Jean Paul Akono: "C’étaient des joueurs qui imposaient la sélection"

Douala - 25 Juin 2010
© Lindovi Ndjio | La Nouvelle Expression
L’ex-entraîneur des Lions indomptables épluche les causes, les manifestations de la débâcle des Lions et propose des solutions.

L’élimination du Cameroun au 1er tour de la coupe du monde est l’ultime étape de la descente aux enfers entamée depuis longtemps. Selon vous, quelles en sont les causes ?


Jean-Paul Akono
Photo: © CIN Archives



Il y a plusieurs causes. Quand vous connaissez les Lions des années 2000 à 2006, vous constatez que c’était une vraie équipe. Une équipe dans la plénitude du terme : une équipe très disciplinée. Je prends le cas de Foé, Mboma Patrick, Rigobert Song, Njitap, Alioum Boukar, c’était vraiment une équipe disciplinée avec de grandes personnalités qui acceptaient un peu d’oublier leurs égos pour fédérer et vous présenter les Lions indomptables qui étaient d’ailleurs pris en exemple par le chef de l’Etat. Cette équipe, à partir de cette discipline, avait un patriotisme assez poussé. On eu les résultats qu’on a eus. Après 2006, ce patriotisme, cette discipline a laissé place à ce que je peux appeler l’indiscipline des joueurs qui pourtant faisaient partie de cette grande équipe. Ce genre de joueur a commencé à exhiber autre chose que la discipline, la modestie, autre chose que le patriotisme. On est donc arrivé avec d’autres joueurs qui ne voulaient pas accepter cette façon de voir les choses au sein de l’équipe nationale. Vous avez des joueurs qui se prenaient un peu au dessus de la discipline, au dessus de l’ordre établi ; oubliant qu’on est d’abord joueur de l’équipe nationale, que nous portons tous le même maillot et que c’est le même sang Cameroun qui coule dans nos veines. On a commencé à vouloir faire référence à la richesse, notamment à de l’argent. Il a donc commencé à se former des clans. Vous voyez que c’est ce qu’on a commencé à appeler les cadres de l’équipe. Malheureusement ces cadres n’ont pas su conduire la barque Lions indomptables.


Vous semblez ne rien reprocher à l’entraîneur ?

J’y arriverai ! Tout part d’abord de ce que je suis en train de vous dire là. Certains joueurs commençaient à faire la sélection à la place de l’entraîneur ; parce que pour un tel oui ou un tel non à ce joueur, il vous disait carrément que tant que je serai là, vous ne serez plus à l’équipe nationale. Ce genre de propos n’était pas de nature à apporter la sérénité ou de discipline dans l’équipe. Ça a heurté certains joueurs qui n’ont pas voulu se faire marcher sur les pieds. C’est ici que rentre les entraîneurs ; notamment Otto Pfister qui était là, aujourd’hui Paul Le Guen, qui se sont laissés inféodés par un certain nombre de joueurs et ils sont carrément rentrés sous leur tutelle. Résultat, ce n’étaient plus ces entraîneurs qui faisaient l’équipe, mais c’étaient des joueurs qui imposaient la sélection. Je crois que si vous demandez à ces joueurs-là, je ne serai pas très loin de ce qu’ils vous diront. Ça a créé un mauvais climat ; puisque Otto Pfister, pour envoyer sa liste, il allait se la faire sanctionner à Barcelone et c’est de Barcelone qu’on nous envoyait la sélection ici. Les gens du ministère et de la fédération peuvent le témoigner. Puisque j’en ai vu, pour peu qu’on ait eu à cheminer ensemble dans une espèce de collectif. Donc ça n’a pas plu à certains joueurs qui ne toléraient pas cela. On a donc vu un camp de jeunes joueurs qui ne supportaient pas ce comportement tutélaire de la part de certains joueurs. Les entraîneurs sont donc rentrés dans cette danse. Un entraîneur qui justement devrait être indépendant quand il fait sa liste, quand il convoque les joueurs, parce que c’est son travail, il est entraîneur sélectionneur, quand il fait ses entraînements, quand il arrête sa liste des onze entrants. C’est de sa responsabilité et de son pouvoir. A partir de là, le climat ne pouvait pas être de nature à pouvoir jouer les matches. Les gens ne se regardaient plus, sinon en chiens de faïence. Il y avait des clans, il y a des joueurs qui ne se saluaient plus, l’entraîneur lui-même dépassé par les événements. Sur le terrain, qu’est-ce que ça pouvait donner ? Je ne sais pas pourquoi les entraîneurs rentrent dans ce jeu ; peut-être parce qu’ils manquent de personnalité et certainement de capacité à pouvoir gérer un groupe comme celui des Lions. La 3ème phase c’est que les responsables eux-mêmes n’ont pas su arranger cette situation. Ils n’ont pas su ramener chacun à sa place. Tout le monde savait bien ce qui se passait au sein des Lions pendant la Can jusqu’à la coupe du monde, mais personne… au contraire, on nous disait que tout est bien, tout marche bien, il n’y a pas de problème au sein de l’équipe, mais les joueurs nous administraient la preuve de tout cela.


Vous rejoignez donc Roger Milla qui a toujours dénoncé l’indiscipline ?
Nous n’avons fait que le dire. Nous avons attiré l’attention des responsables ici. Roger Milla l’a fait ; je l’ai fait dans la presse. Je suis même allé jusqu’à dire que le problème de l’équipe nationale c’est tel ! Il y avait un problème de discipline au sein de l’équipe nationale. Un problème de l’imposition du leadership d’un joueur sur les autres.


Vous avez été à la tête de cette équipe, avec parfois ce genre de problème. C’est ce qui vous a fait démissionner ?

Je n’ai pas démissionné parce qu’il y avait ce genre de problèmes. C’était justement à la période où il y avait la discipline. Je n’ai pas eu ce problème. Ces joueurs me connaissent ! J’ai démissionné pour autre raison.


Vous n’avez pas eu la pression de certains joueurs ?

Tout au contraire, les joueurs étaient étonnés de ma démission ! Je ne peux pas revenir sur cette démission, mais je crois que c’est le ministre qui a eu une certaine pression pour qu’il ramène celui que j’avais remplacé. Et c’est ce qui a été fait.


Si c’était à refaire, démissionneriez-vous ?

Non seulement je ne le referais plus, mai je ne l’accepterais même pas. Je crois que même ce ministre que je respecte d’ailleurs l’a regretté quelque part par la suite. Quand j’étais dans cette équipe, la discipline était de mise. J’ai joué dans cette équipe et je suis entraîneur aujourd’hui, on nous cite aujourd’hui comme une armée. S’il n’y a pas de discipline dans l’armée, … s’il n’y a pas de discipline dans une équipe de sport en général, s’il y a des joueurs qui se croient exceptionnels, qui commandent même toute la République, je ne sais pas où on va. On n’a pas pu mettre de l’ordre dans cette affaire-là avant et pendant la Can, avant et pendant la coupe du monde. La preuve, on y est encore.


Est-ce que trop de bruits de part et d’autre ne peuvent pas déstabiliser l’entraîneur ?

Je vais vous rappeler que la personne d’abord chargée de faire régner la discipline au sein d’une équipe nationale c’est l’entraîneur. S’il ne peut pas le faire, il n’a pas sa place-là. Il y a une stratification des mesures qu’on va prendre. Vous commencez par avertir, ensuite à suspendre, et enfin à exclure. Voilà comment ça se fait dans certains pays. Tu as beau être un grand joueur, si tu es indiscipliné, l’entraîneur se passe de toi. Regardez ce que Dunga a fait avec le Brésil où tout le monde croyait que Ronaldinho avait sa place, mais le coach a dit non, il a déjà un groupe où tout marche bien. Il ne veut pas avoir un joueur qui va venir perturber l’équilibre de ce groupe.


Et ces marabouts qui accompagnent l’équipe ; l’avez-vous connu en votre temps ?
Je n’ai jamais vu ça quand j’étais entraîneur sélectionneur des Lions en 2001. Là aussi, on n’a pas tiré les leçons de ce qu’on a vu en Angola. Et là aussi, j’avais eu à intervenir dans une chaîne de radio ou de télévision pour dire que Dieu et les sorciers ne vont pas ensemble. Vous ne pouvez pas en même temps suivre Dieu et les sorciers, ce que vous appelez marabout. Dieu est tellement jaloux. Il dit qu’il n’y a que lui en qui on doit croire. C’est Dieu lui-même qui a créé le sorcier qu’on appelle Lucifer. Il lui a certainement laissé certains pouvoirs comme il voulait se comparer à lui. Et il lui a dit que je te prouverai partout que je suis au-dessus de toi. Et c’est ce qui se passe. Dieu vous montre que si vous faites semblant d’être avec lui, et en même temps vous êtes avec des marabouts, vous ne verrez même plus Dieu et il sait où il vous sanctionne. Je croyais qu’on avait tiré les leçons de la Can, mais si on parle encore des marabouts en Afrique du sud, ça veut dire que nous étions dans un groupe où il y avait un fourre-tout. Personne n’a donc cherché à résoudre le problème qui se posait. Et comme à force de couvrir et étouffer un problème, à un certain moment, quand le couvercle ne peut plus tenir, ça explose. Et c’est pourquoi on a assisté à tout ce qui s’est passé en Afrique du sud. Ça fait honte à notre pays.


Comment en sortir ?

Je crois que le plus tôt est le mieux. Il faut mettre tous ces problèmes sur la table et refonder l’équipe nationale. Déjà, le ministre des Sports a eu une très belle initiative d’organiser le forum sur le football dernièrement. Je crois que de très bonnes résolutions sont sorties de ce forum. Il reste maintenant de les mettre en chantier. Il reste de les mettre en chantier pour ce qui concerne le football au Cameroun. A propos de l’équipe nationale qui ne doit être que le reflet d’une bonne organisation du football dans un pays, il faut mettre tous les problèmes sur la table et les analyser froidement, cyniquement et trouver des solutions. Le décollage de notre football doit se faire avec le label Cameroun ; avec des entraîneurs Camerounais. On a longtemps essayé avec ces expatriés, on ne voit pas ce que ça nous a apporté. Je crois que sauf si on est tous des imbéciles dans ce pays, pour ne pas le comprendre et essayer de changer, parce qu’il n’y a que des imbéciles qui ne changent pas. Qu’on fasse confiance aux entraîneurs Camerounais. Je crois qu’aujourd’hui, la majorité des Camerounais est tout à fait d’accord qu’on fasse aussi avec. Même s’il faut qu’on aille échouer. On va dire qu’ils ont aussi échoué. Les autres échouent, mais avec les leurs.


On l’a souvent fait, mais pas avec les mêmes moyens…

Qu’on donne les mêmes moyens aux entraîneurs locaux, comme on les donne aux Blancs facilement. Vous verrez qu’ils feront vraiment du travail et même peut-être mieux que ces expatriés qu’on nous amène et qui finalement deviennent des mercenaires. Et pour le faire, il faudrait qu’on voie les compétences des uns et des autres. Parce que là aussi, il y a trop de favoritisme, trop de fantaisie quand il faut nommer les entraîneurs nationaux. Je rappelle ici que tout comme un joueur, l’équipe nationale est une consécration pour tout entraîneur. Et la consécration c’est par rapport au vécu que vous avez au niveau des clubs, au moins pendant cinq à dix ans. On voit d’abord le travail que vous avez abattu avant de vous confier une responsabilité au niveau national. Or ici, quand on veut nommer un national, c’est par intérim. Et c’est le tribalisme qui prévaut, c’est le favoritisme. On va prendre quelqu’un qui n’a jamais entraîné nulle part, on le propulse au niveau national. Il faudrait qu’on dépasse ces considérations, surtout que ça n’apporte jamais les résultats. Qu’on confie l’équipe aux gens qui méritent. Et les gens qui méritent ont un vécu expérientiel, ils ont déjà travaillé ailleurs.



28/06/2010
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