Le « péché » originel des « Founding Fathers », comme cause historique de la déconfiture du Social Democratic Front

Bertrand Komnang:Camer.beEn catimini, un groupe constitué d’intellectuels réfléchissait à la création d’un parti politique dans un Etat monopartite. Vint le moment d’enregistrer les statuts devant les autorités. Ils craignirent les réprimandes policières et n’y laissèrent pas figurer leurs noms. Dépité, un des chefs de file encouragea un de ses neveux d’apposer sa signature pour la légalisation. Devenu de fait le président et chef charismatique du nouveau parti, ce courageux pantin, qui levait le poing au ciel, aussitôt imité par une foule euphorique de groupies et une population acquise à sa cause, découvrit ainsi les gloires qu’offrait le pouvoir. C'est alors qu'il se ravisa: « Mais attend, je pourrais devenir Roi ! »
 
Formant intérieurement son projet, le nouveau gourou se méfia désormais de tous ceux qui tentaient de lui faire de l’ombre, surtout des pères fondateurs qui projetaient de reprendre les rênes du parti. Se servant abusivement d’une clause desdits statuts, il se débarrassa d’eux, l’un après l’autre. Bientôt, le parti ne compta plus de stratèges et ne tarda pas à se corrompre et à perdre ainsi de son influence auprès du peuple, grandement déçu. Aujourd’hui encore, ce paranoïaque gourou cherche toujours le chemin qui mène au trône royal, en vain !
Ainsi se résume l’histoire du SDF et de son gourou, Ni John Fru Ndi.

De la métamorphose du « Study Group 89 » en Social Democratic Front

L’habitude d’annoncer des promesses auxquelles il ne tient pas n’est pas nouvelle chez Paul Biya. Lorsqu’il accède au sommet de l’Etat en novembre 1982, il annonce une politique dite de Renouveau national. Cette ouverture promise mais jamais amorcée - à cause du coup d’Etat d’avril 1984 ? - poussa des intellectuels, souvent originaires de la région du nord-ouest, à s’organiser discrètement pour revendiquer l’espace de liberté promis et auquel ils avaient cru. Dans le contexte de dictature du parti unique (RDPC), le « Study Group 89 » était en marche avec des aspirations pro-démocratiques. Les réunions ont lieu en privé dans les domiciles des différents acteurs, souvent à Yaoundé, chez le Pr. Siga Assanga par exemple ou encore au quartier Nsam, chez le Pr. Clement Ngwasiri. Jusqu’au 1er décembre 1989 lors de la réunion de ces activistes dans la résidence du Dr. Siga Assanga, il n’est pas encore question de parti politique mais de mémorandum à adresser à l’ONU pour dénoncer la « marginalisation de la minorité anglophone au Cameroun. »

Les chefs de file étaient souvent des avocats et des enseignants parmi lesquels l’universitaire Siga Assanga, le Pr. Carlson Anyangwe, le Pr. Clement Ngwasiri, le Dr. Gemuh Akuchu, le Bâtonnier Bernard Muna, l’avocat Vincent Feko, messieurs Justice Nyo Wakaï, James Mba-Akhu Banga, Alfred Azefor, Thomas Akumbo et bien sûr l’avocat Albert Womah Mukong, alors en exil. Messieurs Aloysius Tebo et Samuel Munzuh les rejoindrons.
Par la suite ils saisirent certaines Missions diplomatiques dans la capitale. Comme il était malaisé de définir clairement leur démarche, il fut demandé comme préalable au groupe de « clarifier son statut et d’apporter des précisions sur sa direction. »

Priés déjà ainsi une première fois de prendre leurs responsabilités, les parlementaires et les juristes du groupe saisirent une brèche entrouverte dans la Constitution d’alors et sur la base de la loi de 1967 sur les associations, ils optèrent pour un parti politique. Un article (sans doute oublié ?) dans cette adaptation camerounaise de la Constitution française mentionnait étonnamment qu'après dépôt des statuts d'un parti auprès des autorités administratives, cette dernière disposait d’un délai de 60 jours pour faire connaître sa décision, faute de quoi la légalisation du parti était effective. Cette faille dans la Loi fondamentale de 1972, dans un Etat à parti unique, où en créer un autre était considéré comme subversif, se confirmait dans une autre mention où il était clairement stipulé que «  les partis et formations politiques concourent à l'expression du suffrage universel. » (Titre 1er - Article 3).

Quant aux « précisions » sur la direction du futur parti, c’était-là la pierre d’achoppement sur laquelle allaient trébucher tous les pères fondateurs car sur ce chapitre leurs réticences étaient les plus fortes. Dans le contexte de monopartisme de l’époque, occuper le poste de président du seul parti politique d’opposition s’assimilait à un défi lancé à Biya et surtout à convoiter sa place au sommet de l’Etat. Le plus courageux d’entre tous, l’avocat Albert Mukong, opposant de longue date aux régimes d’Ahidjo et Biya, se prédestinait à en être le président. Cependant, aussi cité dans l’affaire Yondo Black (nous y reviendrons infra), après son retour d’exil l’émule de Biya fut arrêté à Douala et incarcéré. Le signal était fort et ses confrères en furent évidemment terrifiés. Trouvant alors de belles excuses pour se dérober de la présidence du parti, ces « founding fathers » souhaitèrent tous dans un premier temps se tenir en réserve et rester dans l’ombre. La peur avait le dessus. Dans ce contexte, qu’allait devenir leur projet ?

Le fabuleux destin du Chairman qui entra dans la course au pouvoir par procuration.

C’est dans ce contexte que le Dr. Siga Assanga contacta un neveu qu’il avait toujours considéré comme un fils adoptif. Ce dernier était un homme d’affaire peu scolarisé mais ambitieux. Ancien président du club de football PWD de Bamenda, il était promoteur des librairies Ebibi Group of Bookshops. Né le 7 juillet 1941 à Baba II (Nord-Ouest), soit 70 ans aujourd’hui, cet ancien militant du parti de Paul Biya n’avait pas encore digéré sa défaite électorale deux ans auparavant à la présidence du RDPC de la section départementale de la Mezam face à Simon Achidi Achu, ex-Premier ministre, tous deux d’ethnie Widikum. Dans son fief, l’homme de Ntarinkon qui avait déjà eu plusieurs contacts avec le groupe, n’hésita pas à leur ouvrir les portes de son domicile privé le 17 février 1990. Par ce simple acte, cet homme courageux et conscient de tenir une belle occasion de revanche contre ses anciens camarades du RDPC ne savait pas à quel point son fabuleux destin était en train de se forger. Et même s'il n'avait pas participé aux cercles de réflexions, les statuts du SDF portèrent son nom et le revirement en parti politique pouvait s’opérer. Ainsi la peur des pères fondateurs face au régime répressif de Biya fut à l’origine de l’irréparable « faute » qui allait permettre à un homme impétueux et rancunier, doté d’un sacré caractère, d’entrer dans la course au pouvoir, par procuration.

Mais ouvrons d’abord une parenthèse instructive : (Presque au même moment à Douala, un autre groupe de réflexions s’est constitué autour de Maître Yondo Black avec des aspirations similaires. Deux membres du « Study Group 89 », les avocats Albert Mukong et Vincent Feko, participèrent à leur démarche. Parmi les autres animateurs des cercles engagés, on citait volontiers le Pr. Jean-Michel Tékam (depuis la France), M. Anicet Ekanè, le Pr. Charly Gabriel Mbock et même Marie B. Evembe et M. François Sengat Kuo, cadre du RDPC, etc.. Le 19 février 1990, la police camerounaise effectua une perquisition à l’Etude et au domicile de Me. Yondo. Elle y trouva le document recherché qui s’intitulait : « Coordination nationale pour la démocratie et le multipartisme. » Il faut préciser que des jours auparavant, une copie de ce document avait été oubliée dans l’ordinateur de bureau d’un certain M. Banini, qui le fit parvenir à M. Luc Loé, alors à la tête de la Délégation Générale à la Sureté Nationale. Le système autocratique camerounais en vigueur considérait un tel acte comme un crime grave ! N’eut été le contexte international qui venait de connaître un profond bouleversement sociopolitique avec la dislocation du « Bloc soviétique » à l’Est de l’Europe, après la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, ce projet de « création de parti politique » aurait sans doute été le chef d’accusation de Me Yondo Black et de celui de ses neuf partenaires (dont Albert Mukong, Vincent Feko, Anicet Ekanè, Henriette Ekwé, Francis Kwa Moutomè, Djon Djon, etc.), au tribunal militaire de Yaoundé. Heureusement donc, le vent de liberté qui soufflait à l’Est de l’Europe avait atteint les pays du sud du Sahara. Les condamnations, entre 3 et 5 ans, furent prononcées à leur encontre avec « subversion » comme principal motif.

Le procès dit Yondo et compagnies fédéra dans une mythique de revendications sociopolitiques la majorité des Camerounais qui apprécièrent ce réveil politique brutal, ce sursaut patriotique).

En refermant cette petite parenthèse, nous avançons l’hypothèse selon laquelle c’est cet épisode Yondo Black et al. qui activa la sortie dans l’ombre du « Study Group 89. » Ce cercle adhéra aux idéaux du Social Democratic Front et les principaux animateurs en devenaient les pères fondateurs ou « Founding fathers  », concepteurs des statuts du parti. Pour acheminement au Ministère de l’Administration territoriale, lesdits statuts furent déposés à la préfecture de Bamenda le 16 mars 1990 par John Fu Ndi, accompagné de son parrain, le Dr. Siga Assanga, premier Secrétaire national du parti. Un peu plus de deux mois plus tard, le parti fut lancé le 26 mai 1990 dès 14h, baptisé par tous les médias nationaux et internationaux : « journée de tous les dangers. » On connaît la suite.

Le péché originel des pères fondateurs.

Comment ne pas remarquer cependant que dès la fondation du SDF, le ver était dans le fruit. Car on ne peut rien construire de solide dans la peur. C’est en remettant le pouvoir d’une si noble cause entre les mains d’un homme irritable et aussi colérique que vindicatif que les « founding fathers » ont commis la faute fatale. Ce péché originel allait être destructeur pour le SDF, toujours entre les mains de son gourou depuis 21 ans, le seul cadre du SDF qui n’envisage toujours pas de céder son poste au sommet du parti. Il aura vu défiler 4 secrétaires nationaux (Siga Assaga, Samuel Tchuenko, Assonganyi, Ndobegang - par intérim-, Elisabeth Tamandjong) autant de premiers vice-présidents (Souleymane, Saidou Madaïdi Yaya, Pierre Kwemo, Josuah Osih), au moins autant de présidents de chacune des dix régions (5 dans l’Adamaoua) ainsi que autant de maires des communes parmi les 363 que compte le pays, etc. La plupart sont des exclus ou auto-exclus (démis) par John Fru Ndi, sur base du fameux article 8, alinéa 3 des statuts du parti qui ne s’applique jamais sur la personne du gourou mais bien sur les autres responsables du parti peu disposés à être ses lèche-bottes. Ainsi saigné de ses stratèges, le SDF est aujourd’hui en déconfiture. Entre stratégie de participation ou de boycott des élections, d'année en année le parti de la balance hésite. Une des conséquences en est justement la perte de son poids électoral. Son septuagénaire président, tantôt radical tantôt amical envers son meilleur ennemi Paul Biya qui achète occasionnellement son silence, joue aussi à l'âne de Buridan. On connait la tragédie de cet âne imbécile, à la fois assoiffé et affamé, au milieu d'un seau d'eau et d'un picotin d'avoine, mais qui se laisse mourir à force d'hésiter par quoi commencer.

Mais revenons ! Moins courageux que les Um Nyobè, leurs prédécesseurs des générations passées, il s’avère qu’aucun des pères fondateurs du SDF n’était assez courageux pour sortir de l’ombre et représenter valablement le parti naissant en qualité de Président. Craintifs mais confiants qu’ils reprendraient vite les rênes du pouvoir, ils ne se soucièrent même pas de connaître l’homme à qui ils confiaient le fruit de leur travail. Ils laissèrent ainsi un soudard aux allures de dictateur ravir leur place avant de les éliminer politiquement. Contrairement aux Um donc, qui furent poussés à l’impitoyable violence du maquis dans leurs réclamations indépendantistes, les pères fondateurs du SDF ont craint, certains pour leur vie ou leur liberté, d’autres pour leur carrière de fonctionnaire. Ils ont alors imaginé placer à la tête de leur organisation naissante un homme qui, pensaient-ils, jouerait juste les figurants pendant une courte période incertaine et inédite d’agitations sociopolitiques et qu’ils feraient bien vite de remplacer une fois l’orage passé. Mistake !

© Correspondance : Betran KOMNANG, Bruxelles – Belgique


15/08/2011
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