Laurent Gbagbo sous forte pression après les violences meurtrières d'Abidjan

Laurent Gbagbo sous forte pression après les violences meurtrières d'Abidjan
(Le Monde 17/12/2010)


L'Union européenne, la France et les Etats-Unis sont montés d'un cran dans la pression sur le président sortant ivoirien Laurent Gbagbo qu'ils somment désormais de quitter très rapidement le pouvoir, au lendemain de violences meurtrières à Abidjan contre les partisans de son rival Alassane Ouattara.

Jeudi de onze à une trentaine de personnes, selon les bilans, ont été tuées et au moins 80 blessées lorsque des partisans d'Alassane Ouattara ont tenté de marcher sur la télévision d'Etat, la RTI.

Vendredi, les dirigeants de l'UE ont exhorté l'armée à "se placer sous l'autorité du président démocratiquement élu, Alassane Ouattara", reconnu par la communauté internationale comme le vainqueur de l'élection controversée du 28 novembre.

Pour Nicolas Sarkozy, président de l'ex-puissance coloniale française, M. Gbagbo doit partir "avant la fin de la semaine", sans quoi il figurera "nommément" sur la liste des personnes visées par des sanctions de l'UE, gel d'avoirs et restrictions de visas.

Déjà jeudi, les Etats-Unis - qui ont autorisé le départ de leur personnel d'ambassade non-essentiel en poste à Abidjan - avaient affirmé que Gbagbo disposait d'un "temps limité" pour céder la place.

Le président de la Commission de l'Union africaine, Jean Ping, est arrivé vendredi dans la capitale économique ivoirienne pour tenter une nouvelle médiation dans l'espoir d'éviter le pire à la Côte d'Ivoire, déchirée par une quasi-guerre civile en 2002-2003 et coupée en deux depuis lors.

Après un entretien avec le représentant de l'ONU dans le pays Choi Young-jin, il a rencontré Laurent Gbagbo, avant Alassane Ouattara. Il n'a pas fait de déclaration à sa sortie.

L'UA avait aussi reconnu la victoire de Ouattara. Mais plutôt qu'une médiation, le Premier ministre kényan Raila Odinga, a suggéré le "recours à la force militaire" pour déloger Gbagbo. Moscou a appelé à éviter les violences.

Vendredi après-midi, dans Abidjan quadrillée par les forces fidèles à Gbagbo, rien ne signalait une nouvelle mobilisation des partisans de Ouattara, malgré l'appel à reprendre la marche sur la télévision d'Etat tentée jeudi.

"C'est trop dangeureux pour sortir", confiait à l'AFP un militant de Ouattara au QG de ce dernier à Abidjan, le Golf hôtel. "La peur est là", disait un autre au siège de sa coalition, dans le même quartier chic de Cocody, qui abrite aussi la radio-télévision RTI.

Dans le quartier populaire et pro-Ouattara d'Abobo (nord), très calme alors qu'il avait été le théâtre d'importantes manifestations jeudi, des habitants s'étaient attroupés autour des corps de deux jeunes hommes tués d'une balle dans la tête, étendus sur la route, a constaté un journaliste de l'AFP.

Il n'était pas possible dans l'immédiat de savoir dans quelles circonstances ils avaient été tués.

Le quartier d'Adjamé (nord) offrait le même spectacle que celui de Yopougon (sud, fief de Gbagbo): patrouilles des forces de l'ordre partout, activité très réduite. A Treichville (sud), les rues s'animaient peu à peu, même si les commerces restaient fermés.

Le Premier ministre de Ouattara, le chef de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) Guillaume Soro, avait appelé jeudi la population à marcher de nouveau sur la RTI, symbole et atout majeur du camp Gbagbo, ainsi que sur le siège du gouvernement.

Mais les locaux de la RTI étaient cernés par un impressionnant déploiement d'au moins une centaine de gendarmes, militaires et policiers, avec un véhicule blindé garé à l'entrée.

Les partisans de Ouattara n'avaient pas réussi à converger vers le grand bâtiment bleu, bloqués par les Forces de défense et de sécurité (FDS) loyales à Gbagbo, qui ont dans certains quartiers tiré sur la foule.

Le gouvernement Ouattara n'avait pu sortir du Golf hôtel et vendredi matin, les FDS tenaient toujours le barrage limitant l'accès à l'établissement que les FN n'avaient pas réussi faire sauter jeudi, malgré de violents échanges de tirs.

Dans l'intérieur du pays la tension est également montée. Les ex-rebelles venus du nord s'étaient affrontés jeudi aux FDS à Tiébissou (centre) en tentant, en vain, de descendre sur la capitale politique Yamoussoukro.

Contre Gbagbo, la stratégie de l'asphyxie de la communauté internationale

La communauté internationale, qui exige le départ du dirigeant ivoirien Laurent Gbagbo, fait le pari de l'asphyxie de son administration en favorisant le transfert du pouvoir financier à Alassane Ouattara, reconnu comme le président élu de Côte d'Ivoire.

Rompu aux mécanismes de la finance, Alassane Ouattara, ancien directeur adjoint du Fonds monétaire international (FMI), table sur un grignotage des pouvoirs économiques de son rival.

"Il faut maintenir la pression, voire l'augmenter notamment par le fait que la seule signature bancaire valable pour l'Etat ivoirien c'est désormais celle de M. Ouattara", disait cette semaine la ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie.

Ancienne puissance coloniale, la France a demandé vendredi à Laurent Gbagbo de quitter le pouvoir "avant la fin de la semaine", emboîtant le pas des Etats-Unis, pour qui il n'a qu'"un temps limité" pour s'en aller.

L'Union européenne de son côté prépare des sanctions contre 18 ou 19 proches de Laurent Gbagbo, dont un gel de leurs avoirs, et s'interroge sur l'opportunité de le viser lui-même.

"Laurent Gbagbo fait face à des mesures qui l'étranglent progressivement: M. Ouattara a commencé à nommer des ambassadeurs, il y a les sanctions individuelles prises par l'Union européenne, il y a la fermeture des comptes de l'Etat avec la seule signature reconnue, celle d'Alassane Ouattara", assure un haut responsable français.

Pour ce responsable, "la reconnaissance de la seule signature de Ouattara" doit avoir un impact à une échéance plus ou moins longue sur la paie des militaires, dont la loyauté à Laurent Gbagbo est cruciale. "Il faut environ un mois pour que cette reconnaissance produise des effets concrets", ajoute-t-il.

Car les experts mettent en garde contre la lenteur du processus et les effets politiques de sanctions qui pourrraient renforcer le chef de l'Etat sortant auprès des Ivoiriens. Laurent Gbagbo dispose très probablement de réserves financières et de ressources échappant au contrôle international.

"Dans le cas du clan Gbagbo, la leçon depuis le début de la crise, c'est que les pressions extérieures sont utilisées comme une ressource politique, retournées dans une logique de souveraineté ultra-nationaliste", note Richard Banegas, historien spécialiste de la Côte d'Ivoire.

"Laurent Gbagbo contrôle les lieux de production et d'exportation du pétrole et du cacao (dont le pays est le premier producteur mondial, ndlr) (...) Si on voulait étouffer le régime, il faudrait par exemple envisager le blocus du port d'Abidjan", ajoute-t-il.

C'est au coeur des institutions africaines, en particulier à la Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), que se situe tout de même une partie de la réponse pour les Occidentaux et le camp Ouattara.

"Les Etats ont toujours un compte en devises auprès de la direction nationale de la Banque centrale (BCEAO). Toutes les opérations avec le FMI, les bailleurs, l'étranger, passent par ce compte", explique un expert financier, spécialiste de l'Afrique de l'Ouest.

"Par exemple, l'aide publique au développement de la France à la Côte d'Ivoire est versée sur ce compte. C'est aussi le cas des ressources liées à l'import/export, comme les taxes sur les revenus du cacao ou du pétrole. C'est une énorme partie du budget", poursuit-il.

"Actuellement, trois personnes ont la signature sur ce compte: Alassane Ouattara, le Premier ministre Guillaume Soro et le ministre de l'Economie Charles Diby Koffi, qui l'avait déjà" car il a été maintenu dans ses fonctions dans le cabinet nommé par Alassane Ouattara, dit-il.

Pour cet expert aussi, Laurent Gbagbo dispose très probalement d'autres comptes en Côte d'Ivoire, qui devraient lui permettre par exemple de payer entièrement les salaires des fonctionnaires en décembre. Une éventuelle asphyxie ne pourrait donc être que progressive.

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17/12/2010
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