La crise ivoirienne : Avis d'un candidat déclaré


Écrit par Nfor N Susungi | Douala
Vendredi, 31 Décembre 2010 18:53

J'ai suivi de très près le drame post-électoral en Côte d'Ivoire et je sens que j'ai le devoir de donner mon avis sur cette question, surtout parce que j'ai déjà déclaré ma candidature à l'élection présidentielle prévue au Cameroun pour octobre 2011. Cela me place automatiquement dans une situation où je dois me prononcer sur cette question qui risque de faire tache d’huile en Afrique, y compris au Cameroun.

 

 

Je connais la Côte d'Ivoire depuis 1977, lorsque j'ai rejoint la Banque africaine de développement à l'âge de 29 ans. Cela fait donc 33 ans que je connais ce pays. Il y a trois pays dont je peux prétendre avoir une bonne connaissance du paysage politique et économique, et ce sont le Cameroun, le Nigéria et la Côte d'Ivoire.

                    

La vision Houphouëtique

 

Depuis mon arrivée en Côte d'Ivoire, le Président Félix Houphouët Boigny avait l’habitude de dire qu'il était déterminé à créer "un ilot de prospérité dans un océan de misère". C'était l'une de ses citations de sage. Il a conduit la Côte d'Ivoire à réaliser des résultats économiques tout à fait remarquables : la production de 1,33 millions de tonnes de cacao, 400 000 tonnes d'huile de palme,  450 000 tonnes de café, 200 000 tonnes ou de caoutchouc, 1 million de tonnes de riz, etc. Une grande publicité qui était diffusée chaque jour disait que « le succès de ce pays repose sur l’agriculture »

 

Toutefois, en prenant du recul, je pense que le Président Felix Houphouët Boigny s’est complètement trompé dans cette vision, parce que les forces de la pauvreté,  provenant des pays voisins,  sont maintenant en train de marcher, comme des cafards géants, pour détruire l’îlot de la prospérité qu’il a créé. En d’autres termes, un ilot de prospérité ne peut pas exister longtemps dans un océan de misère parce que la misère finira par l’emporter nuitamment comme un gigantesque tsunami.

 

La lutte pour le pouvoir politique en Côte d'Ivoire entre le Président Laurent Gbagbo et Alassane Dramane Ouattara doit être comprise dans le contexte de cette vision Houphouetique, parce qu'en réalité, c'est une lutte fratricide entre ceux qui veulent s’approprier cet héritage Houphouetique.

 

Dramatis Personae

 

Il y a d'une part, Laurent Gbagbo, un leader de l'opposition qui a commencé à combattre le régime du Président Félix Houphouët Boigny lorsqu'il était encore un jeune de 30 ans. Il n’a jamais aimé le réseau de la Françafrique et de la Franc-Maçonnerie au sein duquel le gouvernement d’Houphouët dirigeait le pays. Son parti, le FPI, est arrivé au pouvoir en 2000 sur la plateforme de la "refondation". La Refondation signifie simplement un changement profond.

 

D'autre part, il y a Alassane Dramane Ouattara, un homme qui est considéré par beaucoup d'Ivoiriens comme un intrus qui a été introduit dans le milieu politique ivoirien par le Président Houphouët Boigny lui-même en 1989, lorsqu’il avait besoin d'un économiste pour stabiliser l'économie ivoirienne. Alassane avait quitté le FMI en 1984, où il travaillait en tant que Voltaïque, pour devenir le gouverneur adjoint de la BCEAO, un poste qui était réservé au Burkina Faso. Mais après la mort en 1988 d’Abdoulaye Fadiga, le gouverneur ivoirien de la BCEAO, le Président Houphouët Boigny n’a rien vu de mal à nommer Alassane Dramane Ouattara au poste de gouverneur, sa préoccupation étant toujours de trouver une personne qui soit compétente pour le poste. En outre, il était un fait établi que même si Alassane Dramane Ouattara était un burkinabé, il est né à Dimbokro, Côte d'Ivoire.

 

Mais comme "l'appétit vient en mangeant", le Président Houphouët Boigny a décidé en 1989 de nommer Alassane Dramane Ouattara, le gouverneur de la BCEAO, au poste de Président d'un Comité interministériel chargé de la réforme et de la stabilisation de l'économie ivoirienne. Le choix d’Alassane était basé sur le fait qu’étant donné que les réformes nécessaires devaient être inspirées par le FMI, il était logique pour lui d'utiliser l'ancien fonctionnaire du FMI, alors gouverneur de la BCEAO, pour piloter les reformes.

 

De là, il a gravi l'échelon suivant pour être nommé Premier Ministre de Côte d'Ivoire en 1990. Lorsqu'il a formé son gouvernement, il a gardé le portefeuille de Ministre des Finances pour lui-même. Ainsi Alassane Dramane Ouattara était cumulativement, gouverneur de la BCEAO, Premier Ministre et Ministre des Finances. Pendant toute cette période, personne n'a posé de question sur la nationalité d’Alassane Dramane Ouattara, sauf un homme têtu qui s’appelait  Laurent Gbagbo. La réponse qu’a donnée le PDCI était que la nationalité d’Alassane Dramane Ouattara était sans objet.

 

Ensuite, Houphouët est tombé malade et a été évacué vers la France. Pendant la période de sa maladie et jusqu'à sa mort, Alassane Dramane Ouattara était cumulativement, Gouverneur de la BCEAO, Premier Ministre, Ministre des Finances et Président par intérim de la République de Côte d'Ivoire.

 

Enfin, lorsque le Président Houphouët est mort en 1993, Alassane Dramane Ouattara voulait s'accrocher au poste de Président par intérim et chef de l'Etat afin de purger le mandat du Président défunt, au lieu de se retirer en faveur d’Henri Konan Bédié, qui était le successeur constitutionnel.  Monsieur Bédié s'est rendu simplement à la télévision pour s'imposer en tant que successeur constitutionnel et a demandé à chacun et à tous de se mettre à sa disposition. Reconnaissant que Monsieur Bédié était effectivement le successeur constitutionnel légitime, les forces armées se sont ralliées autour de lui pour obliger à Alassane Dramane Ouattara à déguerpir.

 

Alassane Dramane Ouattara est retourné au FMI, où il a été nommé directeur général adjoint par Michel Camdessus.  Mais l’une des retombées majeure de cette confrontation entre Henri Konan Bédié et Alassane Dramane Ouattara est le fait que ce dernier a créé un nouveau parti politique appelé "Rassemblement des Republicains (RDR)", un parti séparatiste du PDCI. 

 

Les militants du PDCI n’ont jamais pardonné à Alassane Dramane Ouattara le fait d’avoir créé le RDR parce qu'ils estiment qu'il était ingrat envers la mémoire du Président Félix Houphouët Boigny en essayant de détruire le PDCI, le parti qui l’avait cumulativement fait Gouverneur de la BCEAO, Premier Ministre, Ministre des Finances et Président par intérim de la Côte d'Ivoire, ceci sans poser de question sur sa nationalité. C'est en partie la raison pour laquelle le Président Henri Konan Bédié a articulé la doctrine de l’Ivoirité qui aboutit à son éviction du pouvoir en 1999.

 

Le point essentiel que je voudrais souligner est la trajectoire qu’a suivie Alassane Dramane Ouattara pour se présenter sur la scène politique ivoirienne. Une polémique  a subsisté au sujet de son éligibilité aux élections présidentielles de 2000 parce qu’il ne pouvait pas convaincre le Conseil constitutionnel que ses deux parents (père et mère) étaient de nationalité ivoirienne. Son éligibilité à la récente élection présidentielle a été réglée par le Président Laurent Gbagbo, qui a utilisé l'article 48 de la nouvelle constitution ivoirienne pour déclarer éligibles tous les signataires de l'accord de Marcoussis. L’article 48 de la constitution ivoirienne habilite le chef de l'Etat à signer tout décret qui est censé être dans l'intérêt supérieur de la nation.

 

L'élection présidentielle en Côte d'Ivoire, était-elle libre et transparente ?

 

Pour une fois, c'est la question la plus facile à répondre et cette réponse est un simple non. Il n'était manifestement pas possible de procéder à des élections libres, transparentes et équitables dans un pays qui était encore coupé en deux morceaux,  dont les rebelles des Forces Nouvelles, sous le commandement direct du Premier Ministre Soro Guillaume, détenaient toujours la moitié nord, ayant résisté à toutes les tentatives pour les amener à se désarmer conformément aux Accords Politiques de Ouagadougou. Malgré la présence de l’ONUCI avec ses 9 000 soldats,  qui n’ont pas réussi à obtenir le désarmement des rebelles avant les élections, la pression fut exercée par les États-Unis et la France, par le biais de l’ONU, pour aller de l’avant avec les élections.

 

Les exactions qui ont été perpétrées au cours des élections par des groupes armés dans le nord ont été détaillées de manière uniforme et concordante dans les rapports présentés par divers groupes d’observateurs,  y compris celui de l'Union Africaine, dirigée par le togolais et ancien Premier Ministre Joseph Koffi KOFFIGOH. Ces groupes d’observateurs, qui étaient invités par la CEI, ont tous conclu que l'ampleur des violences électorales dans la zone nord jetait le discrédit sur la sincérité du scrutin dans de nombreux départements du Nord.

 

Curieusement, curieusement, curieusement, nous avons commencé à entendre des voix selon lesquelles la crédibilité des observateurs (Africains) locaux était discutable. C'est parce que les observateurs européens et américains ont, pour leurs parts,  avaient donnés quitus à l'élection du 28 novembre 2010.  La nuance raciste des commentaires dénigrant adressés aux observateurs africains était absolument incroyable. C'est alors que nous avons tous commencé à soupçonner qu'il y avait un grand dessein dans cette élection qui n'était pas connu du public.

 

Qui a remporté les dernières élections en Côte d'Ivoire ?

 

Quiconque prétend connaitre avec certitude qui d’Alassane Dramane Ouattara ou de Laurent Gbagbo aurait remporté l'élection, tripatouille la vérité. Étant donné que personne ne peut certifier, à la satisfaction de tous, que l'élection était libre, transparente  et équitable, la question fondamentale de la volonté du peuple ivoirien, telle qu’exprimée dans les urnes, continuera d'être « un rébus enveloppé dans un puzzle à l'intérieur d'une énigme ».

 

La première chose que nous savons avec certitude est que M. Youssouf Bakayoko, le Président de la CEI, n'ayant pas pu annoncer les résultats préliminaires dans le délai de 72 heures, a été obligé,  selon la loi,  de transmettre le dossier  électoral au Conseil constitutionnel après minuit le mercredi 1/12/2010.  Puis le jeudi 2/12/2010,  il s'est rendu au QG de campagne du candidat Alassane Dramane Ouattara qui se trouvait au Golf Hôtel,  initialement pour assister à une conférence de presse ; mais il a fini par déclarer dans un discours de 3 minutes qu’Alassane Dramane Ouattara est le gagnant des élections présidentielles.  Nul n'était plus choqué de cette tournure des évènements que ses collègues de la CEI qui ont été complètement pris au dépourvu.

La deuxième chose que nous savons avec certitude est que l'annonce de Youssouf Bakayoko au Golf Hôtel a été relayée en direct sur France 24 et autres médias étrangers, et qu'aucun organe de la presse ivoirienne n’était présent. La troisième chose que nous savons avec certitude est que le Conseil constitutionnel a déclaré que les résultats annoncés par Youssouf Bakayoko étaient nuls et non avenus, du fait d’avoir été prononcés hors du délai de 72 heures imparti par la loi à la CEI et, plus grave encore, du fait d’avoir été annoncés dans le QG de campagne d'un candidat.

 

Le Conseil constitutionnel a procédé ensuite à déclarer le vendredi 3/12/2010  que c’est Monsieur Laurent Gbagbo qui est le gagnant final de l'élection, après avoir porté son jugement sur le bien-fondé des pétitions qui ont été déposées par ce dernier au Conseil constitutionnel.

 

La dernière chose que nous savons avec certitude est que le monde entier semble avoir pris parti depuis. A travers le monde entier, chacun de nous défend l’un ou l’autre de ces deux candidats. En fonction de son choix, chaque personne se branche sur la chaine d’informations qui amplifie les informations favorables à son choix.   Cette réalité est incontestable.

 

La métaphore de jeu de football

 

La polémique en ce moment est autour de la compétence et du rôle de la CEI et ceux du Conseil de la Constitution dans le processus électoral. Le problème est que lorsque des irrégularités sont constatées au cours du scrutin, les candidats qui se sentent lésés envoient leurs pétitions par greffier de justice directement au Conseil constitutionnel, et non à la CEI. Par conséquent, quelques soient les résultats  annoncés par la CEI,  l’une des réalités juridiques  est que le Conseil constitutionnel examine les résultats annoncés par la CEI et prend une décision finale, en tenant compte des pétitions qu’elle a reçues des candidats,  pourvu que ces pétitions aient été déposées dans les 72 heures après la clôture du vote. Mais, par la constitution, le Conseil constitutionnel est l'autorité finale dans le pays dont la décision ne peut faire l’objet d’aucun appel.

 

Le renversement par le Conseil constitutionnel des résultats annoncés par la CEI est semblable à une situation où une équipe marque un but au cours d’un match de football. Mais alors que cette équipe s’occupe à jubiler sur le terrain, l'arbitre central siffle hors-jeu. Par conséquent, le but est annulé.

On a même vu un cas où l'Angleterre a marqué un but net dans un match de la dernière coupe du monde. Mais l'arbitre n'a pas vu que la balle avait effectivement franchi la ligne, et en conséquence, le but n'était pas validé. Aussi douloureux  que cela fut ressenti par les anglais, l'équipe anglaise était obligée d’accepter que la décision de l'arbitre centrale est définitive. Tout autre type de conduite aurait été  inacceptable et en dehors des règles du jeu de football.

 

De même, nous avons vu une situation où une athlète américaine a remporté plusieurs médailles d'or aux Jeux Olympiques. Mais quelques années plus tard, il s'avéra que l'athlète a échoué à un test d'urine. Toutes les médailles d’or lui ont été retirées pour être ensuite attribués aux personnes qui avaient reçu les médailles d'argent. Ce sont les règles du jeu. Si nous n’acceptons pas ces règles, nous apportons notre caution à l’anarchie.

 

La Constitution contre l’ONU

 

Je suis profondément choqué par ceux qui refusent d'accepter la finalité de la décision du Conseil constitutionnel, soit parce que cette décision est contraire à la « certification » du représentant spécial de l'ONU ou parce qu'elle aurait été prise par une institution dont le Président serait un ami du Président Laurent Gbagbo.  Il s'agit là d’une malhonnêteté intellectuelle de l'ordre le plus élevé. Nul ne peut nier le droit d'un Président américain de nommer des personnes proches de ses convictions politiques à la Cour suprême, comme Barack Obama l'a fait à deux reprises depuis son arrivée à la Maison Blanche.

 

Le Pr. Paul Yao Ndre est un avocat constitutionnel de grande renommée et la décision du Conseil constitutionnel sous sa présidence ne saurait être mise en cause tout simplement parce qu'il serait un ami de Laurent Gbagbo. Quel que soit le cas, il a défendu le motif légal sur lequel le Conseil Constitutionnel s’est prononcé.  Par contre rien n'a été entendu de M. Youssouf Bakayoko, depuis qu’il a annoncé les résultats à l'hôtel du Golf. La question est de savoir pourquoi il est passé dans la clandestinité.  De qui et de quoi a-t-il peur ?

 

En toute équité au camp d’Alassane Dramane Ouattara,  il aurait pu être disposé à accepter avec fatalisme la décision du Conseil constitutionnel en se basant sur mon analogie de football. Mais malheureusement, ils ont été encouragés à s’engager dans la dissidence par la conviction qu'il y a une autre (et nouvelle) juridiction au-dessus du Conseil Constitutionnel,  lorsque M. Choi, le représentant de l'ONU, a publiquement désavoué les résultats de la Cour constitutionnelle en « certifiant » que le gagnant de l'élection était plutôt M. Alassane Dramane Ouattara.

 

J'ai écouté, en direct, la conférence de presse de M. Choi à la chaine de radio ONUCI FM auquel Ofeibea Quist-Arcton, un célèbre journaliste ghanéen, a posé la question suivante : « Voulez-vous dire qu'il existe deux présidents en Côte d'Ivoire maintenant? » M. Choi a répondu par l'affirmative. Dès ce moment, je savais que la Côte d'Ivoire se dirigeait vers un abîme et que M. Choi était devenu un fonctionnaire international très dangereux parce qu’il venait de déclencher quelque chose de très sinistre qui était devenu irréversible.

 

M. Choi s'est comporté comme un fonctionnaire de la FIFA qui suit un match de football à partir de la tribune présidentielle et qui se permet de sauter pour contredire la décision d'un arbitre central sur un terrain de football.  Bien entendu, les responsables de la FIFA sont toujours présents dans tous les matchs de football afin de « certifier » que le match a été joué conformément aux règles ; mais aucun responsable de la FIFA n'est autorisé à renverser, sans parler d'invalider,  la décision d'un arbitre central sur un terrain de football. Si les joueurs sont encouragés à croire que la décision de l'arbitre n'est pas définitive, la pratique du football va connaitre une fin peu glorieuse.

 

Rôle de l'armée

 

Beaucoup a été dit sur le fait que les forces armées soutiennent le Président Laurent Gbagbo. Mais pourquoi cela est-il surprenant ? Une fois que le Président du Conseil Constitutionnel administre le serment officiel à Laurent Gbagbo, les forces armées ont le devoir de défendre les institutions de la République. Beaucoup de soldats ont voté pour Alassane Dramane Ouattara, sur la base de leurs convictions personnelles. Mais une fois que le Conseil constitutionnel publie sa décision, et que le Président est assermenté, chaque soldat en uniforme doit défendre le Président et les institutions de la République. Dès lors, toute personne en treillis qui combat les institutions de la République est automatiquement un hors-la-loi.

 

Ce qui est choquant

 

La réaction du président français Nicolas Sarkozy était parfaitement compréhensible et prévisible car le rôle de la France dans la rébellion en Côte d'Ivoire a été établi et documenté. Ce qui a choqué les africains, c'est le rôle et la réaction du Président Barack Obama. Les informations selon lesquelles l'Ambassadeur des Etats-Unis en Côte d'Ivoire a joué un rôle, aux côtés de son homologue français, en véhiculant furtivement M. Youssouf Bakayoko, à l'hôtel du golf le jeudi 1/12/2010 afin qu'il puisse déclarer Alassane Dramane Ouattara comme gagnant est un acte politique à cause duquel nous,  en Afrique, ressentons beaucoup de difficultés à nous identifier à l'Administration Obama.  Dans le processus électoral, un tel acte est pire que le bourrage des urnes ou l’acte de transporter nuitamment les urnes dans le coffre de sa voiture.  Cet acte a abaissé la côte de crédibilité démocratique de l'Administration Obama,  par cinq encoches au moins,  et endommagé la crédibilité du Président américain en Afrique de manière irréparable.

 

C'est le type de jeu rugueux que la France joue d’habitude et ils sont bien connus pour cela. L'inversion des résultats de l'élection présidentielle au Gabon pour déclarer le fils du Bongo comme gagnant a été révélée par des fonctionnaires français eux-mêmes. L'inversion des résultats de l'élection présidentielle au Cameroun en 1992 entre Ni John Fru Ndi et Paul Biya est aussi bien connue. Mais l'administration Obama est indigne de ce type de rôle. Si la crise actuelle se dégénère en guerre régionale en Afrique de l'Ouest selon les menaces brandies par le dernier sommet de la CEDEAO à Abuja, ce sera la troisième guerre d’Obama depuis son arrivée au pouvoir il y a seulement deux ans. Je comptabilise la guerre d’Afghanistan et la guerre des drones au Pakistan dans le compte du Président Obama.

 

De celui qui ne promet rien, rien n'est attendu; mais de celui qui promet beaucoup, beaucoup est attendu. Le Président Barack Obama nous a dit à l’occasion de sa visite au Ghana que l'Afrique a besoin d’institutions fortes et non pas d’hommes forts. Le peuple de Côte d'Ivoire s'efforce de construire des institutions fortes, basées sur leur constitution. Et lorsqu'un président qui a été assermenté par le Conseil constitutionnel est convoqué à la Maison Blanche comme un petit « nègre », afin d'être forcé à renoncer au serment qu’il a prêté, ce n'est pas Laurent Gbagbo qui est  humilié, c'est la Constitution ivoirienne et les institutions qui en dérivent qui sont humiliées, c'est le peuple ivoirien qui est humilié. C'est tous les africains qui sont humiliés.

 

Le Président Barack Obama, le Secrétaire d'État Hilary Clinton, l’Ambassadeur Susan Rice et M. Johnny Carson sont tous interpelés d’être un peu plus subtils dans la gestion de leur politique en Afrique à partir de Washington, parce que les africains sont extrêmement sensibles à la semblance d'une nouvelle relation maître-esclave entre les États-Unis et les pays de l'Afrique, particulièrement lorsque l'occupant à la Maison Blanche est un afro-américain.

 

 L'homme appelé Professeur Paul Yao Ndre

 

L'adversaire réel debout entre Alassane Dramane Ouattara et la présidence de la Côte d'Ivoire n'est pas Laurent Gbagbo. Il est le Professeur Paul Yao Ndre, le Président du Conseil constitutionnel. Contrairement à ce que beaucoup de gens semblent penser, Paul Yao Ndre est un penseur juridique très capable, possédant un esprit indépendant  et qui sait les motifs sur lesquels il a pris sa décision. Il a les pleins pouvoirs constitutionnels de rendre toute décision sur la régularité de tous les aspects du processus électoral, y compris sur la validité de l'annonce qui a été faite par Youssouf Bakayoko au Golf Hôtel.

 

Sur ce point particulier, sa décision était que l'annonce soit nulle et non avenue,  ayant été faite après le délai de forclusion de 72 heures, et dans le contexte partisan du QG  de campagne d'un candidat. C'est la plus importante décision prise par le Professeur Paul Yao Ndre, et il est valable et exécutoire. Toute personne contestant cette décision s’attaque à une institution, pas à une personne. Il s'agit d'une décision similaire à un tribunal qui déclare irrecevable une preuve,  simplement sur la technicité de la manière dont elle a été obtenue. En d'autres termes, il n'importe point que les résultats annoncés par Youssouf Bakayoko soient exacts ou non. Le contexte du temps et de l'espace de cette annonce rend le résultat constitutionnellement irrecevable pour déterminer le résultat final de l'élection. Par conséquent, du point de vue légal et constitutionnel, la CEI n’a jamais annoncé aucun résultat !!!!!!

 

Le venin qui est versé prématurément à l’endroit du Professeur Paul Yao Ndre en ce moment est une grave erreur de laquelle les États-Unis devaient se dissocier, parce que même si d’aventure une force d'intervention de la CEDEAO arrivait à déloger  Laurent Gbagbo, les forces armées de Côte d'Ivoire ne pourront jamais jurer leur allégeance à Alassane en tant que Président, aussi longtemps qu'il n’est  pas assermenté par le professeur Paul Yao Ndre. Autrement dit, même si la présidence de Côte d’Ivoire devenait vacante, Alassane Dramane Ouattara ne peut pas prétendre automatiquement être le Président, parce que le Professeur Paul Yao Ndre n'aura pas de prétexte pour l’assermenter en tant que Président de la République. Cet homme, le Professeur Paul Yao Ndre, détient le pouvoir d’onction sans lequel personne ne peut être reconnu comme Président de la République de Côte d'Ivoire. Tant qu’Alassane Dramane Ouattara n'aura pas été assermenté par le Professeur Paul Yao Ndre, il ne sera jamais accepté comme Président et chef d'Etat de la République de Côte d'Ivoire.

 

Le rôle des organisations régionales

 

Tout aussi choquant a été le rôle joué par des organisations régionales qui ont pris leurs décisions sans prendre la peine d'entendre les deux côtés de l'affaire. Alassane Dramane Ouattara a été proclamé vainqueur par la « communauté internationale » tandis que Laurent Gbagbo a été déclaré vainqueur par le Conseil constitutionnel de la République de Côte d'Ivoire. Aucun d’entre eux ne peut ignorer l'autre car chacun d'entre eux peut prétendre être debout sur la terre ferme.

 

De toute évidence, la crise ivoirienne innove dans la définition d'une nouvelle compétence constitutionnelle qui transcende le concept d'États souverains tels que définis et compris dans le cadre de la Charte des Nations Unies et de l’UA. Cette compétence constitutionnelle nouvelle est vaguement appelée "la communauté internationale". Les pouvoirs que la nouvelle juridiction s’est arrogés comprennent celui de « certifier » les élections dans un État souverain et de déclarer la guerre à un État souverain. Il n'est pas encore clair si la crise ivoirienne est un phénomène ponctuel et isolé ou si elle fait partie d'une nouvelle tendance. S'il est inscrit dans une tendance, il est alors nécessaire que le monde entier se réunisse très rapidement pour adopter une convention définissant ce que signifie « La Communauté Internationale», et quels sont ses pouvoirs d'intervention dans les affaires d'États souverains. Faute de quoi, nous devrions nous attendre à ce que le monde entier, et plus particulièrement l’Afrique, entre dans une période d'instabilité politique sur une échelle jamais connue.

 

Il est regrettable que ce soit seulement après avoir unilatéralement déclaré la guerre à Laurent Gbagbo que le sommet de la CEDEAO a finalement décidé d'envoyer une délégation pour rencontrer les Dramatis personae.  C'est un tournant dans l'histoire africaine. Les dégâts sont déjà faits. Si la guerre de la CEDEAO  se matérialise,  l’Afrique fera face à son plus grand défi depuis l'avènement de l'indépendance de la Gold Coast en 1957. La CEDEAO et l'UEMOA sont maintenant en difficulté profonde. La crise pèse déjà très lourd sur l’UEMOA et  si la guerre éclate, le retrait de la Côte d'Ivoire de la zone CFA est également possible.

 

Leçons

 

Après étude de la crise ivoirienne au cours des dernières semaines, j'ai tiré un certain nombre de leçons que j'aimerais partager avec les camerounais :

 

1.      Méfiance pour le reégime présidentiel : la crise ivoirienne a approfondi ma méfiance à l'égard du régime présidentiel. C'est un régime qui est intrinsèquement polarisant parce que dans tous les pays à l'heure actuelle, il est de plus en plus difficile pour toute élection présidentielle d’aboutir à une coupe à blanc gagnant ou perdant. J'ai décidé que je vais aborder cette question dans le Newcam Prosperity Pact qui sera bientôt présenté au peuple Camerounais dans le cadre de ma plateforme de campagne ;

 

2.    Le rôle des commissions électorales: L'idée de commissions électorales indépendantes pour conduire et ou surveiller les élections s'est révélée être une grande illusion, parce que la plupart des pays africains sont devenus tellement polarisés qu'il est impossible de trouver des personnes qui sont neutres ou indépendantes dans l'arène politique pour encadrer les commissions. Au Cameroun, un débat est centré sur le rôle et la composition de l’ELECAM. Je n’ai pas l’intention de passer beaucoup de temps à parler du rôle de l’ELECAM. Je prendrai tout simplement l’ELECAM comme tel afin de concentrer mes efforts sur le contenu de mon message pour les Camerounais à travers le Newcam Prosperity Pact. Le reste sera laissé à Dieu.

 

3.     Les dangers du soutien extérieur: L'une des questions qui doit préoccuper tout candidat présidentiel est de savoir s’il faut aller à la recherche du soutien d'une puissance étrangère pour ses ambitions. J'ai conclu que l’une des erreurs colossales que tout candidat à la présidentielle peut faire est de demander l'appui d'une puissance étrangère. Je crois que ceux qui cherchent un tel soutien sont des candidats faibles qui n’ont pas de message susceptible de galvaniser un soutien populaire au Cameroun. Une fois qu’une puissance étrangère vous donne ce soutien, vous avez hypothéqué d’avance la souveraineté du pays. Par conséquent, j'ai décidé de limiter ma campagne présidentielle au Cameroun et je n’envisage aucune visite auprès d’une capitale européenne ou américaine en vue de solliciter leur soutien.    

 

4. Trop jeune pour exercer le pouvoir global: Il y a actuellement une nouvelle tendance dans de nombreux pays de l'occident selon laquelle des jeunes hommes dans le début de la quarantaine s'élèvent pour atteindre l'apogée du pouvoir politique dans leur pays. L'avènement de l'internet et autres média électroniques ont permis à toute personne avec des compétences  techniques  et de communication de tirer profit de la puissance de l'internet pour se catapulter au pouvoir.    Cependant, c'est seulement quand ils arrivent au sommet de la pyramide politique qu'ils découvrent la véritable portée mondiale du pouvoir que leur confère leur constitution. Mon souci est qu'ils n'ont pas vécu assez longtemps pour comprendre la véritable signification de ce pouvoir à portée mondiale et la façon dont son exercice affecte la vie humaine dans des endroits qu'ils n’avaient jamais imaginés quand ils cherchaient le pouvoir. Ma préoccupation s’applique dans le domaine de la politique comme celui des media (cf. Wikileaks)

 

Mon conseil à la nouvelle génération de dirigeants politiques qui exercent un pouvoir à portée mondiale est le suivant : tous les problèmes politiques ont, comme une pièce de monnaie, au moins deux faces qui font partie d'une même pièce. L'approche unilatérale, tendant à représenter des problèmes comme une pièce de monnaie à une seule face, conduit toujours vers un abysse. Il y a des problèmes encore plus complexes dans le monde qui ont autant de faces qu’un dé à six faces. Par conséquent, tout le temps qui est consacré à étudier chaque face d'une pièce de monnaie n'est jamais du temps gaspillé. À moins que ces jeunes dirigeants qui exercent un pouvoir à portée mondiale tiennent compte de cet avis d'un obscur candidat à la présidentielle du Cameroun, l'aiguille de l’horloge nucléaire peut être plus proche de minuit qu’on ne le pense.

 

 

Dr. Nfor N Susungi, candidat aux élections présidentielles en 2011.



01/01/2011
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