Le Cameroun otage de la corruption. Quand l’omerta fait l’affaire de tous!

HEARST (Canada) - 10 MAI 2012
© Dr Désiré Essama Amougou | Correspondance

Trafic d’influence, concussion, corruption, détournement de deniers publics, etc., au Cameroun, les mafieux règnent en maîtres. La tentation de piocher furieusement et furtivement dans les caisses de l’État ou de profiter indûment de sa position est la règle dans la sphère publique, l’intégrité une rare exception.


Dr Essama
Photo: © Dr Essama
Trafic d’influence, concussion, corruption, détournement de deniers publics, etc., au Cameroun, les mafieux règnent en maîtres. La tentation de piocher furieusement et furtivement dans les caisses de l’État ou de profiter indûment de sa position est la règle dans la sphère publique, l’intégrité une rare exception. Les masques sont loin de tomber les masques, et ce n’est pas demain qu’on va rétablir la transparence. Du sommet de la pyramide à la base, la déviance en matière de gouvernance est une activité sociale régulée avec ses codes, ses normes et ses acteurs, même les plus insoupçonnés. Au-delà d’opinions divergentes, ces comportements délictueux mettent en jeu le destin tragique de notre pays, une certaine conception de la République et son devenir.

Jamais dans l’histoire de notre pays, on avait assisté lentement mais sûrement à une telle décadence des valeurs. La postérité retiendra que c’est sous le règne de Paul Barthélemy Biya Bi Mvondo que le Cameroun aura subi un pillage systématique. On assiste à un véritable bal de vautours, dans une nation exsangue en passe de sombrer et qui tient encore debout par miracles.

On se souvient qu’entre 1998 et 2004, un rapport publié par le très officiel Contrôle Supérieur de l’État, une institution dépendant de la présidence de la République, faisait état de près de 2000 milliards FCfa, le montant des sommes impudiquement distraites des caisses de l’État. Le trou ainsi creusé d’année en année, est allé alimenter des trains de vie princiers des nouveaux riches. Le manque à gagner est si énorme que ce pillage abyssal, constitue aujourd’hui un défi à la stabilité politique et sociale du pays.


Aux sources du mal ou la légitimation du pillage

Dans le tumulte qui a accompagné l’interpellation il y a quelques semaines de l’ex premier ministre du Cameroun Inoni Ephraïm, et de Marafa Hamidou Yaya, ex secrétaire général de la présidence et ancien ministre d’État de l’administration territoriale, l’émotion et la consternation étaient grandes. Ces arrestations, spectaculaires qu’elles sont, gonflent le nombre de hauts dignitaires, tous des ex collaborateurs de «l’homme lion» et autres VIP à se retrouver en prison. La classe politico administrative est prise d’une sorte d’insécurité morale grandissante. La réalité, c’est que les intérêts politico financiers en jeu, dépassent de loin le prix des vies qu’elles manipulent ou qu’elles broient. On assiste à une justice à deux vitesses, une pour mettre au pas un VIP, devenus parias, et qui pour des raisons obscures aura déplu au pouvoir, et une autre pour ceux qui sont encore dans les bonnes grâces du chef de l’État, à l’instar des Ze Meka, Gervais Mendo Ze et bien d’autres, qui ne sont pas encore désignés à la vindicte populaire.

Quand d’aucuns dans les forums et autres tribunes disent que Paul Biya est l’instigateur de tout ce délitement, ils ne croient pas si bien dire. Et lorsque Joseph Anderson Le, le Directeur adjoint du Cabinet civil, l’autre voix du maître, dans sa récente sortie maladroite vient jouer la carte d’un poncepilatisme et d’un machiavélisme de mauvais aloi contre ses anciens collègues, il fait plutôt sourire. Il oublie que lui-même n’est pas à l’abri. Inoni, alors premier ministre n’avait-il pas déclaré un jour que c’est lui qui pilotait l’opération épervier? Où est-il aujourd’hui? De là à dire que le serpent s’est mordu la queue, il n’y a qu’un pas. Je me permets donc ici pour la gouverne de M. Le, livrer à sa compréhension quelques faits qui, comme il le sait si bien en tant que journaliste, sont têtus… Il faut toujours mettre en cohérence les faits, et ceux-ci sont particulièrement têtus et significatifs pour ce qui concerne l’action de nos politiques et la cohérence de leurs discours face aux faits. Tenez:

Après trois décennies de gestion calamiteuse et de démission, le réveil à tête chercheuse de Paul Biya est-il une reconnaissance implicite de son manque de vigilance ou d’un mauvais casting effectué dans le choix des hommes? Auquel cas, il devrait d’abord s’en prendre à lui-même. Toujours est-il que ceux-là-mêmes qui payent les pots cassés aujourd’hui, sont ses courtisans et complices d’hier, qui du haut de leur piédestal, narguaient le petit peuple avec une certaine morgue, fort de leurs forfaits et de leurs rapines. Convaincus de leur impunité, ils avaient oublié que leur puissance n’était que le fait du prince. La preuve, aussitôt le décret de limogeage tombé, ils deviennent aussi légers qu’une feuille de papier.

Il y a en outre quelques années, M. Biya a été accusé d’avoir financé avec l’argent du contribuable camerounais, des milliards de nos francs, une secte en France, le Centre international de recherches culturelles et spirituelles (CIRCES), une branche de la Rose-croix dirigée par Raymond Bernard, fondateur de l’Ordre Rénové du Temple (ORT). Au cours d’une audience à laquelle comparaissait Raymond Bernard, ce dernier ne manqua pas de justifier la source de ses revenus, rapportée à l’époque par Le journal Le Monde du 17 août 2000. On pouvait y lire en effet que, de 1992 à 1998, Raymond Bernard et le CIRCES ont reçu du président du Cameroun et de la SNH les sommes suivantes : 560 millions de Fcfa sous forme de don pour le CIRCES, 500 millions de Fcfa pour l’achat d’un tableau pour le compte de Paul Biya, 200 millions de Fcfa versés au CIRCES par la SNH, 4 milliards de Fcfa offerts à la secte par Paul Biya lui-même et 60 millions de Fcfa en règlement des « conseils » prodigués. Une véritable hémorragie financière pour un pays qui va souvent tendre la sébile. Ces faits, Paul Biya ne peut s’en défaire.

Les documents comptables de cette secte, qui n’a jamais nié avoir reçu ce financement, peuvent encore l’attester. Les faits sont établis et avérés, on peut les retrouver. Monsieur Joseph Le peut-il nous dire si cet argent sortait de la poche du président? Si oui, comment l’a-t-il acquis, étaient-ce ses économies? Peut-on user de l’argent public comme si c’était d’un compte personnel? Sur le plan moral, ces faits constituent des circonstances aggravantes pour un président en exercice. Pourtant, cette forfaiture est passée aujourd’hui en pertes et profits. Dans un pays normal, le pot aux roses découvert, le président aurait démissionné. Biya devrait également être mis en examen et poursuivi pour abus de biens sociaux et détournements… Et le CIRCES pour complicité de détournement, si des Camerounaises ou toutes autres associations se constituaient partie civile en France pour y voir plus clair. On ne saurait faire l’impasse de ça!

Bien plus, à ce jour, aucune personnalité, ni du pouvoir ni de l’opposition n’a déclaré ses biens, ouvrant la voie à un flou. M. Biya a-t-il jamais montré l’exemple en déclarant ses biens comme le stipule l’article 66 de la constitution? Il préfère faire le dos rond et prêter le flanc à tant de critiques et de supputations sur ses biens réels ou supposés. Il a préféré la confusion et l’informalité à la transparence. Et personne ne peut rien contre lui. Ce comportement du président de la république vient mettre en lumière, le fonctionnement informel de l’administration, loin des normes de bonne gouvernance.


De haut en bas, une véritable foire d’empoigne!

L’État est devenu le terreau des pratiques corruptives et des petits arrangements, avec en prime des contreparties monétaires. Ces pratiques se sont développées au vu et au su de tous. Tous les segments de la société sont touchés. La police, la gendarmerie, l’armée, la justice, les hôpitaux publics, les lycées, les administrations du trésor, des impôts et des douanes, sont autant de nids de la corruption institutionnalisée. Le rançonnement est endémique ici du sommet à la base.

Dans les prétoires, procureurs, substituts, juges et greffiers sont sollicités, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes pour arranger les choses. Paradoxe, c’est certains avocats qui jouent les intermédiaires et négocient ces compensations financières pour leurs clients. Dans les prisons, en raison de l’engorgement et des mauvaises conditions carcérales, les familles des détenus sont obligés de passer des deals avec des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire pour s’assurer des conditions de vie meilleures pour les leurs embastillés.

Ailleurs, c’est l’officier de police judiciaire qui biaise l’enquête ou soutire des pièces à conviction en contrepartie d’une rétribution plus ou moins importante. Même démarche chez l’agent commis à la circulation routière qui ferme les yeux devant une infraction, ou en l’absence de papiers du véhicule ou du permis de conduire pour 300 à 500 francs, quand il s’agit du chauffeur de taxi, lequel parfois s’en tire avec un bouchon gagnant de bière remis au policier. La mise est plus grande encore, entre 1000 et 5000 francs quand il s’agit d’un particulier, voire 10 000 et plus, quand c’est un expatrié.

Dans les lycées, à la rentrée, c’est connu, une place en sixième pour son enfant se négocie à 100 000 francs chez le proviseur, tandis que le second cycle se négocie entre 50 et 70 000 francs. Dans les transports, c’est l’agent du pont bascule qui, moyennant un bakchich refuse délibérément de peser une voiture et la laisse passer au grand dam de la règlementation. Là c’est le technicien du Centre technique de contrôle de véhicules qui, malgré l’état de la voiture et sa dangerosité, lui délivre une attestation de visite technique conforme.

Dans les hôpitaux, c’est autour du médecin de prendre 3000 francs à chaque patient qui a besoin de se faire ausculter, quand ce n’est pas l’infirmier qui demande sa bière. Dans les régies financières, les impôts, les douanes et le trésor, des fortunes subites et spectaculaires se sont constituées en quelques années d’exercice, seulement du fait des rançonnements réguliers des usagers et des opérateurs économiques.

Ici et là, la course aux postes juteux, monnayés au prix fort auprès des supérieurs hiérarchiques véreux est devenue quelque chose de banal. L’avancement ne se fait plus forcément au mérite, mais à l’épaisseur du portefeuille ou à une recommandation. Il est évident qu’une fois installée, les acheteurs de postes s’engagent dans une logique de rentabilité, avec forces commissions au mentor pour être maintenu le plus longtemps possible en place.

Dès lors, être intègre au Cameroun relève aujourd’hui d’une vocation héroïque et partant d’un choix de vie dans lequel peu de gens acceptent de s’engager en raison de son coût social.


Ces bourreaux que nous admirons

Au fil du temps on s’est conformé à cet usage abusif de la charge publique par ces délinquants en col blanc. Qui peut jurer la main sur le cœur qu’il ne connaît personne dans sa famille, son entourage ou son voisinage qui a commis ou continue de commettre des actes de brigandage sur les deniers publics? Cette corruption discrète qui ne fait pas autant les grands titres des journaux que les scandales de pots-de-vin ou de détournements des ministres et autres directeurs généraux, a tout aussi des effets corrosifs et dévastateurs sur notre société. Cette cupidité a engendré beaucoup de misère dans nos villes et campagnes, provoquant même l’exil pour certains. Imaginez le nombre de routes, d’hôpitaux, d’écoles, de logements sociaux, d’entreprises qui auraient pu être crées. Pire que le vol, c’est un crime contre l’humanité.

Pourtant le public semble toléré, du moment où ça profite à quelqu’un qu’on connaît. Pendant ce temps, on a vu des quartiers cossus, aux noms assez évocateurs comme Denver, Santa Barbara, Koweit City sortir de terre à Yaoundé comme à Douala, comme par enchantement, sous nos regards admiratifs. Derrière les épaisses et longues barrières qu’on y observe, se cachent des maisons aux plans futuristes, bâties par les nouveaux riches. La plupart de leurs propriétaires sont des fonctionnaires dont rien ne peut justifier le train de vie de pacha, ni le patrimoine amassé, quand on connaît leurs traitements mensuels.

Allez voir certains de ces arrivistes ou leurs rejetons dans les boîtes de nuit. Ils vous aligneront des bouteilles de champagne comme des trophées d’éléphant, pour démontrer leur toute puissance, avec en prime, leurs noms égrenés à longueur de soirée par le DJ, qui au passage est fortement rétribué pour entretenir le mythe.

Ces criminels économiques en liberté sont admirés, enviés dans nos quartiers et villages comme étant des modèles. L’entourage et les collègues sont au courant des pratiques illicites. On se complaît à observer, à admirer le château, le port vestimentaire, les voitures luxueuses, à envier les nouvelles habitudes alimentaires, les loisirs, bref le nouveau train de vie. Une fois qu’ils se font prendre, nous leur sommes solidaires, nous leur manifestons de la sympathie, comme si c’était une injustice qui s’abattait sur eux. Pire si jamais il est dénoncé par un collègue, ce dernier sera traité comme un traitre, un ennemi dans le service, et même accusé de jalousie…

Pourtant si on ouvrait les yeux, c’est la quasi totalité des hauts cadres et gestionnaires de la fortune publique en plus de ceux qui font affaire avec l’administration et autres VIP qui serait devant les tribunaux. La réalité est que toutes les instances de pouvoir, qu’elles soient politiques, administratives ou financières, se tiennent mutuellement par la barbichette et que le premier qui brisera l’omerta et le pacte de non-agression, ne fera pas de vieux os : au mieux il se retrouvera en slip dans une cellule infecte, au pire entre quatre planches.


L’urgence de l’action

Tout le monde veut s’enrichir vite au détriment de l’efficience des services publics. Or, on mesure combien les pratiques corruptives ont crée des inégalités et des contraintes sociales dans notre pays.

Il y a toujours moyen de "coincer" tous ceux qui se livrent aux opérations frauduleuses. L’arsenal juridique existe, des moyens d’investigation aussi. Mais il faut désormais les renforcer par la mise en place d'un processus permettant aux personnes victimes ou ayant vécu des actes répréhensibles de faire remonter l’information. Cela suppose une volonté de prendre des mesures concrètes obligeant le fonctionnaire à rendre service, telles que l’adoption d’un code d’éthique, la neutralité et l’indépendance des structures chargées de traquer la corruption et les détournements, des garanties légales pour l’usager, le traitement informatique des dossiers administratifs avec leur traçabilité, le changement et le durcissement de la législation et des mesures administratives en matière de répression de la corruption.

La lutte contre la corruption doit être déclarée comme une priorité nationale. Pour ce faire, on devra en appeler de plus en plus à la conscience sociale du citoyen pour prévenir ces actes. Dans les services public, on demandera à l’agent d’être un véritable acteur de la bonne marche du pays et de réagir s’il observe dans les agissements de son chef ou de ses collègues des pratiques financières douteuses, de faire remonter d’éventuelles fraudes financières s’il prend connaissance d’une malversation.

Pour l’usager, cela devra se traduire par la mise en place d’un système d’alerte et de délation avec un numéro de téléphone ou une adresse email d’alerte. Ce mécanisme de dénonciation et de veille devra fonctionner 24h/24 comme un centre d’appel, avec des agents qui reçoivent les plaintes des usagers et les transmettent aux instances compétentes qui devront y apporter une réponse assez rapide. Celles-ci après vérification et recoupement, devront mettre la procédure en œuvre. Ce Système devra aussi protéger le dénonciateur, témoin de cette situation qui sera l’acteur principal, mais qui peut demander de vouloir garder l'anonymat. Pour éviter les règlements de compte, si après vérification, on se rend compte qu’il s’agit d’un règlement de comptes, le dénonciateur pourra être poursuivi devant les tribunaux et sanctionné.

Tout compte fait, la transparence doit être au cœur de la lutte contre la corruption. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être de simples spectateurs passifs, bénéficiaires ou rentier. Ils doivent non seulement l’exercer, mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.


Dr Désiré Essama Amougou
Médecin urgentologue
Hearst, Ontario (Canada)
dr.deesam@gmail.com



14/05/2012
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