Fru Ndi répond à Amadou Ali

En cette veille d’élection présidentielle, les confidences d’Amadou Ali à Janet Garvey, ancien ambassadeur des Etats-Unis au Cameroun, alimentent la polémique. Le Vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, a partagé sa vision de la succession de Paul Biya, au cours d’un entretien avec la diplomate américaine. Un entretien dont la substance a été révélée par Wikileaks. Amadou Ali évoque, au cours de cet échange, le scénario d’une succession de l’actuel président de la 
République, en s’appuyant sur des bases ethniques. Il exclut ainsi une éventuelle prise de pouvoir par un Béti/Boulou, un Bamiléké ou un anglophone. 
 
Dans sa logique, le septentrion va soutenir Paul Biya « aussi longtemps qu’il le souhaite ». Mais, il n’est pas question qu’un autre Béti/ Boulou le remplace. Amadou Ali décrit le Bamiléké comme un envahisseur, jouissant d’un bon équilibre économique. D’après le Vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, tous ces paramètres concourent à la méfiance d’autres groupes ethniques à l’endroit des peuples des « grassfields ». Avec les anglophones des zones Nord-Ouest et Sud-Ouest Cameroun, les Bamiléké constituent la seule vraie opposition au gouvernement de la République du Cameroun. 
 
En parlant d’opposition, dans le télégramme de Wikileaks, Amadou Ali cite nommément John Fru Ndi, leader du Sdf (Social Democratic Front), originaire de la zone anglophone du Nord-Ouest. John Fru Ndi est par ailleurs, candidat à l’élection présidentielle du 9 octobre prochain. Le Vice-Premier ministre, ministre de Justice, dit de l’opposant qu’il est « assoiffé de pouvoir, corrompu », et dévoile que Fru Ndi a « empoché des centaines de milliers de dollars que le président Laurent Gbagbo de la Côte d’Ivoire lui avait donnés ». L’intéressé répond à Amadou Ali dans cette interview. John Fru Ndi nie toute transaction financière conclue l’ex président ivoirien, et se dit prêt à déclarer ses biens.
 
Mais, au-delà des « accusations » portées contre de John Fru Ndi, l’opposant réagit à l’impact de ces déclarations du Vice-Premier ministre, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, sur l’avenir de la nation. « On n’est pas loin d’un génocide programmé », craint l’homme politique, conforté dans l’idée que le Cameroun est fragilisé par la considération des différences ethniques dans la gestion de la cité. Le leader du Sdf est rejoint en cela par des hommes politiques de l’opposition, comme Abanda Kpama. « Ces propos sont source de frustrations et peuvent engendrer la discrimination à l’égard de certaines populations du seul fait de leur appartenance ethnique », a déclaré le président du Manidem, hier, dans les colonnes du Jour.
 
Irène Fernande Ekouta

“On n’est pas loin d’un génocide programmé”
 
Ni John Fru Ndi. Le leader du Sdf  répond aux accusations de corruption et de pouvoirisme portées contre lui par Amadou Ali et rendues publiques par Wikileaks.
 
Comment avez-vous accueilli les révélations de Wikileaks sur les échanges entre Amadou Ali et l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique ? 
Je suis choqué. Ce sont des propos tellement graves. Je suis consterné de constater qu’ils ont été tenus devant l’ambassadeur d’un pays aussi réputé que les Etats-Unis par un haut ministre qui n’est pas un bleu à son poste au Cameroun. Donc, il sait de quoi il parle. C’est un crime grave contre la nation camerounaise. 
 
Il vous accuse d’avoir reçu de l’argent du président Laurent Gbabgo. Que répondez-vous ? 
Je voudrais d’office réagir sur les accusations concernant l’argent que j’aurais reçu du président Laurent Gbagbo. Je vais d’abord assimiler ces propos à ceux déclarés par son acolyte Marafa Hamidou Yaya, qui avait dit publiquement que je suis allé sortir quelqu’un de prison pour qu’il commette des gaffes. Ce sont des déclarations mensongères. De la même manière que je l’avais dit à Marafa, je dis qu’en sa qualité de Vice-Premier ministre, ministre en charge de la Justice, il a le nécessaire pour commanditer une commission d’enquête. Cela permettrait qu’il dise des choses véridiques et non des mensonges. La dernière fois que j’ai vu Laurent Gbagbo date de bien longtemps. On avait parlé de politique, de développement, du socialisme, de l’Afrique et d’autres sujets. Mais l’argent n’avait à aucun moment été évoqué dans notre discussion. Je ne sais donc pas comment j’ai pu empocher d’une manière mystérieuse et sans trace, des centaines de milliers de dollars que Laurent Gbagbo a donnés au Sdf, comme c’est suggéré. 
 
Il a pu financer votre parti ? 
Au sein de ce parti, je ne gère pas les comptes bancaires. Il y a le trésorier, paix à son âme, le secrétaire  général, et d’autres qui sont habilités à le faire. Demandez même à ceux qui ont occupé ces fonctions par le passé au sein du Sdf. Vous comprendrez alors pourquoi je dis qu’il y a des gens qui fabriquent des mensonges  et les lancent au public comme des vérités lorsque cela concerne Fru Ndi. 
 
Dans le même ordre d’idée, il est dit dans ces propos que vous êtes un homme corrompu? 
Tout ce que je revendique au Cameroun, je le fais officiellement. Je mène mes activités en toute clarté. Cela peut se justifier. Je crois qu’il fouille sans cesse et tellement dans mon vécu quotidien que si je commets la moindre erreur, les preuves seront bien amplifiées par le ministre de la Justice du Cameroun. Mais, on est habitué à vivre de rumeurs et de supputations dans un gouvernement qui ne se donne pas la peine de faire véritablement son travail. J’ai mes activités personnelles et je ne me cacherai pas pour déclarer publiquement mes biens avec toute leur provenance.  Ils pourront le vérifier. Si de hauts ministres comme Marafa et Amadou Ali en sont réduits à des mensonges éhontés sur ma personne, cela prouve leur qualité et leur incompétence non seulement morale, mais aussi professionnelle au niveau de la gestion du Cameroun. 
 
Vous êtes présenté dans ce câble diplomatique comme un assoiffé de pouvoir…
Ce sont des trucs que Marafa et Amadou Ali racontent pour me calomnier, lorsqu’ils sont à court d’arguments. Cela m’a fait rire et je prends le peuple camerounais entier à témoin. Si j’étais un homme qui voulait juste le pouvoir à tout prix et à tous les prix, je serais peut-être déjà, au prix d’énormes sacrifices, par le sang du peuple camerounais,  président de la République depuis 1992. J’ai toujours mis d’autres valeurs au devant de la conquête effrénée du pouvoir. S’il faut en parler, regardons ceux qui désavouent le pacte social signé avec les Camerounais, modifient la constitution du pays pour demeurer au pouvoir, quand bien même ils savent qu’ils ne répondent pas aux aspirations de la majorité des Camerounais. Si ce n’était pas le cas, ils auraient déjà rempli tout au moins les exigences proposées par le Sdf pour le déroulement des élections transparentes et incontestables au Cameroun. 
 
Amadou Ali disqualifie les Béti, les Bamiléké et les anglophones dans la course à la succession de Paul Biya. Que pensez-vous de cette position ? 
Je le laisse assumer ses propos et les conséquences que cela peut produire en cette période électorale au Cameroun. On ne peut pas bâtir  et encore moins développer une nation par une politique et une gouvernance à connotation tribale. Généralement, on dit que ce sont les Anglophones qui prônent la sécession. Le fait pour le Vice-Premier ministre, ministre de la Justice de faire de telles déclarations ne constitue-t-il pas une manière plus cruelle de préparer la sécession? C’est l’une des choses que nous combattons au Sdf en sollicitant le fédéralisme et l’unité de la nation dans notre programme économique et social.  Aujourd’hui, avec 51 dossiers déposés pour les potentiels candidats à la présidence de la République, on comprend la fabrication et les divergences que les problèmes de l’ethnicité, débattus et entretenus uniquement en haut lieu, créent et peuvent davantage créer au Cameroun. Il est nécessaire qu’on porte plainte contre Amadou Ali pour cela. Cela peut fortement fragiliser le pays et davantage apporter des tensions et divisions, parce qu’on va se regarder non plus comme des Camerounais, non plus comme des hommes compétents ou pas, mais comme des anglo, des Bamiléké, des Béti et autres. C’est un crime grave contre la nation. On n’est pas loin d’un génocide programmé. Pour moi, je pense que nous appartenons tous à un même pays. Que les revendications que posent les Camerounais sont les mêmes du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest du pays, et non pas parce qu’on est opposant, parce qu’on est de Douala, du Nord, du Sud ou de l’Ouest du Cameroun. Il faut chercher à résoudre les problèmes des Camerounais et non à les classer en fonction de leur origine ethnique. 
 
Propos recueillis par 
Honoré Feukouo



08/09/2011
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