Investissements: Paul Biya prépare-il la sécession de la région du Sud ?

DOUALA - 25 JAN. 2011
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Tout dans ses attitudes, faits et gestes et ses discours indique que le chef de l’Etat est entrain de préparer sa région d’origine à toute éventualité pour la rendre moins dépendante du Cameroun après son départ au pouvoir.

I.- Les barrages hydroélectriques et la centrale à gaz de Kribi

II y a quelques années, un journal privé de la place avait comparé la région du Sud à un Eldorado, à un territoire qui pouvait se suffire à lui-même sans avoir besoin du reste du Cameroun. C'était là une réaction, une réponse des populations, disons plutôt de certains membres de l'élite de cette région aux attaques venant des Camerounais d'autres régions du pays, surtout de l'Ouest. Pour ces Camerounais, et d'autres régions du pays, les populations du Sud en général et les Bulu en particulier étaient responsables des mauvaises performances économiques du pays, de la crise qui sévissait dans notre pays. Comment ? Les Boulou détournaient les deniers publics à travers les nombreux postes de responsabilité qu'ils occupaient: ministères, sociétés d'Etat et autres structures à caractère public.

Les Boulou estimant qu'ils étaient les mal aimés de ce pays avaient brandi cette menace de sécession estimant que leur région avait tout pour se suffire à elle-même. Les acteurs de ces écrits avaient fait ressortir la superficie du Sud, 47 000 km2, et ses potentialités en termes de forêts, fleuves, plages, produits agricoles, richesses du sous sol et élite intellectuelle de qualité. On avait cru que c'étaient là des discours d'égarés, d'illuminés en mal de sensation ou de reconnaissance, mais aujourd'hui, on se rend compte après le lancement de certains projets structuraux (port en eau profonde de Kribi dont la phase de terrassement a commencé tout comme celle de la centrale à gaz de la même ville) et le discours prononcé par le chef de l'Etat lors de l'inauguration du Comice agropastoral d'Ebolowa le lundi 17 janvier 2011, que le projet de constituer la région du Sud en entité autonome n'est pas mort, il est plus vivant que jamais. Voici les preuves.

De mémoire d'homme et depuis que Paul Biya est au pouvoir, on n'a jamais lancé en un laps de temps des projets relatifs à l'électricité, des projets d'importance -il convient de le relever- dans une seule région. En effet, la seule région du Sud va bénéficier à elle seule de la Centrale thermique de Kribi et des barrages hydroélectriques de Memve'ele et de Mekin. Voici ce que dit Biya dans son allocution d'Ebolowa: "J'ai aussi décidé de faire démarrer le plus tôt possible les travaux de construction d'un certain nombre d'ouvrages: du barrage hydroélectrique de Memve'ele et du port en eau profonde de Kribi; du barrage hydroélectrique de Mekin, de la centrale à gaz de Kribi".

Paul Biya qui est le patron de l'inertie, un homme qui n’est jamais pressé, surprend plus d’un observateur averti quand il déclare qu'il a décidé de faire démarrer le plus tôt possible ces projets. Quelle autre région du pays a bénéficié d'une telle sollicitude de la part du chef de l'Etat en matière d'infrastructures électriques ? Aucune. Le Littoral en général et Douala en particulier, le poumon économique du pays n’a profité que d'une centrale à fuel lourd à Yassa dans l'arrondissement de Douala IIIè, ce qui est très insuffisant pour alimenter les usines.


II.– Tous les grands chantiers dans la région du Sud

Le port en eau profonde de Kribi

Cachant ou profitant des émeutes de la faim de février 2008 à Douala, les opposants, pas nécessairement politiques à Biya, avaient paralysé le port de la capitale économique du pays, empêchant ainsi l’intérieur du pays d’être ravitaillé en produits importés de première nécessité. Paul Biya avait retenu la leçon et c’est à ce moment que l’idée, qu’il avait abandonné depuis de nombreuses années, de construire un port en eau profonde à Kribi avait surgi dans son petit esprit. Une fois le port de Kribi sera construit, Douala va perdre de son importance et de son influence. Et surtout son blocage par d’éventuels émeutiers profiterait inéluctablement à Kribi. Cette ville va devenir une grande porte d’entrée et de sortie du Cameroun mais également du Nord de la République du Congo et pourquoi pas du Tchad et de la République Centrafricaine.


Le bitumage des axes routiers

A Bamenda, lors du Cinquantenaire des forces armées célébré en décembre dernier, Paul Biya promit un seul projet routier dans la région du Nord-Ouest: le bitumage de la Ring Road. Tandis que chez lui dans le Sud, il a tout donné: «Aussi, ai-je décidé la réalisation des routes bitumées suivantes: Ebolowa–Kribi par Lolodorf, dans le cadre du complexe industrielo-portuaire de Kribi, Olama-Lolodorf; Sangmélima-Ouesso par Djoum dont les financements sont prêts; Ebolowa-Sangmélima par Mengong dont les travaux commencent cette année.». Et la boucle est bouclée. Avec ces routes bitumées, le Sud deviendra la région la mieux désenclavée après et peut être avant l’Ouest. Il convient de souligner que le Sud va bénéficier d’importants projets routiers destinés à évacuer le fer à Mbalam et d’autres minerais exploités dans la région, mais surtout en provenance de la région de l’Est. Ce qui va impliquer également la construction d’une ligne de chemin de fer reliant la région de l’Est à celle du Sud. Il est également prévu la construction d’une voie ferrée reliant Edéa à Kribi pour l’évacuation de l’alumine.


Usine de tracteurs d’Ebolowa

Après l’usine de montagne de matériels agricoles de Kribi, voilà que Paul Biya fait installer une gigantesque usine de montagne de machines agricoles à Ebolowa. Cela veut dire qu’avant de venir prononcer son discours dans le chef lieu de la région et au cours duquel il a parlé d’agriculture de seconde génération et de grande politique agricole, le chef de l’Etat avait une vision claire de ce qu’il veut faire de son Sud natal. C’est à dessein que cette usine a été installée à Ebolowa et non à Douala, Yaoundé, Bafoussam, Bamenda, Bertoua etc. Le chef de l’Etat a déjà lancé la politique d’industrialisation du Sud au détriment des autres régions du pays. Cette usine aurait pu bien être implantée à Bafia, dans le Grand Mbam, région qui a d’énormes étendus de savane, domaine par excellence de l’agriculture mécanisée et non les forets du Sud.

Si tout ce que nous venons d’énumérer plus haut se réalise, la région du Sud sera véritablement un Eldorado, qui n’aura rien à envier à un pays comme la Guinée Equatoriale. Ce d’autant plus que le Sud a le pétrole et le gaz qui sera exploité dans le cadre d’une usine de liquéfaction du genre qui existe en Guinée Equatoriale. Paul Biya a agi là comme un visionnaire, mais un visionnaire limité. Il pense qu’après son départ du pouvoir, sa région d’origine pourrait avoir des problèmes avec les autres régions et/ou avec son successeur, qui pourrait se détourner d’elle en matière d’investissements publics ou autres. Et pour la mettre à l’abri de toutes sortes de problèmes, il a anticipé.


Yaoundé dans l’oubli

Yaoundé la capitale du pays connait de nombreuses coupures d’électricité, sans que cela n'émeuve le chef de l’Etat. Pourtant, pour résoudre ces problèmes, le Centre a de nombreuses chutes, telles que celles de Nachtigal qui pourraient bien accueillir un barrage hydroélectrique. A l’Est, le barrage de Lom Pangar n’est pas fait pour produire de l’électricité pour l’Est (même s’il va produire un peu). Ses eaux de retenu, du lac artificiel qu’on va y créer sont destinés aux centrales hydroélectriques d’Edéa et de Songloulou en Sanaga maritime et de la troisième qu’on prévoit de construire dans ce département de la région du Littoral.

Si Biya s’empresse de mettre en place ces infrastructures électriques, c’est qu’il a sa petite idée derrière la tête: développer sa région au plan industriel. En effet, tous ces trois projets ne sont pas a usage domestique, sinon, qu’un seul ou deux suffiraient pour la région du Sud qui est faiblement peuplée. En réalité, Paul Biya rêve de déplacer et de transférer à Kribi le rôle joué actuellement par Douala sur le plan national. On a vite oublié qu’il a un projet de construction à Kribi d’une usine qui produira 40 000 t d’alumine par an et ce genre d’usine utilise beaucoup d’énergie. Hormis cette usine d’électrolyse, il est prévu que des industries légères et pourquoi pas lourdes vont s’installer dans la cité balnéaire de Kribi. En effet, rien ne dit qu’avec l’évacuation par le port en eau profonde de Kribi de 35 millions de tonnes par eau du fer de Mbalam qu’un embryon d’industrie lourde ne sera installé dans la ville.


09/03/2011
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