LE VRAI DEBAT Par Celestin Bedzigui

LE VRAI DEBAT Par Celestin Bedzigui
Par lemessager | Mardi 16 mars 2010 | Le Messager  

En écoutant l'enregistrement des propos de Jacques Fame Ndongo sur le plateau de Canal 2 Vendredi dernier, j'ai plus que tout autre personne ressenti non seulement de la pitié, mais une certaine tristesse de ce que peut avoir produit sur les esprits de certains lettrés, les trente années du régime de Biya. Parce que je sais que Jacques Fame Ndongo avec qui nous nous sommes pendant des années appelés par le prénom, lui dont les vues ont souvent retenu l'attention de Biya, sait autant que moi, quel est le vrai débat de l'heure, au-delà des bruits et de la fureur, poussière sans lendemains de quelques gougnafiers en mal d'attention. Le vrai débat est le problème que le régime en place et plus précisément son chef s'est créé avec le peuple camerounais en trahissant de manière éhontée sa confiance, au point où la seule solution appropriée à ce problème est que Biya parte du pouvoir. Et s'il lui restait un peu de l'honnêteté qui fait l'intellectuel, Fame Ndongo aurait conseillé à Biya, à près de 80 ans, de se retirer du pouvoir, pour ne pas se fondre dans une similitude caricaturale avec Robert Mugabe, le gérontocrate du Zimbabwe. Malheureusement, il ne peut le lui dire, d'où ma tristesse et ma pitié.

Le vrai débat, « Jacques », je me le permets une… fois encore, esprit brillant au demeurant, ne doit pas tenter de l'occulter, par des procédés aussi dérisoires que celui de susciter des articles de presse mensongers sur ma personne lorsqu'il ne les écrit pas lui-même, sa plume étant reconnaissable entre mille, ou de venir divertir le public par la construction de scenarii qu'il convient de laisser le temps clarifier, puisque conformément à une loi de la nature, il sera bientôt donné une réponse à Biya et ses séides, eux qui se sont établis en violeurs des normes politiques de notre époque, en continuant de recourir à des pratiques répugnantes des temps révolus qui consistent à étouffer l'expression de la démocratie par un système électoral tronqué, à tuer des civils désarmés lorsque sa pratique du pouvoir est contestée, à instaurer un archipel du goulag tropical pour embastiller ceux qu'ils soupçonnent de vouloir entrer en compétition avec lui, à persécuter et torturer des journalistes qui refusent d'être aux ordres, à faire régner sur le pays une terreur qui ne cache plus son visage…

Le peuple trahi

Lorsque je dis que le peuple camerounais a été trahi, « Jacques » le sait… Une trahison qui est venu violer un pacte républicain scellé il y a bientôt vingt ans… En 1991. Le peuple s'était levé pour réclamer la démocratie. L'immense majorité du peuple. Et Biya avait compris que son pouvoir vacillait. En ces jours de juin de cette année-là, il l'avait d'ailleurs déjà presque perdu, alors que nous, à la Coordination des partis d'opposition, nous tenions haut le pavée à Douala, Garoua, Bamenda, Bafoussam et ailleurs. Le régime s'était alors refugié dans une carapace tribaliste présentant aux populations du Centre-Sud l'aspiration légitime du peuple au changement comme une alliance entre « les Anglo- Bami et les revanchards Putchistes-Nordistes pour prendre le pouvoir aux Béti » ! La confrontation qui s'annonçait promettait d'être sanglante, d'autant plus que la radicalisation de l'opération « villes mortes » impliquait le prise de Yaoundé par un « blocus », toute chose qui était vécue par les populations Béti a Yaoundé comme une déclaration de guerre que les « Anglo- Bami » venaient leur faire sur leur terroir… et qui donnait lieu à des préparatifs de tueries à grande échelle… Plus que jamais, le pays avait besoin de personnes suffisamment crédibles, bien introduites et pouvant servir de ponts entre les deux camps qui semblaient irréconciliables. Je jouissais à la Coordination d'un certain crédit, parce qu'y étant l' un des rares Bétis, vivant à Douala et y ayant occupé une position de direction générale d' une société à capitaux partiellement publics, j'en connaissais la plupart des membres ; de surcroit, marié à une Bamiléké, ayant par ma mère des ascendances peuhles, donc « Nordiste », je rassemblais toutes les caractéristiques me permettant de naviguer à l' aise entre la plupart des personnes impliquées tant du côté du pouvoir que de la coordination. J'étais ainsi appelé, à la tête d'un pôle modéré de partis politiques, à jouer un rôle déterminant pour non seulement arrêter l'escalade qui conduisait le pays vers la guerre civile, mais à établir une plateforme de sortie de crise, en amenant les protagonistes autour d'une table, après que le pays ait été au bord de la déchirure. Je me souviens notamment avoir rencontré Bello Bouba fraichement rentré d'exil à l'hôtel résidence La Falaise à Akwa-Douala, Soppo Priso dont la sympathie pour la Coordination n'était pas un secret, le Comité de Sages à Yaounde chez l'ancien Premier ministre Simon Pierre Tsoungui et j' en passe.

J'ai rencontré Biya en son palais au plus fort des « villes mortes », lorsque très peu des leaders de l'opposition avaient le courage de le faire. Je m'y étais fait accompagner, ce jour-là, 19 juillet 1991, par deux « camarades » du Pal (parti de l'alliance librale, ndlr), Jean Claude Tchagou et Martial Ndoe Essono. Notre entretien, prévu pour durer trente minutes dura deux heures, en tête à tête, comme vous pouvez en jugez par la photo ci-contre, du grand salon de réception des hôtes. Je lui ai dit qu'il y avait une nécessité absolue, contrairement à ce qu'induisait son apothème « la conférence nationale est sans objet », à organiser une assise nationale pour que les Camerounais se parlent et redéfinissent les bases et les contours d'un ordonnancement institutionnel. Je lui a présenté ce jour-là « un Plan de sortie de crise », document où je proposais l'organisation d'une « Conférence Tripartite », sorte de « table ronde » comme en demandaient depuis le temps de l'indépendance les Nationalistes en lutte. Ce document comportait également des recommandations politiques qui se retrouveront pour l'essentiel dans le texte scellant l'Accord de la Tripartite. Biya transmettra au Premier ministre ce document, l'instruisant de travailler avec moi pour sa mise en œuvre, parlant une fois de plus sous le contrôle de « Jacques ».

Je me suis ainsi retrouvé à être, avec le Premier ministre Hayatou, un de ceux qui ont assuré pendant trois mois l'ingeniering politique de la Tripartite, avec mon frère et ami, le très regretté Antar Gassagay qui assurait le relais avec la nébuleuse de l'UNDP et de Cap Liberté, mon ami le regretté Dr. Tchwenko connecté sur le SDF, le Prince Dicka assurant le relai avec la nébuleuse de l'UPC, Ngo Mukwelle et Njoh Litumbe assurant le relais avec la nébuleuse du Sud-Ouest. Je parle ici sous le contrôle de … l' ancien Premier ministre Hayatou, de Pierre Moukoko Mbonjo, alors chef de Cabinet de ce dernier, de « Jacques » Fame Ndongo , alors chef de la cellule de la Communication au cabinet civil de la présidence de la République, et … du Président Biya lui-même. Ma condition pluriculturelle nourrissait ma foi en ce que notre pays ne devait pas sombrer dans la guerre civile où mes enfants demi Eton demi Bamiléké n'auraient pas su de quel coté se tourner. De plus, de mes échanges avec Biya et mes fréquentes consultations avec les leaders de la Coordination, le Premier ministre Hayatou, Jacques Fame Ndongo, il ressortait que pour tous les protagonistes, le dérapage vers la guerre civile n'était pas une option et que le compromis était retenu par tous comme la solution la plus patriotique. Nous tous qui étions, pour peu ou prou, impliqués dans cette manœuvre et virage politiques extrêmement délicats, avons donc tout fait pour sortir notre pays de l'engrenage infernal où il était lancé, quelques fois en prenant des risques extrêmes sur nos vies, dans une atmosphère quelque fois alourdie par l'incompréhension de certains et l'ignorance par d'autres des enjeux et des risques ; je le dis en regardant … Jacques Fame Ndongo dans les yeux. C'est ainsi que nous sommes partis des Villes Mortes à la Tripartite pour finalement asseoir un compromis qui, s'il avait été politiquement et honnêtement implémenté par la suite, aurait dispensé le Cameroun des affres, des transes et des blocages politiques où stagne notre pays depuis 15 ans, tout cela à cause de ce qu' il faut bien designer par son nom : la trahison par Biya de la confiance que le peuple nous a fait en arrêtant les villes mortes et en reprenant une vie normale après la signature de l'Accord de la Tripartite.

Cet accord disposait entre autres:

« Les participants de la Rencontre Tripartite de Yaoundé, partis politiques, représentants des pouvoirs publics et personnalités indépendantes…. dans le but d'enraciner la démocratie dans notre société, … sont arrivés à un large consensus … sur les options constitutionnelles majeures suivantes :

- II. 4.  la limitation du mandat présidentiel à cinq ans renouvelable une seule fois. »

- II. 8. le renforcement de l'immutabilité de la Constitution.

Tous les 300 participants à la Tripartite que nous étions, nous nous sommes alignés pour signer cette Déclaration dont les membres du comité de rédaction sur les questions constitutionnelles comptaient entre autres  le Pr. Carlson Anyangwe, le Pr. Joseph Owona, Benjamin Itoe, le Pr. Stanislas Melone, le Pr. Lekene Donfack, le Pr. François Mbome, Maitre Edmond Loe, le Pr. Simon Munzu, Ateba Ngoa, Maitre Ekotang Elad. Un accord politique d'une telle envergure, parce qu'il a ramené la paix dans le pays, revêt un caractère sacré et ne saurait être violé par un homme politique de noble intention.

Lorsque tout au long de ces dernières années, Monsieur Biya, unilatéralement, a entrepris de violer et l'esprit et la lettre de cet Accord, en s' adonnant au « banditisme politique » des manipulations de la Constitution contraire à la prescription de l' immutabilité de la Constitution énoncée au point II.8. de la Déclaration de la Tripartite, en modifiant la durée du mandat présidentiel pour le porter de 5 à 7 ans, et insatiable dans son désir de jouissance des plaisirs du pouvoir, en faisant sauter la limitation du nombre de mandats, deux mouvements bafouant la limitation du mandat présidentiel tel qu' il avait été convenu explicitement et formellement au point II.4 de l' Accord de la Tripartite, il a commis une forfaiture qui le disqualifie de se prévaloir de quelque manière que ce soit de respecter le peuple du Cameroun, puisqu'il a apporté la preuve indéniable qu'il n'a aucun respect des accords qu'il passe avec ce dernier… Il était pour nous important d'expliquer à la grande majorité de notre peuple quelle est la nature réelle de la crise politique latente que vit notre pays, et de la raison de notre détermination absolue à confronter à ce sujet Monsieur Biya. Le fait d'avoir contribué à établir en ces temps-là ce que nous croyions être une solution politique à la crise que traversait notre pays nous commande de dénoncer une attitude de duperie de celui dont la charge était d'assurer noblement la mise en œuvre de cette solution. Si nous ne le dénonçons pas et ne travaillons pas à rétablir le peuple dans ses droits démocratiques, nous passerions alors pour des complices de cette forfaiture, ce qu'avec notre dernière énergie, nous ne pouvons accepter.

Protection internationale

L'aspect le plus grave de cette situation se trouve dans le prix du sang payé par le peuple lorsqu'il a essayé, à travers ses jeunes, de manifester son désaccord sur cette inadmissible dérive. Car on a vite fait de nommer les incidents de février 2008 « émeutes de la faim ». Il ne s'agissait pas d' « émeutes de la faim ». C'est l'intuition de la jeunesse de notre peuple qui, vivant au fil des jours la dégradation de ses conditions d'existence sous le régime Biya, a perçu le danger qu'il y avait à ce que celui-ci reste au pouvoir, les choses devant dans cette éventualité se détériorer davantage. C'est cette perspective appréhendée dans leur subconscient, qui a poussé les jeunes dans la rue, eux, ces jeunes sur qui pèse la plus grande part du danger auquel le pays est exposé du fait d'une gestion marquée du sceau d'un manque de vision, de l'improvisation, des lourdeurs bureaucratiques matinées de la corruption des fonctionnaires.

Monsieur Biya qui est un fin connaisseur des dynamiques politiques, a bien compris la raison du mouvement des jeunes et a choisi, pour faire un exemple, d'ordonner l'utilisation d'armes de guerre contre des citoyens désarmés, là ou le matériel anti-émeutes aurait été approprié, à la suite de quoi une centaine d'entre eux ont été tués. Mais bien plus, maintenant, il entend maintenir le peuple en état de prostration, en faisant régner sur le pays un climat de terreur illustré par les interpellations abusives de citoyens par des services comme la DGRE alors que ceux-ci sont chargés du contre espionnage, les détentions administratives de certains de nos compatriotes comme Liman Oumate, le maintien en détention politique, sous le prétexte fallacieux de participation à des actions violentes, des symboles comme Lapiro de Mbanga et Paul Eric Kingue, ou sous le prétexte d' une opération « Epervier » orientée vers l'élimination des personnes qu'il craint être des adversaires politiques potentiels, des figures comme Pierre Désiré Engo, Titus Edzoa, Etonde Ekotto et les autres…

Le débat que nous avons décidé d'engager sur notre pays, autant devant l'opinion publique nationale que devant les instances internationales, au cours des prochains mois, à travers notre action, après la pétition déjà introduite au Secrétaire général de l' ONU demandant la mise sur pied d'une commission d'enquête internationale sur les massacres de février 2008, va s'élargir par la saisine dans les prochaines semaines du secrétariat général de l'ONU en vue d'une traduction au Conseil de sécurité de l'ONU du régime de Biya au motif de son refus de se conformer aux recommandations du Pacte international relatif aux Droits civils et politiques de la Commission des Droits de l'Homme de l' ONU édictées par son Acte CCPR/ C / 76 /D/ 1369 / 2005 du 17 août 2009 et relatifs au violations de ses droits humains dont est victime Pierre Désiré Engo et demandant son élargissement. Nous soumettrons ensuite au Pacte international relatifs aux Droits civils et politiques de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU une requête aux fins d'examen de la situation des prisonniers politiques au Cameroun dont le nombre va croissant, Lapiro, Kingue, Edzoa, Etonde Ekoto, et les autres, la liquidation des adversaires politiques potentiels ou de la contestation justifiant désormais que soit accolé à quiconque un motif avilissant pour justifier son embastillement.

Voila donc le Vrai Débat. Il ne sera occulté ni par des diversions, ni par des attaques mensongères sur ma personne qui au demeurant sont sans effet sur ma détermination et la foi que j'ai en ma mission. Ce débat se résume à la question savoir si un individu qui choisit d'ordonner que soit commis de graves violations des Droits de l'Homme et des droits politiques, ravalant un Etat moderne à avoir un comportement d'Etat voyou, si une telle personne mérite d'être maintenue à la tête de l' Etat, par des procédés puant l'irrégularité, lorsque surtout, au fil des jours , le recours à des pratiques d'intimidation et d'oppression se multiplient ?

Voila le Vrai Débat auquel nous entreprenons d'associer la Communauté internationale, pour protéger le peuple camerounais du pire.

Que Dieu bénisse le Cameroun.

New York, 14 mars 2010

Celestin Bedzigui,

Chairman, Global Democratic Project,

En exil aux USA

Democratic.project@ymail.com

www.global.democraticproject.com



16/03/2010
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