Le dernier tour d’honneur de Théophile Abega

YAOUNDE - 13 DEC. 2012
© Brice MBEZE | Cameroon Tribune

L’ancien capitaine des Lions indomptables entame son dernier voyage. Décédé le 15 novembre dernier, il sera inhumé samedi.

Ecrire ce texte sur Théophile Abega en guise de témoignage, il faut le dire, n’a pas été facile. Il a fallu qu’on effectue un pèlerinage au Stade malien d’Anguissa, sur les lieux de notre première rencontre, à la quête d’une inspiration. Nous nous sommes donc arrêtés au niveau du piquet de corner qui communique avec l’école publique construite en contrebas du mythique terrain de foot. C’est à cet endroit que nous faisons la connaissance en 1999 de Théophile Abega. Journaliste débutant, nous étions allés voir le président du Canon de Yaoundé, un soir après la séance d’entraînement du « Kpa-Kum ». Après la prise de contact, Théophile Abega nous tend une canne à sucre. Il a fallu qu’on revienne à Nkolewé pour comprendre son mode de fonctionnement. Le président du Canon d’alors assistait quasiment à toutes les séances d’entraînement. « Un club ne se gère pas à distance. Il faut toujours être là », disait celui qui n’accablait jamais ses joueurs après une contre-performance. Paul Morand Mbous, président mythique de Dynamo de Douala et Ngassa Happi, président du Comité des sages d’Union de Douala, nous avaient dit la même chose.

« Docta » arrivait généralement vers 17h, pile de journaux à la main. Une chaise vide qui ne payait pas de mine était toujours placée au niveau de ce fameux piquet, derrière le garage. C’était la chaise du président. Juste à côté, il y avait toujours un fagot de canne à sucre. Ce paquet cachait souvent un autre : celui de soya de la briqueterie. Cette anecdote résume un pan de la vie de Théophile Abega qui fait partie de ceux qui ont suivi nos premiers pas dans le…journalisme. Disons les choses honnêtement. Nous n’avons pas connu Abega, « le footballeur « extraterrestre » qui, avec Mbida, Manga et Milla, « n’avaient rien à envier aux Brésiliens », comme parlait l’autre jour l’un de ses admirateurs à Nkomo, son village natal auquel il était si attaché. Le courant était rapidement passé avec ce dirigeant sportif, parfois incompris, en avance sur son époque, qui possédait un don naturel. Il savait rassembler. Diriger et commander. Trois jours avant son décès, en marge du match amical Cameroun-Albanie, dans un hôtel de Genève, Samuel Eto’o, nous confiait : «En ce moment, c’est Théophile Abega qui possède le meilleur profil pour relancer le football camerounais». L’homme d’Abidjan avait la passion du Cameroun. Il vouait une profonde admiration au Chef de l’Etat. Comme la plupart des footballeurs (Milla, Eto’o Akono, Manga Onguene, Mayebi…) que nous avons rencontrés jusque-là sur notre chemin.


Charismatique

En 1999 donc, Abega, président du Canon de Yaoundé, répond ainsi favorablement à notre demande d’effectuer deux voyages avec le Canon dans le cadre du championnat. L’un à Kumbo. L’autre à Garoua. Question de vivre de l’intérieur le quotidien d’un club. C’était les années du « Canon de Lokeren », les années du siège d’Etam Bafia et du bus des « Mekok me Ngonda », décroché par Abega aux Belges, qui est en train de moisir, hélas, à la montée de Nkolndongo ! A Kumbo, le voyage s’était effectué à bord d’un bus amorti qui s’était embourbé à 22h dans un marécage au pied d’une colline entre Foumban et Jakiri. Théophile Abega était descendu pour pousser le véhicule avec ses joueurs. Quelle leçon d’humilité ! A Garoua, c’était à bord du « Karibu » de l’armée, mobilisé grâce à son carnet d’adresses, sauvant ainsi un déplacement compromis. Théophile Abega nous offre notre premier voyage sur les terres de Kumbo Strikers. Depuis ce déplacement dans le Bui, nous n’avons d’ailleurs plus eu l’occasion d’y retourner. Merci « prési ». Notre relation avec le Ballon d’or africain de 1984, forte et sincère, a néanmoins failli prendre de l’eau en 2002 à cause de quelques prises de position. Le contact avait même été coupé pendant un an. Comme il est souvent brouillé avec les footballeurs et certains dirigeants sportifs. C’est la dure loi de notre métier. Mais, il est toujours rétabli. Comme cela avait été le cas avec Abega qui avait passé l’éponge sur le malentendu.

Preuve de cette confiance qu’il nous faisait. Théophile Abega n’acceptait jamais que nous enregistrions ses interviews ! En 2010, après le désastre de la Coupe du monde de 2010, lorsque les Lions indomptables, ses Lions se cherchaient –ils se cherchent encore-, nous sommes allés le voir à la mairie de Yaoundé IV à Kondengui, pour une analyse de la situation. Il avait eu ses mots. « O.K, tu n’enregistres pas mais tu peux l’écrire. Les Lions indomptables ont des difficultés pour se relancer parce que le diagnostic de la Coupe du monde 2010 a été sommaire ». Concernant la gestion du football camerounais, Abega n’était pas d’accord de son orientation. Et il assumait ses prises de position. « L’enfant du pays », surnom donné par quelques proches, possédait cette intelligence de savoir dire les choses. Au sortir de l’entretien sus-évoqué, on avait compris pourquoi son statut de capitaine des Lions indomptables et du Canon de Yaoundé faisait l’unanimité. Terminons par la dernière rencontre. C’était au mois de juillet dernier à Nkilzok, vers Mfou au cours d’une cérémonie d’ouverture d’un championnat de vacances. Le président du comité d’organisation, Patrice Amougou, nous confiait la semaine dernière : « il nous avait gardé cinq ballons ». C’était Théophile Abega, le passionné de football. Le patriote. Le philanthrope. Le meneur d’hommes. La légende sacrée et consacrée. L’homme du peuple qui retourne samedi 14 décembre avec son football à la terre qui l’a vu naître il y a 58 ans à Nkomo. Adieu Monsieur le Capitaine.



13/12/2012
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