Indigence: Une dizaine de personnes «otage» à l'hôpital Gynéco - Pr Angwafor III Fru: «C'est nous qui devrions nous plaindre...»

DOUALA - 06 SEPT. 2012
© Joseph Flavien KANKEU | Le Messager

Il leur est exigé le paiement des frais relatifs à leurs soins et leur hospitalisation.

Le cas de Germaine Abeboulouguiyé, décrit dans Le Messager du mercredi 4 septembre 2012, n'est pas unique en son genre à l'hôpital gynéco obstétrique et pédiatrique de Ngousso. La salle 5 du bloc chirurgie de cette institution hospitalière héberge quatre autres femmes, «otages» depuis des mois, pour non règlement des factures. Comme on le sait déjà, Germaine y est depuis 10 mois, parce qu'elle n'a pas encore versé les 327.000Fcfa équivalant aux frais d'opération de sa fille Marie Esther Koulman, atteinte dès sa naissance de la sténose hypertrophique du pylore. Sa voisine de lit y a déjà passé un an.

Internée depuis le 7 septembre 2011 après avoir été victime de brûlures, Bilégué Owona Marie Thérèse y est encore jusqu'à ce jour. «Je m'étais brulée entre les deux cuisses. Une brûlure de 3ème degré. Quand je suis d'abord arrivée ici, on a voulu m'envoyer à l'hôpital Central avant de se rendre compte que cet hôpital ne peut pas me soigner. Un médecin a pris l'engagement de s'occuper de moi, Indiquant que si on m'amène à l'hôpital Central, on va me couper les deux jambes. Il a fini mon traitement en novembre et la facture s'élevait à 500.000 francs. Comme mes parents n'ont pas assez de moyens, ils ont demandé qu'on signe un moratoire. Mais la direction de l'hôpital a refusé», raconte, meurtrie, cette jeune dame âgée de 28 ans. Elle ajoute: «Ma tante est venue avancer 75.000 francs, Ils ont toujours refusé de me donner le moratoire. Je souffre ici depuis novembre 2011. Lorsque les gens nous rendent visite avec la nourriture ils les renvoient, indiquant que nous sommes des prisonniers. Au moment où je vous parle, je souffre déjà d'une autre maladie que j'ai Portée ici. Mes pieds gonflent et me font mal, sans que je n'aie le droit de me soigner de nouveau. Lorsque nous exprimons une doléance, on nous répond que nous n'avons pas la volonté de payer.»

Les trois autres pensionnaires y sont également pour n'avoir pas réglé leurs factures. Alors que nous souhaitions recueillir leur témoignages, il nous a été interdit de le faire par des agents de sécurité en civile, postés un peu partout à l'hôpital gynéco obstétrique et pédiatrique de Ngousso. Les autres prisonniers de ce genre seraient également internés en maternité et dans divers autres services. Comme l'a personnellement indiqué le directeur général de cette institution hospitalière, une dizaine de personnes y sont toujours gardées.



Pr. Angwafor III Fru: «C'est nous qui devrions nous plaindre...»

Il s'est montré très ouvert. A peine sollicité qu'il a accepté de se confier au Messager. Le Pr. Fru Angwafor Ill, nommé à la tête de l'Hôpital gynéco-obstétrique et pédiatrique de Ngousso en remplacement de Ndoh Anderson Sama est par ailleurs secrétaire général du ministère de la Santé publique. Il donne des éclairages sur les raisons de cette «garde à vue» prolongée de ses patients insolvables.


Pouvez-nous faire le point sur les personnes retenues dans l'institution hospitalière dont vous avez la charge?

Nous sommes contents que vous ayez le souci de connaître la vérité par rapport à l'indigence au sein de notre institution. Effectivement, c'est une question d'actualité. A ma connaissance il y a une dizaine de personnes qui sont encore là. Vous voyez bien qu'au niveau de l'institution, nous avons instauré un comité d'indigence qui se regroupe chaque deux semaines pour faire une revue des cas des personnes ayant des difficultés pour s'acquitter de leurs factures. Je voudrais d'abord vous dire que notre travail est d'abord de sauver des vies. Et la plupart des concernés c'est des personnes qui viennent parce qu'elles ont une urgence médicale. II y a des femmes qui arrivent avec des grossesses extra-utérines et dans ce cas si elles ne sont pas aussitôt prises en charge, c'est la mort. Parfois aussi c'est des accidentes ou des enfants ayant des malformations nécessitant une intervention urgente. La plupart de nos malades s'acquittent de leurs factures. Nous déplorons le cas de ceux qui, au lieu de s'organiser par le biais de la solidarité dans la communauté pour payer ces factures, rentrent dans un jeu tout en sachant bien que l'hôpital ne peut pas fonctionner sans recettes. Permettez-moi de vous rappeler que cet hôpital du fait de son statut public soigne à des prix très bas, par rapport à la qualité des services rendus. Cela signifie que les soins sont hautement Subventionnés par les pouvoirs publics. Jusque-là, nous n'arrivons pas à pouvoir faire face à la très grande demande. Nous avons même demandé pour ceux qui ont une indigence avérée, de signer soit le moratoire soit la reconnaissance de dette. Et les cas qui vous préoccupent sont effectivement ceux-là qui n'ont pas jugé utile de coopérer. Et c'est regrettable parce qu'ils ne mesurent pas quel point on s'est sacrifié pour sauver leurs vies.


Il y en a qui ont déjà passé plus d'un an dans cette institution hospitalière. Que ferez-vous si finalement ils ne payent pas?

Le problème de durée est lié à la coopération. Lorsque nous sommes arrivés ici, notre première réunion du comité date de quatre mois. Après avoir engagé le service d'actions sociales, le comité d'indigence et le service juridique, 20% de personnes, c'est-à-dire à peu prés 6 ou 7 ont payé leurs factures et ont regagné leurs domiciles. A partir de là, nous avons travaillé avec les autres. Mais le problème c'est que certaines personnes ne veulent pas coopérer. Et c'est là qu'il y a problème. Parce que lorsque nous identifions un patient qui ne peut pas payer ses factures, le service social mène une enquête. Laquelle enquête exige même une descente dans la résidence. Mais il y en a qui disent qu'ils n'ont pas de famille, pas d'amis et finalement qu'ils n'ont pas de domicile. Cela fait qu'on entre dans un blocage. Certaines personnes refusent meme de signer la reconnaissance de dette. Pourtant, il y a un processus tel que même si vous ne pouvez pas payer et que vous coopérez, on vous fait venir un tiers qui s'engage et on vous dresse un moratoire.


Que ferez-vous de ceux qui refusent catégoriquement de payer?

Nous avons comme vision de tout faire pour qu'à l'entrée de chaque malade, on connaisse sa situation sociale pour appeler à la solidarité. Nous pensons que la pro activité dans la détection de l'indigence va certainement nous aider. Je peux vous dire que le cas de la dame qui est retenue depuis 10 mois est particulier parce qu'elle n'a pas pu amener jusque-là les éléments nécessaires pour le moratoire. Je rappelle que sur les 327.000 francs CFA cette dame n'a même pas payé 1000 francs CFA. On se demande bien si cette patiente à la volonté de payer.


Pour ce cas particulièrement qu'est-ce qu'il faut pour qu'elle soit libérée?

C'est très simple. Il faut un tiers qui va signer un engagement pour ce moratoire, il dépose une copie de la carte nationale d'identité et il faut signer un moratoire selon vos capacités de régler la dette. Mais les gens refusent de signer le moratoire, disent qu'il n'y a personne pour signer le moratoire. C'est le cas de cette dame.


Ces personnes se plaignent de ce qu'elles sont mal traitées et ne reçoivent pas les soins depuis qu'elles sont internées dans cette sorte de cellule. Qu'en dites-vous?

C'est nous qui devrions nous plaindre. Voilà les gens qui sont sur la charge publique qui lui fait tout. Ils viennent avec les brulures on soigne. Ils ont l'infection on s'en occupe. Et finalement ce sont-eux qui se plaignent. Au fait, c'est dans notre intérêt de faire sortir ces gens là rapidement. Mais souvent, comme les cas de brûlures qu'on a eu à gérer, les malades guéries n'ont plus où aller. La maison est partie en fumée. Et vous les appelez otages. C'est nous qui sommes pris en otage. C'est cela le malheur dans votre communication. Ils disent qu'ils n'ont pas de nourriture. C'est faux parce que tant qu'ils sont a l'hôpital c'est notre responsabilité. Nous nous assurons de la qualité de la nourriture qui vient de notre restaurant. Nous évitons que les gens leurs donnent n'importe quoi de l'extérieur parce que s'ils ont une gastro entérique c'est encore nous qui allons soigner. S'ils étaient vraiment mal traités ils ne seraient plus là.


Vous êtes un doyen du ministère de la Santé publique. Est-ce que de votre posture de secrétaire général dudit département ministériel vous avez souvenance d'une initiative visant à mettre un terme à ce genre de situations?

Sur très haute instruction du chef de l'Etat, il a été mis sur pied des projets pilotes pour le financement de la santé et les études pour nous amener vers le partage des risques. Je pense que les équipes des départements ministériels concernés et surtout celle du ministère du travail et de la sécurité sociale sont a pied d'œuvre pour voir comment sécuriser la santé de toutes les populations, à travers la couverture des risques maladie. Vous êtes donc en plein dans l'une des grandes réalisations du chef de l'Etat. Lorsque cela aura été fait, les gens auront leurs cartes de prise en charge.


Vous continuez de cumuler les fonctions de secrétaire général du ministère de la Santé publique et de directeur général de l'Hôpital gynéco-obstétrique de Ngousso. Comment vous organisez-vous?

Mon secret c'est le partage, l'organisation. Même lorsque vous avez un seul poste, vous devez vous organiser. Une journée n'a que 24 heures. Il faut simplement faire un bon planning, connaitre les objectifs du travail et partager. Il faut surtout savoir quand il faut déléguer et quand il faut faire soit même. S'il y a une bonne communication et un bon environnement de travail avec les collègues, le tour est joué.


A votre arrivée ici, votre premier dossier était la gestion du cas Vanessa Tchatchou. Qu'est-ce qui vous avait motivé à expulser cette jeune mère de cet hôpital?

Je ne me reconnais pas dans le mot «expulser». Nous sommes arrivés et avons constaté qu'elle était partie. Je suis content que la paix soit revenue, surtout pour cette jeune dame. Je n'étais pas là. J'ai juste recoupé l'information comme vous pour savoir ce qui s'est passé. Etant donné que le cas est devant les tribunaux, je ne peux pas me prononcer sur le sujet. Mais pour notre hôpital, nous voulons rassurer les uns et les autres pour qu'ils sachent qu'il y a une complicité entre l'usager qui est notre raison d'être, le prestataire et le régulateur. Quand ces trois composantes se retrouvent regardant dans le même sens, tout le monde trouve son compte.


Il se trouve quand même qu'à un moment donné, la commission indépendante contre la corruption et la discrimination vous a ouvertement dénoncé comme étant de connivence avec l'ancien directeur général de l’hôpital et avec la magistrate soupçonnée, avec qui vous partagerez le voisinage ethnique. Cela était vrai ou faux?

J'ai des relations avec le Pr. Shanda aussi. Nous sommes tous liés. Que devrais-je faire en tant que secrétaire général du ministère. Cet hôpital à une autonomie administrative et financière. Effectivement le ministère de la Santé c'est la tutelle.


Mais avez-vous été informé par vos collaborateurs à votre arrivée que des voix s'élèvent de plus en plus pour dénoncer l'existence des réseaux de trafic d'enfants dans cet établissement hospitalier?

Je n'en suis pas informé. Et si je l'étais, je devrais frapper très fort. On doit d'ailleurs passer cette phase d'affabulation. Nous avons demandé, alors que j'étais seulement secrétaire général au ministère, que le nombre de visiteurs, de malades et de garde malades puisse être bien réglementé. Et c'est le cas ici actuellement. Pour rendre visite ici vous devez être identifié.


Avez-vous un dernier message à adresser aux potentiels usagers de l'hôpital gynéco-obstétrique?

Juste pour dire que notre hôpital à l'ambition d'être l'ami de la femme et l'ami de l'enfant. Nous avons une charte des malades qui donne à la fois des droits et des responsabilités à nos malades. Pour le moment nous sommes en train de travailler sur un plan de communication devant nous permettre de mettre à la disposition du grand public la charte du malade. Nous travaillons également sur notre site web et sur le plan de restructuration en vue de nous inscrire dans la logique des grandes réalisations prônées par le chef de l'Etat c'est-à-dire l'assistance médicale et la solidarité.




07/09/2012
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