Le Cameroun, malade de sa justice

Droit:Camer.beLe 25 octobre 2010, nous avons introduit une demande d’informations auprès du Ministre de la Justice, Garde des Sceaux pour  lui demander de mettre à notre disposition des données sur la carte judiciaire du Cameroun. Nous voulions avoir une idée sur  le nombre de prisons, la population carcérale, le nombre de magistrats, de cours d’appels, de tribunaux de grande et première  instances, d’huissiers de justice, d’avocats et de notaires. Notre demande, enregistrée sous le numéro 14 108, a été côtée,  le 29 octobre 2010 à la Direction des affaires pénitentiaires, sise à Essos. Après de multiples va-et-et vient à la Dapen, un  mois durant, le secrétaire du Dapen nous a demandé d’aller attendre la réponse du Vice premier ministre. De deux choses l’une : si quelqu’un refuse de mettre la lumière dans son domicile, c’est soit  parce que l’intérieur est sale, soit parce qu’à l’intérieur il y a des objets volés.

La justice camerounaise est malade.

Après presque 20 ans du renouveau, la justice camerounaise n’a véritablement pas de lauriers à faire valoir.  Plus grave, certains acquis du système judiciaire  camerounais  sont largement remis en cause de nos jours. Ses problèmes les plus récurrents sont sa pauvreté en infrastructures, l’affairisme des ses acteurs, l’ingérence de l’Etat dans la fonction de juger, le  coût quasi prohibitif de la justice  qui en fait un outil de domination au service  d’une certaine classe sociale, l’absence de solennité, le refus de mettre en place les juridictions créées par la constitution 1996. Une illustration de ces différents problèmes prouve à suffire que le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire n’a jamais été une préoccupation  véritable pour le renouveau.

Une justice matériellement pauvre

Plus de cinquante ans après l’indépendance du Cameroun, la justice camerounaise fonctionne encore pour l’essentiel dans des structures léguées par les colonisateurs.
 
La plupart des palais  de justice sont des bâtisses vieilles, mal entretenues, étroites et  inadaptées datant parfois de la
colonisation allemande. Dans certaines villes comme Nanga-Eboko , le tribunal n’est rien d’autre qu’un hangar qui menace ruine. 

À Kaele comme dans bien d’autres villes, la justice siège dans des bâtisses conçues pour être des maisons d’habitation. Les tribunaux créés dans les  départements siègent pour la plus part dans des locaux provisoires. Les magistrats sont  parfois parqués à deux voire trois dans un bureau.  Il reste  encore présent à l’esprit le souvenir d’un  greffier tué, il y a environ deux ans par la chute des archives mal rangées.  La pauvreté matérielle s’étend jusqu’au petit  matériel (formulaires, photocopieurs, chemises cartonnées, feuilles, machines à écrire, ordinateurs…). Le budget  affecté   chaque année à la justice tout au long du règne  du renouveau  est extrêmement faible. Il atteint rarement  1% du budget  national. La part affectée aux investissements est quasi nulle.  La part affectée annuellement au fonctionnement des  différentes juridictions est parfois ridicule, environ 300.000 FCfa dans certains cas. 

Quelle crédibilité pour des juridictions qui siègent dans des poubelles  ou dans des cellules ? L’inconfort des magistrats ne justifie-t-il pas leur désinvolture et leur incurie ?

A côté de la galère des juridictions gérées par le Minjustice (Tribunaux d’instance et cours d’appels), on a l’opulence de la Cour suprême  dont le train de vie n’a rien à envier avec celui des roitelets. Elle aurait son budget autonome qui n’a cessé de s’accroître depuis  2000. Grâce à ce budget sans cesse croissant, les bâtiments de la Cour suprême ont été entièrement refaits  et affichent une apparence digne d’une Cour suprême. Un point d’honneur a également été mis sur le confort personnel de ses membres et de son personnel. Le parc automobile est particulièrement  luxueux et rutilant. Malgré, cette attention suspecte, les délais d’attente à la Cour suprême ne se sont guère améliorés et elle n’a cessé d’être perçue  dans les milieux judiciaires  comme  « le cimetière des dossiers ».

Les Camerounais attendent toujours que les tribunaux de première et de grande instance soient opérationnels, que tous les tribunaux de grandes instances (58 en principe) soient opérationnels de manière autonome, que  l’implantation des tribunaux de première instance dans tous les 280 arrondissements (environ) que compte le Cameroun soit effective ; ils attendent l’arrivée de la chambre administrative de la Cour dans les régions.  Comment ne pas signaler l’insuffisance en magistrats,  des greffiers, des avocats (le Cameroun compte environ 1400 avocats, soit sensiblement un avocat pour 15000 habitats ; près de 400 avocats attendent l’examen de sortie depuis mai 2010), des huissiers (400 huissiers ont été nommés et 400 sont attentes de charges), des notaires (une cinquantaine tous dans les grandes villes)

Le tournant manqué de 1996

Sur le plan formel, la  révision constitutionnelle de 1996 a marqué un tournant décisif pour la justice camerounaise. D’abord, elle a érigé la  justice au rang de pouvoir d’Etat, au même titre que l’exécutif et le législatif, ensuite, elle a créé des institutions qui en principe auraient pu accroître la garantie de la protection de la démocratie, des libertés  individuelles et de la bonne gouvernance au Cameroun. Il s’agit en l’occurrence du Conseil constitutionnel,  des tribunaux  administratifs et de la Chambre des comptes.  Quatorze ans après, on constate aisément qu’il s’est agit d’un leurre, pour ne  pas dire, d’une tromperie politique. Hormis la chambre des comptes  qui a été mise en place et fonctionne, les autres  institutions ne sont toujours pas mise en place. Seul le manque de volonté politique  peut raisonnablement justifier ce  « déni de justice ».

De même, malgré le passage « d’autorité judiciaire » au « pouvoir judiciaire », aucun changement  réel n’a été observé dans le fonctionnement de la justice camerounaise notamment en termes de renforcement de son indépendance.  Il s’est agi d’un changement purement formel. La justice n’est guère plus indépendante qu’avant 1996 et le statut des magistrats  n’a  nullement évolué. Les juges demeurent gérés par un  conseil de la magistrature présidé par l’exécutif  (Président de la république et Ministre de la justice). Conseil  qui peut les muter à volonté  et  même les révoquer sans  procédure particulière, si ce n’est le passage devant le conseil. Le sentiment de vulnérabilité demeure très fort chez les juges camerounais.  L’arme de « l’affectation disciplinaire » les oblige à demeurer loyaux et serviables vis-à-vis de l’exécutif. 

Le  trafic d’influence et autres  interférences du pouvoir politico-administratif dans la fonction  judiciaire est quasi-quotidien.   Autant voire  plus que par le passé, la justice camerounaise est sous les ordres du pouvoir politique notamment  dans le cadre des affaires politiquement suivies telles que  les procès relatifs aux délits de presse dont les victimes sont  les hautes autorités de l’Etat,  le contentieux électoral et aujourd’hui les affaires liées à l’opération épervier. Ces types  d’affaires offrent très souvent l’image des parodies dans lesquelles les sentences des juges sont connues d’avance. Dans ce  type d’affaire les magistrats  n’ont aucune conviction propre. Même en l’absence d’ordres formels ils se comportent comme  obligés de respecter la règle non écrite suivant laquelle il ne faut nuire aux intérêts du régime en place.

Une justice de classe

Le principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi n’a aucun sens de nos jours au Cameroun.Le coût de la justice s’est constamment accru au point de limiter son accès uniquement à quelques privilégiés. Les autres camerounais ne pouvant approcher que lorsqu’ils sont poursuivis. Pour engager un procès civil ou commercial au Cameroun il faut payer la consignation dont le coût n’a cessé de grimper ainsi que d’autres frais fort  assimilables à de l’extorsion. Le nouveau code de procédure pénale et la loi de 2006 sur l’organisation judiciaire a rendu la justice pénale camerounaise encore plus onéreuse, outre les consignations à payer dans le cas des plaintes avec  constitution de partie civile, les justiciables doivent en cas d’appel débourser des sommes importantes pour la photocopie des  dossiers. Une fois les frais officiels payés les justiciables doivent faire face aux exigences financières indues et illicites  provenant du personnel judiciaire.  La corruption généralisée n’ayant pas épargné les milieux judiciaires camerounais où le meilleur avocat demeure l’argent.

© germinalnewspaper.com : Junior Etienne Lantier


19/12/2012
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