L’interruption volontaire de grossesse en Droit camerounais

L’interruption volontaire de grossesse en Droit camerounais

Le Droit:Camer.beL’évacuation volontaire du produit de conception communément appelée avortement est encadrée de façon différente par les législations des pays. Si par exemple en France le législateur a considérablement assoupli l’IVG en donnant la possibilité à la femme d’invoquer l’état de détresse pour se débarrasser du fœtus, au Cameroun, elle est strictement encadrée. Elle est légale seulement dans deux cas bien précis.

L'avortement ou interruption volontaire de grossesse (IVG) constitue un délit au Cameroun. Sont, à cet effet, sanctionnés par l’article 337 alinéa 1 du Code pénal « la femme qui se procure l’avortement à elle même ou qui y consent » et le professionnel de santé qui pratique cet avortement. Si la femme risque seulement une peine d’emprisonnement de 15 jours à un an et une amende de 5000 à 200 000 F, le praticien de santé s’expose, sur la base de l’alinéa 2 de l’article 337 du Code pénal, à une sanction plus sévère. Non seulement il peut écoper d’une peine d’emprisonnement de 1 à 5 ans et être condamné à payer une amende de 100 000 à 2 000 000 F en plus le juge pénal peut ordonner la fermeture de son local professionnel ce qui entraîne pour lui l’interdiction d’exercer. Ces peines sont doublées si le professionnel est un délinquant se livrant habituellement à des avortements. Les seules justifications admises dans le domaine de l’IVG sont l’avortement thérapeutique prévu simultanément par les articles 339 du Code pénal et 29 alinéa 2 du Code de déontologie des médecins lorsque la poursuite de la grossesse peut mettre en péril la vie de la femme et l’avortement résultant d’un viol. Dans ce second cas, l’avortement sera licite « après attestation du ministère public sur la matérialité des faits ». Malgré cet encadrement drastique, la pratique des avortements clandestins, surtout chez les adolescentes, ont fait leur lit au Cameroun favorisés par  la perte des repères moraux  qu’accentue une pauvreté généralisée.

Si l’interruption volontaire de grossesse continue d’être rudement encadré au Cameroun, en France, le législateur a considérablement assoupli la pratique. En effet, la « loi Veil » du 17 janvier 1975 sans dépénaliser l’avortement a institué un nouveau fait justificatif tiré de l'état de détresse de la femme lorsque l'interruption intervient dans les dix premières semaines de la grossesse et dans un cadre déterminé.

 Cet état de détresse qui n’est pas définie semble être un moyen détourné de légalisation de l’IVG dans la mesure où, L'article L.2212-1 du Code de la santé publique réserve l'IVG « stricto sensu » à la femme que « son état place dans une situation de détresse ». Et c’est à elle seule que revient l’appréciation. Le médecin n’a pas à exiger des preuves. Dans l’arrêt Lahache du 31 octobre 1980, le Conseil d'Etat a estimé que celle-ci était seule à pouvoir apprécier cet état de détresse. En outre, depuis la loi DMOS du 27 janvier 1993, la liberté des interruptions de grossesse est garantie par la création d'un délit d'entrave (art.L.2223-1 et -2 CSP) qui punit jusqu'à deux ans d'emprisonnement les personnes qui tentent de les empêcher. La Cour de cassation les 31 janvier 1996 et 27 novembre 1996 a rejeté plusieurs moyens de défense invoqués par des personnes condamnées pour délit d'obstacle et tirés de l'incompatibilité de l'interruption de grossesse avec les articles 9 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme (liberté d'opinion), avec le droit à la vie (article 2 Convention européenne des droits de l'homme et article 6 du Pacte de New-York de 1966), avec la Convention de Genève relative à l'esclavage ou avec la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant. En outre, il ne saurait s'agir ni du crime de génocide, ni d'un acte de torture.

La loi du 4 juillet 2001 a alourdi les sanctions et élargi le champ de la répression (art. L.2223-2 CSP). Hormis cela, le législateur Français a aussi élargi la justification thérapeutique en prenant en compte d'une part un danger pour la santé de la mère et d'autre part le risque pour l'enfant à naître d'être atteint d'une maladie incurable d'une particulière gravité. De plus, le Nouveau Code pénal français entré en vigueur le 1er mars 1994 a supprimé l'infraction d'avortement et la remplace par l'interruption illégale de la grossesse (art. 223-10 du Nouveau Code pénal, art. L. 2222-2 et L. 2222-3 du Code de la santé publique) définie « en négatif » par rapport aux interruptions licites prévues au Code de la Santé Publique. Toutes ces reformes dans le domaine de l’IVG ont reçu la caution de la haute juridiction. En effet, le Conseil Constitutionnel, dans une décision du 27 juin 2001 (JO du 7 juillet 2001, p.10828), a estimé que la loi n'était pas contraire aux principes constitutionnels de sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation.

I- Interruption autorisée de grossesse

Dans tous les cas, les deux catégories d'interruptions volontaires de grossesse prévues par le législateur camerounais obéissent à des règles communes. Tout d’abord, elles doivent être pratiquées par un médecin dans un établissement d'hospitalisation ou une maternité. En ce qui concerne l’avortement thérapeutique, avant de passer à l’acte, le médecin doit obligatoirement prendre l’avis de deux confrères choisis respectivement parmi les experts judiciaires et les membres du Conseil de l’Ordre. « Ceux-ci doivent attester par écrit que la vie de la mère ne peut être sauvegardée qu’au moyen d’une telle intervention ». La clause de conscience permet au médecin de refuser de procéder à l'IVG à condition comme l’énonce l’alinéa 5 de l’article 29 du Code de déontologie de « se retirer en assurant la continuité des soins par un confrère qualifié ». En France, l'interruption de grossesse peut également être pratiquée par voie médicamenteuse dans le cadre d'une convention conclue entre praticien et un établissement. Dans ce cas, la clause de conscience peut aussi être invoquée au niveau de l'établissement, toutefois, les établissements publics ainsi que ceux qui participent à l'exécution du service hospitalier sont soumis à des obligations particulières. Depuis la loi du 4 juillet 2001, les chefs de service hospitaliers ne peuvent plus s'opposer à la pratique des interruptions à l'intérieur du service.

Selon l'article L.2213-1 du CSP, l'interruption peut aussi être pratiquée à toute époque si la poursuite de la grossesse met en péril grave la santé de la femme ou s'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection grave et incurable. Comme dans le cas du Cameroun, la décision de la femme ne peut  ici intervenir sans l'aval d'une formation collégiale sous forme d'une attestation délivrée par deux médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire après que cette équipe ait rendu un avis consultatif. Lorsque l'interruption est envisagée pour protéger la santé de la femme, cette équipe doit comporter au moins trois personnes dont deux médecins et une personne qualifiée (assistante sociale ou psychologue). Lorsqu'il s'agit de la découverte d'une anomalie chez le fœtus, l'équipe est celle d'un centre de diagnostic pluridisciplinaire de diagnostic prénatal. Cette exigence a pour but de s'assurer de la réalité de l'anomalie justifiant l'interruption et de faire obstacle à toute velléité de demandes parentales aberrantes liées à la recherche d'un « enfant parfait ».

 II- L'interruption illégale de grossesse

La possibilité d’atteinte à l’intégrité du corps humain par le corps médical ne peut s’effectuer qu’à deux conditions posées par l’article 16-3 du Code Civil. Dans le domaine de l’IVG, elle s’analyse en droit camerounais par l'interruption de grossesse sans le consentement de la femme. C’est une infraction grave sévèrement sanctionnée par le Code pénal.  En son article 338 le Code pénal l’assimile à une violence sur une femme enceinte. Ainsi, « est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 100 000 à 2000000 de francs celui qui par des violences sur une femme enceinte (…) provoque, même non intentionnellement, la mort ou l’incapacité permanente de l’enfant ». Il peut s’agir alors d’une IVG pour motif thérapeutique, pratiquée par un médecin sous un motif fallacieux sans avoir correctement informé la femme, et sans lui avoir permis de donner un consentement éclairé. Est également réprimé le fait de pratiquer sans être médecin ou bien dans un lieu autre que ceux prévus par la loi. Pour vibrer en phase avec l’éthique de la profession médicale,  lors du vote des lois de bioéthique du 29 juillet 1994, le Code de la santé publique a  intégré un nouveau délit à l'article L.2222-3. Il concerne le fait de procéder à une interruption de grossesse après diagnostic prénatal sans avoir respecté les modalités prévues par la loi.

Enfin, en vertu du principe de l'interprétation stricte de la loi pénale, les autres obligations liées à l'interruption de grossesse qui ne sont pas pénalement sanctionnées, peuvent faire l'objet de sanctions disciplinaires en raison de la gravité biologique de l’intervention et surtout des risques médicaux qu’encourt la femme pour elle même et pour ses maternités futures.

Cette prévision vaut son pesant d’or ici. En effet, selon une étude du Pr. Leke cité par Tchokomakoua, en 1997, sur un total de 7289 patientes reçues en urgence à la Maternité Principale de Yaoundé sur une période de trois mois, on dénombre 2324 cas, soit 32 % environ, présentant des complications liées à l’avortement dont 88 clandestins.

Parmi ces derniers cas de complications, 34 % étaient des hémorragies, 23 % des lacérations cervicales et 10 % de lacérations vaginales. Chaque année, on dénombre 32 à 46 avortements pour 1000 femmes en âge de procréer. Selon le même auteur cité par Mounah Dipita,, sur les 10 dernières années, les complications liées à l’avortement sont devenues la deuxième cause de mortalité maternelle dans cette formation hospitalière. En 1995/96, 40 % des décès maternels observés dans cette maternité étaient dus aux complications post-abortum. On note également que plus de 85 % des cas d’infertilité sont une conséquence des avortements. Par ailleurs, une étude réalisée à la Maternité Principale de l’hôpital Laquintinie de Douala a montré que le nombre d’avortements clandestins augmente de façon constante. C’est ainsi qu’entre janvier 1990 et mars 1991, le nombre d’avortements clandestin est passé de 12 à 24. Et la situation est la même aujourd’hui jusque dans les campagnes camerounaises.

Peut-on sur cette base croire qu’il serait judicieux pour le législateur camerounais, compte tenu des ravages des IVG clandestines d’assouplir son encadrement qui semble rigide comme c’est  d’ailleurs le cas en France ?

© framsiko.over-blog.com : Francis Ampère SIMO


30/06/2012
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