La pression s’intensifie sur Laurent Gbagbo

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La pression s’intensifie sur Laurent Gbagbo
(Le Temps.ch 27/12/2010)


Paris a saisi dimanche l’avion du président autoproclamé qui stationnait à Bâle-Mulhouse pour opérations de maintenance. Réunie en sommet extraordinaire à la veille de Noël, la Cédéao a menacé de recourir à la force pour déloger le président autoproclamé

La communauté internationale n’a pas la moindre intention de desserrer l’étau sur le président autoproclamé de la Côte d’Ivoire et a commencé à mettre ses menaces à exécution. Ainsi, dimanche, l’avion officiel de Laurent Gbagbo, qui se trouvait à l’aéroport de Bâle-Mulhouse, a été saisi «à la demande des autorités légitimes (ndlr: du président élu Alassane Ouattara) de Côte d’Ivoire», a expliqué un porte-parole du Ministère français des affaires étrangères.

Cette immobilisation avait été révélée dans le courant de l’après-midi par le site internet de la Neue Zürcher Zeitung. L’avion «appartenant à la Côte d’Ivoire», selon un porte-parole de l’Office fédéral de l’aviation civile cité par l’AFP, stationnait sur l’aéroport exploité conjointement par la Suisse et la France, mais situé en territoire hexagonal à proximité de la ville de Mulhouse, pour des opérations de maintenance. Cet avion, qui ne serait pas le seul à appartenir au pouvoir ivoirien, devait, avance la NZZ, subir une inspection de la société Jet Aviation, spécialisée dans la construction et l’entretien d’avions privés. La société n’a pas commenté l’information. Un porte-parole des services extérieurs de l’Union européenne, qui officialisé jeudi passé sa décision de priver de visas Laurent Gbagbo et 18 de ses proches et le principe d’un gel de leurs actifs, n’a pas souhaité non plus faire de commentaire.

En Afrique, les menaces à l’encontre du président sortant, qui s’accroche au pouvoir depuis sa défaite au second tour de l’élection du 28 novembre dernier, se sont également faites plus précises ces derniers jours.

Réunis en sommet extraordinaire à Abuja, Nigeria, à la veille de Noël, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao, quinze membres) ont déploré «le niveau excessivement élevé de pertes en vies humaines» et enjoint à Laurent Gbagbo de se retirer sans délai. «En cas de rejet de cette demande non négociable, la Communauté n’aura d’autre choix que de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris l’usage de la force légitime, pour réaliser les aspirations du peuple ivoirien», a martelé la Cédéao par voie de communiqué, menaçant explicitement, pour la première fois depuis le début de la crise, le président illégitime d’une opération militaire. Aucun détail n’a été donné sur la forme qu’emprunteraient cette opération et la force d’intervention qui la mènerait, dont les spécialistes considèrent que sa mise sur pied nécessiterait plusieurs mois.

Ce mardi, l’organisation régionale dépêchera à Abidjan les présidents de trois de ses membres (Bénin, Sierra Leone et Cap-Vert) pour tenter de faire entendre raison à Laurent Gbagbo et ménager «une sortie de crise par le dialogue», selon le ministre béninois des Affaires étrangères cité par l’AFP. Ils seront accueillis «en frères, en amis», a promis hier soir le clan Gbagbo.

Ce dernier avait pourtant vertement réagi à la mise en demeure de la Cédéao, qualifiée «d’inacceptable» par un porte-parole. Les responsables ouest-africains «savent que s’ils attaquent la Côte d’Ivoire de l’extérieur, cela va se transformer en guerre civile à l’intérieur», avait pour sa part défié Don Mello, un ministre de Laurent Gbagbo.

De son côté, Alassane Ouattara, le président internationalement reconnu, a brisé le silence dans lequel il se cantonnait depuis début décembre. Vendredi, il a sommé les Forces de défense et de sécurité, loyales pour l’heure à Laurent Gbagbo, de se rallier à lui afin «d’assurer leur mission républicaine de protection des populations contre les miliciens et mercenaires étrangers qui font couler le sang des Ivoiriens». Dimanche soir, ses soutiens ont lancé un mot d’ordre de grève générale à compter de lundi.

Selon l’ONU, 174 personnes ont été tuées dans les violences post-électorales entre le 16 et le 21 décembre. Le Haut-Commissariat aux réfugiés estime que 14 000 Ivoiriens ont abandonné leur maison ces dernières semaines pour chercher refuge au Liberia voisin.

Angélique Mounier-Kuhn

Editorial: Leçon africaine en Côte d’Ivoire

Le tyran d’Abidjan a sous-estimé la mobilisation des chefs d’Etat africains. Unis pour que la démocratie soit respectée en Côte d’Ivoire, ceux-ci ne dessèrent pas leur étau

Triste Noël en Côte d’Ivoire. Les messes de minuit ont été célébrées à la va-vite, avant la nuit, ou alors annulées comme celle de la cathédrale Saint-Paul à Abidjan habituellement suivie par 10 000 fidèles. La peur est omniprésente alors qu’un bilan avoisinant les 200 morts est évoqué par les Nations unies dont les Casques bleus sur place ont été impuissants à empêcher les atrocités post-électorales. L’heure est grave. Les prochains jours seront cruciaux.

Chaque jour qui passe semble renforcer Laurent Gbagbo dans son délire de rester au pouvoir. Mais le président vaincu dans les urnes est en retard sur la compréhension des événements et de leur dynamique. Il a beau dire qu’il «ne veut pas la guerre», il se trompe en s’entêtant à ne pas reconnaître la victoire de son adversaire, Alassane Ouattara. Le fait accompli ne fonctionnera pas. Ni les Etats africains, ni la communauté internationale ne sont prêts à desserrer leur étau. Le tyran africain s’est mis au ban des nations. Les sanctions le visant commencent à produire des effets. Et la menace d’un recours à «la force légitime» pour le déloger du pouvoir n’est plus un tabou.

D’ailleurs, le bras de fer d’Abidjan délivre une belle leçon, plutôt inattendue: par son ampleur, la mobilisation africaine pour que la démocratie soit respectée n’a pas de précédent. L’Union africaine ne s’est pas dérobée à ses responsabilités. Elle a définitivement lâché Laurent Gbagbo, ce qui n’allait pas de soi sur un continent où les exemples d’enracinement au pouvoir sont légion.

La communauté économique d’Afrique de l’Ouest, la Cédéao, avait montré la voie en rendant un verdict défavorable au mauvais perdant. Et quand la Cédéao a suspendu la Côte d’Ivoire de ses institutions, l’Union africaine lui a aussitôt emboîté le pas.

Cet engagement des dirigeants africains contre un des leurs peut être compris comme une démonstration de la capacité de l’Afrique à se prendre en main, avec la bénédiction de la communauté internationale. A un moment où le continent noir connaît une progression soutenue de son PIB, les chefs d’Etat redoutent par-dessus tout l’instabilité qui pourrait contaminer une vaste région. Tous voudraient éviter que l’obstination de Laurent Gbagbo ne fasse replonger la Côte d’Ivoire dans le chaos. C’est dans cette unité africaine, qu’a sous-estimée Gbagbo, que réside l’ultime espoir, certes ténu, d’une solution non militaire.

Par François Modoux lundi27 décembre 2010

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27/12/2010
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