Hubert Mono Ndjana: «Si le président Paul Biya n’est plus là, le parti pourrait se retrouver dans la rue»

DOUALA - 23 MARS 2012
© Arthur Wandji | La Nouvelle Expression

ncien dirigeant du Rdpc, le philosophe politicien analyse l’évolution du parti et scrute les défis qui se posent désormais à lui.


Hubert Mono Ndjana
Photo: © LNE
Quelle description faites-vous de l’évolution du parti depuis le congrès fondateur de Bamenda de mars 1985 ?

Jusqu’à ce jour, on peut noter une très grande évolution. Non seulement dans l’amélioration du personnel du parti, mais également dans son mode de fonctionnement. Pour le personnel par exemple, notons qu’en 1985 et quelques années après les intellectuels n’étaient pas intéressés par l’engagement politique. Certains estimaient même que l’intellectuel doit faire preuve d’une grande distanciation par rapport au parti. Mais avec le temps, ces derniers sont rentrés tranquillement dans le parti et portent aujourd’hui l’écharpe en guise de militantisme. Sur ce plan, le parti a gagné en intelligence avec l’entrée de brillants cerveaux. Maintenant sur le plan du mode de fonctionnement, le parti a commencé à se démocratiser lui-même pour donner l’exemple. Je crois que c’était en 1986 où le parti a tenté les premières opérations de désignation démocratique de son personnel à l’interne avant de procéder au militantisme externe dans les années 90. Et puis le multipartisme est donc venu en force avec des dérapages qui caractérisent toujours le début de certains processus.


Le président Biya est resté à la tête du parti depuis 1985 en se faisant réélire à chaque fois par acclamation, sans qu’un adversaire de poids lui ait été opposé. Cela épouse-t-il l’idéal démocratique ?

Cela tient des dispositions du statut Rdpc. A cet effet, le Rdpc dispose dans ses statuts que le président national est le candidat tout désigné pour représenter le Rdpc face à d’autres candidats. Sur ce plan le Rdpc est conforme aux dispositions statutaires et on ne peut pas le lui reprocher.


A la veille du congrès de septembre 2011, le débat sur le cumul des fonctions de président du parti et président de la république a refait surface. Jusqu’à quand cela va-t-il perdurer ?

Je ne sais pas. Je ne sais pas si l’accumulation des fonctions est l’unique modèle démocratique dans le monde. Dans les traditions du pouvoir africain, nous rencontrons le chef incontesté d’une communauté qui tient à la fois les rênes politiques, traditionnelles et religieuses. C’est une base sur laquelle on peut partir pour voir comment on peut moderniser nos affaires. Les démocraties désordonnées de l’Occident ne sont peut être pas l’idéal qu’on peut implanter actuellement dans notre pays. Est-ce qu’on doit appliquer les alternances de 4 ans chacune au risque de désintégrer le pouvoir et à fragiliser les projets qui y sont implémentés? Je ne pense pas.


Après sa réélection lors du congrès susmentionné, le président Biya a engagé ses camarades à la nouvelle dynamique et aux grandes réalisations. Que peut apporter le parti dans l’atteinte de ces objectifs ?

Il y a d’abord l’énergie qui inspire les réalisateurs. Personnellement, je ne suis pas très à l’aise avec le concept des grandes réalisations parce que cela suppose que rien n’avait été grandement réalisé. Or il y a des réalisations qui sont là. Ca suppose une certaine rupture entre l’évolution qui existait auparavant et la nouvelle évolution. Mais en fait ce sont des concepts et des slogans de mobilisation. Mais le Rdpc doit continuer à conduire les réalisations. N’oublions pas que le Rdpc est le moteur de développement en tant qu’inspirateur de la politique du Gouvernement.


L’un des grands chantiers du président est justement la réforme du système démocratique. Le Rdpc a souvent semblé freiner des deux fers pour aller vers un processus électoral plus crédible … (le cas de la marche contre le multipartisme précipité en 1990)

La marche contre le multipartisme en 90, c’était contre un multipartisme précipité, non préparé. C’est pour avoir pris assez de temps par prudence que la démocratie s’est progressivement installée d’abord au sein du parti, ensuite au sein du pays. Il ne fallait pas ouvrir les vannes au point de se faire submerger soi-même. Cette marche était donc fondée et c’était une question de méthode. On engageait les enthousiastes de tout changer modérément. Aujourd’hui ce n’est plus la même chose, nous sommes déjà lancés dans la mobilisation pour les grands projets. Et nous devons profiter de l’embellie économique qui fait que l’argent qu’on exporte plus pour payer la dette nous permet de construire les villes de Yaoundé et Douala par exemple. Ce sont là des paradigmes des grandes réalisations visibles et perceptibles.


Avec l’introduction de la biométrie et la réforme annoncée du code électoral, l’on peut supposer une relative transparence des prochaines élections. C’est un coup dur pour le parti ?

Non, parce que c’est le parti qui impulse l’adoption de ces nouvelles mesures d’identification. La biométrie est un processus très moderne pour l’inscription sur les lites électorales également pour les électeurs. Si le Rdpc adopte ces mesures cela veut dire qu’il ne peut donc pas avoir peur de ce processus. Parce qu’au fond, les émetteurs du Rdpc ont souvent été pours la transparence, mais comme on dit les habitudes ont la peau dure. En tant qu’ancien du Rdpc, dans le temps, la transparence n’était pas totale. Il fallait faire la toilette au sein du parti et enlever les caciques qui ne voulaient pas du changement.


En prélude à cette célébration du 27e anniversaire du parti, on annonce déjà des grands meetings régionaux, ainsi que les agapes et les beuveries qui vont avec. On ne semble ne pas être sorti du parti où « on danse plus qu’on ne pense »…

On annonce les meetings, mais pas les agapes. Mais il y a une chose qu’il faut dire, c’est qu’en Afrique vous ne pouvez pas réunir un grand rassemblement d’hommes et de femmes pour leur dire un message sans leur donner à manger et à boire : ce sont des traditions africaines. On ne pas cesser d’être africains sous prétexte qu’on va évoluer dans la démocratie.


Après 27 années d’existence et un bilan somme toute mitigé, pensez-vous sincèrement que le Rdpc survivra à ce leader qui est le seul décideur du parti ?

C’est une grande question concernant l’avenir du Rdpc, sa survie et son devenir en tant que structure à modifier. Je crois que ça doit être la grande préoccupation aujourd’hui et c’est à ça qu’il faut penser plutôt que danser. Je pense que pour bien envisager cette question, il faut que le Rdpc fasse un effort pour changer son local. J’imagine une élection où par la force des choses le Rdpc ne gagne pas. Et bien le lendemain matin où va-t-il entrer? Dans quels locaux vont réintégrer les cadres de ce parti? J’avais toujours suggéré que le Rdpc change ses locaux, pour montrer que c’est un parti qui peut se battre comme les autres, pour survivre à des changements éventuels à la tête du parti. Si le président Paul Biya n’est plus là aujourd’hui, le parti perdra de son énergie essentielle et pourrait se retrouver dans la rue. Moi je voudrai que le Rdpc soit un parti comme les autres, qu’il ne profite pas toujours des structures qui n’étaient pas à l’origine dévolues de ce parti et qu’il se taille un abri à sa mesure. Pour moi, la grande question, c’est que sera le parti si le président Biya cesse de le diriger? Il faudrait la construction d’un local et d’un label Rdpc. Ceci lui donnera la physionomie d’un parti qui se bat et non pas d’un parti qui profite des acquis ne lui appartiennent pas.



23/03/2012
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