Le vrai bilan du Renouveau: La «feymania» d'Etat

Douala, 30 Avril 2013
© PONUS | Ouest Littoral

En érigeant le détournement des deniers publics et la corruption en mode de gouvernement, le Renouveau a installé le Cameroun, depuis le 6 novembre 1982, dans un tunnel dont la sortie hypothétique est annoncée pour 2035. Aujourd'hui, la prison de ses dignitaires de haut rang n'est que le reflet de son propre bilan. Quelle image!

«L'armée nationale vient de libérer le peuple camerounais de la bande à Biya, de leur tyrannie, de leur escroquerie, et de leur rapine incalculable (...) Le gouvernement et ses agents propulsés à la tête des rouages de l'Etat, agissaient avec comme pour seule devise, non de servir la nation, mais de se servir. Oui, tout se passait comme s'il fallait se by Text-Enhance">remplir les poches, le plus rapidement possible, avant qu'il ne soit trop tard». Cet extrait du discours des putschistes du 6 avril 1984, sonne aujourd'hui comme une prophétie, et on se demande comment ils ont pu être aussi inspirés 17 mois seulement après l'accession de Paul Biya à la magistrature suprême.

Effectivement, seuls les illuminés pouvaient prêter une oreille attentive à un discours aussi blasphématoire à un moment où l'arrivée de Paul Biya au pouvoir, était semblable à celle d'un messie venue pour sauver le Cameroun de près de 25 ans de «dictature, de médiocrité, de gabegie, de favoritisme, de... ».

L'évangile était d'autant plus crédible que le séminariste Paul promettait de placer le pays dans le principe de la persévérance dans l'effort, sous le signe de la rigueur, de la moralisation et de l'intégration nationale. Et pour démontrer qu'il était «Rigueur et moralisation» faits homme, certains de ses «apôtres» de la première heure, publièrent une photo de la case de sa mère dans son village natal, à Mvomeka, faite en terre battue. Les mêmes, lui attribuèrent une modeste provision bancaire d'environ 600 000 FCFA. Quelle sobriété!

Autour de la même époque, dans un entretien à la chaîne française Radio Monte Carlo, Paul Biya répondit qu'il voudrait que la postérité retienne de lui: «l'homme qui a apporté à son pays la démocratie et le prospérité».

La messe était donc dite et l'adhésion totale évidente. L'euphorie grégaire fit de tous les Camerounais, des disciples inconditionnels de cette nouvelle religion: le Renouveau national, dont le gourou n'était autre que Paul Barthélemy Biya Bi Mvondo. Toute pensée contraire n'était que païenne voire satanique.

A peine quelques mois sur le trône, le gourou d'hier s'est transformé en «monstre naissant» et a présenté son vrai visage au grand ahurissement de ses disciples qui comprendront plus tard qu'il avait prêché par l'inverse, en disant le contraire de ce qu'il pensait. Déjà, l'idée de faire de la délivrance des licences de vente de boissons alcooliques, son tout premier acte de libéralisation, était un signe prémonitoire pour les exégètes de la politique. Et la pléthore des débits de boissons qui ne respectent plus aucune règle, et ses conséquences, sont là aujourd'hui pour distraire, endormir et égarer les Camerounais.

Bien avant le message des putschistes du 6 avril 1984, l'hebdomadaire «Le Canard enchaîné» du 16 mars 1983 avait dévoilé deux acquisitions de Paul Biya en France, l'une avenue Foch à Paris, l'autre sur la Côte d'Azur, à Cagnes-sur-Mer. Cette révélation n'avait pas eu de grandes incidences dans la mesure où, non seulement la plupart de Camerounais n'avaient pas accès à ce journal, mais surtout ne voulaient pas céder aux informations toxiques qui pourraient nuire à la bonne marche de la politique de l'homme du 6 novembre en qui, ils avaient fondé tout leur espoir. Pris de panique, le gouvernement camerounais, à travers la presse gouvernementale, expliqua alors qu'il s'agissait d'un certain Camerounais nommé Biya Paul et non du Président que nous connaissons.

Voila en réalité le début de ce qui devait se transformer désormais en institution. Le pouvoir au Cameroun est alors devenu une vaste mangeoire nationale aux plats gargantuesques où la boulimie des accrédités et la gloutonnerie rivalisent d'adresse. A l'époque, les journaux privés qui tentaient de dénoncer un gestionnaire public, étaient aussitôt précipités dans la géhenne des mécréants du Renouveau. Paul Biya allant même jusqu'à demander les preuves lors d'un discours historique, comme pour démontrer que les supposés coupables n'appliquent que la politique qui leur a été dictée par la hiérarchie.

Par la suite, beaucoup de révélations du genre ont pris le relais. Pour ceux qui doutaient encore, un de ses proches, le Professeur Titus Edzoa, au cours d'un entretien après sa démission, déclarait que Paul Biya est «le Camerounais le plus riche», qu'il est d'ailleurs plus riche qu'on ne le pense, avait-il ajouté.

L'exemple venant d'en haut, la réalité est ce qu'on connaît aujourd'hui, et le scénario est récurrent. C'est ainsi que de «pays à revenu intermédiaire» au 6 novembre 1982, le Cameroun compte aujourd'hui parmi les «pays pauvres très endetté» (derniers de la planète), après avoir traversé le cap de «pays les moins avancés». Si cela paraît absurde pour un pays béni de Dieu, il suffit de jeter un regard sur la manière dont cette «Afrique en miniature» est gérée pour percer le mystère.

Plus grave, le mal va grandissant. On se souvient que le Cameroun a mérité par deux fois, le trophée de champion du monde en corruption. Dans le rapport de l'année 2012 de Transparency international, le Cameroun occupe la 144ème place sur 174 au niveau mondial et la 34ème sur 48 au niveau africain. Ce qui signifie un recul de 10 places acquises ces dix dernières années. A titre de rappel, «depuis les années 1998 et 1999 où le Cameroun a été respectivement classé 85ème/85 et 99ème/99, c'est en 2011 que ce pays a enregistré son meilleur résultat depuis 15 ans, avec la 134ème place sur 182 sur un Ipc de 2.5. Dans la liste des années moins mauvaises, on peut également ajouter: 2002; 59ème/102, 2007; 138ème/180, 2008; 141ème/180, 2009; 146/180, 2010; 146/178. En dehors de la débâcle des années 98 et 99, les années 2000 (84ème/90), 2001(84ème/91), 2003 (12ème/133) et 2004(129ème/145), sont considérées comme les plus mauvaises».


30 ans de faillites politique, économique et morale

Quand on sait que dans ce royaume de la corruption, la quasi-totalité des membres du gouvernement et des sociétés d'Etat appartiennent au Rdpc, on n'a plus besoin d'un croquis pour comprendre d'où viennent les malheurs du Cameroun. Ils étaient pourtant des diplômés des grandes institutions bien reconnues, avec un cursus exemplaire pour certains, mais ils ont été embarqués dans un système, et mis au service de la médiocrité et des intérêts égoïstes. Par conséquent, ils ont désormais pour lieu de résidence, la prison, pendant que beaucoup d'autres prisonniers comme eux, sont encore en liberté. En effet, la normalisation du détournement des deniers publics et de la corruption leur a enlevé tout sens politique et moral et a occasionné la faillite des Entreprises d'Etat.

Comment comprendre que les fonctionnaires soient plus riches que les hommes d'affaires dans un pays, si ce n'est le fruit d'une «feymania» institutionnalisée? Le mal est si profond quand on sait que les sommes mises en causes sont hallucinantes. Sur le tard, une pléthore d'institutions spécialisées pour aller en guerre Contre la corruption a été créée: le Ministère du Contrôle supérieur de l'Etat, la Commission nationale anti-corruption (Conac), l'Agence nationale d'investigations financières(Anif), le Programme national de bonne gouvernance; les Comités ministériels d'éthique et de lutte contre la corruption; la Chambre des comptes de la Cour Suprême; les Agences sectorielles de régulation a l'instar de l'Art, l'Arsel, l'Arme, le Tribunal criminel spécial. Seulement, ce sont autant d'organes dont on ne maîtrise, ni la collaboration, ni l'interaction, seule la Présidence de la République aurait le dernier mot dans tout ce qui concerne leurs activités. Toutefois, les analystes estiment que la première guerre contre ces fléaux devrait commencer par la mise en œuvre de l'application de l'article 66 de la constitution de 1996. Cela fait 17 ans qu'on attend.

Maintenant qu'il est clair que «rigueur» et «moralisation» ne sont plus que des sobriquets sous l'ère Biya, il y a lieu de se demander si le «Renouveau national» existe encore. En tout cas, ce serait faire preuve de provocation et de beaucoup de courage que de prononcer encore un tel slogan qui a servi à appâter un peuple qu'on a cocufié par la suite.


03/05/2013
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