Hassana Tchiroma, « M. Biya n’a pas encore évacué la rancune du coup d’Etat du 6 avril 1984"

Hassana Tchiroma, « M. Biya n’a pas encore évacué la rancune du coup d’Etat du 6 avril 1984"

Cameroun : Hassana Tchiroma, « M. Biya n’a pas encore évacué la rancune du coup d’Etat du 6 avril 1984"Hassana Tchiroma, ex-secrétaire national à l’organisation du Fsnc

Dans cet entretien, le natif de Garoua remonte en surface ce que pense la population du régime Biya et surtout de l’arrestation de Marafa Hamidou Yaya, considéré ici par la majorité comme leur porte-voix.

Que disent les populations sur l’arrestation de Marafa ?
Les populations disent en sourdine que Marafa est victime d’une conspiration. Et dans ce panier, il y a tout, pour la simple raison que les gens remontent jusqu’à la succession controversée qu’il y a eue au sommet de l’Etat. Depuis ce triste instant, il y a eu une série répétée d’événements qui fait qu’elles soient dans l’impossibilité d’accepter aujourd’hui un quelconque détournement de deniers publics. Dans un premier temps, il se dit que la passation de pouvoir entre Ahidjo et Biya s’est déroulée dans un climat très satisfaisant pour toutes les populations du Septentrion. C’est le président Ahidjo qui avait fait le tour pour expliquer aux populations comment et pourquoi, dans quel contexte cette passation de pouvoir avait eu lieu, qu’est-ce qui s’était passé entre les deux hommes et pourquoi il faudra désormais soutenir son successeur constitutionnel M. Biya.

Pour les populations, si la succession s’est passée de manière paisible, pourquoi Ahidjo a été condamné à mort ? Le problème du coup d’Etat peut être compris puisque la garde républicaine était composée pour la plupart des éléments d’origine nordiste. Elles peuvent comprendre le différend né à la suite de cette mutinerie. Mais, ne comprennent pas que la rancune née à la suite de ce coup d’Etat ne soit pas évacuée entièrement jusqu’aujourd’hui. Selon les populations, M. Biya n’a pas encore évacué la rancune du coup d’Etat du 6 avril 1984. Les populations ne comprennent pas qu’il y a eu en amont l’amnistie et que celle-ci ne se manifeste pas en aval, qu’elle ne soit pas perceptible au niveau de la base. La famille d’Ahidjo n’a pas jusqu’aujourd’hui la pension. La suite logique c’était de verser la pension à la famille d’Ahidjo en tant qu’ancien chef d’Etat. Effectivement les responsables politiques du Septentrion s’étaient accrochés sur le rapatriement du corps d’Ahidjo, mais c’était pour ceux-là une manière d’avoir accès à la mangeoire et non pour poser clairement les problèmes des populations du Nord. Autant le comportement des politiciens agace autant celui du chef de l’Etat qui n’a jamais oublié l’affaire du coup d’Etat du 6 avril agace aussi. La région du Nord n’a jamais été pardonnée.

Marafa serait donc une victime de cette rancune ?
Marafa n’est qu’une infime partie d’une série d’événements qui montrent que le Nord est sacrifié. Les gens vont plus loin en commençant par Sadou Hayatou. Après la tripartite, il s’était dit qu’il avait eu des contacts faisant de lui un président. Il avait joué la carte de la fidélité et avait refusé tout cela. Le président Biya avait été très content de lui mais une rumeur avait même courue que Sadou voulait prendre le pouvoir. Sauf que Sadou Hayatou avait bien travaillé et pour le récompenser, le président l’avait nommé à la Beac. Les gens ont compris que c’était pour l’éloigner du pouvoir parce qu’on avait dit qu’il était présidentiable et comme le chef de l’Etat ne veut pas des présidentiables autour de lui, on l’a éloigné. Ce sont des choses que nous apprenons ici. La suite est que lorsque Sadou prend sa retraite, il est victime d’un mal capricieux que nous ne pouvons pas justifier. Dans l’imagerie populaire ici à Garoua, cette maladie n’est pas naturelle. Elle ressemble à celle inoculée à Ahidjo.

C’est dans la suite de cette série d’événements qu’on peut mettre Marafa. Ce dernier avait promis de jurer sur le Coran qu’il ne savait rien de l’affaire Albatros. Des gens lui ont même demandé de fuir, mais lui avait toujours refusé, parce que rassuré de son innocence. Il a toujours dit qu’il ne se reproche de rien. Par ailleurs, toujours dans l’imagerie populaire, depuis la succession au pouvoir de M. Biya, il n’y a eu un investissement d’envergure dans tout le Septentrion. Tout cela participe de cette rancune tenace née peu après le 6 avril. Marafa entraine tout cela aujourd’hui, surtout que cela a été encouragé par un entourage hostile qui faisait constamment des petits bouts de papier pour envoyer au président Biya. Ceci pour expliquer les mouvements et respirations de Marafa. Un entourage hostile venu de partout, même dans le Septentrion.

Tout le monde connait le problème entre la famille Hayatou et Marafa. Tous connaissent également la guéguerre entre Marafa et Bayero Fadil. Même le président de la République peut être induit en erreur dans le cas Marafa. Tout ceci peut arriver. Les gens ne croient pas du tout à l’affaire Marafa, mais plutôt à une conspiration surtout que cela a été facilité par la publication d’une lettre du ministre Amadou Ali qui innocentait le ministre Marafa. Dans cette correspondance, il est clairement dit que les enquêtes menées n’ont constaté aucune charge majeure imputable à M. Marafa. La réponse à cette correspondance a renforcé l’idée d’une conspiration. Comment le secrétaire général du comité central du Rdpc peut-il demander une enquête sur l’état judiciaire et comptable de certains de ses militants dont de Marafa ? En quelle qualité demande-t-il une enquête sur l’état judicaire et comptable de certains de ses militants ? On aurait pu comprendre cela avec sa casquette de secrétaire général adjoint de la présidence de la République mais pas en tant Sg du comité central. C’est très maladroit. A la suite de cette enquête, il s’est avéré que Marafa n’était inquiété nulle part. Il évoque d’ailleurs cela dans sa première lettre. Marafa a été pendant près de 20 ans le plus proche collaborateur du chef de l’Etat et il était en même temps le messie du Septentrion. Lorsqu’il arrivait, tous les problèmes des populations lui étaient rapportés. Un matin on vous dit qu’il est méchant, voleur. Ce n’est pas facile pour les populations de comprendre ce revirement brusque. Tout au contraire, elles assimilent tout cela à la conspiration.

Comment faire pour calmer les populations du Nord, notamment celles qui soutiennent Marafa ?
Se pencher rapidement sur l’affaire Albatros dans un procès équitable, transparent et sans pression aucune. Cela peut permettre d’évacuer beaucoup de rumeurs.

Sauf que Marafa lui-même retarde sa procédure en récusant un juge…
Ce n’est pas un fait de hasard qu’il récuse ce juge et le droit commun le lui permet. On lui trouve un autre juge. Je répète que selon les populations, l’affaire Marafa n’est qu’une goutte d’eau dans un océan d’événements indicateurs de la marginalisation dont est victime la région du Nord. Il faut évacuer cette rancune née du 6 avril 1984. Je vous ai dit tout à l’heure que la famille Ahidjo n’avait pas de pension. C’est tout à fait normal que la famille Ahidjo ait droit à la pension. Et je loue d’ailleurs l’attitude de Mohamadou Ahidjo qui s’est rapproché de ce gouvernement. Cela témoigne de l’esprit de pardon qui le caractérise. Pourquoi le rapatriement du corps d’Ahidjo fait problème au Cameroun alors que ce n’est qu’un cadavre ?

Car chez les musulmans, lorsque survient la mort on oublie tout. Pourquoi le retour de ce corps fait problème ? C’est la question que je me pose et celle que les populations se posent. Les populations du Septentrion estiment que depuis le départ d’Ahidjo, il n’y a eu aucun investissement majeur dans le Septentrion. Qu’est-ce qui peut expliquer cela si ce n’est la rancune née à la suite du coup d’Etat du 6 avril ? Il se dit ici à Garoua qu’Ahidjo a fait l’hôpital général de Yaoundé et de Douala et quelque soit les cas M. Biya devrait faire un hôpital général à Bamenda, à Bertoua ou encore à Kousséri, mais pas à Sangmélima parce que les gens de Sangmélima peuvent aller rapidement à Yaoundé. Or, le Grand-Nord, c’est pratiquement 48% et il n’y a pas un hôpital général. Si Ahidjo voyait les choses ainsi, il aurait pu construire tout à Garoua, mais lui avait pensé aux priorités, car Yaoundé est la capitale politique et Douala la capitale économique. Et si on avait à cœur la santé des Camerounais, il était impératif de construire cet hôpital ailleurs, mais pas à Sangmélima qui est à zéro mètre de Yaoundé.

Il y a un projet de construction d’un hôpital de référence à Garoua.
C’est un projet, vous le dites vous–même, mais moi je vous donne la teneur de ce que les gens pensent bas ici.

Selon vous, si les élections venaient à se tenir dans le contexte que vous êtes en train de décrire, la défaite du Rdpc serait cuisante ?
C’est sûr que dans le contexte présent que cette élection soit présidentielle, législative ou municipale, je suis convaincu que par rapport au climat actuel, le Rdpc sera laminé. Je ne suis même pas sûr que les gens aillent voter. L’homme du Sahel n’est pas celui qui prend rapidement l’arme pour se battre. La bataille est son dernier recours lorsque tout a échoué. L’homme du Sahel est pacifique, tolérant, la preuve Mohamadou Ahidjo a accepté d’aller au gouvernement malgré que le corps de son père soit encore au Sénégal. Malheureusement l’homme du Sahel est généralement analphabète. Quand on ne l’est pas, on peut comprendre les choses autrement, mais lorsqu’on est dans cet état là, on s’abreuve à l’appréhension, à la rumeur. Certains disent qu’ils ont toujours donné leurs voix au Rdpc surtout qu’Ahidjo leur avait demandé de faire confiance à M. Biya. Sadou Hayatou le leur a demandé ensuite, enfin Marafa, mais qu’est-ce qu’ils ont reçu en retour ? A tous les coups, c’est toujours le rejet.

Quelle analyse faites-vous sur les sorties épistolaires de Marafa ?
Les lettres de Marafa ont leurs places. Par ailleurs, lorsqu’on vous dit que les hommes de Paul Biya répondent à Marafa, tout de suite ça vous conforte dans votre position de conspiration, de persécution. Les autres sont les hommes de qui ? Fame Ndongo, Cavaye Yeguié Djibril devraient se taire, car ça ne fait qu’envenimer l’affaire. Or, quand Marafa publie une information, il vous donne la preuve de ses déclarations. Ces derniers temps, le Contrôle supérieur fait des sorties médiatiques pour condamner les fautes de gestion de tel ou tel autre haut commis. Pour les populations, c’est juste pour animer la galerie, du pur cinéma. Une action pour brouiller les sorties de Marafa. Si ce que Marafa dit est du mensonge, ce serait dommage, vraiment dommage. Mais si ce sont des faits réels qu’il dénonce, des faits de corruption évalués en dizaines de milliards de Fcfa, pourquoi ne pas prêter une oreille attentive à tout cela ?

Il faut instituer selon vous des commissions d’enquête pour voir plus clair ?
C’est normal. Il y a des gens qui disent qu’il aurait mieux fait de se taire. D’accord, mais que la lutte contre la corruption s’arrête aussi. Marafa dit qu’il y a eu par exemple tel cas précis à tel endroit. On ne perd rien en enquêtant. Tous le monde sait que Marafa a géré des postes de souveraineté dans ce pays. Il a été conseiller du président de la République, secrétaire général de la présidence de la République, ministre de l’Administration territoriale. C’est pour cela qu’on l’écoute avec attention. Est-ce que les Camerounais savaient qu’il y a eu un dédommagement à hauteur de 31 milliards de Fcfa que la compagnie Sud-africaine a versé aux familles des victimes du crash d’avion de 1995 ? Je pense qu’il doit poursuivre avec ses dénonciations à condition qu’elles soient fondées et j’espère qu’elles sont fondées.

Sauf que votre grand-frère est cité dans ses dénonciations, notamment dans le crash de 1995.

Sincèrement, je ne peux en aucun moment être heureux parce que mon frère ou même d’autres Camerounais sont dans des sales draps. Quelque soit ce qu’il y a eu entre nous, je ne peux pas souhaiter qu’il ait des problèmes car ses problèmes ne se limiteront pas à lui mais à moi aussi, à toute la famille. Et jusqu’à preuve du contraire, il n’est pas dans une mauvaise situation. Voilà que je défends aujourd’hui la cause de Marafa parce qu’il est affligé. Mais mon frère est Camerounais comme je le suis. Si la justice décide de voir dans cette affaire, qu’est-ce que je peux dire ? Est-ce que je peux m’opposer à sa décision ?

Et si vous voulez mon opinion car je vous vois venir, lui-même a dit récemment qu’il était serein et qu’il n’avait pas des choses à se reprocher. Pourquoi ne pas le croire, puisqu’en justice, il y a ce qu’on appelle la présomption d’innocence. Pourquoi ne pas y croire à cette présomption comme je crois à celle de Marafa ? Et mon frère s’en est toujours référé à la justice lors de cet échange avec la presse. Moi aussi je m’en remets à cette justice. C’est elle seule qui doit dire le droit. Revenons aux lettres de Marafa, pour l’instant nous attendons des contre-vérités par rapport à celles-ci. L’achat de l’albatros a été fait après son départ du secrétariat général à la présidence de la République, comment peut-on mettre ça sur son dos. ? Ça, les populations n’arrivent pas à l’appréhender.

Prenons le cas Iya Mohamed : que disent les populations par rapport à cette rumeur qui ne fait que l’arrêter ?
Si c’est pour une cause juste, les gens pourront comprendre. Mais si ce sont des gens qui poussent le chef de l’Etat à l’arrêter sans raison valable, les populations ne pourront pas l’accepter. Les populations attendaient par exemple que l’ambassadeur Roger Milla marche contre Iya Mohamed à Yaoundé comme il l’avait annoncé pour entamer la leur. Ce que les populations du Septentrion savent le plus faire, c’est marcher. Cet appel d’un ambassadeur ne lui ressemble pas, car c’est ce dernier, un diplomate, qui devrait en principe apaiser les esprits.

© leseptentrion.net : Propos recueillis Par Telesphore Mbondo Awono



19/06/2012
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