Leaders politiques camerounais: Ces monarques qui s'estiment démocrates

YAOUNDE - 15 DEC. 2010
© Sylvain Andzongo | Repères

La décennie 1990 marque le retour du multipartisme au Cameroun. Plusieurs partis politiques voient le jour, d'autres refont surface.

La décennie 1990 marque le retour du multipartisme au Cameroun. Plusieurs partis politiques voient le jour, d'autres refont surface. Actuellement, l'on compte 231 partis politiques. En 2010, soit 20 ans plus tard, un constat majeur se dégage: la quasi totalité des fondateurs des formations politiques sont restés à la tête de leur parti. Grâce au verrouillage savamment orchestré par les textes qui brouillent les mécanismes de succession à la présidence du parti. Fait curieux, malgré leur longévité, tous ces leaders politiques se revendiquent quand même démocrates. Sauf que leur vision de la démocratie n'inclut jamais, ou presque, l'un des éléments constitutifs de la démocratie qu'est l'alternance. Du fait de leur position, ils sont à jouir du privilège d'être le candidat du parti à l'élection présidentielle, comme ce sera le cas en 2011. «Repères» passe au scanner les plus emblématiques d'entre eux.


M. Paul Biya:
Un quart de siècle déjà qu'il ravive la flamme du RDPC



Paul BIYA
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Au Cameroun, M. Paul Biya bat le record de longévité à la tête d'un parti politique. Il dirige sans partage le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc) depuis 25 ans, soit un quart de siècle. Président national du Rdpc depuis le congrès de Bamenda le 25 mars 1985 où il hérite et change la dénomination de l'ancien parti unique l'Union nationale camerounaise (Unc), il a toujours été réélu par applaudissements faute de concurrent. La question: « Y a-t-il un autre candidat dans la salle ? » posée à chaque congrès extraordinaire consacré au renouvellement du mandat du président national tient du simple rituel. Ce qui ne veut pour autant pas dire que personne n'a jamais eu l'idée de l'affronter. En 2006, par exemple, MM. Tobie Ndi et Peter William Mendie ont agité des candidatures, mais elles n'ont jamais prospéré.

De fait, en l'état actuel des textes du « parti des flammes », rien n'indique comment on fait acte de candidature. Idem sur les conditions qui doivent être remplies. Le même flou entoure aussi la qualité de celui qui réceptionne les candidatures, les cas d'inéligibilité ou d'incompatibilité, etc. Les textes disent juste: « Au cours d'une séance plénière à huis dos, le congrès procède à l'élection du président national. » C'est la commission de politique générale du congrès, ayant compétence entre autres sur l'orientation politique et les statuts, qui présentent la candidature de M. Paul Biya à la présidence nationale.

La suppléance ne peut être assurée ni par les quatre vice-présidents, ni par le Sg du comité centrai, ni par personne, s'il n'est désigné par le président national lui-même. Donc, ce n'est que M. Paul Biya, lui-même, qui peut décider si oui ou non il quitte la présidence du parti ou de son successeur. Pour l'heure cela est une hypothèse mineure.

En tant que président du Rdpc, M. Biya, 77 ans, est le candidat «naturel» du parti à chaque élection présidentielle. Une disposition qui annihile toute autre ambition que celle de M. Biya. Le parti est chevillé à son président national, qui garde la haute main sur son activité programmatique. A dessein ou non, le congrès ordinaire, censé réguler le fonctionnement du parti par le renouvellement de ses organes dirigeants, n'a plus été convoqué depuis 13 ans.



M. Ni John Fru Ndi:
Au SDF, lui seul crie «Power to the people» depuis 19 ans



John Fru Ndi
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La principale raison invoquée par la quasi majorité des démissionnaires (Kah Wala, Bernard Muna, Pierre Tchoua...) du Social Democratic Front (Sdf) est qu'il faut «le changement à la tête du parti». «Repères» dans sa parution du 1er novembre 2010, rapporte à cet effet les propos d'un député Sdf qui pointe du doigt la gestion autocratique de M. John Fru Ndi, 69 ans. Selon lui, le chairman est hostile à tout changement à la direction du parti qu'il dirige depuis 1991.

Seulement, pour être le challenger du président et fondateur du Sdf, il faut d'abord affronter l'article 8.2 qui, depuis la création du premier parti d'opposition le 1er mars 1991, constitue une machine à couper des tetes. Le 8.2 exclut automatiquement ceux qui sont considérés comme menant des « activités politiques susceptibles de nuire à la réputation, aux intérêts et à l’efficacité du parti ou pouvant discréditer le parti ». Un texte taillé à la mesure de M. Fru Ndi qui, pour cette raison, peut se payer le luxe de mettre souvent en jeu son fauteuil lors des différents congrès.

Mais, battre M. Fru Ndi revient également à déjouer ses généraux trônant au sein du Conseil national exécutif (Nec) du parti qui ont intérêt à ce que le Chairman soit toujours plébiscité afin de conserver leurs avantages.






M. Bello Bouba Maïgari:
La présidence de l'Undp assure son



Bello Bouba Maigari
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On peut tout contester à M. Bello Bouba Maigari, sauf sa lucidité politique. Pourtant promis à un bel avenir au regard des résultats de l'élection présidentielle de 1992 au terme de laquelle le président de l'Union nationale pour le progrès et la démocratie (Undp) se classe 3è avec 19,2 % des suffrages, il prône le boycott à la présidentielle de 1997. Une option qui se justifie par son alliance au parti au pouvoir qui lui assure une présence ininterrompue au gouvernement depuis 13 ans.

C'est que, conscient que le rêve de devenir président de la République est irréaliste sous le Renouveau, l'ancien Premier ministre a ramené son ambition de départ à une dimension raisonnable: préserver son strapontin. Aussi, semble-t-il s'être interdit de se porter candidat à une élection à laquelle prend part le président national du parti au pouvoir. Au besoin, toute contestation ou toute promotion autre que celle du président national de l'Undp susceptible de mettre à mal la plateforme de collaboration avec le régime est étouffée. Quitte à provoquer des dissensions au sein de l'Undp et le départ de quelques ténors comme MM. Samuel Eboua ou Issa Tchiroma Bakary.

Des parlementaires et pas des moindres contestent ouvertement son leadership depuis 19 ans. Certains sont même allés jusqu'à dénoncer la plate-forme Rdpc-Undp. Plusieurs fois le congrès de l'Undp a demandé à M. Bello Bouba de se retirer du gouvernement pour cause de non-respect des accords de la plate forme Rdpc-Undp. Le président, lui, ne dit rien. En tant que principal responsable du parti, son poste ministériel est assuré dans tous les cas. Parmi ses militants, d'aucuns estiment que M. Bello Bouba ne voudrait prendre aucun risque. Il a encore sans doute en mémoire l'année 1983 lorsqu'il perd son poste de Premier ministre et connait par la suite exil et traversée du désert. Il a donc tout intérêt à tenir l'Undp d'une main de fer.




M. Garga Haman Adji:
L’unique «chasseur» attitré de l'Add



Garga H. Adji
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L’on ne dirait pas que le parti de M. Garga Haman Adji, pourtant légalisé il y a de cela 19 ans (le 4 juin 1991), a en son sein d'autres membres. Tant l'Alliance pour la Démocratie et le développement (Add) ne fait référence qu'à son leader. A 66 ans, le président de l'Add est le seul «chasseur» dans la forêt Add à qui l'on reconnait tout de même des mérites, puisqu'il s'est classé 2è lors de l'élection présidentielle de 2004. M. Garga doit sa notoriété pour avoir démissionné de son poste de ministre de la Fonction publique le 27 août 1992 alors qu'il tenait dans ses filets des « baleines (détourneurs de fonds publics) ». La dernière sortie du président de l'Add remonte au 20 novembre 2009 à Yaoundé. Ce jour-là, il a exposé à la presse sa procédure engagée auprès de la Justice en vue de l'annulation de l'organe chargé de la gestion des élections, Elections-Cameroon (Elecam).








M. Hameni Bieleu:
19 ans à la tête de l'Ufdc et toujours bredouille



Victorien H. Bieleu
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M. Victorin Hameni Bieleu, 62 ans, regrette amèrement de s'être allié au Sdf lors de la présidentielle de 1992. Sur fond de polémique, le parti au pouvoir l'avait emporté sur le Sdf auquel le président de l'Union des forces démocratiques du Cameroun (Ufdc) s'était accroché. Depuis lors, il fait cavalier seul. Il est demeuré président de son parti depuis sa légalisation le 1er mars 1991, il y a de cela plus de 19 ans. Il ne compte actuellement ni maire, ni député. On ne le voit uniquement lors des échéances électorales. Le dernier congrès extraordinaire de l'Ufdc dont l'opinion a souvenance remonte au 11 septembre 2004. Il devait se faire investir candidat à l'élection présidentielle de cette année-là. Ce qui a été le cas. Et comme d'habitude, il a échoué.

Avec la présidentielle annoncée pour 2011, M. Victorin Hameni Bieleu attendra certainement encore d'avoir connaissance du calendrier électoral pour tenir un congrès où il sera encore désigné comme le candidat de l'Ufdc à l'élection présidentielle. Sachant bien sûr que sa candidature comme celles de beaucoup d'autres membres des partis de l'opposition n'a presque pas de chance d'intéresser l'électorat. Depuis sa déconfiture alors qu'il militait dans le Sdf, le président de l'Ufdc ne se voit plus accompagné d'autres leaders politiques dans le cadre d'une éventuelle coalition de l'opposition. Ou d'une candidature unique.



M. Dakolé Daïssala: Un seul poste dans le Mdr


Dakole Daissala
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Le parti de M. Dakolé Daïssala, le Mouvement démocratique pour la défense de la République (Mdr), est atypique. Depuis sa légalisation le 9 octobre 1991, cette formation politique n'a tenu aucun congrès. La seule fois où les instances du Mdr se sont réunies, c'était à l'occasion d'un forum organisé à Garoua quelque temps après sa création. Sans être le fondateur du parti, M. Dakolé ne prend part à ces assises que parce que ses véritables fondateurs cherchent quelqu'un de représentatif. C'est ainsi que l'ancien ministre des Postes et télécommunications devient le coordonnateur national du Mdr. Sans consultation des militants du parti, de coordonnateur il devient un jour président.

L'architecture dirigeante du parti se réduit à ce seul poste. En français facile, M. Dakolé est tout à la fois, président, secrétaire général, trésorier... En somme, il occupe seul tous les postes. Une gestion qui a sans doute contribué à la descente aux enfers du Mdr. De 6 députés en 1992, le parti ne compte aujourd'hui aucun représentant à l'Assemblée nationale, des élus qu'il troquait contre des postes ministériels, comme en 1992 lors qu’il s'allie au Rdpc. En offrant ses députés qui lui garantissent une majorité absolue au Parlement, M. Dakole sauve le régime d'un revers historique et ce faisant change le destin politique du Cameroun. Tout en sachant que le Mdr ne pèse plus politiquement, il a tout de même soutenu la révision constitutionnelle de 2008 qui a fait sauter le verrou de la limitation des mandats présidentiels au Cameroun. Ce qui permet à M. Biya de briguer un nouveau mandat en 2011, Et au président du Mdr de ne pas désespérer de rebondir. M. Dakolé sait pertinemment qu'il est difficile à M. Biya d'oublier son geste de 1992.




M. Louis Tobie Mbida: Le seul «Coq» du Pdc après papa


Louis Tobie Mbida
Photo: © Louis T. Mbida
«Le Parti des démocrates Camerounais est un parti de 14 gouvernements (son passé le prouve) qui prône l'alternance politique pacifique et la réconciliation nationale.» Dixit M. Alexandre Manga Zoa, membre de la cellule de communication du Pdc, dans un droit de réponse servi il y a quelque temps au quotidien « le Jour ». Le droit de réponse met l'accent sur «l'alternance».

Or, depuis sa re-législation le 5 mars 1991, le parti du «Coq» ne connait qu'un seul président, M. Louis Tobie Mbida. Un parti qu'a d'abord dirigé son père, M. André Marie Mbida. L'actuel président du Pdc, qui s'est exilé volontairement en France durant 13 ans, n'a organisé aucuns congres pouvant ouvrir la possibilité aux autres membres de postuler à l'instance suprême du parti. D'après le témoignage d'un cadre du Pdc approché par «Repères», le parti dirigé par M. Louis Tobie Mbida, qui gère l'héritage de son père depuis 19 ans, n'a tenu qu'un seul congrès.

En d'autres termes, même si le Pdc n'a pas tenu de congrès durant l'exil de son légataire, il est tout de même resté président du parti. Un autre cadre du parti du coq Justifie cet état des choses par le fait que M. Louis Tobie Mbida est «le seul financier du parti». «C'est cela qui lui donne quitus de parler et de continuer à occuper la tête du Pdc durant son exil.» Au lendemain de son retour d'exil le 3 septembre 2010, il s'est déclaré candidat à la présidentielle de 2011 s'il est investi par son parti. Peut-être que le Pdc connaitra-t-il enfin des élections après 13 ans. Mais il sera difficile d'envisager une alternance au sommet du parti où M. Louis Tobie trôné depuis près de 20 ans.




M. Adamou Ndam Njoya, UDC: c’est moi ou mon épouse


Adamou Ndam Njoya
Photo: © CIN Archives
L'Union démocratique du Cameroun (Udc) est légalisée depuis le 26 avril 1991. En 19 ans, ce parti n'a connu aucun autre président que M. Adamou Ndam Njoya. Avant la loi portant sur l'incompatibilité de la fonction de maire et de député, M. Ndam Njoya cumulait pas moins de trois postes: président du parti, maire et député Udc. Peut-être dans l'entendement de «l'union démocratique» de M. Ndam Njoya, l'idée de démocratie n'exclut pas le cumul des fonctions par son président-fondateur.

Contraint d'abandonner le poste de député, le président de l'Udc, 68 ans, a trouvé un subterfuge. Celui de se faire remplacer à l'Assemblée nationale par sa jeune épouse. Mme Patricia Tomaïno Ndam Njoya, juriste à la base, souffle le froid et le chaud au sein du parti de son mari qui, tout en conservant les rênes du parti, contrôle la mairie de Foumban, le chef-lieu du département du Noun. L'entrée de Mme Ndam Njoya à l'hémicycle est couronnée par son intronisation comme porte-parole des députés de l'UDC à l'Assemblée nationale. Elle exige une coupe de 300.000 FCFA sur les indemnités de ses camarades députés. Son époux se tait. Peut-être consent-il, I'Udc étant un patrimoine familial.




Jean Jacques Ekindi:
Un parti progressiste, mais sans changement



Jean-Jacques Ekindi
Photo: © CIN Archives
S'il s'est désisté en 2004, au profit du chairman, M. John Fru Ndi du Sdf, M. Jean Jacques Ekindi, président du Mouvement progressiste (Mp) a toujours été l'unique chef de son parti créé il y a 19 ans. C'était le 23 mai 1991, et la légalisation a eu lieu le 23 août 1991. Plus connu sous le pseudonyme de «chasseur de lion (symbole de M. Paul Biya lors de la présidentielle de 1992)», ne prend pas en compte l'alternance dans ses valeurs démocratiques dans son propre parti. Cela se vérifie dans la biographie que M. Patrice Ekwe Silo

Edimo, le coordinateur de l'équipe de campagne en Europe, dresse à propos de M. Jean Jacques Ekindi. Il parle de « liberté et tolérance, dialogue et respect ». Jamais, il n'est mentionné l'alternance. Dans les activités listées sur le site web de M. M. Jean Jacques Ekindi, il n'est nullement fait mention de la tenue d'un congrès où l'on pourrait penser que le président du Mp est passé par une élection pour toujours régner à la tête du parti. A 63 ans, M. Ekindi nourrit les ambitions de l'alternance seulement au sommet de l'Etat, mais pas dans son parti.



16/12/2010
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