Il y a 20 ans disparaissait le président Ahmadou Ahidjo

Ecrit par lejour   
30-11-2009

Querelle autour du rapatriement de la dépouille

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La famille et le gouvernement se rejettent la responsabilité.

Le rebondissement sur la question du rapatriement de la dépouille de Ahmadou Ahidjo est parti d’une question de Jean Paul Tchakoté, président de la section du Front social démocrate (Sdf) de France. Il voulait savoir, à côté d’autres préoccupations, si le président Paul Biya admettait « l’idée d’un dialogue national basé sur une réconciliation véritable avec le retour de la dépouille du président Ahidjo ». On peut remarquer que le président de la République du Cameroun a eu besoin d’une relance d’Ulysse Gosset, le journaliste de France 24 qui l’interviewait le 29 octobre 2007, pour s’exprimer sur le sujet : « Oui, il y a eu des événements malheureux, sur lesquels je ne reviendrait pas, en 1984, et l’Assemblée nationale, sur ma proposition, a voté une loi d’amnistie. Ceux qui ont vécu ces tristes événements ont retrouvé leurs droits, il y en a qui sont au gouvernement. Le problème du rapatriement de la dépouille de l’ancien président est, selon moi, un problème d’ordre familial ».
Et le successeur d’Ahmadou Ahidjo a poursuivi : « Si la famille de mon prédécesseur décide de faire rapatrier les restes du président Ahidjo, c’est une décision qui ne dépend que d’eux. Je n’ai pas d’objection ni d’observation à faire ».
La réaction, au Cameroun, ne s’est pas faite attendre. Interviewé par « Le Jour », le fils du premier président de la République du Cameroun a tenu des propos qui allaient à l’opposé des déclarations de Paul Biya. Indiquant notamment que la démarche de rapatriement de la dépouille de son défunt père revenait à l’Etat (cf. le jour, n°33 du jeudi 1er novembre 2007).

« Il y a un préalable. Il a été réhabilité. Comme ancien chef de l’Etat, il doit rentrer dans ses droits. Je crois savoir qu’en la matière, il y a des textes qui régissent les droits des anciens chefs d’Etat. Je demande simplement une pure application de ces textes. Dire que cette affaire relève de sa famille, ce serait aller très vite en besogne. C’est bien le gouvernement qui doit prendre cette initiative, et nous sommes disposé à collaborer », a déclaré Mohamadou Badjika Ahidjo.
Deux ans après, alors que la date d’aujourd’hui marque le 20ème anniversaire du décès d’Ahmadou Ahidjo, le flou persiste quant au retour de sa dépouille au Cameroun, et à ’organisation d’éventuelles obsèques officielles.

Jules Romuald Nkonlak

 

Emile Derlin Zinzou : Tu n’eus qu’une seule passion : le Cameroun

Extrait de l’oraison funèbre prononcée le jour des obsèques d’Ahmadou Ahidjo par son ami, l’ancien président du Bénin.

ImageAhidjo mon ami, mon frère, voici notre dernier rendez-vous, du moins en ce monde, puisque nous sommes croyants. (…) Heureux ceux qui meurent en laissant des traces, un sillon. Les sillons que tu as creusés attesteront longtemps encore aux yeux ds générations qui se succède, ce que tu fus que nul n’oserait contester : le bâtisseur, le père du Cameroun moderne. A la vérité, tu n’eus qu’une seule et grande passion : le Cameroun. Comme nous, tu as pu te tromper, commettre des erreurs et peut-être même des fautes. (…) Ce dont nous sommes assurés, c’est que dans la balance, le bien, le succès, les réussites l’emportent très largement (…) sur les erreurs (…). Nul ne pourra t’interdire d’Histoire et empêcher que celle-ci sereine et impartiale, dise que tu fus de ta patrie et de l’Afrique un grand un grand et digne fils (… Et le destin n’est point oublieux qui t’a ramené mourir en Afrique et ici (à Dakar). Pour l’authentique Africain que tu étais, c’est une grande consolation (…) ».

 

 

Bio-express

1924 : naissance à Garoua
1942 : sortie de l’Ecole primaire supérieure et fonctionnaire des Ptt jusqu’en 1946
1947 : élu à l’Assemblée représentative d Cameroun (Alcam)
1952 : élection à l’Assemblée territoriale du Cameroun (Atcam)
1953 : conseiller à l’Union française
1955 : vice-président de l’Atcam
1957 : vice-premier ministre et ministre de l’intérieur
1958 : Premier ministre, chef de l’Etat
1960 : 1er janvier : proclamation de l’indépendance
1960 (5 mai) : élu président de la République
1961 (1er octobre) : Réunification
1965 (23 mars) : réélu président de la République
1966 (1er septembre) : naissance de l’Union nationale camerounaise
1969 : élu président national de l’Unc
1969 : président en exercice de l’Organisation de l’unité nationale
1970 (28 mars) : réélu président de la République
1972 (20 mai) : la constitution du 02 juin adoptée par référendum, instaure la République unie
1975 (5 avril) : réélu président de la République
1975 (30 juin) : Paul Biya nommé Premier ministre
1979 (décembre) : amendement de la constitution : le Pm devient le successeur constitutionnel
1980 (5 avril) : réélu président de la République
1982 (4 novembre) : démission de la présidence
1982 (06 novembre) : il passe le pouvoir à Paul Biya
1983 : découverte d’un complot
1983 (27 août) : démissionne de la présidence de l’Unc. Le 14 septembre, Paul Biya devient président de la République
1984 (28 févier) : condamnation à mort par contumace d’Ahmadou Ahidjo
1984 (6 avril) : tentative de coup d’Etat militaire
1989 (30 novembre) : décès à Dakar.

paru dans le jour n°55 du
30 novembre 2007.

 

 

Mohamadou Ahidjo : “Il souffrait quand il apprenait certaines choses”

Le fils ainé de l’ancien chef de l’Etat évoque l’exil dakarois de son père.

Quelle image avez-vous gardé de votre père ?
(Secondes de silence) Mon père était un homme proche de sa famille. Il veillait personnellement sur les études  et sur tout ce qui concernait notre éducation. Malgré sa charge, il n’a jamais sacrifié sa vie de familel.

Et quel souvenir vous reste-il de l’homme qu’il fut ?
Il aimait son pays. Tout le monde est unanime là-dessus. Il tenait au Cameroun plus qu’à tout. Son cheval de bataille était l’unité nationale, en premier lieu, et le développement du pays, en second. Même pendant son exil, il s’intéressait au quotidien des Camerounais.

Vous étiez en exil au Nigéria, pendant que votre père était au Sénégal. Quel était l’état de vos relations avec votre père ?
Nous étions en contact permanent. Je me rendais de temps en temps à Dakar pour le rencontrer.

Quand vous le rencontriez, que vous disait-il du Cameroun ?
(Sec) Je ne parlais pas tellement du Cameroun avec lui. Je ne voulais pas lui faire du mal. Il souffrait quand il apprenait certaines choses.

Lesquelles ?
La situation du pays, la chute du prix du cacao, les trahisons.

Trahisons de qui ?
Je suis en retards, je dois rentrer en session (il a été élu député de la Bénoué lors des législatives du 22 juillet 2007, et fait partie de la commission des finances).

Encore une question, juste une question… Avait-il gardé des liens avec ses anciens collaborateurs ?
Il avait coupé toutes ses relations au Cameroun. Mais, il avait gardé ses relations avec les anciens chefs d’Etat avec qui il se retrouvait de temps en temps.

De quoi est-il mort ?
Il se rasait quand son cœur s’est arrêté. Il était malade. Il avait été frappé d’hémiplégie quelques mois auparavant.

La question du rapatriement de sa dépouille a été évoquée par Paul Biya le 29 octobre 2007 au cours d’une interview à France 24. Depuis lors, y-a-t-il eu des contacts entre votre famille et les pouvoirs publics ?
(Un tantinet contrarié) Non !

Vous avez répondu au président en disant que cette question relève d’une décision politique (le jour, n°33 du 1er novembre 2007). La position de la famille a-t-elle changé entre temps ?
A ma connaissance, non. (Il se lève).

Propos recueillis par
Xavier Luc Deutchoua
(Interview parue dans le jour n°55 du
30 novembre 2007).

 

 

Il y a un an à Dakar : La commémoration chez Germaine Ahidjo

Il y a un an, à la veille du 18è anniversaire du décès de l’ancien président du Cameroun, à la demande du Jour, un confrère sénégalais allait à la rencontre de Fatimatou  Ahidjo

ImageSur la route des Almadies, un quartier huppé et résidentiel à Dakar au Sénégal, la maison du défunt président du Cameroun, El Hadj Ahmadou Ahidjo, se dresse majestueusement. Il faut montrer patte blanche pour accéder à la demeure. Un service de sécurité discret veille sur les lieux. Vu le statut de réfugiés de la famille au Sénégal, tout journaliste sénégalais doit passer par le filtre de la sécurité de la gendarmerie sénégalaise, téléphoner à quelques officiels pour avoir le droit de parler politique avec les Ahidjo. Passé cette étape, la famille du tout premier président du Cameroun, décédé à Dakar, est accueillante, voire adorable.
Ahmadou Ahidjo vécut ici aux Almadies pendant six ans. Après son départ volontaire du pouvoir le 6 novembre 1984, il entra rapidement dans une brouille avec son successeur, Paul Biya, et fut condamné à mort par contumace pour tentative de coup d’Etat, avant d’être réhabilité en décembre 1991.
A la place de la veuve Germaine Ahidjo, malade, c’est sa fille aînée qui nous reçoit. Elle se nomme Fatimatou Ahidjo. Boubou finement brodé en wax de couleur marron, lunettes bien visées sur le nez, la fille est la reproduction de la mère. Fatimatou parle avec calme et sérénité, comme feu son père dont elle se prépare à commémorer le 19è anniversaire de la mort : “Nous allons faire des prières et réciter le coran sur sa tombe avec la famille et les amis. Ce sera une cérémonie simple et sobre”, confie-t-elle.
Sur la question du rapatriement du corps de l’ex-président du Cameroun, enterré au cimetière public de Dakar, elle précise. “Le gouvernement sait bien ce qu’il a à faire. C’est à lui de prendre ses responsabilités sur cette question. Jusqu’ici, il n’a fait aucun signe”. Et d’ajouter, après un regard en direction de Germaine qui, quoique malade, contrôle les propos de sa fille: “Ahmadou Ahidjo est un patrimoine du Cameroun et des Camerounais, cette question va au-delà de nous. Peut-être que le peuple camerounais veut que son défunt président repose définitivement dans son pays, mais c’est au gouvernement d’assumer cette volonté”.
La famille d’Ahmadou Ahidjo ne semble vouloir en dire plus. Elle ne semble guère avoir des contacts avec les autorités camerounaises actuelles. Quid des démarches attribuées à l’ancien président béninois Emile Derlin Zinsou? Ce proche ami des Ahidjo avait pris langue avec le président Biya pour essayer d’aplanir les divergences avec le gouvernement camerounais. “Nous n’avons aucune information sur cela, nous ne savons pas la suite qui a été donnée. C’est au gouvernement de dire ce qui s’est passé”, insiste Fatimatou.
Dans la communauté camerounaise de Dakar, les avis sont partagés sur la question du retour au bercail de la dépouille de l’ancien chef de l’Etat. Pour Guy Ekani, étudiant en journalisme à l’Institut supérieur d’enseignement et de gestion de Dakar, “c’est au gouvernement de le faire. Je pense d’ailleurs que ce sera tout bénéfice pour le président Paul Biya, une manière de redorer son blason après les conditions dans lesquelles il avait lâché son mentor d’alors”. Selon lui le Président Paul Biya pourrait rallier à sa cause, tout le clan de l’ex-président Ahmadou Ahidjo.
Arouna Nyayou, étudiant à la Faculté de médecine à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar et président de l’Association des étudiants camerounais au Sénégal, estime que c’est du ressort de la famille du défunt. “C’est elle la première concernée. Je pense que le gouvernement avait manifesté sa volonté mais qu’il y a eu des couacs entre les deux parties “, révèle-t-il. A son avis, le gouvernement pourrait aussi en tirer bénéfice. Mais il souligne que le retour de la dépouille de Ahmadou Ahidjo peut aussi être gênant pour le président Paul Biya et donner lieu à une exploitation politicienne. Arouna Nyayou confie que beaucoup de Camerounais de passage au Sénégal se font le devoir d’aller prier sur la tombe de leur ancien président. “C’est une manière de lui rendre hommage pour ce qu’il a fait pour la nation”.

Alassane Samba Diop,
Radio Futur Media, à Dakar

 

 

Réactions

Louis Tobie Mbida, président du Parti des démocrates camerounais

Oui au retour de la dépouille mortelle du président Ahidjo aux frais de l’Etat, avec tous les honneurs qui lui sont dus, et à l’organisation  des obsèques nationales, avec journée de deuil national.
 

Banda Kani, président du Manidem

Le souvenir que je garde du président Ahidjo bien après sa mort, est celui d’un dictateur qui a bâti son régime sur le massacre de ceux qui luttaient pour l’indépendance réelle de notre pays le Cameroun. C’est également le souvenir de quelqu’un qui était aliéné. Si on enlève l’intermède de la guerre de Biafra et l’affaire de Air Afrique où il décide de créer la Camair, on relève que Ahidjo s’est aligné autour de la conception française des intérêts de l’Afrique et du Cameroun. Ainsi, Ahidjo n’a pas travaillé pour l’émancipation du peuple camerounais. Il a travaillé pour la France, pour la consolidation de son pouvoir personnel, pour les fonctionnaires et quelques affairistes qui gravitaient autour de son régime. Je crois que  sa fin est assez révélatrice de ce que l’histoire sait rendre justice. Lui qui a contraint des milliers de Camerounais à l’exil forcé, lui qui a estimé que nos héros qui sont morts ne devaient pas être enterrés dignement sur leur terre natale ; a après sa mort son corps toujours à l’extérieur. Alors que nous fêtons les 20 ans de la mort d’Ahidjo, il est bon de rappeler que les contentieux historiques qui opposent le Cameroun à la France sont loin d’être réglés. Dans le cadre du règlement de ces contentieux, il faudra envisager une véritable politique de réconciliation nationale au Cameroun. Cela dit, à sa décharge on doit reconnaître qu’il a dirigé l’Etat d’une main ferme et que les hauts fonctionnaires savaient à quoi s’en tenir. Vivement que nous tournons cette page de notre histoire qui ne fait pas grandir le Cameroun.

 

Hilaire Ham Ekoué, chargé de la communication et de la Presse à L’Upc

Mis à part le fait que Ahidjo était le premier président du Cameroun, je n’ai pas d’autre souvenirs de lui. Sinon, je crois que son successeur, M. Paul Biya, le lui a très bien rendu, puisqu’il a passé toute sa vie à faire de la dictature. Durant tout son règne, il n’a jamais eu de la considération pour les morts. Il a passé sa vie à maltraiter les siens, en particulier les héros et martyrs de ce pays qui ont lutté pour l’indépendance du Cameroun. Il a d’ailleurs délibérément passé la main à son successeur qui continue de marginaliser le peuple camerounais. D’ailleurs, on a le résultat que l’on a aujourd’hui. Un pays sans mémoire historique.

 

Robert Wafo, chargé de la Communication au Sdf

Ahidjo était le premier président du Cameroun et à ce titre, j’estime pour ma part qu’au delà de ce que l’on peut dresser comme bilan économique politique ou social, il est bon qu’on organise les obsèques nationales en sa mémoire. Il ne faut pas oublier qu’il a été le premier président de ce pays. En outre, en tant qu’Africain, en tant que Bantou il ne serait pas juste de faire comme s’il n’avait jamais existé. Toutefois, on peut lui reprocher le musellement de la liberté d’expression et de la liberté politique. Mais, en même temps, on peut lui reconnaître le mérite d’avoir posé les jalons économiques. A titre d’illustration, aucun Camerounais ne peut oublier les fameux plans quinquennaux.

Propos recueillis par Christelle Kouétcha


02/12/2009
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