationale émet la musique de variété. A 19 heures, la diffusion de cette musique est interrompue. En trois minutes, Paul Biya, d'une voix fluette, tremblotante, presque hésitante s'adresse à ses compatriotes. Il rassure et indique que "le calme règne sur toute l'étendue du territoire national ". Quelques jours plus tard, le 10 avril, le président Biya s'adresse à nouveau à la nation. Pour éviter dérives et stigmatisations, Paul Biya précise : "En effet, l'actualité a retenu, l'Histoire retiendra que les forces ayant participé au rétablissement de la situation comprenaient des Camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique, régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'État manqué est celle d'une minorité d'ambitieux, assoiffés de pouvoir et non de celle de telle ou telle province ou de Camerounais de telle ou de telle région".
S'ouvre alors l'ère des bilans, des procès expéditifs, des règlements de compte, des assassinats, des exécutions sommaires, des enlèvements et des emprisonnements. De nombreux officiers, fonctionnaires, hommes d'affaires "nordistes", quelque fois, sans lien quelconque avec les événements, sont exécutés et emprisonnés. Certains passent de très longues années en détention pour avoir, selon des dépositions, "exprimé leur joie au moment de l'annonce du putsch". Ceux qui y échappent demeurent des "putschistes potentiels" et restent confinés à des tâches subalternes. Ne pouvait-on pas éviter ce bain de sang ?
Plus de 25 ans après le putsch du 06 avril 1984, des blessures restent ouvertes. Des séquelles demeurent indélébiles. La  douleur est vive lorsqu'on évoque ces malheureux événements. Les restes du président Ahmadou Ahidjo, condamné à mort puis gracié, mort en exil le 29 novembre 1989 au Sénégal sont toujours abandonnés dans un cimetière à Dakar. Le chemin de la réconciliation est encore long. Les Camerounais vivent dans une paix de façade.
Jean-Bosco Talla
Sources consultées :
Célestin Monga, Cameroun : quel avenir ?, Paris, Silex, 1986, 315p.
Pierre Ela, Dossiers noirs sur le Cameroun, Paris, Pyramide Papyrus Presse, 2002, 287 p.
Frédéric Fenkam,Les révélations de Jean Fochivé, le chef de la police politique des présidents Ahidjo et Biya, Paris, Minsi, 2003, 297p.
Charles Atéba Eyéné, Le Général Pierre Semengué, toute une vie dans les armées, Yaoundé, Clé, 2002, 274p.
Les Cahiers de Mutations
, vol 18, janvier 2004.

Le pogrome
Des chiffres officiels avancés ne reflètent pas la réalité vécue. Entre 1000 et 1500 morts lors des événements du 06 avril 1984. Un véritable pogrome. Évocation.
L'histoire, comme on dit, est un éternel recommencement. Dans l'histoire contemporaine, des événements majeurs ont marqué la vie de certains État au cours des mois d'avril. On dirait que ce mois est celui des putschs. Alger, 21 avril 1961 : les généraux Salle Sallan, Jouhaud et Zeller organisent un putsch. 24 avril 1974, le Portugal connait la " révolution des œillets ". En rupture avec le système en place institué par Salazar, des capitaines prennent le pouvoir. Libéria, 12 avril 1980, Samuel Doe prend le pouvoir à Monrovia. Le 06 avril 1984, le Cameroun connaît une tentative de putsch.
Yaoundé, 06 avril 1984. Il est un peu plus de 3 heures du matin. Une pluie torrentielle arrose la ville. Quelques étudiants de l'Université de Yaoundé, qui étaient au " front ", et qui n'ont pas pu rejoindre leurs chambres, parce que bloqués par l'orage qui est en train de s'abattre sur la ville, se demandent comment faire pour regagner leur domicile. Soudain, ils entendent des coups de feu du coté de la garde présidentielle située à un jet de pierre du campus. Ils n'y prêtent pas beaucoup attention. Certains soutiennent qu'il s'agit des grondements du tonnerre.
Pourtant, quelque chose d'étrange se produit non loin du campus et dans la capitale politique du Cameroun, abondamment arrosée en cette fin de saison des pluies. Des chars d'assaut de la garde présidentielle, des camions militaires conduits par des soldats (en majorité originaires du nord Cameroun) sous le commandement du colonel Salé Ibrahim, patron de la garde présidentielle, et du capitaine Awal Abassi, vont dans tous les sens. En quelques minutes, ils verrouillent le quartier général. Des chars prennent d'assaut les résidences de certains hauts gradés de l'armée. Le portail de la résidence du général de division et chef d'état major des armées, Pierre Semengue, est démoli. Pierre Semengue raconte : " Vers 3h 50 le téléphone de sécurité sonne. Le Général Meka à l'époque Colonel est au bout du fil. Il était à l'époque Directeur de la Sécurité Présidentielle. Il me dit exactement ceci: " Les blindés se dirigent vers la Présidence de la République "Je me lève et écarte le rideau.  Je vois que des blindés se dirigent vers mon domicile. Puis des coups de feu. Je réalise alors que c'est effectivement un coup d'État et qu'on en voulait à ma personne " (Ateba Eyene, 2002 :136). Cet officier supérieur de l'armée parvient à s'enfuir.

Prisonniers

Un autre groupe de soldats marche sur la résidence du colonel Asso Ename, commandant du quartier général. Le Colonel Asso Ename évoque : " Je peux vous dire que quelques semaines avant les événements, j'ai été informé de ce qui se tramait. […] Le colonel Réné Claude Meka, directeur de la sécurité présidentielle, m'appelle le 05 avril et me demande de renforcer la garde. Je lui demande pour quelles raisons. Il me répond qu'on en parlera. Ce soir-là, je reçois chez moi le secrétaire général du ministère des forces armées et le ministre de l'Administration territoriale, accompagnés de leurs épouses que j'ai invité à diner. Il s'avère que c'est pendant qu'on mangeait que les gars ont réussi à enlever toutes les munitions des points sensibles du Plateau Atemengue. Après le diner, mon épouse et moi décidons de regarder un film. Je me couche vers 3h45 mn. Et ce sont les coups de feu qui me réveillent. Et je me dis : "je savais bien que ces gars-là allaient passer à l'action et voici maintenant qu'ils nous surprennent " "(Les cahiers de Mutations n°018) Il réussit, malgré la présence de deux chars d'assaut dans sa concession, à s'enfuir. Les putschistes enlèvent quelques membres de sa famille. Le domicile de Gilbert Andzé Tsoungui, ministre d'État chargé des Forces armées, qui s'est enfui après avoir entendu les coups de feu, n'échappe pas au pilonnage. Joseph Zambo, secrétaire général à la présidence de la République, René-Claude Meka, directeur de la Sécurité présidentielle, Mbarga Nguélé, délégué général à la Sûreté nationale et quelques autres personnalités n'ont pas la même chance. Ils sont faits prisonniers.
Dans le même temps, vers un peu plus de 4 heures du matin, la colonne de chars d'assauts pilotés par les putschistes se dirige vers le Palais présidentiel d'Etoudi où ils bloquent toutes les issues. Deux chars enfoncent le portail d'entrée sans que les gardes qui s'y trouvent n'opposent une résistance. Ils sont abattus de sang froid à la mitraillette.
A l'intérieur, Paul Biya est réveillé en sursaut. Il est rapidement conduit avec ses proches parents dans le bunker qui se trouve dans le sous sol du palais. Le chef de l'Etat ne sait pas ce qui lui arrive. D'aucuns affirment qu'il aurait envisagé de se rendre afin " d'éviter un bain de sang inutile". Il aurait été rassuré dans l'immédiat par ses " anges gardiens " qui lui aurait demandé de garder confiance. A l'extérieur, quelques soldats loyalistes organisent timidement la résistance. Certains éléments, avec à leur tête le chef de bataillon, Benaé Mpéké, occupent et sécurisent la radio de commandement, situé sur le mont Mbankolo. Entre temps, dans leur avancée, les putschistes se sont emparés d'autres points stratégiques : la radio, l'aéroport, les centraux téléphoniques…Ils coupent toutes les communications avec l'extérieur.
En milieu de matinée, les radios étrangères annoncent la tentative de coup d'État militaire au Cameroun. Certaines chaines parlent même de la chute du régime Biya. Dans les quartiers de la Capitale, c'est la confusion générale. Les populations sont terrées chez elles. Les rues sont presque désertes. Les civils y sont très peu nombreux. A presque tous les carrefours, on rencontre les hommes en tenues, surtout les mutins. Des commerçants qui avaient imprudemment ouvert leurs boutiques referment précipitamment les portes, après s'être rendu compte qu'il y avait de l'électricité dans l'air. Interrogé par Radio Monté Carlo (Rmc) vers 10 h30 mm, l'ancien président de la République, Ahmadou Ahidjo fait une déclaration surprenante " J'ai été trop insulté et calomnié par les Camerounais, ils n'ont qu'à se débrouiller tous seuls... Si ce sont mes partisans, ils auront le dessus ".
Cette déclaration est d'autant plus surprenante qu'elle est faite par un homme d'Etat chevronné qui a centré son action politique sur l'" unité nationale et le respect des institutions ".
Entre temps, la radio qui est tombée aux mains des insurgés n'émet que de la musique militaire. À 13 heures, dans le journal parlé de la mi-journée, la radio nationale, par la voie de Yaya Adoum, diffuse le message enregistré quelques instants plus tôt. La diffusion de ce message lève un pan de voile sur l'identité des auteurs du coup de force. C'est ainsi que l'on apprend qu'il s'agit de " Jeunes officiers et sous-officiers prêts au sacrifice suprême pour la nation, regroupés au sein du mouvement J'OSE ". Ce message, lu et émis sur la bande FM, ne sera entendu qu'à Yaoundé et ses environs. Il fait l'effet d'une bombe.

Cadavres et flaques de sang

Environ une demi-heure après le message, les combats reprennent dans la capitale. Les loyalistes, sous la conduite du Général Semengue organisent la contre offensive. Il libère la poudrière du quartier général, la radio et le palais de l'Unité suivront... Les unités présentes à Yaoundé redeviennent opérationnelles. Les soldats du 11è bataillon d'infanterie basé à Ebolowa et commandé par les lieutenants-colonels Titus Ebogo et Guillaume Mbomback libèrent l'aéroport de Yaoundé. Les mutins, comme on les appelle, ne vendent pas cher leur peau après avoir réalisé que le putsch pouvait échouer. Le samedi 7 avril, les rigoles, les rues des quartiers Obili et Etoudi sont jonchées de nombreux cadavres boueux des soldats (loyalistes et putschistes) et civils. On y observe des flaques de sang partout. Les combats ne sont pas pour autant terminés. Les hélicoptères "Gazelle" armés de roquettes antichars, des avions de combat Fouga magister décollent et affluent vers Étoudi où ils bombardent les positions tenues par les insurgés. Des troupes d'infanteries y sont également envoyées pour empêcher les putschistes de battre en retraite.
Vers la fin de la matinée, le quartier Étoudi est devenu à un vaste cimetière jonché de cadavres de soldats, de carcasses de chars détruits et de débris d'obus. Certains mutins se rendent, d'autres s'enfuient. D'autres encore se retranchent au camp Yeyap (siège de la gendarmerie) et à la garde républicaine à Obili, espérant pouvoir se mettre à l'abri. Erreur fatale, car, quelques instants plus tard, ces lieux sont encerclés par les soldats loyalistes qui ont pris soin de demander aux habitants de les évacuer. Par la suite, les lieux ainsi évacués sont bombardés à coup d'obus, anéantissant ainsi les dernières poches de résistance. S'ensuit une chasse à l'homme implacable.
Pendant ce temps, la radio nationale émet la musique de variété. A 19 heures, la diffusion de cette musique est interrompue. En trois minutes, Paul Biya, d'une voix fluette, tremblotante, presque hésitante s'adresse à ses compatriotes. Il rassure et indique que "le calme règne sur toute l'étendue du territoire national ". Quelques jours plus tard, le 10 avril, le président Biya s'adresse à nouveau à la nation. Pour éviter dérives et stigmatisations, Paul Biya précise : "En effet, l'actualité a retenu, l'Histoire retiendra que les forces ayant participé au rétablissement de la situation comprenaient des Camerounais de toutes origines, sans distinction de leur appartenance ethnique, régionale ou religieuse. La responsabilité du coup d'État manqué est celle d'une minorité d'ambitieux, assoiffés de pouvoir et non de celle de telle ou telle province ou de Camerounais de telle ou de telle région".
S'ouvre alors l'ère des bilans, des procès expéditifs, des règlements de compte, des assassinats, des exécutions sommaires, des enlèvements et des emprisonnements. De nombreux officiers, fonctionnaires, hommes d'affaires "nordistes", quelque fois, sans lien quelconque avec les événements, sont exécutés et emprisonnés. Certains passent de très longues années en détention pour avoir, selon des dépositions, "exprimé leur joie au moment de l'annonce du putsch". Ceux qui y échappent demeurent des "putschistes potentiels" et restent confinés à des tâches subalternes. Ne pouvait-on pas éviter ce bain de sang ?
Plus de 25 ans après le putsch du 06 avril 1984, des blessures restent ouvertes. Des séquelles demeurent indélébiles. La  douleur est vive lorsqu'on évoque ces malheureux événements. Les restes du président Ahmadou Ahidjo, condamné à mort puis gracié, mort en exil le 29 novembre 1989 au Sénégal sont toujours abandonnés dans un cimetière à Dakar. Le chemin de la réconciliation est encore long. Les Camerounais vivent dans une paix de façade.
Jean-Bosco Talla
Sources consultées :
Célestin Monga, Cameroun : quel avenir ?, Paris, Silex, 1986, 315p.
Pierre Ela, Dossiers noirs sur le Cameroun, Paris, Pyramide Papyrus Presse, 2002, 287 p.
Frédéric Fenkam,Les révélations de Jean Fochivé, le chef de la police politique des présidents Ahidjo et Biya, Paris, Minsi, 2003, 297p.
Charles Atéba Eyéné, Le Général Pierre Semengué, toute une vie dans les armées, Yaoundé, Clé, 2002, 274p.
Les Cahiers de Mutations
, vol 18, janvier 2004.

Général Pierre Semengue
"[…] Vers 3h 50 le téléphone de sécurité sonne. Le Général Meka à l'époque Colonel est au bout du fil. Il était à l'époque Directeur de la Sécurité Présidentielle. Il me dit exactement ceci:" Les blindés se dirigent vers la Présidence de la République ".  Je me lève et écarte le rideau.  Je vois que des blindés se dirigent vers mon domicile. Puis des coups de feu. Je réalise alors que c'est effectivement un coup d'État et qu'on en voulait à ma personne. […] Je m'habille en militaire et me munis de mon pistolet mitrailleur gagné en Égypte en 1962.
Après m'être habillé en militaire et m'être armé de mon PM, j'ai pris quelques grenades notamment deux défensives et deux offensives
. […] Dans cette tenue de combat, je m'installe là où il y avait les enfants. Christophe Semengue 1'un de mes derniers qui a 1'époque avait 12 ans m'avait beaucoup aidé. Sa mission était de mettre les cartouches dans les chargeurs. Ma femme Denise, elle, était standardiste. [...] J'ai eu Douala notamment le Capitaine Alexis Etoga aujourd'hui Colonel et Major Général de 1'État-Major de 1'Armee de 1'Air. J'ai eu Paul Yakana Guebama. Il était à la Base Aérienne de Douala. J'ai eu Koutaba, pour les parachutistes. J'ai eu le Génie Militaire de Douala. J'ai surtout eu le Chef de Bataillon Moïse Ngara à Ebolowa dans le Sud en lieu et place du Colonel Titus Ebogo qui s'était déplacé sur Yaoundé et qui a rebroussé chemin rapidement pour aller chercher son bataillon et  'amener sur Yaoundé. J'ai appelé les militaires de Yaoundé aussi. Pendant que je donnais des ordres, des blindés voulaient entrer dans mon domicile, mais en vain. C'est la largeur de la porte qui m'a sauvé. Seulement, j'étais prêt. [...]
Source:  Ch Ateba Eyéné, Le Général Semengue, pp- 136-137

Général Benoit Asso’o
[...] J’invite chez moi le général Pierre Semengue, chef d’état major des armées, le commandant Benae Mpecke, le capitaine Roger Bolo notamment, et je leur dis que je possède des informations selon lesquelles les officiers de la garde républicaine envisagent d’organiser un coup de force.Et je leur présente mon intention d’aller désarmer les hommes du colonel Sale Ibrahim en enlevant les percuteurs de leurs canons. [...] Le général Semengue me fait savoir qu’il ne faut pas chercher des problèmes aux gens du Nord. Et qu’il ne faut pas absolument embêter mes camarades du Nord en leur cherchant des histoires. Au sortir de  notre rencontre le général Semengue va voir Gilbert Andze Tsoungui, le ministre d’Etat en charge des forces armées pour lui faire part de mes intentions et de son désaccord. Lorsque j’arrive donc pour voir les ministre à 8h30 celui-ci me dit:”il ne faut pas chercher cette affaire là, il faut plutôt suivre les gens du Nord.” Et je lui demande comment je pourrais les suivre, puisque je suis à pied. [Il] me dit :”Dans l’armée, on exécute les ordres”. [Le 06 avril] vers 3h45  [...] ce sont le coup de feu qui me reveillent. Et je me dis: “Je savais que ces gens-là allaient passer à l’action et voici maintenant qu’ils nous surprennent...” C’est alors que le général Semengue m’appelle et me demande: “Qu’est-ce qui se passe?” Je lui réponds:”Mon général, je vous avais dit que ces gars allaient passer à l’action” Quelque temps après, Gilbert Andze Tsoungui appelle [...] Je luis réponds: “Monsieur le ministre, je vous avais dit que ces gars allaient passer à l’action”
Source: Les Cahiers de Mutations n°018, Janvier 2004, pp.18-19

Les temps n’a pas effacé les mémoires
Putsch du 06 avril 1984. Passés par les armes à la Carrière de Mbalmayo, les cadavres des putschistes ont été ensevelis à Mvog Ndi, non loin du "Carrefour Sangmélima", sur un espace utilisé, il n'y a pas longtemps, par les jeunes du village comme aire de jeu. Abandonné depuis trois ans, cet endroit serait-il un lieu maudit? Choses vues et entendues !
La chaleur ardente de ce début de saison  sèche qui pousse Dourka (un sobriquet,  Ndlr) à utiliser un chapeau pour couvrir son crane dont un début de calvitie lui dégage le front, ne dissuade pas ce vigile filiforme de la Carrière de Mbalmayo, sise au quartier Oyack, à abandonner son poste de travail. Le visiteur qui arrive à cet endroit situé non loin de l'École nationale des eaux forêts, du côté de l'Ibc Sa, une société spécialisée dans la transformation du bois,  est marqué par le calme des lieux. Le silence qui y règne peut faire de  ce site, un lieu propice à la méditation. Seuls les vols et cris de quelques oiseaux, les voix de quelques rares passants qui reviennent des champs la hôte au dos et le vrombissement du moteur d'une motocyclette qui vient  à passer rappellent au visiteur curieux que la Carrière de Mbalmayo n'est pas une zone interdite aux visiteurs et aux passants.
Tout est à l'arrêt : les voitures, les grues, les citernes, les brouettes et autres matériaux roulant qui étaient pour le transport des roches broyées en petits morceaux ou réduites en poudre. La rouille qui apparait sur les machines et sur la grille métallique qui barre l'entrée du chantier prouve que le temps a commencé à faire son travail. Visiblement donc, le temps ronge le fer.  Rien ne bouge. Les bâtiments construits pour abriter les services de la société sont abandonnés. Malgré l'arrêt des travaux depuis bientôt six mois, Dourka est, ce samedi, 31 octobre 2009, toujours au poste. Il ne trouve aucune raison pour justifier un abandon de poste. Il espère que les travaux reprendront un jour où l'autre. Il venait d'être recruté et ne peut rien dire sur un événement majeur, l'exécution des putschistes, ayant eu lieu à cet endroit. " Ça fait moins de deux ans que je travaille ici. J'étais même tout petit en 1984. Je ne sais rien ", déclare-t-il, surpris. Cependant, poursuit-il, de plus amples informations peuvent être obtenues auprès des anciens qui sont au camp où se trouve " Caïman (un sobriquet, Ndlr) qui est mieux placé pour vous renseigner ".
Le Camp, bâtisse construite pour loger quelques employés, est situé à environ 500 mètres de la carrière, non loin d'un lac. Cet endroit ne grouille pas de monde. Mais, ici, les concasseurs y travaillent quotidiennement. On y observe des monticules de pierre concassées qui n'attendent que d'éventuels acheteurs. A plusieurs endroits, des colonnes de fumées s'élèvent dans le ciel. Il s'agit, déclare un interlocuteur, " du feu allumé pour chauffer les pierres avant de les casser ". Ne disposant pas de roues usées de véhicules comme cela se fait dans certaines carrières, ils brulent  " les écorces des arbres ou celles des billes de bois obtenues auprès des usines ou sociétés qui font dans la transformation du bois ". A quelques mètres de là, des individus s'affairent à vider un camion de son contenu constitué des écorces de bois.
Après quelques hésitations et après avoir pris connaissance de l'objet de la présence des inconnus à cet endroit, l'ami de " Caïman ", qui entre temps s'était rapproché du petit attroupement formé autour des inconnus et s'était rassuré que ces nouvelles faces n'étaient pas des opposants politiques, accepte de parler. " J'étais jeune, affirme-t-il, quand les militaires sont arrivés ici. Toutes les issues étaient bouclées. Ils n'acceptaient pas que les civils s'approchent de la Carrière. Ils ont exécuté les putschistes au front. Les exécutions avaient eu lieu aux premières heures de la matinée. Ils étaient placés de sorte qu'après avoir tiré les populations avoisinantes ne soient pas touchées par les balles perdues. Après l'exécution, ils ont transporté les corps dans des camions militaires et sont allés les enterrer vers le Carrefour Sang (Carrefour Sangmelima, Ndlr) où on peut vous indiquer l'endroit exact."
Situé à environ 6,4km de Mbalmayo, le Carrefour Sangmélima est facilement repérable par le voyageur en partance soit pour Sangmelima (chef lieu du département du Dja et Lobo), soit pour Ebolowa (capital de la région du Sud et chef lieu du département de la Mvila). Il ne s'agit pas d'un carrefour au sens strict du terme, mais d'une voie principale qui, à cet endroit se sépare en deux autres voies, l'une allant à Ebolowa, l'autre, après un virage à gauche se dirigeant vers Sangmelima. Au milieu de ce " carrefour ", le terre-plein est régulièrement utilisé par certains commerçants pour exposer leurs marchandises, le plus souvent constituées de canne à sucre, d'ananas, de papaye, bref de fruits et légumes.
A la question de savoir où se trouve l'endroit où les cadavres des personnes exécutées à Oyack dans le cadre du putsch de 1984 ont été inhumés, un interlocuteur approché -  qui dit appartenir au corps de la police et qui aurait travaillé pendant quatre ans, " au poste de contrôle ", sis à l'entrée du " carrefour sang” - tente de brouiller les pistes. Selon lui, " il s'agit d'une affaire d'État. Personne ne peut vous dire avec exactitude où ces cadavres ont été enterrés. Les militaires faisaient beaucoup de manœuvres. Ils pouvaient ramasser la terre ici pour aller la mettre là-bas sans que l'on ne sache vraiment où ils allaient les enterrer. Toujours est-il qu'ils avaient dissout les corps dans de l'acide avant de les ensevelir". Ce faisant, ses gestes et lapsus trahissent sa pensée et permettent de noter qu'il veut dissimuler l'information.
Un autre interlocuteur, la soixantaine entamée, rencontré à environ 150 m du "carrefour Sang ", sur la route d'Ebolowa soutient, avec quelques réserves, que les corps ont été ensevelis à deux endroits. Pour lui, " c'est l'une des périodes les plus difficiles qu'ont vécu les populations de la localité. On ne pouvait même plus sortir de nos cases. Les militaires étaient partout. Il y avait des voitures militaires partout. Des chars d'assauts étaient postés au carrefour. Pour se nourrir, les villageois allaient chercher feuilles et racines en forêt. ". Tout en indiquant l'un des endroits probables où ont été ensevelis les cadavres, il conseille au reporter de se rapprocher d'un habitant qui vit en ce lieu depuis plusieurs années. Le reporter se déporte chez cet autre interlocuteur qui l'accueille gentiment, mais refuse de " parler de ces choses-là ".
Le cap est mis sur le second endroit, situé à environ 400 m du carrefour, à 114 km de Sangmelima, sis au quartier dit Mvog Ndi (selon les déclarations d'un adolescent), non loin de la rivière " Nsomié ". Un agronome retraité raconte : " Ce n'est pas à Nkolguet, à côté de cette rivière que les cadavres des personnes exécutées en 1984 ont été enterrés. J'étais en Occident quand cet événement est survenu. J'avais d'abord appris que c'était à Nkolguet qu'ils avaient été enterrés. Mais, quand je suis revenu au village, toutes les sources contactées ont affirmé avec certitude que c'est là à la montée, là où les enfants jouaient au football, que les cadavres ont été enterrés. Les herbes ont envahis ce terrain vague sur lequel les enfants ne jouent plus depuis trois ans. Nous continuons à nous demander pourquoi on avait choisi cet endroit pour venir enterrer ces gens là. " Quelques personnes rencontrées estiment qu'en les enterrant à Mvog Ndi, non loin de la route, Paul Biya voulait aussi montrer aux " nordiste " qu'il les dépasse, qu'il est très fort et qu'il peut marcher sur les têtes de leurs frères chaque fois qu'il passe pour rejoindre son village ou quand il y revient.
Justement au lieu indiqué, non loin de la borne kilométrique 114, se trouve ledit terrain vague. Il est loisible, à partir de la route, d'observer les deux poteaux des buts reliés par une transversale. De l'autre côté du terrain, l'un des poteaux des buts se trouve au sol, rongé probablement par les termites et autres charançons. Un adolescent qui prenait part aux activités sportives organisées sur ce terrain ne sait pas que ces camarades et lui jouaient sur "la tombe des gens". Pourquoi cet espace n'est-il plus utilisé comme aire de jeu depuis trois ans ? Le jeune adolescent ne peut trouver une réponse à cette question. Probablement, un lieu maudit.
Jean-Bosco Talla
à Mbalmayo

35 condamnés à mort exécutés à Mbalmayo
Malgré les manœuvres de diversion orchestrées par les pouvoirs publics pour camoufler les lieux ou se déroulent les procès des personnes arrêtées dans le cadre du putsch d'avril 1984, l'opinion publique sait que ces procès se sont tenus à Mbalmayo (actuel chef lieu du département du Nyong et So'o situé à une cinquantaine de kilomètres de Yaoundé), à Mfou (actuel chef lieu du département de la Mefou et Afamba situé à une vingtaine de kilomètres de Yaoundé) et à Yaoundé. Les premières audiences du procès de Mbalmayo s'ouvrent le 28 avril 1984. A Yaoundé, le procès se déroule du 11 au 14 mai 1984. Rompant avec le silence traditionnel, la radio nationale égrène le nombre de condamnés, mais s'abstient de dévoiler leur identité. Les auditeurs apprennent que " sur 1053 personnes arrêtées 617 ont été remise en liberté dès la fin de l'enquête. Sur les 436 cas dont il a saisi par voie de citation directe, le tribunal militaire a statué et a prononcé : 46 condamnations mort dont 3 par défaut ; 2 condamnations à vie ; 183 condamnations à des peines allant de deux à vingt ans de détention ; 183 relaxes ; 22 cas ont été renvoyés pour complément d'enquête. ". La radio évite de dire aux auditeurs que  tous les 35 condamnés à mort à Mbalmayo, le lundi 30 avril à 1heure ont été exécutés le 1er mai 1984 à 5h30mn et enterrés à environ 400 m du " carrefour Sang ". Parmi les principaux, on peut citer, le colonel Sadou Ibrahim; Ahmadou Sadou, commissaire principal de Police, Yaya Adoum, sous lieutenant; Issa Adoum, Dg Fonader; le capitaine Awal Abassi, le Le lieutenant Elie Zebobe; les capitaines de gendarmerie Abali et Abalélé, le lieutenant Arouna et les vingt six autres.
J.-B. T

Condamnés à mort et exécutés à Mbalmayo le 1er mai 1984

Noms et Prénoms
Grades ou Fonctions
Date et lieu d'exécution
1
ABALELE ABAYA
Capitaine
1er mai 1984, Mbalmayo
2
ABALI IBRAHIM
Capitaine

3
ABOU KATIL
Sergent
Suicidé
4
ABOUBAKARI LIMANGANA
Maréchal des logis chef
1er mai 1984, Mbalmayo
5
ALIOUM HAMAL
Adjudant-chef

6
AMADOU ALADJI DJATAO
Maréchal des logis chef

7
AMADOU AMINOU
Lieutenant

8
AMADOU SADOU
Capitaine

9
AWALABASSI
Capitaine

10
BOUBAOUMAROU
Capitaine

11
DAMA WASSOU
Lieutenant

12
DJIDDA DJIBRIL
Capitaine

13
DONGUE Etienne
Maréchal des logis chef

14
DOURANDI Mathieu
Lieutenant

15
HAMADOU HAMAHOULDÉ
Maréchal des logis chef

16
HAMZA Paul
Lieutenant

17
HAROUNA
Lieutenant

18
ILOU OUSMAN
Adjudant

19
ISSAADOUM
Dg Fonader

20
KOMANDA René
Maréchal des logis chef

21
MALIKI
Lieutenant

22
MARKISSAN SAIDOU
Sergent

23
MEIKLANDI MEY
Maréchal des logis chef

24
NGOMNA
Lieutenant

25
NLOHOU ADAMOU
Maréchal des logis chef

26
OUMAROU YORONGUÉ
Lieutenant

27
OUSMANOU NGAINIL
Maréchal des logis

28
SALE IBRAHIM
Colonel

29
SALI OUMAROU
Adjudant

30
SAMBO Etienne
Maréchal des logis

31
SEHOU TOURÉ
Adjudant

32
SOULEY GOURNOI
Lieutenant

33
YAYA ADOUM
Sous-lieutenant

34
YAYA MAZOU
Capitaine

35
ZEBOBE Elie
Lieutenant

Condamnés à mort et exécutés à Mfou les 15 et 16 mai 1984

N° 1
Noms et Prénoms
Grades ou Fonctions
Date et lieu d'exécution
1
BANAMO
Gendarme
15 mai 1984, Mfou
2
DALIL MOYAL
Adjudant-chef
15 mai 1984, Mfou
3
DANLADI MAITOURARI
Maréchal des logis chef
16 mai 1984, Mfou
4
DANMO Blaise
Maréchal des logis chef
15 mai 1984, Mfou
5
DJIBRILLA BOUSSA ADJI
Gendarme
15 mai 1984, Mfou
6
KASKA ALCAO
Gendarme major
15 mai 1984, Mfou
7
OUSMANOU SALBE
Maréchal des logis chef
16 mai 1984, Mfou
8
TRAPTOUANG Philippe
Gendarme major
15 mai 1984, Mfou

Condamnés à mort et exécutés à Yaoundé

N° 1
Noms et Prénoms
Grades ou Fonctions
Date et lieu d'exécution
1
AFTADAY ISAAC
Maréchal de logis chef
09 août 1984  Yaoundé
2
INOUA MOHAMAL
Maréchal de logis chef
09 août 1984  Yaoundé
3
SOUWE Thomas
Sergent
1er juillet 1984  Yaoundé
4
YAYA OUMAROU
Civil
09 août 1984  Yaoundé
Morts en détention pour mauvais traitement, mauvaise
alimentation et manque de soins
Noms prénoms
Grades
Date de décès
1
ADAMA AHI
Gendarme
12/10/1984
2
ADAMA WAPOUO
Gendarme
15/04/1985
3
AMADOU SADOU
Gendarme
05/09/1987
4
BATCHANE
Gendarme
25/01/1985
5
BOUBA GONI
Sergent-chef
03/02/1988
6
DAOUDOU Dieudonné
Gendarme
03/12/1987
7
DJAKAYA Albert
Gendarme
13/08/1987
8
DJELANI GONI
Gendarme
27/10/1984
9
DJIBERSOU TCHASSOU
Sergent-chef
03/03/1988
10
GOLDON Jean
Gendarme
12/10/1984
11
HAMALAMOU
Gendarme
02/02/1987
12
HAMAN KOULOUDA
Gendarme Major
27/07/1988
13
HINBARA Marcel
Gendarme
19/12/1985
14
MADI Pascal
Gendarme
25/09/1987
15
MADOUM DOGO
Capitaine
03/12/1989
16
MONGASPE Mathieu
Gendarme
08/04/1985
17
MOUDIO HILDIMA
Administrateur Civil
11/04/1989
18
MOUSSA DJIBE
Gendarme
15/08/1987
19
NAGASSOU Pascal
Gendarme Major
11/10/1988
20
NGAWBAI Joseph
Gendarme Major
03/07/1988
21
TOUMBA Paul
Gendarme
21/08/1988
22
WALA Dieudonné
Maréchal des logis chef
27/10/1984
23
WANMENE Victor
Gendarme Major
17/08/1988
24
WARON Jean
Gendarme
03/10/1984
25
YODELEGON Mathieu
Maréchal des logis chef
14/10/1984

Condamnés à mort et peine commuée en détention

Noms prénoms
Grades

1
IBRAHIM OUMAROU,
Commandant

2
SALATOU ADAMOU
Capitaine

Condamnés à mort et se sont exilés

Noms prénoms
Grades

1
GARBA En exil
Lieutenant,
Exilé
2
GUERANDI
Capitaine
Exilé
3
HAMADOU ADJI
civil,
Exilé







19/08/2010
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