Guerandi Mbara : Enquête sur un putschiste et un putsch mythiques

Prudence légendaire. Installé à Ouagadougou depuis son départ du Cameroun le 5 juin 1984, il y est fort peu connu du public et de la presse. C’est là l’un de ses secrets : prudence légendaire. Il s’arme d’humilité, de simplicité et d’une discrétion légendaires. Cela lui a notamment permis d’échapper, en deux décennies d’exil, à moult projets d’inquisitions ou d’assassinats physiques du type Félix Roland Moumié à Genève, voire de campagnes de dénigrement orchestrées par des politiciens camerounais parachutés à Ouaga, et jaloux du mythe qu’il a toujours représenté aussi bien au sein de l’armée camerounaise que dans le premier cercle du pouvoir burkinabé.

Après 25 ans d’exil, l’un des coauteurs de l’unique tentative de coup d’Etat militaire (du 6 avril 1984) contre le régime Biya, et ancien officier de l’armée camerounaise installé au Burkina Faso, survit à moult conjonctures en gardant la même détermination. Avril 1984. Au niveau du petit peuple et des opposants à l’ancien régime, c’est encore l’euphorie du changement subitement intervenu le 6 novembre 1982 entre les présidents Ahmadou Ahidjo, démissionnaire quelques jours plus tôt, et Paul Biya, le « successeur constitutionnel ».

Dans les cercles des armées où les peulhs restent, malgré tout, numériquement majoritaires dans les unités d’élite, l’inévitable spoil system tribal a démarré pour d’évidents desseins opportunistes chez des officiers supérieurs originaires de l’ancienne province du Centre-Sud. A la garde républicaine, unité d’apparat également constituée pour l’essentiel d’éléments peulhs ou kirdis, « la provocation tribale beti bat son plein et atteint son comble » (sic). On sort tout droit d’une tentative que Paul Biya lui-même a dévoilée en juin 1983, laquelle a entrainé l’arrestation de deux proches du président Ahidjo, le capitaine Salatou Adami et le commandant Ibrahim Oumarou.

En deux décennies de pouvoir absolu sous le régime Ahidjo, les apparatchiks peulhs avaient, il est vrai, tout prévu sauf l’allégeance éventuelle à de simples chrétiens sudistes bantous. Mais les choses se corsent trop rapidement. Le système vacille sans le paraître. Des observateurs avertis perçoivent, comme une évidence découlant de ce qu’on croyait être une plate continuité, la fragilité du nouveau régime, se montrant trop scotché aux recommandations d’un ex chef de l’Etat installé à Garoua. Définitivement admiratif, Paul Biya disait vouloir lui ressembler, parce qu’il « n’a pas failli ».

Le bicéphalisme à la tête de l’Etat via le débat sur la présidence du parti-Etat, l’Union nationale camerounaise (Unc), toujours aux mains de l’ancien président, s’installe dans le sérail et atteint vite son paroxysme. Mais des faucons du parti unique comme Moussa Yaya Sarkifada, proche de Ahidjo, ne se font plus d’illusion sur son issue en faveur de celui qui détient la réalité du pouvoir.
 
A la hâte et sur la seule base de leur irritation contre la manière dont ils sont traités par leurs « anciens laquais », quelques seconds couteaux peulh conduits par un groupe qui s’est baptisé « jeunes officiers patriotes » s’organise à Yaoundé, avec des relais plus ou moins sûrs dans les bataillons militaires déconcentrés. Objectif : renverser vite la donne au plus vite, « tant que la magistrature suprême est à prendre ». Les jeunes cadres de l’armée entendent prendre le pouvoir officiellement pour « trancher le nœud gordien » d’un régime qui, selon eux, a commencé à l’indépendance, et n’en finit plus de se reproduire.

A l’origine, le mouvement n’est donc pas dirigé contre le seul régime Biya en tant que tel. Il vise celui qui l’a installé. Mais le verrou ne sautera peut-être jamais. Paul Biya, tout neuf et tout beau à 51 ans, jouit d’une incontestable popularité. Ce n’est pas tout. Beaucoup qui se lancent dans l’opération militaire en cette nuit du mois d’avril 1984 contre le tout nouveau régime n’ont aucun fait d’arme.

Débandade. Dans la débandade, des officiers généreux restés loyaux au régime Biya essaient, entre trouille et baroud d’honneur, de démêler l’écheveau. Une fois la situation rentrée miraculeusement sous contrôle, on veut repérer les meneurs de la mutinerie déclenchée depuis les casernes.

Plus tard, à cours d’informations, mais avide de manipulation et de sensation, ces officiers enfonceront la porte ouverte de la plus évidente des exégèses, celle consistant à qualifier la tentative de putsch d’inspiration essentiellement peulhe. Une certaine élite foulbé, qui trouvera en l’idée du putsch l’occasion rêvée de reconquérir un pouvoir perdu dans une alchimie imaginée (fulmine-t-on) à l’Elysée, récupérera l’initiative avant la déculottée. Le grand Ahidjo, lui-même ne comprendra pas grand-chose à ce mouvement intrinsèquement isolé, hostile en réalité à son propre régime. Il ralliera au conditionnel l’offensive de « ses » partenaires sur une déclaration historique à Radio Monte-Carlo en France…
 
Dans la pratique, l’opération se révèlera être un bide. Un mouroir. C’est que, en dehors de quelques officiers formés à la vraie école de guerre, l’essentiel des forces engagées dans l’offensive n’a pas la simple maîtrise du matériel de guerre. Cela n’est pourtant pas la cause principale de la débâcle, tant l’armée, après tant d’années de « paix », avait perdu les réflexes des chaudes périodes « rebelles» des années d’indépendance. Concrètement, les renforts « nordistes » attendus des unités d’élite comme Koutaba dans le Noun vont, selon des témoignages concordants, bouleverser la donne à Yaoundé. En ayant simplement changé de camp pour appuyer des loyalistes en déroute. Moult officiers nordistes ont maudit ces frères d’armes traîtres avant de mourir. Des officiers généraux avaient pourtant détalé de la ville comme des lapins dès les premiers coups de feu, souvent victimes d’attaques de putschistes revanchards à domicile !

Quelques jours avant le mouvement, l’information sur le « coup » a circulé dans les cercles du pouvoir par mille et un réseaux, au point de parvenir à l’oreille du directeur de la sécurité présidentielle d’alors, le colonel René Claude Meka. L’information a été négligée.

Le soulèvement a entraîné environ un millier de procès/exécutions sommaires et disparitions dans le Nyong-et-So’o. Beaucoup de ceux qui apparaîtront ensuite comme les héros de la situation avaient, en fait, discrètement déguerpi, rejoignant les banlieues de Yaoundé, officiellement « pour aller préparer la riposte »…
Des milliers de lampistes ont payé l’addition de cette tentative. Des figures de poids de la capitale comme Noah Bikié, le grand-père de Yannick, ainsi que plusieurs centaines d’éléments de l’armée souvent victimes de faciès ou d’appartenance ethnique, comme le colonel Salé Ibrahim, commandant de la garde républicaine, ont été exécutés - ce malchanceux avait d’abord été gardé à vue avant la tentative par les putschistes qui savaient qu’il était inutile de l’informer du « coup » ou de l’impliquer parce qu’il s’y opposerait…

« Jeunes Officiers patriotes ». Parmi les jeunes officiers patriotes instigateurs du « coup » figure un jeune instructeur fougueux de l’Ecole militaire inter-armes (Emia) de Yaoundé, peu connu du grand public, mais déjà populaire dans les milieux de l’armée avec cet air mystérieux qui ne le quitte jamais, ses positions au vitriol, sa technicité et sa pugnacité. Son nom : Guérandi Mbara G., 30 ans, capitaine d’armée de terre, diplômé de la promotion « 20 Mai » de juillet 1975 de l’Emia, et de l’Ecole de guerre de Hambourg en République fédérale d’Allemagne. Lui-même est fils d’un autre capitaine, Guérandi Mbara Damsou, qui a été admis à faire valoir ses droits à la retraite en 1970. En 1980, il est major d’une formation de commandants d’unités d’infanteries à l’Emia, ce qui vaudra à l’officier toupouri de l’Extrême-nord né à Douala le 30 août 1954 à Douala d’être retenu pour former les élèves officiers à l’Emia. La même année, il passe le grade de capitaine. Il n’a alors que 28 ans…
Flambeur en certains temps, ce spécialiste de l’artillerie sol-sol issu de l’Ecole de guerre allemande, à la fois sympathique, effacé, nonchalant, mais surtout imprévisible a connu, sur les bancs de l’Emia à Yaoundé, un certain Blaise Compaoré, un Henri Zongo, et Thomas-Isidore Noël Sankara, principaux acteurs de la révolution burkinabé…

A l’époque, il est déjà considéré par beaucoup dans la hiérarchie de l’armée comme un élément dangereux. Car en plus de ses qualités de militaire accompli, l’officier incapable de vanité use de langage marxiste-léniniste alors tabou et développe un programme politique cohérent dans le style que l’on découvrira plus tard chez les jeunes officiers voltaïques.

Impliqué dans cette tentative de putsch - dont il affirme tantôt n’en rien savoir, tantôt que le groupe avait l’intention d’éviter toute la misère que vit aujourd’hui le Cameroun sous Paul Biya, tantôt que « la stratégie n’a pas été exécutée selon les recommandations » -, le capitaine Guérandi n’aura plus qu’à se retirer discrètement de la scène. L’on est rendu à juin 1984. Il se retrouve rapidement dans l’entourage des présidents Thomas Sankara et, ensuite, Blaise Compaoré à Ouagadougou, en train de rêver, avec l’intelligentsia de la révolution, d’une Afrique meilleure, panafricaniste, qui s’entraide entre pays riches et démunis. C’est un groupe d’intellectuels et d’universitaires dévoués qui s’emploie à imaginer les scénarios du futur, avec (peut-être) effets immédiats à la présidence du Faso. On y évoque une Afrique noire dotée d’un programme politique commun, affranchie de la vieille garde coloniale et néocoloniale. Ils ne sont pas que des théoriciens du changement. Convaincu qu’aucune alternance dans la foule de régimes familialistes ne peut se faire par les bons offices et sans une sorte de coopération en la matière, le groupe entend vite s’internationaliser.

Et Guerandi Mbara est dans son élément. Il affectionne particulièrement ce mélange intellectualisme-stratégies militaires. L’officier qui vit dans une extrême discrétion et modestie (presque obligée) est l’un des principaux missi dominici de la révolution du Faso. Il est très souvent en contact avec les plus hauts leaders africains dont la… Libye du colonel Mouammar Kadhafi. Il est, pense-t-on, stratège militaire ou commandant de nombreuses opérations de conquête de pouvoir ; il est soupçonné de conseiller des rébellions armées. Il a toujours infirmé et rejeté en bloc ces allégations.

Selon une certaine presse panafricaine, il fut néanmoins proche d’Idriss Déby Itno du Tchad, de Denis Sassou Nguesso du Congo, de Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire, de Laurent Désiré Kabila, feu Sani Abacha… Et depuis, on le dit proche du leader des Forces Nouvelles de Côte d’Ivoire, Guillaume Soro, avec lequel on l’avait souvent aperçu en tête à tête à Ouagadougou…

Prudence légendaire. Installé à Ouagadougou depuis son départ du Cameroun le 5 juin 1984, il y est fort peu connu du public et de la presse. C’est là l’un de ses secrets : prudence légendaire. Il s’arme d’humilité, de simplicité et d’une discrétion légendaires. Cela lui a notamment permis d’échapper, en deux décennies d’exil, à moult projets d’inquisitions ou d’assassinats physiques du type Félix Roland Moumié à Genève, voire de campagnes de dénigrement orchestrées par des politiciens camerounais parachutés à Ouaga, et jaloux du mythe qu’il a toujours représenté aussi bien au sein de l’armée camerounaise que dans le premier cercle du pouvoir burkinabé.
 
Lorsque le parlement camerounais vote en 1991, à la faveur de l’ouverture démocratique, une loi amnistiant les auteurs de la tentative de putsch du 6 avril 1984, il sait bien n’être pas concerné. La suite des événements lui donnera raison, lui qui se veut le seul survivant de la génération du putsch. En effet, beaucoup ne jouiront pas, jusqu’à leur mort, des bénéfices de ladite loi. Un décret présidentiel les mettra discrètement à la retraite anticipée, à la fin des années 90, pour… atteinte à la sécurité de l’Etat.

Des officiers attaqueront, en vain, cette décision arbitraire en justice après de nombreuses années sans le moindre salaire. Seuls certains dont la carrière avait été détruite « par erreur » – et qui, par miracle, n’ont pas perdu la vie dans les exécutions - se reverront dans les grâces d’un pouvoir décidément rancunier. En tout cas, beaucoup succomberont pour une raison ou une autre avant l’embellie utopique.

C’est le cas d’un certain capitaine Konaté Alhadji, peulh de Banyo, féru de sport et d’arts martiaux, dont Guérandi fut à l’époque l’adjoint au bataillon d’artillerie sol-sol de Nkongsamba/Dschang. Il décède en 2003, des suites d’un « accident banal » sur l’axe de l’Ouest il y a quelques années alors qu’il revient d’un voyage « secret » à Ouagadougou au Burkina Faso. Selon des proches, cet ex détracteur de Guérandi avait repris langue avec ce dernier… Erreur. Voici la vérité. Le capitaine Konaté ne s’était jamais remis de l’injustice dont il disait avoir été l’objet avec le putsch d’avril 1984, lui qui disait n’avoir même pas été mis au courant. Il avait promis aux siens urbi et orbi qu’il mourait dans une vraie tentative de coup d’Etat contre le régime Biya. Le ministre Amadou Ali le savait.

Mais, il faut l’avouer, les choses ont beaucoup évolué dans les deux pays. Après moult promesses politiciennes, le dossier oublié des militaires coupables d’ « atteinte à la sécurité de l’Etat » en juin 1983 et avril 1984 - qui furent bannis de l’armée nonobstant la loi d’amnistie de 1991 -, a été revisité à la présidence de la République à la faveur du débat en cours sur la modification de la constitutionnelle devant permettre au président Paul Biya de briguer à vie sa propre succession. Un décret discret signé par le chef de l’Etat le 1er février 2008 rétablit et revalorise leurs pensions retraite. La hiérarchie de l’armée s’était toujours opposée à cette concession aux « putschistes » nordistes qui ont été spoliés dans le calcul de leurs droits pour toute la durée de leur séjour en taule pour les survivants.

La nouvelle option, quémandée sans suite pendant une quinzaine d’années par les ayants droit mais ignorée par la hiérarchie de l’Etat et l’armée a été initiée, politiquement, en direction de l’élite du Nord en général au bénéfice des anciens officiers nordistes proches du président Ahmadou Ahidjo, en l’occurrence le commandant Ibrahim Oumarou, les capitaines Salatou Adamou, Adamou Mohaman, Moktarou Mohamadou, Abdoulaye Tamboutou, et autres, l’enseigne de vaisseau Moussa Mamadou…
Entre temps, une vague d’officiers nordistes avait discrètement été jetée à la retraite anticipée par décret présidentiel pour « atteinte à la sécurité de l’Etat »…
A Ouagadougou. Guérandi Mbara, 55 ans, s’est peut-être enfin assagi. Il explique simplement que « Les intérêts bilatéraux  d’un Etat comme le Burkina Faso ne peuvent pas être déterminés par le simple individu que je suis ».

Ce n’est pas faux. Après les frayeurs exprimées suite à un voyage à Ouagadougou en novembre 2004 du directeur de la sécurité présidentielle, le général Ivo Desancio Yenwo, le couple présidentiel camerounais a pu prendre part aux travaux du Xème sommet des chefs d’Etat et des gouvernements de la Francophonie à Ouagadougou en novembre 2004. Un signe des temps. A l’idée d’aller à Ouaga pour la première fois, le président Paul Biya était mort de peur, d’après des témoignages. Le président français Jacques Chirac dut s’impliquer personnellement, d’après des indications, pour rassurer son homologue camerounais sur la sécurité du sommet de la Francophonie dans la capitale burkinabé…

Aujourd’hui, presque toute l’Afrique des premières dames sait la cordialité des relations qui unissent Chantal Biya et son homologue burkinabé Chantal Compaoré, proche, elle-même de Madame… Elisabeth Guérandi… Signe de rapprochement entre Etoudi et la Zone de sécurité n°1 de Ouaga ? Voire.

Université René Descartes. C’est que, bien que soupçonné par les « services » français d’activités de mercenaires et d’approvisionnement en matériel de guerre à travers l’Afrique, Guerandi s’occupe plus d’expertise stratégique au sein de Andal Afriq, le cabinet d’études dont il est le directeur général. Ancien formateur d’officiers de l’armée à l’école burkinabé, il enseigne parallèlement à l’université. Car il a diversifié ses études universitaires en France avec l’aval de son ami de toujours, le chef de l’Etat burkinabé.

Il est diplômé 3ème cycle en études diplomatiques supérieures de l’Ecole des hautes études internationales (Ehei) de Paris, diplômé d’études approfondies des relations économiques internationales et du développement à Paris V… Il est depuis une dizaine d’années Docteur nouveau régime en science politique de l’université René Descartes de Paris V. Il a écrit un document (hermétiquement) académique sur le comment redresser le... Cameroun.

L’on est donc déjà demain. Seulement, ceux qui connaissent la patience, l’opiniâtreté et la grande nostalgie pour le Cameroun de cet officier d’élite toupouri de l’école allemande, à l’entregent exercé, savent également un bout sur sa terrible détermination…

©2009 Jean Marc Soboth


10/04/2009
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