Humour: ALLÔ, LA BANQUE MONDIALE ?

Gsm:Camer.beL’autre jour, dans une grande métropole africaine, excédé par l’insoutenable pauvreté ambiante (faut voir ces hordes de femmes et d’enfants vendre de la nourriture à emporter au milieu de tas d’immondices en putréfaction pour le croire), excédé donc par l’insupportable pauvreté ambiante et la prodigieuse faculté d’adaptation des corps noirs à la misère, je stoppe tout pas supplémentaire en quelque direction que ce soit me disant que c’en est trop quand même, saisi mon téléphone portable et appelle qui vous savez peut-être pas encore : Bretton Woods ! Les institutions de Bretton Woods !

- Allô, Bretton Woods ? Passez-moi les institutions, je vous prie…

- Euh !… Monsieur, vous faites erreur : ici c’est le Fonds…

Et l’on raccroche sèchement à l’autre bout du fil.

Ben mince ! Si c’est comme çà qu’ils traitent les gens… Je ne me décourage cependant pas. Je redial the number, et l’on décroche :

- Allô ! Les institutions de Bretton Woods ?

- Euh !… Monsieur, vous faites erreur : ici c’est la Banque…

Le type veut raccrocher à l’autre bout mais, plus rapide, je le coiffe sur le fil :

- Allô ! C’est comme çà que vous traitez les pays pauvres ? que je balance. Dans le mille, apparemment, car, à l’autre bout, visiblement, la ligne de conduite est plutôt préoccupée. J’avais atteint la fibre sensible : la fibre de verre, comme on dit aux télécoms.

- Allô ! De quel pays s’agit-il, Monsieur ? interroge le fonctionnaire.

- D’un pays pauvre très avancé dans la misère, que je rétorque.

- Allô, Monsieur, vos précisions sont insuffisantes, Monsieur. Il nous faut savoir, avant toute stratégie de réduction de la pauvreté c’est à dire avant toute stratégie d’intervention, il nous faut savoir, Monsieur, si nous avons affaire à une République bananière, forestière ou, mieux, pétrolière peut-être. Allô !… Allô ?…

J’avais raccroché. Excédé que j’étais.

Quelque temps après, je me ravise. Après qu’un ami, fonctionnaire international de son état, m’ait averti du risque : « On ne raccroche pas au nez de la World Bank », conseille t-il.

Quelques jours après, je rappelle de nouveau encore, en me foutant pas mal d’un pléonasme qui, de toute façon, ne pouvait avoir d’incidence sur le peu de pèze qui me restait tant mes poches étaient légères.

* Allô ! Le Fonds ?…

- Euh… Monsieur, vous faites erreur, ici c’est la Banque.

Le mec veut raccrocher. Manque de pot, je m’accroche.

- Allô, ça tombe bien justement : je voulais en réalité la Banque… Euh, c’est pour les fonds…

- Monsieur, soyez concis !

- Allô, dis-je, il s’agit d’une République bananière, quelque peu forestière et pas mal pétrolière…

- Parfait ! Monsieur. Veuillez rappelez dans dix minutes très exactement.

Douze minutes très exactement après, je rappelle, outré comme pas deux.

- Allô, la Banque Mondiale ? C’est grave ici ! On m’a volé mon Nokia ! Celui-là même avec lequel je devais vous appelez il y a deux minutes. Allô ! La galère va nous finir ici dehors… Allô, j’appelle d’une cabine… Le compteur défile ! … Allô, notez mon numéro …

Et je raccrochai plus vite que l’ombre de mes doutes car une question cruciale se posait : ces salauds de Bretton Woods appelleraient-ils jamais ? Poser la question donnait déjà la réponse. Ceci étant, je prends attache avec un mien cousin au central téléphonique, qui me branche sans fil et sans frais sur Bretton Woods et ses institutions.

- Allô !… La Banque Mondiale ? Passez-moi le Fonds, s’il vous plaît. Ou inversement si je me trompe.

- Non Monsieur, vous ne vous trompez pas. A qui avons-nous l’honneur, je vous prie ? s’enquiert-on au bout du fil à retordre que j’allai donner.

- A un pays pauvre qui ne sait exactement à quoi rime votre lutte contre la pauvreté aujourd’hui !

- Allô ! Épargnez-nous, Monsieur, ce sombre de cloche, je vous prie. Sont-ce les fonds qu’il vous faut ?

- Allô ! Ce qu’il me faut, Monsieur, c’est la réponse claire à une question toute simple : en luttant contre la pauvreté seulement aujourd’hui, que faisiez-vous donc hier ?

- Allô, Monsieur, j’ignore exactement à quoi vous voulez en venir mais, ce dont je puis vous assurer, certifier ou garantir, c’est qu’à la Banque, c’est le Fonds qui manque le moins…

- Ce qu’il me faut savoir, Monsieur, c’est la réponse claire à cette autre question toute aussi simple : Si hier, comme c’en a tout l’air, à la Banque, vous ne luttiez point contre la pauvreté, contre quoi, au fond, luttiez-vous donc alors ?

- Allô, Monsieur, les Fonds de la Banque Mondiale peuvent être disponibles dans les délais les plus brefs, sinon les plus courts : c’est une question de relativité.

- Raison pour laquelle je demande : était-ce contre les riches et leur richissime enrichissement ?

- Allô ! Nous disions que dans des délais plus courts que vous ne l’imaginez, les fonds demandés peuvent être débloqués.

- Evidemment non ! Puisque c’est avec ces mêmes riches des tristes tropiques que vous organisez aujourd’hui, à tour de « bêp-bêp », des campagnes de lutte contre la pauvreté.

- Allô ! Monsieur, savez-vous que les montants de ces fonds peuvent atteindre un million de dollars US ?

- Alors, quand cesserez-vous à Bretton Woods de combattre les pauvres avec la complicité de vos amis des Républiques bananières ?

- Allô, vous représentez-vous bien un million de dollars, Monsieur ? Un million de dollars viré dans un compte numéroté. Retraite assurée, progéniture protégée !

- En vérité, vous avez si bien poussé un peu trop loin le bouchon dans votre lutte contre les pauvres…

- Allô ! En petites coupures alors…

- … que désormais il vous faut mettre un peu d’eau dans votre vin…

- Vingt ? Vingt millions de dollars, vous dites ? Allô ?…

- …avec le slogan très bien trouvé : « Luttons moins désormais contre les pauvres en faisant semblant de lutter contre la pauvreté. »

- Allô ! Monsieur. Ne raccro…

- Mofdé1, kuon2 !

J’avais, pour de bon cette fois, définitivement raccroché, laissant à la Banque et à son Fonds l’entière responsabilité du pléonasme conclusif. Ce n’est tout de même pas le poids de cette charge nouvelle qui alourdira les responsabilités qui sont les leurs dans la banqueroute généralisée de nos économies sinistrées.

1 Insulte en pidgin  signifiant : « Fous le camp ! »

 2 Déformation locale de l’insulte « con ».

© Correspondance : Théophile NONO


01/02/2013
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