Les deux plaies béantes du droit d’auteur au Cameroun

Les deux plaies béantes du droit d’auteur au CamerounA l’instar du football qui a anormalement phagocyté toutes les disciplines sportives, l’art musical occulte tous les pans de la culture camerounaise, faisant du ministère de tutelle celui de la musique. Tout se passe comme si le cinéma, l’art plastique, l’art dramatique etc., n’intéressaient que ceux des artistes qui y croient encore. La culture en général et le droit d’auteur en particulier sont au creux de la vague et des artistes abandonnés à leur triste sort.
L’idée de faire de la musique le « ventre dur » de la culture et la vitrine du Cameroun, à l’intérieur comme à l’extérieur, est visiblement un échec depuis bientôt trente ans. Bien loin du début des années 70 et 80 où les rythmes camerounais briguaient la tête de tous les hit-parades en Afrique et dans le monde. Il est difficile aujourd’hui, de ne pas questionner les évènements politico-culturels qui ont émaillé le pays au passage du vent des libertés, au cours desquels chaque élite politique trainait, dans de longues caravanes électorales, des artistes de son ethnie.

Autant on a vu des partis ethnico-tribaux se constituer, autant le domaine de la culture, comme tous les secteur de la vie nationale n’a pas dérogé à la logique des divisions. Toutes les structures en charge du droit d’auteur et du droit voisin du droit d’auteur connaissent des clivages ethniques profonds qui n’ont rien à voir avec la compétence dont on a cruellement besoin dans un secteur aussi sensible et complexe.

Les artistes musiciens sont, comme bien des Camerounais, victimes d’instrumentalisation à des fins de contrôle de pouvoir. Comme dans la Grèce antique qui réussit à mieux distraire le peuple par les jeux et les loisirs onéreux et qui mieux endort les facultés réflexives, maintient le statut quo et garde le peuple sous son giron. C’est peut-être ce qui explique le flou que les pouvoirs publics, à travers leurs démembrements, entretiennent dans ce secteur.
L’échec actuel dans la structuration du droit d’auteur et du droit voisin du droit d’auteur est à l’initiative de deux femmes : la première, titulaire du portefeuille de la culture et la seconde, présidente du conseil d’administration de la société camerounaise de l’art musical (SOCAM).

Ama Tutu Muna

Fidèle à l’éducation reçue de son valeureux père, qu’elle n’a plus quitté jusqu’à sa mort, la ministre de la culture est présentée comme une femme au « caractère sidérurgique ». Sa témérité a d’ailleurs fait dire à de nombreux observateurs qu’elle aurait reçu de son défunt père son testament spirituel. Son arrivée dans ce ministère a suscité un grand espoir aujourd’hui perdu. Elle fut secrétaire d’Etat au commerce à 44 ans, situation presque inédite sous le règne Biya. Son âge et son éducation ont quelquefois permis au président de se défendre du caractère sénile de son gouvernement à l’international.

A peine arrivée au ministère de la culture en 2007, une guerre sans raison apparente est ouverte contre Sam Mbendé, alors président du conseil d’administration de la « Cameroon Music Coorporation » (CMC), accusé dans la précipitation de détournement, un peu comme s’il fallait faire vite, avant qu’il ne se fasse trop tard. Le modus operandi est questionnable quand on en arrive dans le même élan, au retrait de l’agrément et à la création de la nouvelle société camerounaise de l’art musical (SOCAM).

A l’analyse de ce qui précède, dire que madame la ministre était en mission commandée ne serait pas un abus d’expression. C’est l’héritage de Ferdinand Léopold Oyono qui semble problématique. Il fallait le déconstruire, sans le détruire, de manière à y tirer tout ce qui était encore utile dans une stratégie savamment pensée et surtout, se débarrasser de tous ceux qui, par nostalgie, contribuaient à pérenniser son œuvre.

Un jour peut-être l’histoire nous dira pourquoi l’une des plus grandes réformes culturelles sur le droit d’auteur dans notre pays, est tant sapée aujourd’hui. Point besoin d’être expert en la matière, pour se rendre à l’évidence que ce droit ne s’était jamais senti aussi mal comme, c’est le cas de nos jours.

Dans sa logique épuratrice aux allures de règlement de compte et de vengeance, personne, mais alors personne, n’a pu faire entendre raison à la ministre, pas même la chambre administrative de la cours suprême qui, statuant sur la forme en décembre 2008, redonnait vie à la CMC jusqu’au 27 décembre 2012 où elle s’est réellement saisie des questions de fond.
Tous ceux qui ont essayé de se mettre sur son chemin l’ont payé à grands frais, y compris certains de ses collaborateurs aujourd’hui sans bureaux. Dans cette affaire, la benjamine des Muna, jusqu’au-boutiste à souhait, fait plus qu’elle ne le pense oublier aux nombreux admirateurs de son père, de Ben, de Akere… le modèle d’une famille à qui tout ou presque a réussi.
Faut-il encore rappeler, qu’un ministre est un serviteur de l’Etat, nommé pour être à l’écoute des populations ? Il ne travaille donc pas pour un clan, encore moins pour des réseaux, fussent-ils ceux qui l’ont ramené aux affaires. La crise autour de l’art musical en particulier, a atteint des profondeurs abyssales, et exige du ministre une totale remise en question, elle qui ne parvient toujours pas, malgré son lobbying, à convaincre les associations internationales de la nécessité de faire confiance à la SOCAM.
Le « colpa mia » est d’autant plus indispensable aujourd’hui, que la brouille entre la ministre et sa protégée de la SOCAM vient de nouveau saler l’addition, et présage de la mort prochaine du droit d’auteur si rien n’est fait.

Odile Ngaska

Plus connue comme enseignante et Pasteur, Odile Ngaska rentre officiellement dans la musique en 1997, par le Gospel qui est un style musical d’actualité dans les églises (dites de réveil aux Etats-Unis où elle a été formée). Elle n’est pas une professionnelle du droit d’auteur au moment de son arrivée à la SOCAM, et semble plus poussée par des réseaux. Ceux qui la soutiennent, ont cru voir en elle un pasteur naïf, qu’ils vont instrumentaliser le moment venu, convaincus qu’ils étaient alors, qu’elle ne résisterait pas aux tempêtes qui font le quotidien du droit d’auteur et du droit voisin du droit d’auteur.

Elle se révèle réellement au grand jour, par sa détermination à faire mourir la CMC. Dans cette entreprise, elle peut compter sur le soutien de madame la ministre, dont l’ennemi (commun) est Sam Mbendé. Elle est tancée par l’ensemble de la presse, sauf par la « radio amplitude » qui a fait du soutien au duo féminin en question, à travers ses animateurs et consultants, son « bras de fer », jusqu’à la tombée en disgrâce du « grand Roméo », leur nouveau champion.

Madame Ngaska fait feu de tout bois, renverse tous les ténors du droit d’auteur au Cameroun, et ne s’émeut pas d’être citée par un journal comme faisant partie, au même titre que sa ministre de tutelle, des personnalités les plus détestées des Camerounais. Raymond Tchengang, son financier vient alors d’être mis en minorité parce que populaire et critique.
Sa perspicacité connait son apogée, avec l’arrivée de son ange de combat Roméo Dika, Sawa, comme Sam Mbende. Quoi de plus normal au Cameroun que de trouver un frère pour combattre un autre?
C’est la décision de la cours suprême statuant sur le fond le 27 décembre 2012 qui va sonner le glas de la longue et palpitante « nuit de noce » avec Dika, qui a confondu popularité et ambition au moment où la PCA qui achève son deuxième et dernier mandat, veut modifier comme le «Nom Ngui», le « six-deux ».
La tombeuse des dinosaures vient de faire une autre victime, ceux qui l’ont longtemps sous-estimée doivent revoir leurs copies. Même la ministre, qui a contribué à la fabriquer politiquement n’y voit que du feu.

Entre temps, l’argent des artistes a été utilisé sans décharge, sans aucune traçabilité dans ces batailles de chiffonniers, sans que ça ne profite réellement aux artistes dont la situation sociale est indemne. La CMC ayant fait appel, on revient à la situation de départ, avec des perceptions anachroniques de part et d’autre.
La propreté du corps trahit celle de l’âme, dit l’adage. Un pasteur qui aime le pouvoir et ses corollaires, peut-il réellement travailler pour les artistes dont les statuts juridique et social sont restés précaires?

La priorité aux artistes mesdames!
L’artiste au Cameroun, c’est celui qui a commis un produit sur le marché, peut importe la qualité et le mode opératoire. C’est cette définition qui nous semble être l’ épine dorsale de ce domaine, car tout porte à croire qu’on peut échouer partout, sans jamais désespérer et se retrouver membre d’une société de collecte et de répartition des droits des artistes.
Se contenter de ne faire que des répartitions, aura pour conséquence logique la solidarité sociale à la maladie et aux enterrements, qui sont eux-mêmes quelquefois des corolaires à l’absence de formations et donc à la pauvreté. Il est plus qu’urgent, pour des corporations d’artistes, qu’ils intègrent dans leurs cahiers de charge la formation, l’information et l’éducation aux métiers qui sont les leurs, quitte à créer des écoles et des conservatoires.

La ministère des arts et de la culture doit cesser de donner l’impression, qu’il est la ministère de la musique, pendant qu’il n’y a plus de salle de cinéma et pas de véritable centre culturel, pour permettre aux artistes de prester et de mieux se faire connaitre. Le palais des sports et celui des congrès ne devraient plus être des salles de spectacle, parce que ce n’est pas leurs missions premières.

Nos enfants dans des écoles n’ont toujours pas la culture des musées, des maisons de l’artisanat qu’on peut, avec le concours du ministère de l’enseignement de base, rendre obligatoire, à tout le moins dans les villes où ces structures existent. Le rêve doit davantage être vendu dans la création des œuvres de l’esprit, à travers la promotion des centres de formation, plutôt que dans l’apprentissage informel, car les « success stories » autour des « selfs made man » ne surviennent pas assez au cours d’un même siècle.

Au lieu de s’engluer dans des batailles usurières et futiles, la ministre gagnerait à laisser libre court aux gestionnaires du droit d’auteur. Arrêter ses immixtions intempestives, et se contenter de ne jouer que son rôle de tutelle, qui pense la politique globale et laisse les aspects techniques aux corporations. La crise actuelle dans le droit d’auteur, vient de sa volonté de régler ses comptes aux responsables, dont le profil n’était pas à ses goûts.

De grâce! Que madame la ministre sauve son « mégot d’honneur » et celui de ceux qui croient encore en elle, en faisant assoir en toute humilité les responsables de la CMC et de la SOCAM, autour d’une table. Honnêtement! a-t-elle encore le choix?

© Correspondance de : Narcis Bangmo, Louvain-la-Neuve (Belgique)


31/03/2013
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