INSCRIPTIONS ELECTORALES : SE POSER LES BONNES QUESTIONS AVANT, POUR NE PAS REGRETTER APRES

Etudiants:Camer.beQuel est le nombre d’électeurs à inscrire ? Au mois de juillet dernier le directeur général des élections M. Mohaman Sani Tanimou prophétisait l’inscription de 8 millions d’électeurs. Ce chiffre est revu à la baisse le 3 septembre lorsqu’il fut constaté que les inscriptions ne débuteront pas comme prévu. Depuis, Le directeur général des élections a rétrogradé ses ambitions à 7,5 millions d’inscrits, puis à 7 millions « au moins » (sic), tandis que son collègue M. Samuel Fonkam Azu’u  président d’Elecam n’hésite pas à monter jusqu’à 8,5 millions en s’appuyant sur les chiffres du Bureau Central des Recensements et des Etudes des Populations (BUCREP). Qu’au stade actuel du processus il y ait des dissonances au sommet d’Elecam présentant de tels écarts dans les chiffres ne rassure ni sur la façon dont les études furent conduites ni sur la rigueur des clauses contractuelles auxquelles est soumise la société allemande Giesecke & Devrient fournisseur du système de biométrie.

D’où le  président d’Elecam tient-il le chiffre les 8,5 millions d’électeurs ? Du recensement de  2005 qui fixa le nombre de Camerounais à 17 463 836. Des extrapolations faites à partir des données du recensement de 2005  prédirent une population de 19 400 000 habitants pour le 1er janvier 2010. Depuis  2005 non seulement la population globale a augmenté mais de toute évidence  celle en âge de voter aussi; l’une et l’autre seront encore  plus élevées en 2013 à la date des prochains scrutins. Logiquement les listes électorales devraient compter bien plus que 8,5 millions de personnes ; ceci revient à dire que même dans l’hypothèse optimiste où Elecam parviendrait à inscrire 8,5 millions, cette performance laisserait de côté de nombreux Camerounais en âge de voter.  

Quelle est la durée des inscriptions ?

Les deux variables présentées comme base de calcul et en même temps indices de la performance du système de la société Giesecke & Devrient procèdent d’une seule : la durée d’une inscription. L’on a tantôt l’on a parlé de la durée d’une inscription, tantôt du nombre d’inscrits par jour, par semaine, par mois, sans que cela concorde toujours. Avant le mois d’août l’on prophétisait 6 à 8 minutes pour délivrer un récépissé. Dès la simulation du lundi 20 août 2012 à l’antenne régionale d’Elecam à Douala, l’on revint sur terre : le chronomètre compta 8 à 10 minutes. Les 8 minutes qui étaient le temps maximum se révélèrent être un minimum. Aujourd’hui, dans certains centres, l’on dépasse allègrement les 10 minutes par inscription. La montée de cette variable de base compromet aussi l’autre variable du nombre d’inscrits mensuel. Au départ, celui-ci est estimée à 1 200 000 inscriptions, ce qui conduisit à fixer la durée des inscriptions à sept mois pour l’objectif global de 8 millions d’inscrits au terme des opérations, retombé depuis à « au moins » 7 millions selon M. Mohaman Sani Tanimou.
 
Toutefois, il était possible d’atteindre l’objectif global de 8 millions, voire de le dépasser en sept mois, malgré la douche froide de la simulation à Douala qui fit constater que le temps d’inscription était plus long que prévu. A quelques conditions cependant, la première étant de réduire les temps morts. Il y a trois semaines, alors que j’émettais des réserves sur la  livraison du matériel de Giesecke & Devrient, un monsieur qui prétendait être au fait des événements et qui était pressé de me faire taire m’avait lancé péremptoirement : « Tous les kits sont là, au port de Douala, tout est livré ! ». D’abord personne n’est obligé de croire ce monsieur sur parole ; ensuite  il ne suffit pas que des équipements soient au port de Douala pour qu’Elecam les ait à disposition dans ses antennes électorales : il faut encore le temps des formalités de douane, même si l’on peut imaginer que des instructions sont données pour que ce temps soit réduit au possible, il n’est pas nul pour autant. Il ne suffit pas davantage que les équipements soient livrés pour qu’ils deviennent aussitôt opérationnels : l’on doit encore les réceptionner, c’est-à-dire vérifier qu’ils sont bien conformes à ce qui a été commandé. Sur les 1 200 kits attendus de Giesecke & Devrient, je serais étonné qu’ils soient tous parfaitement conformes et immédiatement prêts pour le service. Ceux qui ont eu à s’occuper de la réception du matériel chez des clients savent que cette phase est l’une des plus ardues si le client sait parfaitement ce qu’il veut ; ou bien, à l’inverse, une partie de plaisir pour le fournisseur si le client n’a pas de compétence à mettre en face de lui pour ce travail de vérification. Elecam a-t-il prévu du personnel pour réceptionner le matériel ou s’est-il contenté de la bonne parole du fournisseur. S’il en a prévu, quels en sont les effectifs et les compétences ? Ajoutons à cela  les temps de transport du matériel pour les points où il devra être opérationnel. Enfin, il ne suffit pas que le matériel soit déclaré opérationnel et même en service, l’on doit encore compter avec les temps d’entretien et de maintenance, tout matériel étant par définition altérable et fatigable, et d’autant plus s’il est soumis à une intense cadence et manipulé par du personnel moyennement expérimenté comme c’est vraisemblablement le cas ici. Bref, si l’on n’a pas pris soin d’évaluer le chapelet des temps hors service ceux-ci s’insurgent contre le temps opérationnel proprement dit et compromettent sérieusement les chiffres de la progression annoncée des inscriptions. Depuis le début des inscriptions, on parle déjà d’arrêts à cause de pannes qui indiquent que les temps d’entretien et de réparation pourraient devenir prohibitifs .
 
Quelle formation ?

Pour les 2 400 opérateurs du personnel d’Elecam, la firme allemande avait prévu une formation de trois mois avec un démarrage vaguement pressenti pour la fin du mois de mai 2012 ; ce qui faisait entrevoir que la formation serait terminée à la fin du mois d’août et que les inscriptions commenceraient en septembre comme claironnait alors Elecam. Or ce n’est qu’en août que fut réceptionnée la dizaine des premiers kits. La formation des formateurs ne débuta qu’en septembre et ces formateurs avaient à leur tour à former les opérateurs pressentis. Les inscriptions du 3 octobre ont démarré alors que l’on n’avait encore livré sur le total de 1200 kits que 250 (dont 50 furent dédiés à la formation). Par conséquent, si cette formation devait se dérouler avec un minimum de sérieux et durer trois mois conformément aux délais que la firme allemande excipait avant l’épreuve du contexte camerounais, elle ne pouvait finir avant la fin novembre. Mais l’on nous dit à présent que la formation est déjà terminée, d’où le lancement des inscriptions dont on fait grand tapage dans les médias depuis le début du mois d’octobre.

Et l’informatique dans tout ça ?

Le meilleur système informatique ne vaut que par les programmes qui y sont installés, les procédés de sa mise en œuvre et les hommes qui le servent. C’est un lieu commun dont je me serais passé si l’on ne voulait nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Je lis une affirmation comme celle-ci : « Des dispositions ont déjà été prises au niveau technique pour que la base de données soit difficilement accessible aux personnes non autorisées ». Mais c’est bien le moins ! Ce dont on doit informer c’est les experts camerounais qui ont validé lesdites dispositions et à quel moment ils l’ont fait. Certes, il n’est pas question d’informer sur les dispositions elles-mêmes qui doivent demeurer secrètes pour pouvoir être efficaces ; en revanche, ne saurait être un secret le collège d’experts qui a attesté que tout cela est conforme aux protocoles en vigueur dans la collecte et la manipulation des données. Enregistrement des données, transfert des données, centralisation des données, il s’agit d’assurer l’électeur que d’un bout de la chaîne à l’autre l’on a pris soin d’empêcher toute possibilité de bidouillage ; et ceci ne peut être attesté que par des experts qui passent au crible l’ensemble des maillons du système. Que l’on sache, Elecam n’est pas formé de ces experts-là. L’officine gouvernementale qui a fait installer le système biométrique s’érige en juge et partie à la fois vu que c’est par sa seule voix que le système est déclaré fiable, alors que si l’on posait une seule question technique à ses membres ils seraient réduits à taper la bouche comme l’on dit familièrement.

Le temps mort entre le récépissé et la carte, pourquoi ?

Entre le récépissé remis à l’issue de l’inscription et le moment de la remise de la carte il y a un segment de la chaîne qui échappe à l’inscrit et, pourtant, l’on y gère des tâches qui durent « un certain temps ». Dans le jargon des systémiers c’est la boîte noire : l’électeur ne sait rien de ce qui s’y passe et il ne peut en faire aucune description sûre. Il a seulement le loisir de s’en faire une idée, son idée : que, par exemple, les données recueillies pendant l’inscription arriveront jusqu’à cette boîte noire sans être modifiées de quelque façon, qu’elles seront traitées correctement dans cette boîte noire afin qu’au bout du compte il soit délivré une carte unique et infalsifiable. Il pourrait aussi penser autrement. Pourquoi donc Elecam a-t-il retenu un système qui ne permet pas la délivrance de la carte aussitôt  accompli  les formalités d’inscription ? La chose est pourtant possible et de nombreuses voix avaient réclamé que cela fût ainsi. Sans être entendues.

Quels opérateurs ?

Il faut, bien entendu, de la transparence dans le recrutement des exploiteurs du système, même si, et surtout si, l’on doit se garder de toute suspicion à priori à leur égard. En étant dans  l’attitude de non suspicion à priori l’on n’est que plus libre de chercher à savoir suivant quelles offres d’emploi  ces personnes ont été recrutées, à quel moment, pour quelles durées et pour quels salaires. La transparence des élections commence par celle des agents chargés des opérations tout au long du processus du vote. A côté du tapage que l’on fit il y a un an pour le recrutement des 25 000 jeunes, le recrutement des agents d’Elecam chargés des inscriptions passerait presque pour une opération secrète.
  
Pourquoi Giesecke & Devrient ?

Même si l’entreprise allemande Giesecke & Devrient qui installe le système d’inscription sur les listes électorales basé sur la biométrie au Cameroun fait valoir ses performances en Amérique du Sud, performances que personne n’a été vérifié, ce système ne peut donner plus que ce que le contexte camerounais autorise. Tout commence par un marché que cette société gagne alors que, nous apprend-on, elle n’était pas retenue dans la liste des sociétés présélectionnées. Au final, ce fut la société allemande blackboulée dans un premier temps qui rafla la mise d’un marché de 7,5 milliards de francs CFA. Quelles arguments aura donc fait valoir M. Ernst Burgbacher secrétaire d’Etat allemand  dépêché en mission au Cameroun, rencontrant le président de la République et le Premier ministre  et, à  l’ambassade d’Allemagne à Yaoundé, des membres d’Elecam ? D’entrée, le contexte camerounais impose donc sa marque : une société qui n’était plus dans la course a finalement gagné le marché. Sauf à imaginer qu’au Cameroun c’est la bizarrerie aux commandes, il faudrait bien convenir qu’il y une raison à cette virevolte qui n’est expliquée nulle part. Or nous parlons d’élections où avant tout la transparence  est requise. N’allez pas penser que la victoire  de la firme allemande imposerait à celle-ci une contrepartie cachée et vous passeriez pour quelqu’un qui voit le mal partout. Mais ce serait tellement mieux si l’on expliquait pour dissoudre les supputations des mauvais esprits.
 
S’inscrire ou pas ? Telle est la question

Qu’il s’agisse de l’installation et de la qualité du matériel, du personnel et de la durée de la formation, de la vitesse d’inscription, la réalité des faits  a donc conduit à forcer les chiffres dans les valeurs  qui conviennent à Elecam. Ainsi, fin septembre, le temps maximum pour inscrire un individu était-il déclaré conforme à celui qu’on annonça au début : 5 à 8 minutes surenchéries par des propos comme celui-ci : « Les prévisions actuelles montrent que 50 électeurs peuvent être inscrits par jour, 50 000 en une semaine, 1 500 000 par mois ». Comprenne qui pourra ! Par quelle formule magique 50 inscrits par jour deviennent-ils 50 000 en une semaine et 1 500 000 par mois ? L’on voit bien que l’heure est de passer aux inscriptions, en dépit des point durs et des interrogations de nos compatriotes, et de parler crânement pour faire croire qu’en février 2013 il y aura bien le nombre d’électeurs annoncé et inscrit selon les règles de l’art.

Le système biométrique promu par Elecam, tamtamé  par certains, y compris hors du RDPC, comme le remède contre la récurrence des mauvaises élections enrayera-t-il les inscriptions frauduleuses et erronées que l’on a connues par le passé ? Les Camerounais ont du mal à répondre puisqu’ils n’en ont pas une vue claire,  ni sur les programmes, ni sur les procédés, ni sur le matériel, ni sur les hommes. Et cependant l’affaire est déjà lancée, comme pour les prendre de vitesse, emballer et ficeler un paquet d’inscriptions avant qu’ils ne se réveillent et ne s’insurgent. Pour l’heure, Elecam leur dit que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et, confus de passer pour des mauvais joueurs ou pire s’ils se défiaient  d’Elecam, les Camerounais laissent faire. Et chaque jour pousse l’autre.

De nombreux pays dans le monde procèdent aux élections sans la biométrie. Et dans la plupart les élections se passent bien. Le pouvoir camerounais, lui, a choisi un système biométrique, qui ne concerne que la délivrance de la carte d’électeur. Même s’il était parfait, et nous venons de voir qu’on peut à tout le moins se poser des questions, ce système ne résoudrait pas les infractions relevées pendant les scrutins précédents dans les bureaux de vote, par exemple : le comptage des voix, l’établissement des procès-verbaux, le convoyage des résultats, l’implication de l’administration locale (préfets et sous-préfets notamment), etc.  Même s’il était parfait ce système laisserait en place l’injustice du vote à un seul tour .  Aussi, si l’on examine sans passion les points évoqués ci-dessus, le besoin légitime de tout citoyen d’être inscrit sur les listes électorales devrait le porter à être plus exigeant :  un devoir de veille et de vigilance assumé par des citoyens lucides et soucieux de leurs droits est la condition nécessaire pour  aller s’inscrire sur les listes électorales, cela commence par la demande de réponses aux questions que chacun se pose sur la version camerounaise de la biométrie. Si, à l’inverse, tel compatriote allait jusqu’à penser que le vote biométrique ferait des miracles, et qu’il se contentait  de marcher en aveugle comme un personnage de tragédie (« Je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne. ») , il ne serait pas déçu par Elecam qui aurait ainsi les mains libres pour lui servir un nouveau miracle  électoral.

*Homme politique.

1-  Dans des pays où l’on met les soins requis par des programmes aux enjeux majeurs, l’on parvient à remédier à la dure réalité des faits qui génèrent des temps morts  soit en surdimensionnant les hommes et le matériel,  soit en poussant plus loin les études des conditions locales d’utilisation. A l’issue de ces études,  l’on est conduit  à sophistiquer les matériels et/ou  à affuter les hommes afin de porter les uns et les autres au top de leurs performances. Tout cela a évidemment un coût.

2-Quelques uns de nos compatriotes accusent l’opposition d’être elle-même responsable de ses échecs aux élections, parce qu’elle refuserait de s’unir pour une candidature unique, à l’élection présidentielle comme au plan local aux élections municipales et législatives. Cette accusation n’est pas fondée : la démocratie c’est d’abord l’expression des points de vue distincts afin que chaque citoyen puisse choisir en connaissance de cause. L’unité doit venir en son temps, après qu’on a identifié qui est qui, et qui propose quoi. Si dans notre pays les scrutins se déroulaient à deux tours, chaque parti de l’opposition aurait ainsi le loisir d’exposer son propre programme au premier tour et d’en faire les Camerounais juges ; au second tour, les partis d’opposition sérieux s’uniraient pour soutenir celui d’entre eux  qui auraient eu le plus de suffrage. C’est ce qu’on vient de voir opérer au Sénégal. Le vote à un tour que les Camerounais doivent casser est une pièce maîtresse du système du RDPC pour empêcher l’alternance et le changement dans ce pays, et pour gagner indéfiniment les élections.
3-Jean Racine, Andromaque, Acte 1, Scène 1.

© Le Messager du 2 Novembre 2012 : Albert MOUTOUDOU*


07/11/2012
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