La face cachée de l’Opération Épervier

Cameroun : La face cachée de l’Opération ÉpervierUne justice aux ordres « d’en haut ». La police camerounaise instrumentalisée Des dossiers vides en instruction. Des familles brisées sans raison. Voyage dans l’absurde et l’enfer… Avec Rémy MBA MIMFE’E, « présumé coupable de détournement des fonds publics au Crédit Foncier du Cameroun.

On avait certainement calomnié Rémy MBA MIMFE’E et quelques uns de ses collègues du Crédit Foncier du Cameroun (CFC). Un matin du mardi 21 février 2006, il est mis aux arrêts depuis son bureau de travail habituel au CFC, par une escouade de policiers armés jusqu’aux dents, sur « instruction du procureur de la République ». Émoi et questionnement de l’auteur de l’autobiographie intitulée Opération Épervier : Mémoires d’un présumé coupable. « Comment cela a pu se faire que je sois arrêté ? Comme un grand bandit ! Comme un braqueur ! Tout ce déploiement ! Qu’elle est la faute commise ? Où ? Quand ? Comment ? Qu’est-ce qu’on me reproche ? Le motif : « sur instruction du procureur », ne me satisfait pas. On me dit que les « ordres viennent d’en haut ».

Les 229 pages de l’opuscule commis par Rémy MBA MIMFE’E apportent plus ou moins des éclairages à cette histoire digne du « Procès » de Kafka. Le livre de poche (préfacé de Pierre Désiré Engo et postfacé de Me François - Xavier Mbouyoum) construit sa trame autour de quatorze chapitres. Ceux-ci donnent à découvrir un autre visage de la campagne d’assainissement des moeurs publiques engagées par le président de la République, sous l’appellation Opération Epervier. Un visage hideux qui prend le contre-pied de tout le discours officiel véhiculé par le gouvernement de la République.

Procès de la police …

L’ouvrage publié à compte d’auteur met en surface toute l’impréparation, doublée du peu de professionnalisme, qui encadrent la mise en oeuvre de l’Opération Epervier. Notamment aux niveaux de la justice et de la police camerounaise. « Le comportement des policiers trahissait la peur qui les animait dans l’exercice de leurs missions ; eux, pourtant, qui étaient habitués à arrêter les bandits ; les vrais. Tous se comportaient comme s’ils étaient surveillés ; comme si le moindre sens humain était synonyme de sanction disciplinaire à recevoir ». A cet état d’esprit, il y a l’embarras qui caractérise la police dans la conduite des opérations : « A un moment de l’interrogatoire, il s’arrêta et me posa la question : on vous a arrêté pourquoi ?... Je lui répondis : je ne sais pas…Il dit à son patron : j’ai fini de lui poser des questions sur les aspects génériques de l’enquête. Quel est le motif de son arrestation ?» Le commissaire hésita et lui répondit : « on m’a demandé d’aller l’arrêter et j’ai exécuté les ordres. C’est vous qui connaissez le motif ».

L’auteur révèle aussi une police gratuitement méchante et inutilement zélée. En l’occurrence à l’occasion de la perquisition des domiciles ou de la confiscation des biens chez les prévenus. Morceau choisi du chapitre titré « Branle-bas au village » : « Nous étions déjà rendus vers 1heure du matin, tout le monde était déjà fatigué. Une fois de nouveau en ville, nous pensions légitimement que nous allions passer la nuit à la police judiciaire, en principe, plus sécurisée. Mais le « grand commissaire » décida de nous amener dans le domicile d’un de ses parents au quartier ABANG…Evidemment, vers cette heure, personne ne nous attend… Dieu merci, il y avait un tapis qui devint mon lit douillet que je partageais avec deux gardiens de la paix, chargés de ma garde rapprochée. L’un se coucha à ma gauche et l’autre à ma droite. Le commissaire prit le canapé et l’officier la chaise ». La désillusion quant aux résultats escomptés est souvent grande. « Toute cette mobilisation, tous ces moyens, tous ces hommes : pour rien du tout ? C’était aussi ça; l’opération Epervier N°1. Rien n’avait été prévu, ni préparé. Tout était mis en oeuvre, sans une enquête, sans une réflexion préalable. Il fallait agir, avant de réfléchir. Et pourquoi ? » Comment rester sans mot dire sur le bradage et le pillage des biens publics et privés au Groupement spécial d’intervention (Gso) à Soa ? « Le spectacle qui vous est offert à Soa est une désolation totale. Tous les véhicules, qui ont été saisis, sont en train de pourrir sans que personne ne s’en émeuve. La majorité de ces véhicules appartient à l’Etat.

Le spectacle est triste et désolant, mais il est aussi surtout inquiétant. Comment peut-on mener une opération dans le but de préserver la fortune publique, et la laisser se dégrader de cette façon ? Les responsables de la police, en charge de la garde des biens saisis, ne sont jamais là. Quand vous trouvez enfin un agent au bout de nombreux tours, vous devez vous rendre à l’évidence qu’il faut débourser de l’argent… Voilà des endroits où l’Etat prétend ou croit mettre les biens des voleurs en sécurité ; mais où tout est pillé, au vu et au su de tout le monde ; sans que cela n’émeuve personne ».

Et la justice camerounaise

Une justice loin de toute neutralité. « Pendant mon audition, le parquet appelait régulièrement pour que l’officier leur fasse le point. J’ai compris plus tard qu’ils étaient en train de préparer le mandat de dépôt à leur niveau ». Bien plus, Rémy MBA MIMFE’E dépeint une justice camerounaise à la manoeuvre : « Je suis convaincu que le procureur grondait et le pauvre officier lâcha… Mais je n’ai pas de motif, je ne peux pas boucler une enquête et déférer quelqu’un sans motif… J’ai alors entendu le procureur hurler : « Ecrivez ce que vous voulez » ; et il raccrocha ». Le zèle de certains magistrats en rajoute aux griefs contre cette justice aux ordres. « … Le procureur m’y ramena avec la question : « reconnaissez-vous les faits ? » Je ne répondis pas. Il reprit la question. Je répondis : non. Alors, il me demanda de lire et de signer. J’hésitai et ne lus que le titre : « Mandat de dépôt »…Le procureur me réveilla avec cette autre déclaration : « Même si vous ne signez pas, vous allez à Kondengui ». La montagne accouche d’une souris pendant le procès.

Le chef d’accusation de détournement d’une somme d’argent de 58 millions de FCFA à l’agence CFC de Bafoussam vole rapidement en éclats. Le dossier est vide. Non lieu, décide toute honte bue la justice camerounaise. Pour y arriver, c’est la croix et la bannière pour le justiciable qui refuse de verser dans la fatalité. Bonne feuille : « Il était juste question de faire appel d’une décision de justice. Mais je fus surpris de constater que c’était un chemin de croix, pour mon avocat et moi. Pour obtenir toutes les pièces permettant de constituer le dossier d’appel, mieux encore, le dossier constitué, j’ai dû prendre une semaine pour que le greffe accepte de prendre les frais du dossier d’appel et pire, le dossier d’appel, régulièrement constitué n’a jamais été reçu au greffe. Personne, je dis bien personne, n’a accepté de prendre l’engagement de le recevoir ». L’administration pénitentiaire, désormais rattachée au ministère de la justice, excelle également dans le vice.

« … J’ai découvert l’autre face du gardien de prison ou de la  majorité des gardiens de prison. Mon statut avait changé, les agissements des gardiens aussi. Le mépris, l’impolitesse et l’injure étaient réservés aux personnalités arrêtées, sans considération d’âges. Le traitement humiliant, commencé depuis le matin, prenait d’autres allures ». Et Rémy MBA MIMFE’E d’indiquer plus loin : « Le grand débarquement du 21 février 2006 constituait ainsi une mine d’or pour le personnel de la prison et les autres prisonniers, qui voyaient en nous des hommes bourrés d’argent qu’il fallait escroquer à défaut d’agresser ».

La famille et les amis dans la psychose permanente

On a toujours oublié de porter le regard sur la souffrance de la famille et des proches de la personne arrêtée dans le cadre de l’opération Epervier. En s’attardant sur le cas Rémy MBA MIMFE’E, l’on découvre une épouse et des enfants meurtris par ces événements inattendus. Dieu merci, Rémy MBA MIMFE’E peut compter sur une poignée de (vrais) parents et amis. Bien organisés et soudés, ils apportent un précieux soutien multiforme à l’épouse et aux enfants du prévenu. En réalité, Rémy MBA MIMFE’E récolte les fruits de son bon comportement autant dans sa famille nucléaire que dans sa famille élargie. Il tire par ailleurs avantage de la qualité de l’éducation donnée à sa progéniture et de la confiance mutuelle dans le couple. Qu’à cela ne tienne, les dégâts et les ravages de son arrestation impromptue ne manquent pas. La torture morale. Le délabrement matériel et financier. L’incarcération des enfants. L’exorcisme. « Oui, l’exorcisme ! C’est le Cameroun et les Camerounais qu’il faudrait délivrer de tous ces maux : clientélisme, corruption, détournement des biens sociaux, sectarisme, inertie, etc. ». Pour l’auteur des Mémoires d’un présumé coupable, le pays tout entier paye le lourd tribut de cette campagne mains propres : « Et l’Opération Epervier ? Pour quels résultats ? Certainement beaucoup de bruits, de vengeance, d’amalgames, de mensonges, de grossières erreurs ; mais pas de changement de société ».

Ce constat effroyable plonge le narrateur dans des réflexions personnelles sur l’être et le devenir de la société camerounaise. « Il peut arriver qu’on commette un crime. Est-ce pour cela que toute votre famille, tous vos amis, toutes vos relations deviennent des complices ? Le fait de désapprouver un acte, enlève –t-il les liens d’amitié et de sang qui existent entre les Camerounais et, globalement, entre les hommes ? [...] Quelle est donc cette société où l’individu n’existe plus en tant qu’être humain doué du souffle de vie que Dieu lui a donné ? Pourquoi le « décret »confère-t-il  tout le pouvoir ; jusqu’à enlever aux autres le droit à l’information sur les malheurs qui peuvent arriver aux leurs ? [...] Quelle  est donc cette société qui vous pousse,vous incite et vous excite à la corruption  et aux détournements et qui, au premierfaux pas, vous abandonne ? [...] En si peu de temps, on me dit qu’on va me libérer. Avons – nous mesuré l’étendue du désastre et du tort causé à mes enfants ? A ma famille ? A la société et à moi – même ? […] Et au bout de cette libération, pas même un mot de regret ou d’excuse de la part du gouvernement ! » Autant de questions et bien d’autres qui entrecoupent la narration du brillant haut cadre du CFC. L’auteur a le mot juste pour conclure : « L’objectif premier de ce qui est baptisé l’Opération Epervier » est louable ; mais les méthodes humiliantes, téléguidées, s’apparentant à des règlements des comptes, ont dévié le volet éducatif et productif de cette opération… Rien n’a changé au final ». En d’autres termes, et pour rester positif, il faut « repenser puis recommencer l’Opération Epervier ». A bon entendeur…

© www.integrationafrica.org : Thierry Ndong


05/03/2013
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