Haman Mana: Lecture (libre) de la déclaration de Maurice Kamto

YAOUNDE - 31 JAN. 2012
© Haman Mana | Le Jour

Maurice Kamto, l’ancien ministre délégué à la Justice, vient de jeter le trouble dans les esprits du pouvoir central de Yaoundé en publiant dans les journaux de la place, une déclaration d’une grande densité politique, et ce, après l’interdiction par un sous-préfet, agissant comme un “gauleiter”, d’une conférence de presse qu’il entendait organiser dans la capitale du pays, mercredi 25 janvier 2012.

Le préalable méthodologique qui préside à la saisie de ce texte unique dans l’histoire politique, sous le Renouveau national, commande d’être profondément attentif à la moindre syllabe et d’en dégager un sens au-delà de la rigueur épistémologique et intellectuelle qui le caractérise. Maurice Kamto, tout en justifiant sa démission du gouvernement le 30 novembre dernier, s’est donc livré à une critique véhémente du dernier septennat de Paul Biya que dissimulent à peine des précautions de style et, par la même occasion, à une évaluation sans complaisance de tout le Renouveau national. « Voici qu’une Nation naguère rayonnante de prospérité, crainte et respectée dans sa zone d’influence naturelle et au-delà, est désormais banalisée, débordée de toute part dans l’indifférence, ou peut-être dans l’impuissance », écrit-il.

La déclaration de Maurice Kamto n’est alors en définitive ni plus ni moins qu’une rageuse momification intellectuelle d’un régime et de celui qui l’incarne, disqualifiés qu’ils sont à entrer dans l’Histoire et désormais livrés à l’indigence de leurs propres turpitudes. Aussi écrit-il : « Je rêvais le Président de la République en « bâtisseur ». Il fallait qu’il entrât dans l’histoire dans cette stature ; car je ne souhaite pas pour mon pays le ressac des recommencements infinis que rythment les échecs des hommes, et où l’histoire débute à chaque nouveau chef de l’Etat comme s’il émergeait du néant. » Le juriste camerounais refuse ainsi de se livrer à l’apologie de l’imparfait habituellement secrétée par les penseurs du régime de Yaoundé pour prendre la posture d’un citoyen dont la ferveur patriotique ne peut mourir ni s’atténuer sous les ombres froides d’un régime qui pense que l’histoire du Cameroun aura commencé le 06 novembre 1982, lorsque son leader central croyait pouvoir inaugurer les temps nouveaux à la suite de la démission de monsieur Ahmadou Ahidjo, premier président.


Tribalisme

Mais l’homme de conviction qu’est Maurice Kamto, qui a toujours servi les nobles causes du Cameroun, sans réserve et avec dévouement et loyauté absolue, est aujourd’hui amer ; le siècle avance et le Cameroun piétine. « La grande Odyssée nationale sous la houlette d’un homme réputé et intègre, fin lettré et moderne » s’est dissipée en fumée pour offrir le visage d’un pays couvert de toutes les suies de l’enfer du tribalisme, ruiné par les haines grégaires et saturé par la souffrance de ses enfants : un chaos que nous refusons de voir alors qu’elle est l’occasion unique pour repenser la renaissance du Cameroun. Une tragédie que les têtes casquées de suffisance refusent de voir. « La tragédie se noue à nos portes et nous refusons de voir : les conditions de vie infra humaine du plus grand nombre et le chômage massif des jeunes mêlés au chaos urbain, annoncent les explosions sociales à venir. » Le Cameroun du Renouveau national court le risque d’une explosion sociale qui sourd depuis longtemps. Et ce n’est pas le septennat dit des grandes ambitions inauguré depuis 2004 qui est venu corriger les choses.

Maurice Kamto se livre alors à un réquisitoire sans concession avec une élégance de la plume que laisse saillir la noblesse de la cause. L’entreprise politique pour lui est une recherche collective dans le dialogue des antagonismes et des contraires. Le préalable à cette démarche étant à ce sujet une humilité profonde qui congédie l’arrogance des vainqueurs temporaires et c’est en vue d’apporter son expertise à la réalisation des promesses électorales de monsieur Paul Biya et de contribuer à bâtir un Cameroun moderne, qu’il choisit d’entrer dans ce gouvernement malgré des désaccords sur la conduite des affaires du pays. Mais le professeur agrégé de Droit assène : « Le siècle avance cependant que le pays piétine », écrit-il entre autres.

Maurice Kamto, en choisissant d’étaler aux yeux de la communauté nationale et internationale les derniers spasmes du régime de Yaoundé, sait très bien que son analyse de la situation souffrira très peu d’une remise en cause que ce soit de la part des Camerounais, eux-mêmes, ou de la part de nos amis de l’extérieur. L’emprise du parti-Etat est telle qu’il exerce un contrôle systématique sur toute l’administration et sur les grands esprits épris de liberté et capables d’apporter une autre vision et une expertise novatrice de sens dans l’entrée du Cameroun au troisième millénaire. Mais hélas, outre le fait qu’elle soit vénale et tracassière, l’administration publique reste au service du parti au pouvoir au grand dam de ceux qui ne pensent pas comme cette élite bureaucratique qui maintient rigoureusement le culte de la pensée unique en bannissant et en excluant sournoisement tous ceux qui n’adhèrent pas à la logique mise en place par les gardiens de la ligne politique du parti-Etat, le Rdpc. Pour Kamto, cela semble une imposture pour le régime de Yaoundé de revendiquer bruyamment, comme il le fait, les fondements et les principes de la démocratie. La démocratie camerounaise n’avance pas. Elle ne mûrit pas. En un mot, elle régresse, dévorée par le tribalisme et affaiblie par les replis identitaires qui vont jusqu’à renier les promesses de la Réunification de février 1961 où le Cameroun anglophone, ancien territoire sous mandat britannique, et le Cameroun occidental, sorti de l’administration coloniale française, se résolurent à recoudre le grand vêtement de l’unité nationale, déchiré par des sombres ambitions prédatrices des puissances coloniales. Muselés et mis aux bans de la République, la parole anglophone, à l’analyse de Maurice Kamto, peine à se faire entendre sur toute l’étendue du territoire national, voilée qu’elle est par le pouvoir central de Yaoundé, rétif à toute réflexion contraire aux aspirations de son demi-dieu de leader. C’est donc un mal-être qui ruine progressivement la ferveur des retrouvailles passées et expose le Cameroun à la déchirure. Maurice Kamto en démissionnant peut repenser le Cameroun, jadis terre de promesses, devenu aujourd’hui une terre de douleurs ruinée par le chômage endémique des jeunes mêlé au chaos urbain.


Epervier

De l’opération d’assainissement des fonds publics, entreprise depuis 2006 par le président Biya, Maurice Kamto, au bout d’une seule phrase, aura mis en lumière la réalité profonde que cachent ces procès : « Les familles crient justice en vain ». On croit comprendre que si les familles crient justice, c’est que l’équité de celle-ci n’est plus une garantie pour personne. L’opération nommée Epervier, pour la plupart des juristes comme Maurice Kamto, est une remise en cause même du droit. L’application partielle et partiale du nouveau Code de procédure pénale par les autorités judiciaires au détriment des prévenus est perçue comme un vrai scandale judiciaire par les observateurs qui parlent d’un univers kafkaïen où les règlements de comptes, le fétichisme et l’incantation l’emportent sur la puissance de l’armature législative et juridique.

La même nébuleuse juridique préside depuis 16 ans à l’application intégrale des dispositions de la Constitution de 1996. En naviguant volontairement dans ces brumes institutionnelles, des éminences grises comme Maurice Kamto savent très bien que c’est le décisionnisme autoritariste, véritable lit des violences sans fin, qui risquerait prévaloir si une secousse grave survenait à la tête de l’Etat. En ignorant continuellement les dispositions constitutionnelles, le leader central du parti au pouvoir sait bien qu’il brouille infiniment les cartes de l’alternance et refuse de dévoiler autant les potentiels successeurs symboliques que les vrais héritiers présomptifs. Comment ne pas donc, sous la plume de Maurice Kamto, présenter Paul Biya comme un homme du passé. Ce n’est pas trop dire que l’on en vienne à affirmer que le juriste camerounais aurait trahi son intelligence s’il ne quittait pas ce régime incapable de s’inscrire dans l’histoire. En projetant de créer un parti politique dans les prochains jours avec des hommes et des femmes « acquis à la cause de la paix par la justice, respectueux des institutions de la République et résolument tournés vers l’avenir », le grand juriste camerounais nous fait comprendre que le Renouveau national est désormais en fin de cycle comme l’équipe nationale de football qui a longtemps fait l’arrogance de son triomphe…


Haman Mana, Journaliste


01/02/2012
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