Inondations - Paul Biya dans le Grand Nord: Entre compassion, récupération et calculs politiques

DOUALA - 21 SEPT. 2012
© Michel Michaut Moussala | Aurore Plus

Les inondations ont obligé le chef de l’Etat à effectuer une descente forcée sur le terrain, ce qui ne faisait pas partie de son emploi du temps.

I- Forces d’inertie et retard à l’allumage

« les inondations ont commencé dans mon village le 21 aout dernier et ce n’est qu’avant hier, soit prés d’un mois après la catastrophe que le chef de l’Etat est arrivé là-bas pour constater les dégâts. Certes, il a réagi assez vite ne prenant certaines dispositions, et, faisant intervenir divers collaborateurs comme le ministre de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation, mais c’est lui que ses compatriotes sinistrés du Grand Nord voulaient voir mouiller le maillot. C’est vraiment décevant, on a l’impression qu’il est allé faire du tourisme ou pêcher des voix en eaux troubles… » Qu’est-ce ce haut cadre de l’administration originaire du département du Mayo Danay reproche au président Paul Biya ? Dans la litanie des reproches, celui-ci met en exergue le fait que le chef de l’Etat ne soit pas rentré précipitamment au pays comme le font les autres chefs d’Etats étrangers quand de tels événements se produisent quelque part dans leur pays. Et de citer pêle-mêle les présidents sénégalais Macky Sall qui avait écourté un séjour pour se précipiter au chevet de lit de ses compatriotes que les inondations de Dakar avaient chassés de leurs maisons, de Barack Obama qui avait dû interrompre sa campagne pour des raisons similaires ou qui s’est rendu à l’aéroport pour assister à l’arrivée des dépouilles de diplomates américains tués récemment en Lybie.

Ce haut cadre du Grand Nord a raison. Quand les inondations sont arrivées, le président Paul Biya qui était en court( ?) séjour privé en Europe, devait d’abord rentrer au pays, au besoin descendre directement dans les régions du Nord et de l’Extrême –Nord en provenance d’Europe avant de regagner ou de fouler le sol de Yaoundé. Il n’a pas eu cette sagesse. S’il l’avait fait, il aurait gagné à coup sûr l’estime et le cœur de se compatriotes, non seulement de cette partie du pays mais du Cameroun entier. N’y a-t-il pas autour de lui des conseillers, des proches capables de le lui souffler à l’oreille ? Certes, il est vrai qu’il était coincé car il lui fallait choisir entre son épouse Chantal et ses compatriotes du Grand Nord. Paul Biya est allé chercher son épouse qui suivait dit-on des soins médicaux en France, ne pouvait-il pas expliquer à sa douce moitié que l’urgence était signalée et qu’il fallait rentrer vite au pays pour consoler, compatir à la douleur de ses compatriotes de cette partie du pays? Les forces d’inertie dont parle souvent le chef de l’Etat dans son discours sont une fois de plus entrées en action et cette fois-ci de son fait même, pas d’un collaborateur, ministre ou non.

Seulement, Paul Biya n’est pas bête, il a parfaitement compris le profit qu’il pouvait tirer de ces inondations sur le plan politique. Et ça tonne bien pour lui en ce moment où l’affaire Marafa est à la Une de l’actualité. Paul Biya sait qu’il faut tout faire pour que cette affaire ne divise pas les troupes du Rdpc lors des prochaines législatives et municipales au profit de l’Undp par exemple du ministre d’Etat en charge du Tourisme et des Loisirs, Maïgari Bello Bouba. Car il faut dire que, le parti au pouvoir est en danger dans la région du Nord en général et dans le département de la Bénoué en particulier dont est originaire l’ancien ministre d’Etat à l’Administration Territoriale et à la Décentralisation Marafa Hamidou Yaya. Paul Biya est-il sincère quand il déclare à Garoua, s’adressant aux populations sinistrées du Nord il déclare : « je vous apporte non seulement ma compassion mais je vous promets que le gouvernement fera tout… » nous n’avons pas de raison de douter de la sincérité d’un chef d’Etat qui a la responsabilité de 20 millions d’âmes mais cette compassion prend en même temps des airs de campagne électorale, d’opération de séduction et de récupération politique. Ce n’est donc pas une compassion dénuée d’intérêt. Mais seulement est-ce que cette opération de récupération politique est-elle bien menée ? N’y a-t-il pas des ratés ? Il y a assurément un message derrière cette récupération politique à l’intention de la région d u Nord en général et de ceux qui soutiennent Marafa en particulier. Il y a un message que Paul Biya envoie à cette région.



II- La récupération politique

En passant la nuit à Maroua, chef-lieu de la région de l’Extrême-Nord au lieu de Garoua chef-lieu de la région du Nord où le palais présidentiel était fin prêt, Paul Biya veut dire aux fils et aux filles de cette région qu’il reste le patron en dépit de leurs manœuvres d’intimidation. Il veut leur faire comprendre que l’Extrême- Nord est une région plus stratégique que la leur en termes de voix. Lors de la présidentielle du 9 octobre 2011, la région de l’Extrême- Nord a donné à Paul Biya 990 947 suffrages valablement exprimés contre 354 682 pour la région du Nord, celle d’origine de Marafa Hamidou Yaya. Et d’ailleurs s’agissant même du Nord est-ce que ce sont les quatre départements, Bénoué, Mayo Louti, Faro et Mayo Rey qui vont tous tourner le dos à Biya et au Rdpc aux prochaines législatives et municipales ? Ce n’est pas sûr tant que le département du Mayo Rey vote traditionnellement l’actuel chef de l’Etat. Cela vient du père de l’actuel lamido, très ami au chef de l’Etat. De son vivant, Lamido Abdoulaye écartait très souvent les autres bulletins et ne laissait que celui du président Paul Biya quand il s’agissait de la présidentielle. On raconte d’ailleurs qu’il s’asseyait devant son palais avec les urnes carrément posés devant lui, on mettait le bulletin de Biya dans l’enveloppe devant lui et non dans l’isoloir.


Paul Biya sait que s’il perd la Bénoué ; ce n’est donc pas tout le Nord qu’il va perdre. Car en dehors du Mayo- Rey qui lui est acquis, le Mayo Louti et le Faro peu peuplé certes, ne sont pas en reste. Sur les 354 682 voix que la région du Nord a données à Biya, la Bénoué lui en a donné 172 452, la Mayo Rey 94 075, le Mayo Louti 59 662 et le Faro 28 493. Paul Biya a donc pris son crayon et fait ses calculs et il n’est pas perdant si un département, fût-il important entre en dissidence ouverte contre lui. Ce qu’il cherche à faire, c’est de circonscrire la dissidence à la seule Bénoué, c’est d’éviter la contagion des autres départements de la région et de ceux des régions de l’Adamaoua et de l’Extrême- Nord. Mais en même temps, en homme politique avisé, il fait tout pour ne pas perdre une seule voix dans la Bénoué, raison pour laquelle dit-on que ses collaborateurs dans le Rdpc négocient secrètement avec ceux qui soutiennent l’ancien secrétaire général de la présidence de la République.

Paul Biya n’est pas le seul à tirer profit des inondations des régions du Nord et de l’Extrême-Nord. Il y a aussi et surtout l’élite politique, administrative, intellectuelle et d’affaires du Grand- Nord. Ce n’est donc sans calcul politique que le président de l’Assemblée National, Cavayé Yéguié Djibril a réuni autour de la crème de ce grand bloc pour venir en aide à leurs frères et sœurs en détresse. L’argent collecté a permis d’acheter des vivres, des fournitures scolaires, des médicaments. Ce geste du cœur a été très bien apprécié par les populations. C’est ainsi que Aldjaba Hassan, un sinistré du village Ngrong dans le département du Mayo Danay, région de l’Extrême- Nord a pu déclarer : «Nous pensions que nous étions oubliés des nôtres, mais leur présence nous réconforte et nous convainc de ce que tous les ministres et hauts cadres de l’Etat nous portent dans leurs cœurs. C’est un bel exemple de solidarité.»

Et l’occasion faisant le larron, les autres partis, hormis le Rdpc, qui ont à leur tête des fils du Grand-Nord membres du gouvernement ont tout mis en œuvre pour se faire voir. C’est ainsi qu’à Garoua et Maroua les troupes des ministres Maïgari Bello Bouba, Issa Tchiroma Bakary et Hamadou Moustapha étaient à l’œuvre, ont répondu présent. Le président du Front pour le salut national du Cameroun qu’est le ministre de la communication Issa Tchiroma Bakary a remis quelques dons. Le ministre chargé de missions à la Présidence de la République Hamadou Moustapha a fait une démonstration de force dans son fief de Maroua tant ses militants étaient nombreux pour accueillir Paul Biya tout comme ceux du ministre d’Etat Maïgari Bello Bouba du Tourisme et des loisirs à Garoua et à Maroua.


Où sont passés les autres leaders de l’opposition ?

Mais où sont passés Ni John Fru Ndi du Sdf, Adamou Ndam Njoya de l’Udc, Bernard Muna de l’Alliance des forces progressistes (Afp) et autres. Leurs voix sont inaudibles. Jusqu’ici aucun de ces responsables n’a fait le déplacement du Grand Nord même avec les mains vides car si elles ont besoin d’argent, de vivres, de médicaments, les populations de cette partie du pays ont aussi besoin de réconfort moral. S’ils ne peuvent pas se rendre individuellement dans les zones sinistrées, ils peuvent y aller en groupe. Ce sont les mêmes leaders politique qui à l’approche des législatives et municipales vont aller à la chasse aux voix, oubliant que certains ont même envoyé des messages de compassion ou de consolation à leurs frères de cette partie du pays.


III- Des perspectives d’avenir

La question que l’on peut se poser ici est de savoir si ce fonds dont la déclaration a été faite à Garoua le mercredi 19 septembre sera un organisme autonome ou logé au ministère de l’Administration territoriale et de la décentralisation qui abrite déjà une direction de la protection civile, au ministère des Finances ou à celui de l’Economie, de la planification et de l’Aménagement du Territoire ou au Cabinet civil de la présidence de la République. Ce fonds de soutien devrait être mis en place depuis la tragédie du lac Nyos dans la région du Nord- Est. Il aurait pu servir dans bien des cas comme par exemple les inondations qui ont lieu en ce moment dans les régions du Nord et de l’Extrême- Nord et même certains glissements de terrain qui se produisent dans notre pays de temps en temps, de graves accidents de la circulation. Voici la proposition d’Aurore Plus concernant les cataclysmes naturels.

Ce genre de ministères existe dans certains pays comme la Chine et la Russie. A un moment, il a existé en France sous la dénomination de «Secrétariat d’Etat chargé de la prévention des risques majeurs» de 1984 à 1986. Le célèbre vulcanologue Haroun Tazieff mort en 1998 avait occupé ce poste. Il est donc question de créer un secrétariat d’Etat qui aura pour mission la prévention, la collecte des informations, leur traitement et mise à disposition de ces informations aux autres administrations et aux populations. Ce secrétariat devrait avoir un système de veille et d’alerte fonctionnant vingt-quatre sur vingt-quatre. Son domaine : la vulcanologie, les inondations, les accidents industriels de grande envergure, les lacs contenant les gaz dangereux, les grands accidents de circulation, les éboulements de terrains, les grands incendies, etc. C’est dans ce secrétariat d’Etat que devrait entrer la direction de la protection civile du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation. Les sapeurs-pompiers devraient également avoir leur place dans ce secrétariat d’Etat. Tout comme le bataillon d’intervention rapide (Bir).

Si ce secrétariat est créé, ses démembrements régionaux doivent être autonomes c’est-à-dire qu’on ne doit pas attendre tout de Yaoundé quand un cataclysme naturel se produit quelque part dans le pays. Ce démembrement doit disposer des produits de première nécessité dans ses entrepôts et magasins y compris les produits pour les premiers soins aux blessés. A défaut de secrétariat d’Etat, ça pourrait être une agence nationale de prévention de risques ou chargée des catastrophes logée au cabinet civil de la Présidence de la République. Tel que fonctionnent les camerounais certains guettent qu’on mette ce fonds en place et qu’on les nomme comme gestionnaires afin qu’ils puisent distiller les fonds. C’est à ce secrétariat d’Etat ou cette agence dans laquelle vont travailler les géographes, les géophysiciens, les géologues, les vulcanologues, les climatologues, les physiciens, les sapeurs-pompiers, les secouristes dûment formés avec beaucoup d’autres spécialistes que doit incomber la sécurité des populations. Ce qui est à craindre ici c’est que les forces d’inertie ne l’emportent, car nous avons peur qu’une fois les inondations passées le Fonds de soutien ne voie pas le jour comme la banque agricole dont on parle depuis mais qui n’est jamais né.

Le travail qui peut être fait maintenant sans plus tarder c’est de faire un inventaire exhaustif dans zones à risques de notre pays, là où les populations ne peuvent pas s’installer. Il y a également lieu d’attirer les autorités administratives, les maires sur leur laxisme, eux qui laissent les populations s’installer partout car ce qui est sûr c’est que ces populations vont se réinstaller dans les zones inondées du Grand Nord dès que les eaux vont se retirer. On peut se poser une série de questions sur le séjour de Paul Biya dans le Grand Nord, avec le camouflet infligé à la ville de Garoua où Paul Biya et son épouse n’ont pas daigné boire un verre d’eau ou grignoté quelques graines d’arachide. Ses hôtes s’en sont trouvés frustrés.


21/09/2012
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