Institutions: Pour comprendre l'affaire des titres de Camtel

Yaoundé, 28 Novembre 2012
© Parfait N. Siki | Repères

La polémique sur l'achat par Afrione, entreprise de M. Franck Biya, fils du président de la République, de 9 400 titres appartenant à la Cameroon télécommunications (Camtel), enfle à mesure que s'épaissit la fumée de confusion, d'approximations et d'amalgame sur cette opération. Avec un ensemble de questions et de réponses posées à divers acteurs et experts de cette question pointue et technique qu'est la manipulation des litres, Repères reconstitue les éléments d'un puzzle épars afin de rendre la compréhension de ce dossier simple pour la plupart des lecteurs.

QU'EST-CE QU'UN TITRE?

Parler de titre, c'est simplifier l'appellation générique d'une obligation du trésor à coupon zéro. En 1995, l'Etat doit de l'argent à ses prestataires et ne dispose pas de liquidité pour faire face à cette dette commerciale. Il décide donc de titriser sa dette, c'est-à-dire d'offrir à ses créanciers des sortes de «chèques» d'une valeur d'un million chacun. Ces titres sont promis pour être payés à leur date de maturité, c'est-à-dire à partir de 2011 jusqu'à 2017. Sur chaque titre est indiquée la date de sa maturité, de sorte que son propriétaire sait exactement combien il recevra et à quelle date.

Mais le propriétaire du titre peut décider - et c'est le principal avantage d'un titre - de ne pas attendre la date de sa maturité. Pour toutes sortes de raisons qui lui sont propres, il peut le revendre, le placer, le garantir, etc. Le nouvel acquéreur peut attendre la date de maturité et profiter des effets bénéfiques des intérêts générés par le titre acheté ou le revendre à son tour, et ainsi de suite.


COMBIEN DE TITRES POSSÉDAIT CAMTEL?

La dette de l'Etat auprès de Camtel, après avoir croisé les prestations et les factures, s'élevait en 2005 à 80 milliards de francs CFA. L'Etat décide de payer une partie de cette dette en cash, soit 24 milliards de francs, et de titriser l'autre partie. C'est ainsi que Camtel reçoit 56 000 titres d'une valeur d'un million chacun, ce qui représente bien le reliquat des 56 milliards que l'Etat lui doit. Ces titres disposent d'une période de maturité qui est repartie entre 2011 et 2017. Si Camtel attend la période de maturité, ses 56 000 titres vont lui rapporter 75 milliards, soit un gain de 19 milliards de francs.


CAMTEL CÈDE SES TITRES A LA SOCIÉTÉ FINANCIÈRE AFRICAINE

La Société financière africaine (SFA), très proche de la CBC, appartient à M. Yves Michel Fotso. Camtel lui cède la plus grande partie de ses titres, soit exactement 35 400 titres, sur les 56 000 qu'il possède, contre un prêt de moins de 10 milliards de francs CFA. D'autres entreprises, camerounaises et étrangères, ont acheté les 20 600 autres titres. Il s'agit de Nsia Gabon, Nsia Benin, Activa, Activa Vie, Afriland First Bank, SRC-Liquidation SCB, etc. En 2005, entreprise en restructuration, Camtel est à la recherche de financement pour ses investissements. Ceci justifie-t-il cela? Le conseil d'administration a-t-il approuvé l'ensemble des placements des titres effectués par le directeur général David Nkoto Emane? Si oui, la valeur de vente, estimée à entre 350 000 et 400 000 F CFA le titre au lieu d'un million, se justifie-t-elle?


AFRIONE CAMEROUN SA ENTRE EN SCÈNE

Dans l'ensemble des titres vendus à SFA de M. Yves Michel Fotso se trouvent les 9 400 titres qui font l'actualité aujourd'hui. En effet, Camtel a cédé ces 9 400 titres à la SFA contre un prêt de 4,7 milliards de francs CFA. Soit la moitié de la valeur totale des titres. Mais en août 2006, intervient un nouvel acteur dans l'opération: Afrione. Cette entreprise appartient à M. Franck Biya, fils aîné du chef de l'Etat, et c'est à peu près tout ce qu'on sait. En effet, le 9 août, Camtel écrit à SFA pour le remboursement anticipé des 4,7 milliards de prêt afin de retrouver la pleine possession de ses 9400 titres mis en garantie. C'est que Afrione se propose de les acheter. A combien? Le montant n'a pas été rendu public. Toujours est-il que, recevant ordre d'Ingenierie forestière, autre société appartenant à Franck Biya, Afriland First Bank produit une lettre de garantie de 3,5 milliards pour l'acquisition par Afrione des titres de Camtel auprès de la SFA.


AFRIONE A-T-IL PAYÉ 3,5 MILLIARDS UN PRÊT DE 4,7 MILLIARDS?

Pour lever l'hypothèque sur les 9 400 titres, SFA devait rentrer en possession de ses 4,7 milliards de francs consentis à Camtel. Si cette entreprise a signé une mainlevée et accepté d'instruire la Caisse autonome d'amortissement de transférer les 9 400 titres de son portefeuille à celui d'Afrione, c'est qu'elle a été entièrement remboursée. Des 4,7 milliards nécessaires, un document attesté qu’Afrione à versé 3,5 milliards à travers une lettre de garantie délivrée par Afriland. Les 1,2 milliards restants ont été réglés par un chèque Citibank dont on se demande s'il était tiré sur les fonds propres de Camtel ou s'il répondait à une avance d'Afrione. Les documents rendus publics ne permettent pas de répondre à cette inconnue. De ce fait, on ne peut pas savoir à combien chaque titre a été vendu par Camtel à Afrione.


FRANCK BIYA ET POLYCARPE ABAH ABAH

Toujours est-il que, nanti des 9 900 titres acquis auprès de Camtel, Afrione se tourne vers le ministère des Finances, émetteur des titres. On est en 2006 et la date de maturité de ces 9 400 titres est de 2014, soit huit ans plus tard. En les vendant maintenant, Franck Biya court le risque de perdre les intérêts et une partie du principal. Une négociation s'ouvre alors avec le ministre de l'Economie et des Finances de l'époque, M. Polycarpe Abah Abah. Selon l'accord entre les deux parties, Afrione perd l'avantage des 3% annuels d'intérêt et subit une décote sur le principal de 30%. Autrement dit, chaque titre sera racheté par le Minefi à 700 000 francs contre un million de valeur officielle. M. Franck Biya encaisse donc 6,580 milliards de francs CFA. S'il n'a dépensé que 3,5 milliards pour acheter les 9 400 titres de Camtel, il a réalisé 3 milliards de francs de gain. S'il avait attendu la maturité de ces titres, il aurait obtenu 12 milliards en 2014.


LA CNPS EST-ELLE CONCERNÉE?

Quand l'opération de titrisation de la dette commerciale de l'Etat est engagée, la CNPS détient déjà des titres publics, mais dont l'Etat ne respecte pas les échéances. Il est donc question de retitriser la dette de l'Etat vis-à-vis de la CNPS en 2005, mais l'opération tourne court. Au lieu de la titrisation, ses créances auprès de l'Etat sont déstructurées, mais continuent à être réglées, comme l'atteste la cession de l'immeuble de la mort au centre-ville de Yaoundé. La CNPS, alors dirigée par M. Louis Paul Motaze, ne possède pas de titres et n'est donc pas concernée par l'opération de rachat en question.


LE RÔLE DE LA CAISSE AUTONOME D'AMORTISSEMENT

La CAA est le conservateur des titres. Dans les transactions effectuées sur les titres, elle a un rôle passif, car elle prend acte des accords entre les propriétaires des titres et les éventuels nouveaux acquéreurs. Quand un titré change de propriétaire, la CAA enregistre les changements intervenus et procède au transfert des titres de l'ancien vers le nouveau propriétaire. C'est un rôle plus passif qu'actif. Même M. Evou Mekou, directeur général de la CAA et cousin de M. Franck Biya, ne peut rien changer à ce rôle, que cette entreprise de gestion de la dette du Cameroun joue auprès de la Douala stock exchange (DSX).


Y A-T IL DÉTOURNEMENT, MALVERSATION OU FAUTE DANS CETTE OPERATION?

Depuis 2008, un décret du Premier ministre oblige les propriétaires des titres publics à les revendre uniquement à la Douala Stock Exchange. Cela ouvre la voie à une concurrence sur la vente des titres, qui ne peuvent être acquis que par le mieux disant. Ce qui n'était pas le cas pour l'ancien dispositif réglementaire, qui permettait une négociation de gré à gré. L'opération réalisée par Camtel, Afrione, le Minefi et la SFA est donc parfaitement légale au moment des faits. Un mystère demeure sur l’huis clos des négociations entre le directeur général de Camtel, M. David Nkoto Emane et le PCA d’ Afrione, M. Franck Biya. En tant que fils de chef de l'Etat en fonction, M. Franck Biya a-t-il commis une faute en se mettant en affaire avec une entreprise publique dont il tire de substantiels bénéfices? La réponse à cette question relève de l'ordre de la morale politique et non du droit.



28/11/2012
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