Laxisme: Cameroun, le paradis des hors-la-loi

YAOUNDÉ - 03 Octobre 2012
© Christian Lang | Repères

Le répertoire des opérateurs qui violent la réglementation s'allonge au fil des ans. A la publication des listes de ceux qui sont en règle, l'on découvre qu'il y a une pléthore de hors la loi qui encombrent divers secteurs d'activités. Nous vous proposons quand même une petite excursion à bord du cargo surchargé de l'illégalité

Le répertoire des opérateurs qui violent la réglementation s'allonge au fil des ans. A la publication des listes de ceux qui sont en règle, l'on découvre qu'il y a une pléthore de hors la loi qui encombrent divers secteurs d'activités. Même les domaines réputés austères et rigoureux comme la finance recrutent des opérateurs ne respectant pas la norme. Et, à l'allure où vont les choses, il serait fastidieux de faire un listing exhaustif des opérateurs qui voguent en marge de la réglementation en vigueur au Cameroun. Nous vous proposons quand même une petite excursion à bord du cargo surchargé de l'illégalité.

La transgression de la réglementation en vigueur est devenue un interminable feuilleton au Cameroun. Les épisodes s'enchaînent; les saisons s'accumulent. Les scènes et les décors varient en fonction de l'intrigue. Les acteurs sont nombreux, très nombreux même! Et l'on se perd par moment dans le tournage. Mais la trame du suspens, elle, reste intacte: les hors-la-loi ont pignon sur rue et le régulateur, l'Etat, sévit. Mais sur le tard. Sans réussir, toutefois, à institutionnaliser l'orthodoxie dans le fonctionnement des différents secteurs d'activités. Il y a quelques jours, en effet, le ministre des Finances, M. Alamine Ousmane Mey, a publié la liste des établissements de micro-finance (EMF) agréés au Cameroun au 30 juin 2012. Selon le Minfi, il y a des établissements de micro-finance non agréés. Le communiqué commis à cet effet met la clientèle en garde: elle ne doit mener des opérations financières qu'avec les établissements en règle. Même si au moment où la liste des EMF agréés est publiée, un établissement pourtant en règle, ne parvient pas à satisfaire sa clientèle. Avant le Minfi, le ministre de l’Education de base a fermé 800 établissements scolaires privés dans cinq régions; ils fonctionnaient en marge de la réglementation en vigueur. Le ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation, il y a quelques années, a indiqué au public quelles étaient les sociétés de gardiennage en règle au Cameroun. Et il y en avait qui ne respectaient pas la règle. Les auto-écoles ne sont pas en reste, si on s'en tient à l'actualité récente du ministère des Transports qui s'active à rétablir l'ordre dans ce secteur d'activités.


Tolérance administrative

Une évidence se dégage de ces faits et bien d'autres: beaucoup d'opérateurs sociaux et économiques contournent ou violent la loi. Il n'est pas superflu de s'interroger sur les causes de ces transgressions. «Je crois que tout est parti de la tolérance administrative encouragée par le contexte d'inertie, de laxisme et d'attentisme d'une frange de l'administration» affirme M. Japhet Mvessa, diplômé en philosophie. Un point de vue qui rejoint celui de M Valère Bertrand Bessala, administrateur civil et doctorant en droit public. «Le problème au Cameroun est celui de la tolérance administrative que l'Etat a du mal à rattraper». Les pouvoirs publics ont parfois laissé certains opérateurs fonctionner en marge de la réglementation, sous le couvert de la tolérance administrative, «sans les contrôler d'une façon singulière». Et, «au vu du chômage galopant, l’Etat a dû laisser faire», précise M. Valère Bertrand Bessala. Si aujourd'hui, l'Etat décide de publier la liste des médias audiovisuels à capitaux privés qui ont des licences, la majorité de ces entreprises serait emportée par la vague de l'illégalité. La plupart ne peuvent pas satisfaire les conditions financières requises; mais les pouvoirs publics, au nom de la tolérance administrative, laissent faire. Pour Audrey Bella, communicatrice, «tout le monde est responsable de ce qui se passe au Cameroun, tant les pouvoirs publics que ces opérateurs». M. Valère Bertrand Bessala précise que s'agissant des EMF l'on ne saurait parler de tolérance administrative. Parce qu'il y a des textes qui encadrent cette activité tant au niveau des instances nationales que sous-régionales, notamment la Commission bancaire de l'Afrique centrale (COBAC). Il relève plutôt des dysfonctionnements d'ordre managérial et la permissivité des autorités en charge du contrôle. Pour expliquer la profusion des hors-la-loi, M. David Melvin Eboutou, historien, évoque «un environnement juridique pas clair qui entretient, à dessein, des vides juridiques». A cela s'ajoute: «un environnement peu attrayant voir réfractaire à tout investissement. Un exemple: pour investir dans le domaine du tourisme au Cameroun, ouvrir un hôtel, un restaurant, une boite de nuit, un établissement de loisirs, la composition du dossier varie entre 600 et 800 mille francs cfa, et le promoteur n'est même pas certain que son dossier obtiendra un avis favorable». Et pour M. Luc Mebenga Tamba, anthropologue, enseignant à l'Université de Yaoundé I certains opérateurs ne connaissent pas les dispositions en vigueur dans différents secteurs. Ils souffrent en plus d'un déficit de culture professionnelle et de formation adéquate. «Combien sont-ils formés pour devenir tel ou tel? Combien sont-ils formés pour exercer dans tel ou tel secteur, dans tel ou tel domaine?» s'interroge l'anthropologue.


Le gendarme ne fait pas peur

M. Francis Ampère Simo, enseignant de droit, pense pour sa part que les transgressions de la réglementation se multiplient à cause de «l'impunité. On dit que la peur du gendarme est le commencement de la sagesse. Mais quand dans un Etat on n'a plus peur du gendarme, parce que le gendarme ne sévit pas, tout devient permis. C'est pourquoi chacun peut se livrer à toute sorte de trafic. Au niveau supérieur, l'impunité est érigée en règle et donne la latitude à ces personnes là de faire tout ce qu'elles veulent». Au-delà de l'impunité, Véronique T., en service dans une université camerounaise, s'interroge: «la question que l'on doit se poser est celle de savoir comment les opérateurs des différents secteurs d'activités parviennent à fonctionner dans la clandestinité. Soit il y a absence d'un véritable mécanisme de contrôle, soit il y a des complicités entre les cadres des institutions de régulation et ces opérateurs qui transgressent la réglementation». Il y a quelques années, le ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation a publié la liste des sociétés de gardiennage autorisées à exercer au Cameroun. Parce que certaines de ces sociétés fonctionnaient en marge de la norme. Et M.Valère Bertrand Bessala se réfère à un décret du Premier ministre de 1998 et à un arrêté du Minatd, «précisant que les sociétés de gardiennage privées ne doivent en aucun cas garder les édifices publics. Mais, aujourd'hui, ce sont ces sociétés qu'on retrouve dans plusieurs établissements publics tout comme dans les ministères, aux côtés des services de sécurité publics. C'est un problème de tolérance administrative générale que l'État a du mal à juguler » En plus, «certains de ces domaines sont susceptibles de créer un climat d'insécurité; l'Etat est obligé de revenir en arrière».


Foi sans Loi

En 2011, le ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation a publié la liste des églises autorisées à prêcher au Cameroun. L'on a découvert ahuri, qu'elles ne sont que vingt-huit à être en règle, tellement les diseurs de bonnes nouvelles sont nombreux dans notre pays. Car, dans chaque arrondissement de Yaoundé et Douala, il y a plus d'églises actives que sur la liste du Minadt qui, elle, donne les statistiques nationales sur les confessions religieuses dûment autorisées. En toute logique, on s'attendait à ce que des églises, qui n'étaient pas en règle, mettent fin à leurs activités. Mais, depuis la publication de cette liste des opérateurs spirituels agréés, les hors-la-loi n'ont pas reculé. Comment en est-on arrivé à cette profusion de chapelles et de paroisses dans nos quartiers et bleds? Pourquoi les injonctions gouvernementales s'avèrent-elles inopérantes? «L'on attend que la situation s’empire avant d'apporter une quelconque réponse», affirme M. Japhet Mvessa M. Francis Ampère Simo affirme, pour sa part, qu' «il y a un relâchement général des mœurs». Et certaines églises sont concernées par ce délitement des valeurs morales. Conséquences: «l'éthique a disparu, on ne respecte plus les valeurs », déclare l'enseignant de droit. Audrey Bella suggère un «changement de mentalité». En plus, «il faudrait inculquer des valeurs morales».


Les autres poches de l'illégalité

Au Cameroun, tous les conducteurs de taxis n'ont pas de badge d'identification à leur nom. Pourtant la réglementation a institutionnalisé le port obligatoire de ce document. Ces guimbardes (parfois conduites par des mercenaires non identifiés) qui écument les rues urbaines outrepassent la réglementation. Les débits de boissons, ordinaires devraient fermer à 22 heures. Mais certains fonctionnent en continu. Les descendes sporadiques des sous-préfets ne les dissuadent guère. Qui peut jurer de la bonne occupation de la voie publique au Cameroun? En attendant le premier courageux, l'on continue d'y organiser des deuils et funérailles, même si la circulation est interrompue. Peu importe! L'on n'a pas oublié ces terrains relevant des zones industrielles ou du domaine privé de l'Etat qui ont été cédés à des particuliers. Que dire des nuisances sonores? Ici, églises, débits de boissons, supermarchés, sociétés commerciales... sont solidairement coupables. Pourtant un texte du PM interdit ces nuisances.

Après les émeutes sanglantes de décembre 2011 à Douala, suite à l'assassinat d'un jeune camerounais à bord d'une mototaxi, les autorités publiques ont voulu faire appliquer les textes qui régulent ce secteur d'activité. Mais la polémique n'a pas été favorable à l'application immédiate de cette réglementation. Un décret du PM du 31 décembre 2008 impose certaines conditions de sécurité tant pour le conducteur que pour le passager, notamment le port du casque. Les conducteurs sont en plus astreints au port de la chasuble délivrée par la municipalité territorialement compétente. Sur le terrain ce sont plutôt des clichés contraires. Pourquoi ce laxisme? «Ces activités aident l'Etat à distraire le peuple de ses objectifs premiers, c'est-à-dire la recherche de l'emploi», répond M. Bessala. Qui peut dire avec exactitude combien de centres de santé sont agréés au Cameroun? La plupart ignorent la loi et les standards requis en matière de santé publique. Mais la liste des dégâts humains est très longue.

Certaines activités ont du mal à s'arrimer aux exigences de la réglementation en vigueur. L'on a même l'impression que l'Etat est surpris par l'émergence de certains secteurs. Dans la plupart des cas, l'activité précède la réglementation. C'est par exemple le cas en ce qui concerne les mototaxis. Pour M. Valère Bertrand Bessala, «prévoir une activité relève de la capacité de Win à investir dents le futur. Mais si l’Etat n'arrive pas à prévoir la naissance de certaines activités, ou à encadrer l'avancée de certaines activités, il lui sera toujours difficile lorsque ces activités sont nées et qu'elles ont évolué dans une certaine opacité et dans une certaine irrégularité de pouvoir les maîtriser. Il est difficile à l'Etat de rattraper l'ordre qui a été mis à mal dans ces activités. Mais il faut souhaiter que l'Etat puisse retrouver le dessus».



06/10/2012
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