Henriette Ekwe.“J’ai été torturée par un certain Fochivé Mama Jean”

Journal Le Jour 31/03/2011
 Henriette Ekwe.“J’ai été torturée par un certain Fochivé Mama Jean” . 



Henriette Ekwe. Elle revient des Etats-Unis d’Amérique où elle a reçu le prix du courage féminin.

Vous venez de recevoir à Washington D. C., le prix du courage féminin. Il y a eu beaucoup d’information sur des menaces sur votre personne, puis votre retour au pays. C’est quoi le prix du courage féminin ?
Ce prix a été créé en 2007 par madame Condoleezza Rice, secrétaire d’Etat des Etats-Unis.

Le prix a été créé pour encourager et mettre en lumière, les personnalités féminines qui ont mené des combats sur tous les fronts. Il a donc été institué pour que des femmes, lorsqu’elles ont mené des combats, soient reconnues aux niveaux national et international. Parmi les femmes qui ont été primées, il y avait une Mexicaine qui mène une lutte acharnée contre les cartels de la drogue. Il y avait une juge afghane qui se bat pour les droits de la femme en Afghanistan ; pays où les talibans sévissent. Il y avait une Pakistanaise qui a été mariée à douze ans puis répudiée par son mari. Revenue dans sa famille, elle est régulièrement battue par son frère qui l’accuse d’avoir déshonoré la famille. Elle a compris que la meilleure chose à faire c’était d’aller à l’école.

Elle a créé une Ong pour l’alphabétisation des femmes, pour défendre les droits de la femme et empêcher les mariages précoces. Il y avait une député hongroise, première Rome du parlement. Son combat c’est lutter contre la marginalisation des Rome. Elle milite dans un parti qui s’appelle « Faire la politique autrement ». Il y avait aussi une Jordanienne qui dirige une Ong pour les droits des femmes et l’amélioration de l’égalité des sexes. Egalement, une bloggeuse cubaine qui essaie de mettre en ligne l’actualité politique de son pays. Une avocate chinoise qui après le sommet de Beijing, a créé la première Ong pour la défense des droits des femmes. Une Biélorusse qui se bat pour les droits de l’homme dans son pays. Et puis, moi-même, pour le combat de ma double vie. Une vie de combattante pour la liberté et les droits de l’homme, combattante contre la corruption, combattante pour les droits de la presse, avec notamment l’affaire Bibi Ngota.

Pouvez-vous nous relater les circonstances exactes de votre sortie du Cameroun pour la réception de votre prix?
Quelques jours avant mon départ, j’ai eu un coup de fil de maître Alice Nkom qui allait au Gabon, et qui a été retenue à l’aéroport international de Douala. Plus tard, on l’a libérée, m’a-t-elle dit, en lui disant que l’on croyait qu’elle était Henriette Ekwe. J’en ai immédiatement parlé à mon ami Anicet Ekanè, avec qui je suis allée voir le commissaire spécial de l’aéroport. Le commissaire a dit qu’il n’était pas au courant. Il a même donné un laissez-passer à Anicet pour m’accompagner jusqu’à la salle d’embarquement. Et j’ai pris mon avion pour Paris-Washington.

Lorsque vous arrivez à Washington, l’on apprend au Cameroun que vous avez été victime d’une tentative d’agression, dans votre chambre d’hôtel. Qu’est-ce qui s’est passé en réalité ?
Ma deuxième nuit à Washington est assez difficile parce que je reçois la visite d’un monsieur qui frappe doucement comme si c’était convenu. C’est quelqu’un que je n’avais jamais vu. Je lui ai demandé ce que valait cette visite. Et il m’a répondu en anglais « open this door ». Ce manège a duré jusqu’à trois heures du matin. Parce qu’il allait et il revenait. Je ne reconnaissais pas le numéro de la réception de l’hôtel. Par contre, j’ai envoyé un mail à un ami qui est très actif sur le net. Je suis retournée vers ce monsieur à qui j’ai dit que j’avais prévenu des gens au cas où il m’arrivait quelque chose. Il est parti et il n’est plus revenu.

Quelle est la nature des entretiens que vous avez eus avec les responsables du Département d’Etat, préalablement à la réception du prix ? Avez-vous pris des contacts sérieux à cette occasion ?
Il n’y a pas d’entretien en tant que tel. On est convié à un déjeuner, les gens parlent et discutent un peu de leur pays et c’est tout. C’est le lendemain qu’il y a eu une conférence de presse. Nous n’étions pas là pour les entretiens, nous étions là pour le prix. Ce prix met en contact avec beaucoup de personnalités qui comptent à Washington. Et c’est seulement des échanges de contacts.

L’honneur vous est revenu de dire le mot de remerciement, au nom de toutes les autres lauréates. Qu’est-ce que a motivé un tel choix et qu’avez-vous dit dans votre propos ?
Madame Clinton a fait savoir à l’ambassade des Etats-Unis à Yaoundé qu’il me revient de tenir le discours de remerciement au nom de tous les lauréats. Qu’est-ce que j’ai dit ? Alors, je remercie pour l’honneur et le privilège de recevoir ce prix. Je souligne que lorsque chacune de nous s’engageait dans l’action, nous ne rêvions pas de devenir des héroïnes. Nous étions mues par nos profondes convictions. Les circonstances de l’histoire nous ont placées là à ce moment. Et nous nous sommes engagées chacune dans son secteur, comme pour accomplir un devoir qui nous a échus, malgré nous. Et nous l’avions fait au mépris du prix que nous allions y mettre. La haine. La répression, la torture, la marginalisation. Et toute forme de violence physique et psychologique. Nous gardons en mémoire, le fait que les Etats-Unis, au fil de l’histoire et de l’adversité, se sont battus pour forger une démocratie moderne. Notre volonté à toutes est de faire de nos pays respectifs, un lieu où il fait bon vivre, où tous les citoyens jouissent sans

restriction, de tous leurs droits. Et nous nous battons pour éradiquer nos sociétés des maux qui les minent. Au nom de mes courageuses sœurs, je cite les noms, au fond de notre cœur, nous disons merci au Département d’Etat des Etats-Unis d’Amérique.

Puis arrive cette fameuse conférence de presse où vous tenez des propos qui ont irrité les autorités camerounaises. Qu’est-ce que vous avait déclaré aux journalistes américains ?
Après la cérémonie de remise du prix, j’ai été conviée par Hilary Clinton à participer à une émission de télévision sur la chaîne Abc, et plus tard, j’ai été choisie pour donner avec la procureure afghane pour donner une conférence de presse où on a posé beaucoup de questions sur ce qui se passe dans le monde, sur l’Afrique arabe, la Tunisie, l’Egypte et la Libye. J’ai parlé du fait de la sous-représentation des femmes dans les sphères de décision. J’ai parlé de la conférence de Beijing qui a fait obligation aux Etats membres de l’Onu de s’assurer que les femmes ont 30% de représentation au moins à tous les organes de décision. J’ai parlé du fait que sur 180 députés à l’Assemblée nationale du Cameroun, on n’a que 22 femmes. J’ai dit qu’on a beaucoup de problèmes, notamment le fait que l’opposition ne veut pas d’Elections Cameroon, constitué des gens qui ont parfois participé à la répression et à la torture, que l’opposition ne peut pas se déployer normalement. Et si rien n’est fait, on peut assister au type d’événements qui se produisent ailleurs. D’ailleurs, le peuple était dans la rue en 2008.

Les combats de votre vie qui durent depuis plusieurs dizaines d’années, vous les résumez à quoi aujourd’hui ?
J’ai eu jusqu’ici deux vies. Une vie de militante et dirigeante politique, et une vie de journaliste. Comme militante politique, on a pris le relais d’Ernest Ouandié. Nous nous sommes battus pour l’organisation d’une table ronde. Cette lutte c’était sous Ahidjo et sous Biya. Il y a eu des emprisonnements, des déportations à Tcholliré. Le dernier cas d’emprisonnement c’était Ekanè et moi. Nous avons connu beaucoup de répressions, notamment avec l’Upc. Nous avons payé un prix cher. Il y a eu des femmes hémiplégiques. La torture avec un certain Fochivé Mama Jean. Cette lutte nous a aguerris et lorsque la démocratie est venue, nous n’avions ni haine ni rancune. Après 1990, j’ai continué dans le parti et c’est en 94 que j’ai décidé de reprendre ma liberté, comme journaliste. J’étais déjà journaliste avec Mezui et Kamerun Nouveau. Nous avions écrit à l’époque, dans Kamerun Nouveau, que le combat pour la victoire volée, il faut le laisser de côté et passer à autre chose.

On nous a taxés de tous les noms. Et Kamerun Nouveau légalisé en 1993 était boycotté. On nous ramenait parfois des ballots non déballés de Kamerun Nouveau, qui n’a pu survivre. Ensuite, je vais à la presse privée, à La Nouvelle Expression et nous fondons un syndicat. Je suis élue vice-présidente de l’Union des Journalistes du Cameroun (Ujc). A la Nouvelle Expression, nous faisons une élection du délégué du personnel. La personne qui est élue, à savoir Suzanne Kala Lobè, nous abandonne. On jette nos camarades dehors, et moi, secrétaire général de La Nouvelle Expression, je démissionne. Je vais au journal Le Front. En décembre 2005, l’ambassade des Etats-Unis à Yaoundé donne une liste de personnalités qui ont volé et qui ont des comptes en banque. Nous menons le combat contre la corruption, nous publions cette liste. Le ministre des Finances de l’époque, Polycarpe Abah Abah nous poursuit de tribunal à tribunal. Nous sommes condamnés, abandonnés même par nos confrères. Nous avons bataillé dur et les regards ont changé lorsqu’on a commencé à arrêter les gens. La patronne de Transparency International qui vient au Cameroun, est surprise que nous soyons inactifs.

Il y a des problèmes à Transparency, et moi en tant que vice-présidente, j’assure l’intérim. Il va commencer une bataille terrible avec mes camarades qui vont dire à Berlin que j’ai dévoyé Transparency. Je fais une tribune dans Le Front intitulée « moi Henriette Ekwe, subversive et fière de l’être ». A l’époque, Me Akere Muna était avocat de Sani Abacha, avocat des gens poursuivis au Cameroun. Pour ça, je n’étais plus à l’aise. Aux élections à Transparency, certains de ceux qui me supportaient ont été mis de côté. Nous avons claqué la porte. Plus récemment, les prises de position à la télé pour plus de liberté, les droits de l’homme etc., n’ont pas plu à certains. La hiérarchie police-gendarmerie-armée et Dgre m’a convoqué pour me dire que leur travail c’est la guerre. Il y avait déjà des démarches policières, pour comment faire taire Henriette Ekwe. Ma maison est surveillée, mais c’était déjà le cas depuis 1991.

Dès que j’ai appris la nouvelle de l’interpellation des journalistes Harrys Mintsa, Sabouang, Kooh et Bibi Ngota, je suis allée faire un scandale à la Dgre. J’ai dit aux collaborateurs de Oubelabout que lorsqu’on cache un détenu, c’est qu’on est entrain de le torturer, que les lois avaient changé et qu’il n’y avait plus de place pour les détentions arbitraires. Surtout qu’il n’y avait aucune lettre signée du Sgpr, Laurent Esso. Puis j’ai fait ce communiqué pour protester contre les tortures des journalistes, menaçant de porter plainte contre la police. Voilà quelques éléments qui ont poussé l’ambassade américaine à Yaoundé à s’intéresser à moi et à me proposer pour ce prix.

Propos recueillis par Denis Nkwebo


31/03/2011
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