Kenya, Mandat d'arrêt contre El Bechir: Le gouvernement kényan dans l’embarras

Kenya, Mandat d'arrêt contre El Bechir: Le gouvernement kényan dans l’embarras

CPI:Camer.beLa justice kényane n’a pas peur d’affirmer son indépendance. En décidant de lancer un mandat d’arrêt contre le président soudanais Omar El Béchir, elle n’a pas hésité à aller frontalement contre la position du gouvernement kényan, calquée sur celle de l’Union africaine. Lors d’un sommet à Kampala, en Ouganda, l’UA s’était en effet montrée solidaire du dirigeant soudanais poursuivi par la Cour pénale internationale. Interdiction avait donc été faite à tout Etat membre d’exécuter la fatwa de l’instance judiciaire, dont l’évocation du seul nom fait trembler bien des chefs d’Etat africains.

La seule parade qu’ils avaient d’ailleurs trouvée, pour protéger El Béchir et couvrir leurs arrières, n’a d’ailleurs rien de juridique. Il s’agit d’arguments hautement subjectifs, selon lesquels la CPI s’acharnerait uniquement sur des dirigeants africains. Un argumentaire bien faible, qui ne peut tenir devant le droit. Et la justice kényane vient de le prouver, en intimant l’ordre à son pays d’appliquer le traité de Rome dont il est signataire. Le Kenya est véritablement pris entre l’enclume et le marteau dans cette affaire. Signataire du traité de la CPI, il a cependant refusé de livrer ses propres concitoyens réclamés par la juridiction, en relation avec les violences postélectorales de 2008.

Un épique bras de fer a opposé Nairobi à la CPI, mais qui semble tourner à l’avantage de cette dernière. Des Kényans soupçonnés de crimes contre l’humanité, ont fini par se rendre à La Haye pour répondre des faits qui leur sont reprochés, au grand désespoir des dirigeants kényans. C’est dans ce contexte où le Kenya veut affirmer sa prétendue souveraineté judiciaire, que sa propre justice l’enjoint d’arrêter El Béchir, si celui-ci se présentait désormais sur le sol kényan. En attendant d’éventuels recours contre cette décision, il va sans dire que le maître de Khartoum n’osera plus venir se pavaner au Kenya, comme il l’avait fait en 2010.

Première conséquence de coup de théâtre judiciaire : l’espace vital de El Béchir se rétrécit. Autre effet, c’est le fait que le pacte scellé entre les dirigeants de l’Union africaine ne s’accommode pas des impératifs démocratiques. Dans les pays signataires du Traité de Rome, où la justice est vraiment indépendante, les dirigeants auront du mal à appliquer la consigne de l’UA. Il y a donc un déphasage entre la société civile et les Etats d’une part, et entre les systèmes judiciaires et les mêmes Etats, d’autre part.

Le cas kényan illustre à merveille cette situation de plus en plus insoutenable des chefs d’Etat africains face à la question de la CPI. Le Soudan fait donc fausse route, en déclarant persona non grata l’ambassadeur du Kenya à Khartoum, et en rappelant le sien accrédité à Nairobi. Dans un Etat de droit, la séparation des pouvoirs est une réalité tangible. Le gouvernement kényan ne peut de ce fait influencer le juge. En tout cas, dans le cas présent, il est évident que Nairobi ne voulait pour rien au monde rompre le pacte de l’UA. Il appliquera donc la décision du juge, à son corps défendant. Ce sont les exigences de la démocratie, que Khartoum ne comprend peut-être pas, ou feint de ne pas comprendre.

El Béchir doit se dire une chose : la protection des chefs d’Etat africains ne saurait être éternelle. Il vaut mieux, pour chaque dirigeant, se mettre au diapason des nouvelles exigences de gouvernance, frappées du sceau de la justice et de la liberté. El Béchir devrait donc méditer ce proverbe bambara : « La justice est comme un feu, si vous l’enveloppez, elle brûle ».

© Le Pays : Mahorou KANAZOE


01/12/2011
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