Jean Foumane Akame: Médaillé d’or en zone de turbulences

Jean Foumane Akame: Médaillé d’or en zone de turbulences

(Mutations 29/06/2012)


Le très discret confident du président de la République est sous les feux des projecteurs, suite au rebondissement de l’«affaire Camair».

En ce moment où le Cameroun bruit de commentaires au sujet des indemnisations des victimes du crash d’un aéronef Cameroon Airlines (Camair) en 1995 et sur celle relative à l’exécution des contrats de maintenance des avions entre Camair et Transnet South African Airways (Saa), il est difficile de savoir ce qui se passe dans la tête de Jean Foumane Akame. Cité dans cette nébuleuse qui a englouti plus de 32 milliards Fcfa, en qualité de président du Comité de suivi créé le 14 novembre 2000 par arrêté présidentiel, ce magistrat hors échelle est muet comme une tombe.

Les derniers développements de l’actualité, sur cette affaire, ont pourtant drastiquement resserré l’étau autour de Jean Foumane Akame. Dans une interview accordée au site d’information camer.be et relayée par votre journal, Pierre Mila Assoute, partie prenante dans ce contentieux, a par exemple indiqué qu’«il y a aussi eu de [son] fait exclusif, la récupération de 32 milliards 500.000.000 Fcfa. L’argent avait été reçu à Paris à la Sgbc, sur un compte ouvert au nom de l’État du Cameroun par Foumane Akame Jean, le conseiller juridique de Paul Biya, et géré sous sa seule signature».

«Cet argent, insiste-t-il, a disparu de ce compte lorsque j’ai obtenu une ordonnance à Paris pour saisir la créance due à Att [un établissement de droit camerounais] et que ces gens refusaient de payer. La Sgbc avait répondu à mon huissier, par écrit, que le compte avait été clôturé. (Je communiquerai le n° de ce compte à tout enquêteur qui le désire). Alors, que Monsieur Foumane Akame dise aux Camerounais où est passé l’argent. Cette somme devait revenir à la Camair, qui aurait pu en effet à juste titre dédommager les victimes du crash de 1995 et redresser son bilan.»

Dans l’édition du quotidien Le Messager de lundi dernier, l’homme politique Célestin Bedzigui, dans une tribune libre au ton corrosif, déclare qu’«une des vérités livrées par ces «coups de plume» [ceux de Marafa Hamidou Yaya, Ndlr] sur le vrai visage de ce régime est l’incertitude de la destination prise par les 30 milliards Fcfa perçus en Afrique du Sud pour le compte de la Camair par Jean Foumane Akame, conseiller technique et plus proche ami et confident du président de la République, argent dont personne ne peut produire la trace du reversement dans le budget et la caisse de l’ Etat.

L’implication personnelle du président de la République dans cet épisode peut difficilement être écartée par un esprit un tant soit peu rationnel. Sinon, comment expliquer que M. Foumane Akame soit parti de la Présidence pour aller s’occuper du recouvrement d’une créance, par dessus la tête et de la Camair et du ministère de tutelle, et du ministère des Finances et... du Premier ministre?»

Ce leader de l’opposition, en exil (volontaire?) aux Etats-Unis, relève du reste que «les Camerounais ont le droit de connaître la vérité et avoir la réponse à la question qu’[il] pose ici, en tant que citoyen et homme politique: quelle a été la destination des 30 milliards Fcfa virés par la Saa dans le compte ouvert en son nom par le "conseiller technique-ami et confident" du président de la République, mis selon toutes les apparences en mission par ce dernier pour collecter cet argent ? Cet argent n’ayant pas été reversé à la Camair pour servir à indemniser les victimes du crash de son avion et financer son redressement, le président de la République sait-il l’usage qui en a été fait, un usage qui, de toute manière aura été inapproprié?»

Opération épervier

De sources crédibles, Paul Biya n’est pas prêt à lâcher son «confident» dans cette «affaire Camair». C’est l’une des raisons fondamentales pour laquelle la proposition du Social Democratic Front (Sdf), visant la constitution d’une commission d’enquête parlementaire à ce sujet, n’a pas prospéré. Une véritable preuve d’amitié, voire un retour d’ascenseur du Prince vis-à-vis de ce magistrat âgé de 75 ans (il est né le 31 août 1937 à Ndonkol).

De fait, Foumane Akame constitue aujourd’hui, au sein du sérail et à en croire des informateurs introduits, «le dernier filtre» de beaucoup de décisions qui revêtent la signature du chef de l’Etat. Cet homme plutôt menu, reconnaissable à ses cheveux blancs et à ses lunettes à grosses montures, a, apprend-on, «calqué sa vie sur celle de Paul Biya». A tel point qu’«il est difficile d’imaginer son humeur, lui qui ne s’ouvre généralement qu’aux gens de sa coterie».

Conseiller juridique du chef de l’Etat depuis le 22 novembre 1986, Jean Foumane Akame est, depuis cette date, le secrétaire permanent du Conseil supérieur de la magistrature, instance qui gère la carrière des magistrats. A ce titre, ce licencié en droit public et diplômé de l’Ecole nationale d’administration et de magistrature (Enam), intégré le 03 août 1966 dans le corps de la magistrature, a la haute main sur les hommes et le fonctionnement du système judiciaire au Cameroun. «Il fait et défait les carrières des magistrats», souffle un fin connaisseur de la corporation.

D’aucuns vont jusqu’à lui prêter, plus à raison qu’à tort, une forte influence dans la conduite de la campagne d’assainissement des mœurs publiques, dénommée «Opération épervier». «Il suit de très près, pour le compte du chef de l’État, l’opération anticorruption», révélait l’hebdomadaire panafricain Jeune Afrique en juillet 2010, alors que Foumane Akame venait d’être nommé au poste de président du tribunal de première instance de l’Organisation internationale de la francophonie (Oif), poste qu’il occupe toujours.

La mainmise de Jean Foumane Akame sur la magistrature est telle qu’il serait naïf de nier son rôle dans la nomination de Yap Abdou (pour ne citer que lui) à la fonction de président du Tribunal criminel spécial (Tcs). L’«heureux élu» est, en fait, chargé de missions au sein de la division des affaires juridiques à la présidence de la République, où trône un certain Foumane Akame Jean. En tandem, ils auraient élaboré les textes portant création et fonctionnement du Tcs.

Grand taiseux devant l’Eternel, celui qui occupe aussi les fonctions de président du conseil d’administration de l’université de Yaoundé I (après avoir occupé le même poste à l’université de Yaoundé II-Soa) et qui a été présenté, par le ministre de l’Enseignement supérieur, Jacques Fame Ndongo, lors de son installation, comme un serviteur ayant «un sens élevé de l’Etat», serait «pathologiquement dépendant» de sa proximité «intimiste et générationnelle» en béton armé avec le président de la République: «C’est quelqu’un qui semble de prime abord ouvert. Lors de sa prise de contact à Yaoundé I, il a échangé librement avec nous. Pour les rares instants où je l’ai côtoyé pendant les conseils d’administration de l’UYI, je l’ai trouvé rigoureux. En plus, il ne cache pas qu’il n’est pas du sérail et qu’il ne faut pas trop parler de certaines choses. Je l’ai vu, une fois, rappeler à l’ordre un cadre de l’université en ces termes : ‘M.X, vous parlez trop!», confie une source en service au sein de la «mère des universités».

En réalité, la vie administrative de Jean Foumane Akame pourrait se lire sous trois coutures. La justice: il a été vice-président de la cour d’appel de Dschang (1969-1970), ensuite conseiller et président de la chambre administrative de la Cour fédérale de justice (1970- 1971), président de la cour d’appel de Garoua (août 1971-mars 1973) et président de la cour d’appel de Yaoundé (mars 1973-janvier 1974). Du 09 janvier 1974 au 17 juillet 1980, il occupe les fonctions de secrétaire général du ministère de la Justice. L’académie: du 17 juillet 1980 au 18 juin 1983, il a été chancelier de l’université de Yaoundé avant de faire un retour dans les campus, en 2005, comme Pca de l’UYII-Soa. Enfin la territoriale : il a été ministre de l’Administration territoriale du 18 juin 1983 au 07 juillet 1984.


Rock Farm

Mais une autre casquette colle à Jean Foumane Akame. Depuis la présidentielle de 1992, ce personnage, que l’on dit froid comme un glaçon, représente la présidence de la République au sein de la toute puissante Commission nationale de recensement général des votes (Cnrgv). Une instance que des experts en questions électorales présentent comme la structure «qui met la dernière main à la fraude électorale avant la proclamation des résultats par la Cour suprême». Un journaliste ayant passé près d’une semaine à la bibliothèque de ladite Cour, en compagnie de M. Foumane Akame à l’occasion de travaux du Cnrgv, en octobre dernier, égrène des souvenirs: «Foumane Akame descendait de sa voiture chaque matin et se dirigeait vers son siège, positionné à côté de celui de Clément Atangana, le magistrat qui présidait la Commission. Il ne parlait que très rarement. Les seules fois où il prenait la parole, c’était pour désamorcer une dispute susceptible de brouiller les intérêts du candidat du Rdpc. Entre lui et Clément Atangana, j’ai perçu une très grande complicité. Les deux se comprenaient pratiquement à demi-gestes.» En somme, Paul Biya a choisi son «meilleur représentant» à la Cnrgv, car, ainsi que l’indique un habitué des allées du Palais de l’unité, «Biya et Foumane sont deux faces d’une même médaille».

Eminence grise du président de la République, Jean Foumane Akame se fait discret sur la scène politique dans son Sud natal. «Il ne ménage aucun effort pour briller par son absence lors des manifestations publiques. Ceci fait qu’on a tendance à l’oublier lorsqu’on cite les élites du Sud. En tout cas, c’est le dernier à qui pense.»

Mais Jean Foumane Akame n’est pas moins au courant des batailles de succession ; y compris celles qui se jouent dans la région natale du chef de l’Etat. Il y a quelque temps, alors que l’«Epervier» faisait des victimes dans les cercles du pouvoir, il aurait assuré son cadet, Edouard Akame Mfoumou (ancien Sg/Pr) de sa «protection». A condition que ce dernier se fasse «discret». Même la progéniture de l’ancien Minfi aurait saisi la mise en garde de «l’aîné», rapporte-t-on. Un aîné avec qui les rapports ne seraient «ni chauds, ni froids», croit-on savoir.

Actif dans l’ombre, M. Foumane Akame ne l’est pas moins dans les affaires. Il est en effet le propriétaire du complexe Rock Farm, à Ndonkol, son village natal. La directrice générale de cette structure n’est autre que son épouse, Marie Foumane Akame, une européenne. «En pleine forêt équatoriale, à seulement deux heures trente minutes de Yaoundé, le complexe Rock Farm vous offre un merveilleux cadre pour vos détentes, vos séminaires et vos ateliers. C’est aussi 45 luxueuses chambres et 02 suites, une huilerie et une confiturerie», lit-on sur le site internet de ce complexe où se tenaient les conseils d’administration de l’université de Yaoundé II-Soa, à l’époque où M. Foumane Akame y officiait comme Pca. Appelé à faire une comparaison entre Jean Foumane Akame et Martin Belinga Eboutou, un habitué du sérail présente le premier comme «un homme froid et dédaigneux. Il ne réserverait ainsi sa parole qu’à Paul Biya, avec qui il entretient des liens plus qu’étroits». Pour sa part, le directeur du cabinet civil est considéré comme «spontané et démonstratif». Un tempérament adapté à certaines missions que lui confie le Prince. A chacun son couloir sous les ors de la République.


Georges Alain Boyomo

© Copyright Mutations



30/06/2012
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