L'Edito de Magnus Biaga:Le diplôme gage de succès en politique ?

Magnus Biaga:Camer.beLe Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) a enfin un président en la personne du professeur Maurice Kamto. A bien décrypter le bureau de ce nouveau parti politique, il est clair que ses fondateurs ont mis en avant la politique de la représentativité nationale. Toutes les régions ou presque, y sont représentées. C’est un signal de départ plus que positif, car un parti, de par son idéologie, doit rassembler tout en refoulant les replis identitaires.

Autre fait d’envergure à noter : au sein des grands mouvements pour le changement, les hommes de droit, notamment les avocats, ont toujours été à la manette. Les Etats-Unis par exemple, ont eu plus de présidents issus de la corporation des avocats que des autres corps de métier. Même si sur un plan tout à fait fondamental, Maurice Kamto n’est pas avocat, c’est sous cette casquette qu’il se va se présenter devant la cour internationale de justice (Cij) dans le différend frontalier opposant le Cameroun au Nigéria (Affaire Bakassi). Ce juriste jouit donc d’une réputation mondiale bien établie. D’ailleurs, il est l'un des 34 membres de la commission du droit international des Nations Unies, commission dont il est l’actuel président.

Aussi, sur ses qualités de juriste émérite, même ses ennemis ne remettent pas en cause son intelligence. Toutefois, la grande question demeure celle de savoir si ses connaissances livresques peuvent être transposées avec succès dans le champ politique. Pas très sûr.

La politique n’est pas forcément une question de diplôme.

Prenons quelques exemples. Au Brésil, l’accession au pouvoir de Lula Da Silva en 2002 constituait en soi un évènement majeur sur l’échiquier politique mondial, tant le profil de ce produit des favelas avait laissé de nombreux observateurs dubitatifs quant à sa capacité à diriger ce géant de l’Amérique du Sud. En effet, le Brésil est 15 fois plus grand que la France, et est nanti d’une population de près de 200 millions d’habitants. Avec une croissance de 7,5% en 2010, le Brésil est même devenu en 2011 la sixième puissance économique mondiale, se classant désormais devant le Royaume- Uni, d'après le dernier bilan du Centre for Economics and Business Research (Cebr), un institut de recherche basé à Londres.

La réussite la plus prégnante de Lula intervient dans le domaine socio économique. On aura durant son magistère remarqué la montée en puissance de la classe moyenne, cette fameuse classe « C », c’est-à-dire celle dont les revenus mensuels sont compris entre 1 115 et 4 807 dollars américains.

Cette classe est dorénavant la plus importante en termes d’effectifs, et pour la première fois, elle est devenue en 2003 celle qui agrège la part de revenus la plus significative du pays. Ainsi, 49% des Brésiliens, soit 91 millions d’entre eux, appartiennent désormais à la classe moyenne. Tout ceci représente 46% des revenus du pays. Pourtant, en 2003, première année de la présidence Lula, seulement 37,5% de la population représentaient la classe « C » qui ne pesait alors que 37% des parts de revenus.

Dès lors, ce sont près de 27 millions de Brésiliens (la moitié de la population française) qui, en l’espace de 7 ans, ont emprunté l’ascenseur social pour quitter des classes « inférieures » D et E, et parvenir à la classe moyenne. Si le diplôme est un gage de progrès, on se demande bien comment un ancien cireur de chaussures qui a quitté l’école à l’âge de 10 ans, ancien ouvrier tourneur dans une usine automobile, autodidacte devenu chef syndicaliste et fondateur du parti des travaillistes, a réussi à hisser son pays à ce niveau.

L’exemple le plus proche de nous est celui du premier président du Cameroun, Ahmadou Ahidjo. Télégraphiste,opérateur radio, il n’aura auparavant flirté qu’avec l’école primaire supérieure de Yaoundé, ce, après l’obtention de son certificat d’études primaires et élémentaires. Il n’y a donc pas les traces d’études supérieures dans son curriculum vitae. Or, en 22 ans à la tête du pays, de 1960 à 1982, il réussira à lui donner un statut de pays à revenus intermédiaires, ayant gouverné avec des administrateurs, pour la plupart qui auront eu le mérite de tirer le Cameroun vers le haut.

Avec un budget annuel de 500 milliards de F cfa qui s’appuyait sur la vente du cacao et du café, sans aucune manne pétrolière, Ahidjo va élever une Nation qui, en son temps, n’avait aucun complexe à nourrir en termes d’infrastructures, de niveau scolaire, de croissance…

Après son ère, voilà qu’est arrivé un intellectuel, un « long crayon » pour parler comme dans nos quartiers, diplômé d’études supérieures en droit public. Il a débarqué avec dans sa besace ses amis professeurs des universités.

Cependant, après trente ans de règne, c’est la désolation, le malheur, la souffrance, l’insouciance, l’inertie, la jouissance de ses collaborateurs au détriment du peuple. La gabegie étant devenue la règle. Ce que Lula Da Silva a fait en huit ans, Paul Biya a été incapable d’en réaliser le dixième en trente ans de pouvoir.

De même, ce qu’Ahidjo a construit en 22 ans de règne, Paul Biya a mis 30 ans à saborder ces efforts.

De la politique du bout du tunnel à l’atteinte du point d’achèvement de l’initiative pays pauvres très endettés (avril 2006) ; des grandes ambitions aux grandes réalisations, Paul Biya se sera taillé un costume de magnat des slogans creux. Et comme le soutient si bien Charlie Gabriel Mbock, nous allons bientôt nous diriger vers les grandes finitions pour « l’émergence » du Cameroun en 2035.

En réalité, deux leçons peuvent expliquer ces différences. D’abord la nécessité d’une alternance démocratique, ceci étant synonyme de progrès social.Après avoir été trois fois candidat malheureux,Lula a bien fini par remporter l’élection présidentielle et à mettre ses compétences au service de son peuple.

Malgré sa popularité, il va se retirer en 2011 et donnera sa chance à une dame, Dilma Rousseff. Pourtant, il aurait pu faire des pieds et des mains pour modifier la constitution comme certains, afin de s’éterniser au pouvoir.

La seconde leçon est la suivante : la longévité au pouvoir n’est nullement un gage de progrès, d’expérience et de savoir-faire. A un moment ou à un autre, on finit par atteindre son seuil d’incompétence, miné par l’usure du pouvoir qui est quelque chose de naturel.

Ce qui est tout à fait contraire aux discours que les caciques et les fanatiques du Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (Rdpc) ont l’habitude de nous tenir. Des discours des diplômés des grandes universités
de ce monde.

Et voici que les Camerounais, qui certainement garderont un mauvais souvenir du premier diplômé à avoir présidé aux destinés de leur pays, voient débarquer sur la scène politique un autre intello, un agrégé des facultés françaises de droit : Maurice Kamto.

Mais la pratique du champ politique, c’est tout autre chose : coups bas, cynisme, délation, traitrise… Va-t-il pouvoir tirer son épingle du jeu avec son peu d’expérience politique ? Peut-il faire la différence s’il est porté au pinacle en gommant les grossières erreurs et égarements de son prédécesseur ? Il est vrai que tout le monde ne peut avoir le même parcours, ni la même trajectoire. En va-t-en-guerre, il tombe certainement à point nommé dans un espace où l’opposition camerounaise moribonde a plutôt pris la clé des champs devant la machine Biya.

Les Camerounais ont l’impression que le bateau opposant, est non seulement quasi-vide, sans substance, mais surtout, est dénué de capitaine. Et la nature ayant horreur du vide, Kamto qui déjà jouit d’une certaine crédibilité intellectuelle, peut surfer sur cette vague pour faire apparaître son soleil.

Au demeurant, les Camerounais ont besoin d’une autre opposition. C’est pour cela que le MRC peut drainer du monde.

© Publié sur camer.be en collaboration avec, Emergence N° 116 du 08 au 14 Octobre 2012 : Magnus Biaga


18/10/2012
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