La diaspora camerounaise et le syndrome de l’ « envoûtement collectif »

Cameroun : La diaspora camerounaise et le syndrome de l’ « envoûtement collectif »La quête de l’innovation a conduit de nombreux pays africains, soucieux d’améliorer leurs système de gouvernance, à opter pour la formation des jeunes et le renforcement des capacités des cadres de tous les secteurs prioritaires de vie de la nation. La dispersion des peuples dans l’étymologie du terme diaspora est consubstantiel à l’existence des personnes à la recherche de justice et du bien-être perdu. La diaspora camerounaise qui a suivi cette logique jusqu’à la fin des années 90, connait aujourd’hui une évolution très complexe à repenser.

Les clivages politiques et ethniques qui ont mis en péril l’unité nationale, ont été malicieusement transposés partout où vivent les Camerounais de l’extérieur. De Bruxelles à Francfort en passant par Paris, Milan, Montréal, les camerounais ont, dans leur écrasante majorité, conservé les habitudes socio-anthropologiques héritées de leur région de départ. La mode est à la promotion des associations d’idéologies ethnico-tribales, qui contrastent avec les réalités démocratiques des pays hôtes. Plus contrastant encore, c’est le modus operandi des personnes censées animer ces associations, qui reproduisent systématiquement ce qu’ils reprochent au régime qu’ils disent parfois à raison les avoir bâillonnés, ulcérés et martyrisés.

Le mauvais héritage de la diaspora

Le paysage politique et associatif camerounais est contrôlé par des personnes à la sénilité avérée. Ils sont pour la plupart anciens transfuges de l’union camerounaise (U.C.), de l’union nationale camerounaise (U.N.C.) et du Rassemblement du Peuple Camerounais (R.D.P.C.). Le retour à la démocratie, il y a une vingtaine d’années, nous semble avoir fait beaucoup de mal à notre pays, en ce sens qu’il n’a pas fait des démocrates mais des « présidents-fondateurs » qui, pour l’intellectuelle Maman, sont des sortes de politiciens par embuscade, qui ont naïvement pensé que la popularité sans stratégie dans la conquête du pouvoir, sans vision aurait suffi pour être aux affaires. Désillusionnés au fils du temps face à l’habileté et au cynisme du régime policier de Yaoundé, ils ont très vite déchanté, soit en signant des plates-formes d’action gouvernementale, véritables phagocytoses politiques, soit en organisant autour d’eux des systèmes de racket qui constituent aujourd’hui leur seule survie politique.

Le blocage de l’éclosion de la démocratie véritable au Cameroun n’est plus l’apanage des seuls conservatistes du régime. La fermeture du jeu de l’alternance à l’intérieur des partis de l’opposition a favorisé le pluralisme politique plutôt que la démocratie. Tout ceux, victimes du 8-2, et de tous les autres mécanismes d’exclusion, ont très souvent créé des partis politiques, oubliant de mémoire que, la naissance d’un nouveau parti politique, dans le système électoral actuel à un tour, augmente l’espérance de vie au pouvoir de Paul Biya.

Diaspora: tous des « présidents-fondateurs »

A la tète de chaque association, on trouve un « président-fondateur », ce type de personnage qui vient vers vous, dans un prosélytisme politique savamment huilé, vous exposer un projet bien conçu et ambitieux, vous proposant de vous mettre ensemble pour changer le monde et chasser le dictateur. Ambition sans doute légitime dans un environnement favorable à l’expression des libertés. Le Camerounais de la diaspora, à âge égal et à égal diplôme, n’est peut-être pas le plus intelligent, mais à quand même beaucoup de facilité (facile accès aux technologies de l’information et de la communication, bibliothèques…) et une bonne marge de manœuvre qui peut lui permettre d’être plus prompt à se mouvoir.

Les associations des camerounais de la diaspora contre le régime de Yaoundé se sont multipliées comme des champignons ces 20 dernières années, tout à l’image de nos trois cent partis politiques, comme si l’environnement ne devrait avoir d’influence sur nous que dans l’apprentissage, jamais dans l’action. La récente visite de travail de Paul Biya en France démontre à souhait le « fractionnement malétictif » des associations de la diaspora qui disent combattre un même régime mais n’arrivent jamais à fédérer leurs efforts. Le droit de réponse publié il ya quelques jours, sur le site www.cameroun-info.net par le président de l’une des ex-fractions du « CODE »ne nous éloigne pas de toute la cacophonie, le clientélisme et bien d’autres mots qui y règnent. Le fonctionnement de nos associations donne raison à ceux qui pensent que Paul Biya reste le meilleur risque pour le Cameroun, sinon comment comprendre que des hommes pour la plupart bien formés et issus de tous les secteurs d’activité, restent englués dans des querelles de bas étage, des guerres de positionnement et des egos surdimensionnés, comme seul notre pays en a l’exclusivité.

Quitte à constituer le cheval de Troie des hiérarques du régime qui, las de voir le créateur survivre à l’horloge biologique, sont prêts à tout instrumentaliser pour le fragiliser et le voir clamser, ces activistes gagneraient à repenser leurs stratégies qui ne nous semblent pas aller dans le sens d’une dévolution pacifique et immédiate du pouvoir. La cyber-opposition, expression utilisée de façon très péjorative aujourd’hui, s’explique par le très grand désaveu du système en place observé dans le forum mais qui ne se matérialise pas sur le terrain, où les manifestants sont très souvent recrutés parmi ceux que nous appelons avec un zeste d’humour les « exilés de Bruxelles », c’est-à-dire ces Camerounais, quelques fois sans papiers, qui se découvrent seulement dans la manif, des persécutions que leur aurait infligées le régime à une date dont le dernier souvenir se trouve dans les coupures de journaux.

Les récentes élections très contestées au sein d’une l’association des Camerounais du Canada et dans de nombreuses associations de la diaspora sont symptomatiques du mode de fonctionnement que les présidents mettent sur pied pour s’éterniser à leur tête. Ceux-là même qui sont élus dans les règles de l’art ont mis sur pied des mécanismes de gestion patrimonialiste. « C’est notre chose », peut-on entendre honteusement dire, les autres n’étant là que pour les aider à accomplir leurs desseins. A l’analyse, la démocratie sans démocratie est vaine. Si on doit rester ad vitam aeternam à la tête des associations parce qu’on les a créées, on en fait un projet privé-familial qui ne mérite plus l’adhésion de tous. Il n’y a pas que Paul Biya !, nous sommes tous des «présidents-fondateurs» et notre démocratie, c’est la démocratie des autres, notre rêve, c’est celui des autres.

Une refondation est possible

Refonder nos associations sous-entend aussi leur donner un statut cohérent au combat qu’on veut mener. Si les associations qui sont membres de la société civile ont le droit de poser les problèmes d’ordre existentiel de l’espèce humaine (droit de l’homme, famine, développement…), elles ne sont en rien fondées de demander le départ d’un président fut-il mal élu, parce qu’elle n’ont pas pour vocation de solliciter les suffrages des électeurs, quitte à se muer en parti politique et gagner en crédibilité. La dévolution du pouvoir, quand on est démocrate, passe par les urnes. Ne nous trompons pas de combat. Il revient à chacun de nous, de contribuer à la socialisation politique du « peuple d’en bas » qui constitue l’essentiel du corps électoral, non plus par le seul biais de l’internet auquel seulement 7% des Camerounais ont accès, mais aussi et surtout par les actions concrètes sur le terrain. En radicalisant le débat politique, on joue le jeu du régime qui, dans sa stratégie de l’usure, sait bien récupérer à son compte ce type d’erreur politique et stratégique. Célestin Ndjamen nous semble l’avoir compris…

En réalité, manifester à Bruxelles, à Paris… n’apporte rien de façon substantielle au quotidien des Camerounais, à contrario, elle (la manifestation) sert d’outil de chantage diplomatique à l’occident qui sait très bien s’en servir au demeurant, donnant l’impression d’avoir satisfait les désidératas des manifestants. En 2009, pendant l’opération « lançons les tomates pourries à Paul Biya », c’est François Hollande, alors haut cadre et député PS, qui était descendu recueillir les doléances des activistes des « CODE, CCD », en leur promettant d’en parler en session à ses pairs à l’assemblée nationale. Quelle posture a t-il aujourd’hui ? Sortons de l’envoûtement hérité des politiques et de nos habitudes socio-anthropologiques et rebâtissons une nouvelles diaspora encore plus crédible et plus conquérante.

© Correspondance de : Narcis Bangmo, Educateur au développement Louvain-la-Neuve (Belgique)


06/02/2013
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