Haman Mana (Le Jour), Guibai Gatama (L'Oeil du Sahel): Les bourreaux du pouvoir

Yaoundé, 12 Décembre 2012
© Dominique Mbassi | Repères

Ils sont directeurs de publications du quotidien "Le Jour" et de l'hebdomadaire "L'œil du Sahel". Ils ont abondamment relayé les lettres puis le procès Marafa, mis en lumière l'affaire Franck Biya. Leurs éditoriaux et révélations mettent le régime en difficulté. Qui recourt à ses moyens pour les faire taire.

Sous les tropiques, les journalistes passent presque toujours pour des martyrs de la liberté ou des victimes du pouvoir. Mais, au Cameroun, et un peu malgré eux, MM. Haman Mana et Guibai Gatama apparaissent plutôt comme les bourreaux du régime de Yaoundé. Le premier porte allègrement ses 46 ans et a été moulé à l'Essti aujourd'hui Esstic, tandis que le second, qui court encore après ses 40 printemps, a fait sciences économiques d'abord dans l'ancienne université de Yaoundé puis à l'université de Yaoundé Il-Soa.

Si leurs trajectoires fondent leurs différences, ils ont en commun d'être aujourd'hui patrons de presse. Après avoir fourbi sa plume à "Cameroon tribune", M. Haman Mana rompt les amarres avec le quotidien gouvernemental pour plus tard diriger pendant 11 ans le quotidien privé "Mutations". En septembre 2007, il lance le quotidien "Le Jour". M. Guibai Gatama fonde en 1997 l'hebdomadaire "L'oeil du Sahel" avant d'aller suivre une formation en mass communication à l'université d'Alexandrie en Egypt une année plus tard.

Les deux Dp ont surtout en commun de donner, à travers leurs organes, des insomnies au pouvoir. Leur dernier fait d'arme: avoir mis sur la place publique ce qu'il est aujourd’hui convenu d'appeler l'affaire Franck Biya et les titres de Camtel et de la Cnps. Selon les révélations de "L'oeil du Sahel" et de "Le Jour", le fils aîné du chef de l'Etat dans une transaction d'acquisition titres a spolié le Trésor public de 100 milliards de FCFA. Ces informations mettent en ébullition le sérail qui, dans une mobilisation sans précédent, sonne la charge. Hommes politiques, universitaires, juristes, médias d'Etat, journaux ou presse audiovisuelle privés, etc. sont mis à contribution pendant plusieurs semaines pour « dénoncer ces pourfendeurs et leurs manipulateurs tapis dans l'ombre qui organisent une cabale contre Franck Biya pour mieux viser le chef de l'Etat ».

Même lorsque les deux journaux ont donné un écho retentissant aux lettres de M. Marafa Hamidou Yaya gênantes au plus haut point pour M. Paul Biya depuis au procès de l'ex-ministre d'Etat emprisonné qui écorne l'image du régime, tout le sérail ne s'est pas mis en ordre de vengeance. En dehors des sorties de quelques seconds couteaux, tout au plus a-t-on enregistré une ou deux réactions de poids. En raison peut-être de la peur d'être visé par une prochaine lettre.

Mais il se trouvera tout de même le directeur général de la Recherche extérieure (ogre) pour passer un coup de fil menaçant au Dp de "Le jour". Ses éditoriaux au vitriol, à l'instar de "Du pain et pas du sang" ou "Les 30 piteuses" consacré aux 30 ans de pouvoir de M. Paul Biya, lui valent aussi une convocation du directeur adjoint du cabinet civil de la présidence de la République pour lui remonter les bretelles ou refaire ses cours de journalisme à l'impertinent.

Pendant ce temps, le Dp de "L'oeil du Sahel", présenté comme la pierre angulaire de la stratégie de communication de M. Marafa, fait l'objet de filature ou d’actes d'intimidation des forces de sécurité. C'est que les révélations de son canard font des malheurs parmi des pontes du régime. D'ailleurs, M. Guibai Gatama a toujours constitué une épine pour le régime. A la veille de la présidentielle d'octobre 2004, le mouvement des mémorandistes du Grand-Nord dont il est le porte-parole donne du fil à retordre au pouvoir en dénonçant la marginalisation de cette partie du Cameroun dans les projets de développement initiés par l'Etat. Dans cette optique, le Dp de "L'oeil du Sahel", feu Antar Gassagai, Dakolé Daissala, Issa Tchiroma Bakary et autres sont retenus prisonniers à la préfecture de Maroua en compagnie du préfet. Son collègue du Mfoundi interdit toute réunion des ressortissants du Grand-Nord sur son ressort territorial. Las des interdictions, le pouvoir se résout à casser cette dynamique, en engageant des négociations individuelles qui se soldent en 2004 par le retour au gouvernement de MM. Amadou Moustapha et Dakolé Daissala.

Et il ne se lasse pas. M. Guibai Gatama se rappelle encore au souvenir du pouvoir en mettant sur pied le Comité pour la restitution aux familles des dépouilles des victimes du Grand-Nord lors des tristes évènements d'avril 1984 qui, 28 ans après, charrient toujours une forte charge émotionnelle. « On dirait qu'il est activiste dans l'âme. L'ancrage éditorial de son journal en fait une espèce de porte-voix du Grand-Nord qui pose des problèmes certes pertinents, mais si sensibles qu'ils peuvent soulever les populations. Le pouvoir ne peut que regarder ça d'un mauvais œil», raconte une barbouze de la Dgre. M. Guibai Gatama met donc le doigt dans des plaies purulentes au point d'être comparé à Guillaume Soro par un haut responsable des services de sécurité.

M. Haman Mana a souvent eu maille à partir avec les mêmes services de sécurité. Comme en juillet 2001 lorsque le président de la République prend 21 décrets en vue de la modernisation de l'armée camerounaise. Ces décrets font l'objet d'abondants commentaires du ministre de la Communication dans les médias. Celui qui officie alors comme Dp du quotidien "Mutations" flaire un coup commercial en publiant dans une édition spéciale tous ces textes. Cette initiative lui vaut un séjour de quatre jours dans les cellules du secrétariat d'Etat à la Défense (SEP). Curieusement, durant sa captivité, ses geôliers loin de retenir contre lui la violation du secret-défense initialement alléguée, exigent désormais qu'il révèle sa source d'information.

Les directeurs de publications de "Le Jour" et "L'oeil du Sahel" ont tellement ébranlé le pouvoir avec l'affaire Marafa qu'en haut lieu on semble désormais déterminé à «punir» les indociles. Le ministre de la Communication a interdit M. Guibai de débat à la télévision publique avant de réaliser l'inefficacité de sa mesure. Il était persona non grata aux récents états généraux de la communication.

Après ces tentatives de musellement, on a ensuite opté d'asphyxier financièrement les deux journaux. «Depuis le début de l’année, je n ai pas reçu un seul paiement d'une administration publique», corrobore M. Haman Mana. Mais au sein du sérail d'aucuns se sont élevés en pleine réunion secrète contre une telle initiative en opposant qu'elle pourrait se révéler contre productive si d’aventure les propriétaires des deux journaux bénéficiaient de financements occultes. D'ailleurs, plusieurs services de l'Etat et lobbies ont reçu d'importants appuis financiers pour les contrer en nourrissant la thèse des mallettes d'argent mises à disposition par les réseaux Marafa.

Sans doute, se rendant compte que les représailles financières ne pourront décourager ceux qu'on considère désormais comme "des pyromanes ou des ennemis de la République", d'autres stratégies plus machiavéliques sont mises en œuvre. Dans cette veine, des insinuations distillées par le sérail ont voulu voir la main de M. Haman Mana derrière l'assassinat de Jacques Bessala Mange, licencié quelques semaines plutôt du quotidien "Le Jour". «Pour accréditer cette thèse, on a prétendu que Dessala Manga en savait long sur les collusions de Raman Mana avec le réseau Marafa: Ce faisant on a volontairement omis de souligner que le défunt avait continué à collaborer avec Raman Mana en sa qualité de promoteur des éditions du Schabel. Cette accusation ne visait qu'à ternir la réputation sinon pourquoi n'avoir pas ouvert une enquête pour tirer cette affaire au clair, susurre une source.

Pour autant, le rouleau compresseur ne s'arrête pas. Dimanche 25 novembre 2012, d'après le- communiqué rendu public par M. Lambert Fotso Tchamekwem, « un commando de six individus dont deux portant des cagoules a détruit presses offset de marque Heidelberg Kord dans les ateliers de Press-book Communications, société regroupant une imprimerie et le quotidien "Stades". Le dernier paragraphe du communiqué fait une allusion: «Nous comptons aussi sur l'habituelle efficacité de nos forces de l'ordre pour traquer et neutraliser ces malfaiteurs dont le scénario et le mode opératoire ressemblent étrangement à ceux qui ont conduit il y a quelques mois a l'assassinat de notre ami et confrère Jacques Dessala Mange». Tout le soupçon est là, bien orienté. Car il y a quelques semaines encore, le quotidien "Le Jour" était tiré dans cette imprimerie. Et les rapports entre le promoteur de l'imprimerie et le Dp de "Le jour" ne seraient pas au beau fixe. Mais d'après les informations de «Repères», l'acte porte l'estampille d’une unité spécialisée des services de sécurité qui a agi avec l'onction de sa haute hiérarchie. Décodera le message qui pourra.


12/12/2012
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